C. UN PLAN DE DÉVELOPPEMENT DU RÉSEAU DONT L'AMBITION SE HEURTE AUX CRISES SUCCESSIVES ET DONT LA RÉUSSITE EST CONDITIONNÉE À LA RÉSOLUTION DE PLUSIEURS ENJEUX STRUCTURELS

En mars 2018, le Président de la République fixait pour objectif au réseau d'enseignement français à l'étranger le doublement de ses effectifs à l'horizon 2030, soit une cible de 700 000 élèves, impliquant une croissance moyenne de l'ordre de 7 % à 8 % par an.

Depuis cette annonce, et malgré la crise sanitaire qui a de facto ralenti le processus de développement, le réseau de l'AEFE a gagné 72 établissements (567 contre 495) et plus de 30 000 élèves (490 000 contre 455 000). Le rythme moyen de croissance annuelle des effectifs est cependant très en-deçà de celui nécessaire à l'atteinte de l'objectif présidentiel dans le calendrier imparti .

Le rapporteur constate que, pour la première fois, le MEAE reconnaît le décalage entre l'ambition affichée et la réalité de la mise en oeuvre : « la perspective du doublement des effectifs est un objectif maintenu, même si nous reconnaissons qu'il est ambitieux au regard des obstacles qui se sont dressés depuis 2020 » 2 ( * ) .

La mise en oeuvre du plan de développement du réseau

Le plan de développement du réseau, véritable ligne directrice de l'action de l'AEFE, inscrite dans son nouveau contrat d'objectifs et de moyens, repose à la fois sur un volet « interne » , consistant à accompagner la croissance des établissements déjà membres du réseau, et un volet « externe » , impliquant l'homologation de nouveaux établissements partenaires. Sa mise en oeuvre se traduit par :

• la mobilisation des postes diplomatiques au moyen de leur plan stratégique d'éducation, outil programmatique permettant d'identifier les marges de progression en matière d'enseignement du français en fonction du contexte local ; depuis 2020, 130 plans d'éducation ont été transmis par les postes, couvrant au total 148 pays ;

• l'association des familles avec la perspective prochaine de l'augmentation, en application de la loi n° 2022-272 dite « Cazebonne » du 28 février 2022, du nombre de sièges dévolus aux fédérations d'associations de parents d'élèves au conseil d'administration de l'AEFE (le travail est en cours) ;

• l'action du nouveau service d'accompagnement au développement du réseau (SADR) de l'AEFE , créé en janvier 2020 et chargé de conclure des conventions d'accompagnement avec les porteurs de projets privés (investisseurs, parents d'élèves...) : à ce jour, 71 conventions ont été signées pour un montant total de plus de 600 000 euros ;

• le contrôle de la qualité de l'offre d'enseignement , en amont et en aval de l'homologation des nouveaux établissements intégrant le réseau.

La concrétisation de l'ambition présidentielle de croissance du réseau est confrontée, outre aux crises conjoncturelles, par définition non prévisibles, à trois enjeux structurels :

ð le premier est celui des effectifs des personnels enseignants et de leur formation , question centrale pour garantir la qualité de l'offre éducative.

Sans enseignants en nombre suffisant et bien formés, le plan ne pourra pas fonctionner . Or l'atteinte de la cible de 700 000 élèves suppose 25 000 enseignants supplémentaires , ce qui représente un besoin de recrutement conséquent. Une partie des enseignants travaillant pour le réseau sont des titulaires détachés du ministère de l'éducation nationale ; ce vivier est cependant fortement limité par le plafond d'emplois et les besoins propres du ministère. Certaines académies refusent ainsi de laisser partir leurs enseignants à l'étranger faute de pouvoir les remplacer. L'autre partie des recrutés sont des agents locaux ayant vocation à être formés dans les nouveaux instituts régionaux de formation (IRF). Pour ce vivier, le défi réside dans l'atteinte d'un niveau de formation permettant de préserver la qualité de l'enseignement « à la française », véritable atout du réseau .

Le rapporteur note que les représentants des parents d'élèves auditionnés , conscients que la problématique du recrutement ne peut être résolue qu'en actionnant ces deux leviers, local et national, estiment que la création des IRF est « une bonne évolution ».

La mise en place des instituts régionaux de formation (IRF)

Le développement du réseau suppose un effort important pour garantir aux établissements de trouver les ressources humaines indispensables à leur fonctionnement optimal . C'est dans cette optique qu'ont été créés, le 1 er janvier 2022 , 16 instituts régionaux de formation (IRF) . Basés dans les « zones de mutualisation » qui structurent ce réseau, les IRF sont situés à Abu Dhabi, Barcelone, Beyrouth, Bogota, Bruxelles, Buenos Aires, Dakar, Hanoï, Johannesburg, Lomé, Munich, Ottawa, Rome, Tananarive, Rabat et Tunis.

Ces instituts sont dotés d'une gouvernance inclusive , ouverte à tous les acteurs du monde éducatif dans chacune des zones :

- personnels de direction des trois catégories d'établissements (EGD, conventionnés et partenaires) ;

- représentants des comités de gestion des établissements conventionnés et partenaires ;

- représentants des parents d'élèves ;

- représentants des enseignants.

L'année 2022 marque une première étape, avec la mise en fonctionnement des IRF dans leur dimension pédagogique . L'année 2023 sera constitutive d'une seconde étape, à caractère administratif, les IRF devant devenir, en application de la loi « Cazebonne » du 28 février 2022, des EGD de l'AEFE , à vocation de formation.

Les plans de formation des personnels de l'enseignement français à l'étranger seront élaborés dans le cadre de ces nouvelles instances, en référence aux attendus pédagogiques fixés par l'Éducation nationale mais à partir des besoins identifiés dans chaque zone et exprimés par les personnels, les établissements et l'AEFE.

Pour soutenir le déploiement de cette nouvelle politique de formation , l'Agence a développé ATENA , une application dédiée permettant une meilleure gestion et un suivi plus fin de la formation par toutes les parties prenantes, partout dans le monde. L'Agence a également mis en place, depuis septembre dernier, en partenariat avec Canopé, un nouveau parcours de professionnalisation certifiant en trois ans , à l'intention de tous les nouveaux personnels recrutés localement. À ce jour, 1 000 néo-recrutés en ont bénéficié.

ð le deuxième enjeu est immobilier : pour se développer et faire face à la concurrence internationale, les établissements déjà membres du réseau ont besoin d'améliorer l'état de leur bâti voire de l'agrandir .

Si, pour les établissements conventionnés et partenaires, un outil d'accompagnement existe (dispositif de « la garantie de l'État français » 3 ( * ) ), tel n'est pas le cas pour les EGD qui éprouvent de grandes difficultés à financer leurs projets immobiliers. À l'heure de la définition du prochain schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI) 2023-2027, l'AEFE évalue le besoin de financement de l'immobilier des EGD à 300 millions d'euros sur les cinq prochaines années . Or l'opérateur estime être dans « une impasse financière » pour faire face à ce besoin, d'une part, parce qu'il n'est plus autorisé à emprunter 4 ( * ) , d'autre part, parce que l'État ne lui attribue pas d'aide financière pour gérer ce patrimoine. La solution que lui a proposée Bercy, consistant à mutualiser les fonds de roulement excédentaires des établissements puis à prélever dans cette trésorerie pour financer l'immobilier, n'est pas envisageable car les familles, qui ont participé à la constitution de ces réserves via les droits de scolarité dont elles s'acquittent, ne sont pas enclines à financer les projets d'établissements autres que le leur.

Face à cette situation de blocage, le rapporteur demande au Gouvernement d'autoriser l'AEFE, opérateur de l'État dont la gestion saine est reconnue et régulièrement contrôlée, à pouvoir de nouveau recourir à l'emprunt auprès d'établissements bancaires privés pour effectuer des travaux sur ses EGD .

ð le troisième enjeu concerne la régulation de la croissance du réseau pour éviter les comportements de concurrence déloyale entre établissements anciennement membres et établissements nouvellement homologués.

En plus des acteurs privés historiques (comme la mission laïque française (MLF)), à l'origine de la création de nombreux établissements partenaires (qui sont des établissements privés homologués), des groupes scolaires privés sont apparus, avec lesquels l'AEFE a parfois signé une convention (Odyssée, International Education Group (IEG)...). D'autres porteurs de projets privés (parents d'élèves, investisseurs...) interviennent aussi sur ce « marché » de l'enseignement français à l'étranger. Dans certaines zones géographiques, voire à l'échelle de certaines villes, la coexistence de plusieurs établissements, aux statuts différents, peut donner lieu à des effets concurrentiels néfastes , comme l'ont indiqué les représentants des parents d'élèves au rapporteur. Un encadrement plus serré et une coordination plus poussée, au niveau de l'ensemble du réseau, de la part de l'AEFE et, localement, de la part des postes diplomatiques, s'avère donc nécessaire .


* 2 Extrait des réponses écrites au questionnaire budgétaire du rapporteur.

* 3 Depuis 2021, la garantie de l'État peut être octroyée aux établissements financiers pour les prêts accordés au bénéfice des établissements conventionnés et partenaires de l'AEFE et visant à financer l'acquisition, la construction, l'extension, l'aménagement ou la réparation des locaux d'enseignement, ainsi que l'achat de terrains ou d'immeubles à usage scolaire.

* 4 En application de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2011 à 2014, l'AEFE fait partie des organismes qui ne peuvent plus emprunter.

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