Avis n° 119 (2022-2023) de M. Jean-Michel HOULLEGATTE , fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 17 novembre 2022

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Synthèse du rapport (1 Moctet)


N° 119

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur le projet de loi de finances , considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2023 ,

TOME III

COHÉSION DES TERRITOIRES

Fascicule 2

Cohésion des territoires : Aménagement numérique du territoire

Par M. Jean-Michel HOULLEGATTE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot , président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec , vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin , secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273, 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374, 386 et T.A. 26

Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Réunie le 16 novembre 2022, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a, sur la proposition de son rapporteur Jean-Michel Houllegatte, émis à l'unanimité un avis favorable sur les crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire du projet de loi de finances pour 2023.

La commission a formulé des motifs de satisfaction, mais aussi de nombreuses réserves, voire des inquiétudes, liées au maintien de disparités territoriales dans le déploiement de la fibre et aux difficultés à assurer la qualité de service et le raccordement des prises les plus complexes, en dépit des actions engagées. Un accent particulier devra aussi être mis sur la résilience du réseau fibre, qui va devenir un enjeu majeur avec la fermeture du réseau cuivre, et sur l'inscription dans la durée des moyens consacrés à l'inclusion numérique.

I. PLAN FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT : DES RÉSULTATS POSITIFS, MAIS LE PLUS DUR RESTE À FAIRE...

A. UN RYTHME DE DÉPLOIEMENT DE LA FIBRE SATISFAISANT, MAIS DES RÉSULTATS CONTRASTÉS SELON LES ZONES

1. Après un renforcement des moyens dans le cadre du Plan de relance, les crédits dédiés au déploiement de la fibre poursuivent leur décaissement

Le plan France très haut débit (FTHD) a été lancé en 2013 dans l'objectif d'assurer la couverture du territoire en très haut débit d'ici fin 2022 et la généralisation du très haut débit filaire (Ftth) pour 2025 1 ( * ) .

Les objectifs du plan France très haut débit (2013)

? Couverture intégrale de la population en « bon » haut débit d'ici fin 2020. Cet objectif semble désormais atteint 1 .

? Couverture intégrale de la population en très haut débit d'ici fin 2022 ;

? Couverture à 80 % en fibre optique jusqu'au domicile (FttH) d'ici fin 2022 ;

? Généralisation du FttH à l'ensemble du territoire pour 2025.

Les déploiements s'effectuent selon deux zones :

- la zone d'initiative privée , qui comprend la zone très dense (ZTD) , constituée de communes dont la liste est fixée par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et la zone moins dense , dans laquelle la présence de l'initiative privée a été démontrée dans le cadre d'un Appel à manifestation d'intérêt d'investissement (AMII) 2 ( * ) ;

- la zone d'initiative publique correspond à des territoires plus ruraux, dans lesquels les déploiements sont réalisés par les collectivités territoriales dans le cadre de Réseaux d'initiative publique (RIP) ou par des opérateurs privés, en association avec la collectivité, dans le cadre d' Appels à manifestation d'intentions d'engagements locaux (AMEL) 3 ( * ) .

Les financements publics ont été engagés dès 2013 pour assurer les déploiements dans cette seconde zone, qui sont montés en puissance en 2020.

Pour l'année 2023, des autorisations d'engagements (AE) supplémentaires sont ouvertes pour le financement des déploiements en zone RIP 4 ( * ) :

- près de 66 M€ sont prévus, pour l'essentiel, pour le fonds de financement des « raccordements complexes à la fibre » mis en place en 2022, pour lequel le Gouvernement a mobilisé une enveloppe totale de 150 M€ sur deux ans ;

- 8 M€ permettront d'apporter un soutien aux appels à projets « Cohésion numérique des territoires » , qui vise à équiper de solutions d'accès internet sans fil les foyers qui pourraient ne pas bénéficier de la fibre (1,2 M€), et « Continuité territoriale numérique » , qui vise à apporter une aide à l'achat de capacités sur les systèmes de communications pour les fournisseurs d'accès à internet dans les territoires ultramarins (3,7 M€).

En crédits de paiement (CP), le programme 343 « France THD » poursuit sa phase de décaissement :

- 434 M€ seront mobilisés cette année pour les zones RIP, soit un montant inférieur à celui engagé en 2022 (600 M€) et en 2021, année qui avait constitué un pic de dépense (622 M€) ;

- 3 M€ seront également engagés pour divers projets concourant à la mise en oeuvre du plan FTHD.

Par ailleurs, 70 M€ de CP sont ouverts en 2023 au titre du Plan de relance dans la perspective de la généralisation de la fibre optique d'ici 2025.

2. Des déploiements toujours dynamiques en zone publique, mais des retards persistants en zone d'initiative privée

L'année 2022 est jalonnée par deux objectifs du plan FTHD : la couverture à 80 % du territoire en fibre optique jusqu'au domicile et la couverture intégrale en très haut débit.

• Le déploiement de la fibre a atteint des niveaux « record » en 2020 et 2021, avec plus de 11 millions de locaux rendus raccordables en deux ans selon l'Arcep. En 2022, bien que plus modéré, ce rythme demeure soutenu : entre 4 et 5 millions de locaux supplémentaires ont été rendus raccordables . Ces derniers sont majoritairement situés en zone rurale (RIP et AMEL), une évolution marquante par rapport aux années précédentes durant lesquelles le dynamisme des déploiements était plus fort dans la zone d'initiative privée, en particulier dans les zones moins denses.

Avancée des déploiements de la fibre 5 ( * )

Selon l'Arcep, 75 % des locaux sont raccordables à la fibre au deuxième trimestre 2022, soit un point de plus qu'en 2021. Ce chiffre varie toutefois selon les territoires. Si 90 % et 87 % des locaux sont respectivement raccordables en ZTD et dans les zones AMII , ce taux s'établit à 58 % en zone RIP et à 34 % en zone AMEL.

L'objectif de couverture à 80 % du territoire en fibre optique jusqu'au domicile d'ici la fin 2022 ne semble donc pas tout à fait atteint. Il pourrait toutefois l'être dans un futur proche, grâce au fort dynamisme des déploiements en zone RIP.

Le rapporteur s'inquiète des tendances à l'oeuvre dans la zone d'initiative privée :

- d'importantes disparités de couverture demeurent dans la ZTD , certaines villes affichant toujours un taux de logements raccordables nettement inférieur à la moyenne de la zone (71 % pour Lille et 76 % pour Marseille), malgré des améliorations au cours du deuxième trimestre 2022 ( cf . tableau ci-dessous) ;

Source : Arcep.

- un ralentissement des déploiements s'observe dans cette zone, à la fois en zone AMII (le nombre de locaux rendus éligibles à la fibre a baissé de 54 % au T2 2022 par rapport au T2 2021) et dans la ZTD (le nombre de locaux rendus éligibles à la fibre a baissé de 47 % entre T2 2022 par rapport au T2 2021 6 ( * ) .

Au total, environ 2,8 millions de locaux demeurent inéligibles à la fibre en zone d'initiative privée, dont 2 millions en zone AMII.

Ces chiffres peuvent faire craindre un investissement insuffisant des opérateurs pour assurer la couverture intégrale de la zone d'initiative privée, pourtant indispensable à l'objectif de généralisation de la fibre.

Si en ZTD, les pouvoirs publics ne disposent d'aucun levier d'intervention, il en va autrement de la zone AMII dans laquelle les retards de déploiement doivent, en principe, être justifiés par les opérateurs. Or, deux ans après l'échéance initiale, la couverture de cette zone n'est toujours pas achevée. À ce jour, l'Arcep n'a pourtant pas encore fait usage du pouvoir de sanction dont elle dispose en vertu des articles L. 33-13 et L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques.

Pour tenir les objectifs du plan France très haut débit, le rapporteur rappelle le rôle essentiel du régulateur pour mettre les opérateurs face à leurs engagements , le cas échéant à travers la mise en oeuvre de ses pouvoirs de coercition .

• S'agissant de la couverture en très haut débit , selon l'Arcep 7 ( * ) , environ 82 % des locaux seraient éligibles grâce à des réseaux d'accès filaire (fibre, câble, cuivre). L'objectif de couverture intégrale du territoire fin 2022 n'est donc pas atteint.

Le rapporteur salue toutefois le prolongement, en avril 2022, du guichet « cohésion numérique des territoires » destiné à apporter une aide financière aux ménages pour l'acquisition de technologies alternatives à la fibre (THD radio, satellite et 4G fixe). Auparavant dédié à l'objectif d'assurer un « bon » haut débit (8 Mbits/s) pour tous, il vise désormais à soutenir les Français dans l'accès à une connexion supérieure à 30 Mbit/s et s'inscrit donc pleinement dans l'objectif de couverture du territoire en très haut débit. Le montant de l'aide allouée a par ailleurs été doublé, passant de 150 à 300 € , voire 600 € sur conditions de ressources.

B. FACE À L'AVANCÉE DES DÉPLOIEMENTS, DEUX DÉFIS DEVIENNENT INCONTOURNABLES : ASSURER LA QUALITÉ DE SERVICE ET LA RÉSILIENCE DES RÉSEAUX

1. L'adressage défaillant, un problème en voie d'être résolu

L'année passée, le rapporteur avait souligné l'existence de difficultés de déploiement dans certaines zones rurales liées à un adressage défaillant . Selon la FFT, des progrès ont été réalisés sur ce point grâce, d'une part, au travail effectué par l'ANCT qui a lancé la base « Adresses locales » en 2020 pour accompagner les communes dans la constitution de bases d'adresses et, d'autre part, à la loi « 3 DS » 8 ( * ) .

Si le rapporteur se félicite de cette évolution, son attention a été attirée sur les difficultés qui pourraient survenir du fait d'une insuffisante articulation entre les bases d'adresses relatives aux réseaux cuivre et fibre . Il s'agira d'un point de vigilance pour assurer la cohérence d'ensemble du réseau internet dans les prochaines années.

2. Mieux garantir la qualité de service : un impératif pour assurer le succès du plan FTHD

Les années précédentes, le rapporteur avait alerté sur la persistance de « désordres » au stade du raccordement final d'abonnés à la fibre (installations provoquant des « paquets de nouilles », débranchements injustifiés de clients...).

De l'avis de nombreux acteurs, ces difficultés sont liées au mode dit « Stoc » , par lequel les opérateurs d'immeubles ont recours à la sous-traitance pour réaliser la prestation de raccordement.

Selon les informations recueillies par le rapporteur, deux difficultés d'ordre différent coexistent :

- certains réseaux seraient particulièrement « accidentogènes » . Selon la FFT, fin 2021, sur les 200 000 points de mutualisation (PM) du territoire, 5 000 environ poseraient des difficultés, dont entre 1 500 et 2 000 des problèmes significatifs nécessitant une reprise du PM par les opérateurs ;

- des problèmes de raccordement sont constatés sur l' ensemble du territoire , du fait d'insuffisances en matière de formation des agents intervenant pour effectuer les raccordements et de processus de contrôle et de partage d'informations entre opérateurs d'infrastructures et opérateurs commerciaux.

S'agissant des infrastructures dégradées , les opérateurs ont fait des propositions au Gouvernement en septembre 2022 prévoyant la mise en place de plans de remise en état des réseaux les plus accidentogènes. Deux opérateurs auraient déjà notifié à l'Arcep des plans de remise en état.

S'agissant du mode « Stoc », le rapporteur accueille favorablement les mesures en cours de mise en oeuvre par les opérateurs, à la suite de l'adoption par l'Arcep d'une feuille de route en 2020 et d'un plan d'action en 2021, concernant la formation des agents (renforcement des compétences pour effectuer les gestes « dans les règles de l'art » et mise en place de certifications) et le renforcement des contrôles (mise en place d'un outil de notification en temps réel des interventions et analyse automatique des comptes rendus d'interventions).

En complément, la proposition de loi relative à la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique de Patrick Chaize 9 ( * ) , déposée en juillet 2022, formule des propositions intéressantes pour mieux encadrer le mode « Stoc » (possibilité pour l'opérateur d'immeuble de fixer un nombre maximum de rangs de sous-traitance, de préciser des règles de prévenance pour les interventions et des exigences relatives à la qualification des intervenants et aux comptes rendus d'intervention).

Si le mode « Stoc » a sans doute contribué au succès commercial de la fibre et à la rapidité des déploiements, il a aussi pu générer des dérives susceptibles de mettre en péril la qualité voire l' intégrité des réseaux fibre . Aussi, le rapporteur souscrit pleinement aux propos de la Banque des territoires selon laquelle « les réseaux FttH sont fragiles et deviendront de plus en plus critiques ; il importe que toute intervention sur le réseau soit le fait de personnes qualifiées et puisse être tracée avec précision , sous la responsabilité de l'opérateur d'infrastructure garant de l'intégrité du réseau ».

3. Les incertitudes sur le financement des raccordements complexes à la fibre

• Alors que le déploiement de la fibre progresse, les opérateurs sont face à des raccordements de plus en plus difficiles et coûteux à construire . Ainsi que l'a indiqué la Banque des territoires en audition, les derniers raccordements sont « les plus onéreux, divers et compliqués ». S'il n'existe pas de définition précise des raccordements complexes, ils ont pour dénominateur commun un manque d'infrastructures de génie civil sur la partie terminale du raccordement.

Selon la Banque des territoires, entre 600 000 et 700 000 locaux présenteraient ainsi des problématiques de génie civil , le plus souvent du fait d'un manque de fourreaux permettant d'atteindre la limite de la propriété privée. Ces difficultés sont parfois liées à une inadéquation entre la configuration du réseau et celle de l'habitat, qui a subi de nombreuses évolutions ces dernières décennies. Le phénomène est toutefois difficile à objectiver et certains acteurs évoquent environ 2 millions de prises concernées, représentant 5 % du territoire national .

Le Gouvernement a mis en place en 2022 un fonds de financement des raccordements complexes à la fibre, doté de 150 M€ . Demandée de longue date par les collectivités territoriales, cette rallonge financière est réservée aux locaux et habitations situés en zone RIP et présentant des difficultés liées à l' absence de génie civil en aval du point de branchement optique. Les fonds seront attribués aux collectivités territoriales via un appel à projets lancé en mai 2022 .

Les acteurs entendus par le rapporteur soulignent unanimement le caractère essentiel des moyens supplémentaires engagés, mais soulignent leur caractère très insuffisant au regard de l'ampleur du phénomène des raccordements complexes. Les besoins de financement pourraient dépasser un milliard d'euros.

En outre, le rapporteur s'interroge sur la pertinence même du dispositif tel qu'il a été conçu par le Gouvernement. Plutôt qu'une attribution de fonds ciblés par appels à projets , il serait pertinent de réfléchir à un outil de financement pérenne qui permette une véritable péréquation entre les territoires. Certains acteurs, comme l'Avicca, défendent l'instauration d'un fonds dédié pour assurer la vie des réseaux en zone RIP , prenant en compte non seulement la réalisation des raccordements complexes mais aussi les dépenses nécessaires au fonctionnement des infrastructures dans la durée .

• Par ailleurs, la FFT a alerté le rapporteur sur les difficultés de raccordement liées à l'absence d'infrastructures de génie civil sur les parties privatives de certains locaux ou certaines habitations. Bien que théoriquement « raccordables », ces clients ne peuvent être raccordés à la fibre sans effectuer des travaux préalables de génie civil qui peuvent être onéreux.

Or, le fonds « raccordements complexes » étant réservé aux infrastructures situées sur le domaine public , aucun dispositif n'existe à l'heure actuelle pour accompagner financièrement le raccordement de ces clients. Le rapporteur appelle donc le Gouvernement à mettre en place un outil financier destiné à réduire le reste à charge des clients devant installer des ouvrages de génie civil sur leur propriété privée pour être raccordés à la fibre. Ce soutien pourrait être mobilisé en tenant compte de conditions de ressources , afin de flécher les aides vers les publics les plus fragiles.

Au total, les difficultés rencontrées pour raccorder certains clients à la fibre posent la question du caractère réaliste du calendrier de fermeture du réseau cuivre présenté par l'opérateur Orange. Si la fermeture technique du réseau n'est prévue que pour 2030, sa fermeture commerciale doit avoir lieu dès 2026 . Dans l'hypothèse où la généralisation de la fibre optique ne serait pas effective à cette date, l' accès y compris commercial au réseau cuivre devrait être maintenu .

Pour garantir un droit d'accès à un internet de qualité pour tous à horizon 2025, l'instauration d'un service universel du haut voire très débit , actuellement à l'étude , serait une évolution essentielle .

4. L'enjeu croissant de la résilience des réseaux numériques

Plusieurs acteurs ont alerté le rapporteur sur les conséquences possibles de conditions météorologiques extrêmes (tempêtes, fortes chaleurs...) sur le fonctionnement des réseaux fibre , qui sont pour moitié déployés par voie aérienne en zone RIP selon la Banque des territoires. Les enjeux ne seront qu'amplifiés, dans les prochaines années, par la fermeture du réseau cuivre et le basculement total vers la fibre. Ainsi que l'a indiqué la Banque des territoires, « ces risques sont d'autant plus importants que les solutions d'interventions rapides (suite à une tempête par exemple) sont sensiblement moins bien organisées et dimensionnées sur les réseaux FttH ruraux que pour les réseaux historiques d'électricité ou de téléphonie notamment. [ ...] Le niveau d'exigence en termes de résilience des réseaux s'accroît sensiblement s'agissant d'un réseau fibre supportant des services de plus en plus critiques ; il nécessite d'appréhender de manière renforcée la résilience physique des réseaux qui passe notamment par un programme massif d'enfouissement et de sécurisation des infrastructures d'accueil ».

Compte tenu du caractère essentiel des réseaux numériques pour le fonctionnement de notre société et l'accès aux services publics, les pouvoirs publics doivent prendre en compte cet enjeu, en intégrant à leur réflexion la résilience des réseaux mobiles et celle des réseaux électriques servant à alimenter les réseaux numériques.

Enfin, le rapporteur s'interroge plus particulièrement sur la résilience des réseaux fibre en zone RIP , compte tenu des coûts d'exploitation (en matière de maintenance en particulier) qui y sont constatés en comparaison de la zone d'initiative privée. Si le plan FTHD a permis une péréquation des moyens pour la construction des réseaux , aucun mécanisme de solidarité financière n'est prévu à ce stade s'agissant de la phase d'exploitation ou encore des éventuels renouvellements ou extensions des réseaux qui pourraient intervenir.

Le rapporteur estime essentiel qu'une réflexion s'engage sur :

- l'impact du dérèglement climatique sur le fonctionnement des réseaux fibres, et plus largement des réseaux numériques, et sur les investissements à mettre en place pour assurer leur résilience ;

- la possibilité d'une péréquation des coûts liés à l' exploitation des réseaux fibre en zone RIP , afin de garantir leur bon fonctionnement dans la durée. Plus globalement, la question des modalités de financement des réseaux fibre en zone RIP doit être posée, en intégrant la question des raccordements complexes .

II. NEW DEAL MOBILE : UN SUCCÈS GLOBAL INDÉNIABLE, MAIS DE SÉRIEUX POINTS D'ALERTE

A. MALGRÉ DES RETARDS PERSISTANTS, LA COUVERTURE MOBILE CONTINUE SA PROGRESSION SUR L'ENSEMBLE DU TERRITOIRE

Comme les années précédentes, compte tenu des enjeux sous-jacents, le rapporteur a jugé essentiel de dresser un bilan du programme de couverture mobile.

Le « New Deal mobile », conclu en 2018, impose aux opérateurs des objectifs d'aménagement numérique mobile du territoire 10 ( * ) . Les engagements contractés entre l'État et les opérateurs, contraignants, peuvent donner lieu à des sanctions de l'Arcep (art. L. 33-13 et L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques).

Les objectifs du New Deal mobile (2018)

- Obligation de proposer une couverture mobile indoor via le WiFi, d'ici fin 2018. Cet objectif a déjà été atteint.

- Obligation de couverture de l'intégralité des axes routiers prioritaires d'ici fin 2020. Selon l'Arcep, en 2021, 99 % des axes routiers prioritaires étaient couverts en très haut débit mobile.

- Généralisation de la 4G sur l'ensemble des pylônes existants d'ici fin 2020

- Couverture de 5 000 nouvelles zones par opérateur grâce à l'identification pour 2025 de nouveaux sites d'installation de pylônes

1. Couverture ciblée et généralisation de la 4G : malgré des retards, des résultats satisfaisants

• S'agissant du programme de couverture ciblée , 3 795 sites ont été identifiés par l'Arcep depuis le lancement du New Deal . L'année dernière, le rapporteur avait souligné la persistance de retards des opérateurs dans la mise en service de ces sites : au 30 juin 2021, seuls 830 sites étaient en service.

Au 30 juin 2022, ce chiffre est désormais de 1 575 sites . Le rapporteur se félicite de cette progression, mais constate que 12 des sites identifiés par les premiers arrêtés de 2018 ne sont toujours pas en service .

Avancement du dispositif de couverture ciblée 11 ( * )

256 sites se sont trouvés non couverts à l'échéance imposée par les pouvoirs publics . Selon l'Arcep, pour expliquer la plupart de ces retards, les opérateurs ont invoqué des difficultés particulières rencontrées sur certains territoires (opposition de riverains ou de la municipalité, difficultés techniques etc. ). Ces problématiques pourraient s'accentuer dans les prochaines années, les opérateurs ayant réalisé prioritairement, au cours des premières années de mise en oeuvre du New Deal, les installations les moins problématiques.

Une alerte particulière est formulée par les opérateurs s'agissant des zones littorales , dans lesquelles l'interdiction de construire en discontinuité de l'urbanisation existante complique parfois l'implantation de pylônes de téléphonie mobile.

Enfin, comme l'année précédente, les opérateurs ont relayé des difficultés rencontrées pour assurer le raccordement électrique des antennes mobiles . Dans certains cas, les délais nécessaires au raccordement par Enedis peuvent favoriser des retards de mise en service des infrastructures .

Source : Arcep.

• S'agissant de la généralisation de la 4G , selon les chiffres publiés par l'Arcep, seuls 1508 sites mobiles , soit 1,5 % du total , ne seraient pas équipés en 4G à la date du 30 juin 2022. Concernant le programme « zones blanches centres-bourgs » (ZBCB), à la même date, 91 % des sites sont équipés en 4G , contre 86 % en 2021 et 66 % en 2022. S'il faut saluer cette progression, l'objectif d'une couverture intégrale des zones ZBCP pour fin 2022 ne semble donc pas atteint.

2. La couverture en 4G fixe en progression

Les services de 4G fixe correspondent à des services d'accès fixe à internet sur les réseaux mobiles à très haut débit (4G). Ils fournissent une alternative à la connexion filaire dans les zones dans lesquelles les débits fixes sont en deçà du standard minimal du très haut débit.

Le New Deal comprend deux volets s'agissant de la 4G fixe :

- l'obligation pour les opérateurs de proposer des offres de 4G fixe, respectée par les quatre opérateurs ;

- un engagement des opérateurs à créer des sites de 4G fixes dans des zones identifiées par le Gouvernement. Un arrêté publié en octobre 2021 identifie 485 nouvelles zones , s'ajoutant aux 510 zones identifiées depuis 2018 12 ( * ) . Au 30 juin 2022, 350 de ces sites ont été mis en service par Orange et SFR selon l'Arcep . Pour rappel, l'année dernière, seuls 35 sites avaient été ouverts commercialement par les opérateurs à la même date (sur un total de 510 sites identifiés à l'époque).

B. LE DANGER CROISSANT DE LA SPÉCULATION FONCIÈRE SUR LES SITES MOBILES : VERS LA RÉAPPARITION DE ZONES BLANCHES ?

Les opérateurs ont alerté le rapporteur sur la situation de certaines communes ayant accepté la reprise d'un bail concernant une antenne mobile par une société foncière, sans toutefois avoir la garantie qu'un opérateur se maintiendrait sur le terrain.

En pratique, certaines sociétés foncières démarchent les élus locaux afin de racheter un bail à la commune au moment de son renouvellement , en contrepartie du paiement d'un loyer très élevé. Le risque est alors, si l'opérateur mobile ne se maintient pas sur le site, de générer un « trou » de couverture mobile . Selon la FFT, plusieurs centaines de baux auraient déjà été ainsi renégociés et il existe un risque réel de recréer des zones blanches , ce qui ne serait pas acceptable au regard des attentes légitimes des citoyens et des importants moyens mobilisés par les opérateurs dans le cadre du New Deal .

Dès 2020, le Sénat avait identifié des difficultés analogues s'agissant des communes confrontées à des preneurs de bail dans le cadre de l'acquisition de terrains. L'article 33 de la loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France (« REEN ») 13 ( * ) , promulguée le 15 novembre 2021, a permis de résorber ce problème en instaurant une obligation , pour le preneur d'un terrain souhaitant y implanter une antenne mobile, de fournir à la commune la preuve qu'il a conclu un mandat avec un opérateur.

Les modalités de renouvellement des baux méritent donc également une attention particulière. Il importe que les pouvoirs publics interviennent pour alerter et sensibiliser les maires sur les conséquences de la signature de tels contrats avec des sociétés foncières, afin de juguler ce phénomène.

III. L'INCLUSION NUMÉRIQUE : DES CNFS À INSTALLER DANS LA DURÉE

A. DES DISPOSITIFS GLOBALEMENT CONFORTÉS PAR LE PLF POUR 2023

Afin de faire face au phénomène d'illectronisme 14 ( * ) , qui toucherait près de 13 millions de Français, le Gouvernement a lancé la Stratégie nationale pour un numérique inclusif en 2018. En 2020, la crise sanitaire a rappelé le caractère essentiel des outils numériques dans l'accès à l'information, l'éducation, à l'emploi, et plus largement aux services publics.

Afin de former et accompagner les personnes rencontrant des difficultés avec le numérique, le Gouvernement a prévu le déploiement de 4 000 Conseillers numériques France Services (CNFS) en 2020 dans le cadre du Plan de relance (250 M€).

Selon la Banque des territoires, 3 435 CNFS sont désormais en service . 123 sont encore en formation et quelques postes (une cinquantaine) sont en cours de réattribution ou ne parviennent pas être pourvus. Au total, grâce à ce dispositif, environ 710 000 accompagnements ont été réalisés depuis l'été 2021.

Ces postes sont financés par l'État, à hauteur de 50 000 euros par poste sur deux ans (2021-2022).

Le PLF pour 2023 prévoit toutefois la « pérennisation » du dispositif pour 2023 pour reprendre les termes du projet annuel de performance de la Mission « Transformation et fonction publiques » : 44 millions d'euros sont ouverts en AE à cet effet. En réalité, il s'agit de prolonger d'un an les contrats en cours et non d'une véritable pérennisation.

B. L'ENJEU DE LA PÉRENNISATION DANS LE TEMPS DES CNFS

Si le prolongement des CNFS jusqu'à la fin de l'année 2023 constitue une première étape positive , elle est loin de satisfaire les acteurs locaux nombreux à attendre davantage de soutien de l'État et de visibilité. En 2022, un rapport d'information du Sénat a d'ailleurs appelé à une pérennisation des CNFS jusqu'à 2025 au moins 15 ( * ) .

Selon les informations recueillies par le rapporteur, le devenir des CNFS au-delà de 2023 devra faire l'objet d'une concertation avec les parties prenantes (collectivités territoriales et associations d'élus notamment) dans les prochains mois.

Le rapporteur estime nécessaire, afin de ne pas affaiblir les dynamiques à l'oeuvre dans les territoires, de prolonger les contrats des CNFS aussi longtemps que nécessaire, en maintenant l'implication financière de l'État dans ce dispositif.

TRAVAUX EN COMMISSION

Examen en commission
(Mercredi 16 novembre 2022)

Réunie le mercredi 16 novembre 2022, la commission a examiné le rapport pour avis sur les missions « Économie », « Plan de relance » et « Transformation et fonction publiques » - Crédits « Aménagement numérique du territoire » du projet de loi de finances pour 2023.

M. Jean-Michel Houllegatte , rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai le plaisir de vous présenter ce matin mon avis sur les crédits du PLF pour 2023 relatifs à l'aménagement numérique du territoire. Cette année, ces crédits sont inscrits à cheval sur plusieurs missions et programmes : dans le programme 343 « Plan France Très Haut Débit » de la mission « Économie » ainsi que, pour l'inclusion numérique, dans les missions « Plan de relance » et « Transformation et fonction publiques ».

Comme l'année précédente, mon analyse budgétaire portera donc principalement sur le soutien au déploiement des réseaux fixes ainsi que sur l'accompagnement des personnes éloignées du numérique, à travers le dispositif des « Conseillers numériques France services ». Néanmoins, je ferai un point d'étape sur le New Deal mobile, qui me semble un sujet essentiel à évoquer dans le cadre des travaux de notre commission, même s'il ne fait pas l'objet à proprement parler d'un engagement budgétaire de l'État.

En premier lieu, je souhaite vous présenter les crédits associés au déploiement des réseaux fixes sur le territoire, qui s'inscrivent dans le cadre du plan « France Très Haut Débit », lancé en 2013, qui vise la généralisation de la fibre optique sur l'ensemble du territoire d'ici 2025.

Je rappelle que les déploiements de la fibre s'effectuent selon deux zones : d'une part, la zone d'initiative privée, qui comprend la zone très dense et une zone moins dense dans laquelle l'initiative privée a été jugée suffisante à la suite d'appels à manifestations d'intérêt d'investissement (AMII) lancés par la puissance publique, et, d'autre part, la zone d'initiative publique qui correspond à des territoires plus ruraux dans lesquels les déploiements sont réalisés par les collectivités dans le cadre de Réseaux d'initiative publique (RIP) ou par des opérateurs privés - en partenariat avec les collectivités - dans les zones dites AMEL.

Au moment de son lancement en 2013, le plan France très haut débit ne disposait que de 3,3 milliards d'euros dédiés au déploiement des RIP via le Guichet « France Très Haut Débit ». Ces moyens étaient clairement insuffisants pour atteindre les objectifs du plan : en 2019, 25 départements n'avaient pas encore finalisé leur plan de financement. En 2020, au cours de la crise sanitaire, les moyens dédiés au déploiement des réseaux fixes ont connu une montée en puissance : d'une part, à l'initiative du Sénat, une rallonge de 30 millions d'euros a été adoptée dans le projet de loi de finances rectificatives n° 3 pour 2020. Surtout, le plan de relance a prévu 240 millions d'euros supplémentaires. En cumulé, en ajoutant à ces moyens les 300 millions d'euros correspondant à des crédits dégagés sur les RIP antérieurs, ce sont 570 millions d'euros supplémentaires qui ont été mis à disposition du plan France très haut débit. Ce volontarisme indispensable a permis aux départements de compléter leurs plans de financement.

En termes d'objectifs, le plan « France très haut débit » prévoyait trois dates butoirs intermédiaires : d'une part, la couverture intégrale de la population en « bon » haut débit d'ici la fin d'année 2020, qui est désormais assurée à près de 100 % selon l'Arcep, d'autre part, deux objectifs étaient fixés pour la fin 2022, à savoir la couverture à 80 % du territoire en fibre optique et la couverture intégrale du territoire en très haut débit.

Je vais donc m'attacher à vous présenter les résultats de ces deux axes jalonnant l'année 2022.

S'agissant du déploiement de la fibre, 75 % du territoire est désormais éligible à cette technologie. L'objectif d'une couverture intégrale d'ici fin 2022 ne sera donc pas respecté, mais il pourrait l'être dans un futur proche grâce au fort dynamisme des déploiements constaté depuis 2020. Après avoir atteint un niveau record en 2020-2021, avec plus de 11 millions de raccordements effectués en deux ans, le rythme de déploiement est demeuré soutenu en 2022 avec plus de 4 millions de raccordements effectués.

Ce taux de couverture « fibre » varie cependant toujours fortement entre les zones d'initiative privée et publique : si dans les zones très denses et dans les zones AMII, il s'établit désormais respectivement à 90 % et 87 %, il s'élève à 58 % en zone RIP et à 34 % en zone AMEL.

Deux points nécessitent notre vigilance s'agissant de la zone d'initiative privée.

D'une part, d'importantes disparités de couverture subsistent dans la zone très dense, certaines villes affichant toujours des taux d'éligibilité à la fibre nettement inférieurs à la moyenne de la zone qui est de 90 %. Je pense en particulier à Lille et Marseille, pour lesquelles le taux de couverture est respectivement de 71 % et de 76 %.

D'autre part, si la zone d'initiative privée a un taux de couverture supérieur à la zone d'initiative publique, les déploiements y connaissent une perte de vitesse qui me semble inquiétante. En 2022, le nombre de logements rendus raccordables a chuté de 54 % par rapport à 2021 en zone AMII et de 47 % en zone très dense.

Si les pouvoirs publics ne disposent d'aucun levier d'intervention dans la zone très dense, il n'en est pas de même de la zone AMII, dans laquelle les opérateurs sont soumis à une obligation de complétude. Alors que la zone AMII n'est toujours pas intégralement couverte en fibre deux ans après l'échéance initialement fixée par les pouvoirs publics, l'Arcep ne s'est toujours pas décidée à faire usage de ses pouvoirs de coercition...

Pour garantir la réussite du plan « France très haut débit », il est indispensable que le régulateur, autrement dit l'Arcep, joue pleinement son rôle et qu'il sache rappeler les opérateurs à leurs engagements. Il nous faudra suivre cela avec attention et, peut-être, interpeller l'Arcep à ce sujet.

S'agissant à présent du second objectif jalonnant l'année 2022, la couverture intégrale du territoire en très haut débit, il n'est pas non plus atteint puisque seuls 82 % du territoire sont couverts. Cependant, je me réjouis du prolongement du guichet « Cohésion numérique des territoires » qui permet de soutenir financièrement les ménages dans l'acquisition de technologies alternatives à la fibre (THD radio, satellite, 4G fixe). L'enveloppe de l'aide a par ailleurs été doublée, pour passer à 300 euros ; elle peut même aller jusqu'à 600 euros sur conditions de ressources. Cette évolution est positive et je forme le voeu que cet outil nous permette d'atteindre l'objectif de couverture intégrale en très haut débit dans un futur proche.

Ce point sur l'avancée des déploiements étant fait, je souhaite aborder trois points d'inquiétude qui vont devenir des problématiques fortes dans les prochaines années.

Premier point : la qualité de l'exploitation des services numériques. J'avais évoqué l'an dernier les désordres rencontrés dans les raccordements finaux jusqu'à l'abonné pour la fibre, liés au recours à la sous-traitance par les opérateurs d'immeubles. Les opérateurs prétendent que les problèmes proviendraient surtout du mauvais état des points de mutualisation sur certains territoires, tandis que l'Arcep et l'Avicca mettent en avant le manque de formation des agents effectuant les raccordements et la faiblesse des dispositifs de contrôle. Il semble que les deux problèmes en réalité se cumulent : certains points de mutualisation particulièrement « accidentogènes » doivent en effet être repris par les opérateurs, ils seraient entre 1 500 et 2 000 selon la Fédération française des télécoms, mais on ne fera pas l'économie d'un meilleur encadrement des opérations de raccordement, qui sont loin d'être toujours réalisées dans les règles de l'art... Des mesures sont en cours de mise en oeuvre par les opérateurs - notamment pour assurer la certification des agents intervenant dans les immeubles et mieux contrôler les travaux effectués. La proposition de loi déposée en juillet dernier par notre collègue Patrick Chaize comporte des propositions intéressantes, notamment la limitation du nombre de rangs de sous-traitance, qui pourraient permettre des avancées si elle était inscrite à l'ordre du jour.

Deuxième point : le financement des raccordements complexes à la fibre. À mesure que les déploiements de la fibre progressent, les opérateurs se trouvent face à des prises de plus en plus difficiles et coûteuses à construire. Le phénomène des raccordements complexes est difficile à objectiver car il n'en existe pas de définition précise à ce stade. Ils présentent cependant une caractéristique commune : le manque d'infrastructures de génie civil sur la partie terminale du raccordement. Selon les estimations, environ 2 millions de prises pourraient être concernées sur l'ensemble du territoire.

Pour favoriser la généralisation de la fibre, le Gouvernement a instauré en 2022 un fonds destiné à financer ces raccordements complexes, doté de 150 millions d'euros. Ces moyens ont vocation à être attribués aux collectivités territoriales en zone RIP, par l'intermédiaire d'appels à projets. Si l'attribution de fonds supplémentaires dédiés à la réalisation des raccordements complexes me semble utile et indispensable, je souhaite partager avec vous deux réserves sur ce dispositif.

Premièrement, l'enveloppe prévue apparaît, à ce stade, sensiblement insuffisante. Certains acteurs évoquent des besoins financiers qui dépasseraient probablement le milliard d'euros, nous sommes donc encore très loin du compte.

Deuxièmement, je m'interroge sur la pertinence même du dispositif tel qu'il a été conçu par le Gouvernement. Plutôt qu'une attribution de fonds ciblés par appels à projets, il serait pertinent de réfléchir à un outil de financement pérenne qui permette une véritable péréquation entre les territoires. C'est d'ailleurs la position de l'Avicca, qui défend l'instauration d'un fonds dédié pour assurer la vie des réseaux RIP, prenant en compte non seulement la réalisation des raccordements complexes mais aussi les dépenses nécessaires au fonctionnement des infrastructures dans la durée.

Enfin, ce dernier point me conduit à aborder une autre préoccupation émergente : celle de la résilience des réseaux numériques. Plus de la moitié des réseaux fibres sont installés par voie aérienne, il me semble nécessaire qu'une réflexion s'engage sur les éventuels effets de conditions climatiques extrêmes sur ces réseaux, comme des tempêtes ou de fortes chaleurs. Cela est d'autant plus essentiel dans la perspective de la fermeture du réseau cuivre en 2030. Bien sûr, cette réflexion devra intégrer la résilience des réseaux mobiles et celle du réseau électrique nécessaire à l'alimentation des réseaux numériques.

Plus globalement, je m'interroge sur la résilience des réseaux fibre en zone RIP, compte tenu des coûts d'exploitation qui y sont constatés en comparaison de la zone d'initiative privée notamment en matière de maintenance. Si le plan FTHD a permis une péréquation des moyens pour la construction des réseaux, aucun mécanisme de solidarité financière n'est prévu à ce stade s'agissant de la phase d'exploitation ou encore des éventuels renouvellements ou extensions des réseaux qui pourraient être nécessaires.

Voilà, chers collègues, les points que je souhaitais porter à votre attention s'agissant du déploiement des réseaux fixes.

À seulement deux ans de l'échéance de 2025, nous ne devons pas relâcher notre vigilance.

Je vous fais donc une proposition : à l'occasion des dix ans du plan France très haut débit, que nous célébrerons en 2023, il serait pertinent que notre commission réalise un point d'étape de ce programme et que nous réfléchissions collectivement aux mesures nécessaires pour relever les nombreux défis qui sont encore face à nous pour assurer la couverture intégrale du territoire. Un accent particulier devra être mis, il me semble, sur la résilience des réseaux et le financement des raccordements complexes à la fibre.

Avant de passer au New Deal mobile, je souhaite aborder brièvement les moyens consacrés à l'inclusion numérique. 250 millions d'euros étaient prévus dans le Plan de relance, essentiellement pour assurer le déploiement de 4 000 conseillers numériques d'ici fin 2022. Ces acteurs de terrain ont vocation à former et accompagner les personnes rencontrant des difficultés dans l'utilisation des outils numériques. Le déploiement des conseillers suit son cours : 3 435 sont déjà en service et 123 sont encore en formation. Au total, plus de 700 000 accompagnements auraient été réalisés depuis l'été 2021. Le PLF pour 2023 prolonge pour un an le dispositif, mais le devenir des conseillers demeure incertain au-delà de 2023. J'appelle le Gouvernement à prolonger le financement de ces conseillers aussi longtemps que nécessaire afin de ne pas entraver les dynamiques actuellement à l'oeuvre dans les territoires, qui commencent à peine à produire leurs effets.

Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, je donnerai donc un avis favorable aux crédits du projet de loi de finances pour 2023 relatifs à l'aménagement numérique du territoire.

Enfin, je vous propose un point rapide sur la mise en oeuvre du New Deal mobile, bien que ce programme de déploiement des réseaux mobiles ne fasse pas l'objet d'un soutien budgétaire.

Je rappelle que notre commission a eu un rôle moteur dans la conclusion du New Deal mobile en 2018, par la pression récurrente qu'elle a exercée sur le Gouvernement sur ce sujet.

Concernant le dispositif de couverture ciblée pour lutter contre les zones blanches et la généralisation de la 4G, les résultats apparaissent très positifs. Pour la couverture ciblée, 1 575 sites avaient été livrés au 30 juin dernier, un chiffre qui n'était que de 830 à la même date en 2021. 12 des sites prévus par les premiers arrêtés de 2018 sont toutefois toujours en attente de déploiement, mais ces retards semblent se résorber progressivement. S'agissant de la généralisation de la 4G également, les résultats sont probants : 98,5 % des sites mobiles sont désormais équipés en 4G. S'agissant des zones blanches, 91 % des sites du programme « zones blanches-centres bourgs » sont couverts en 4G.

Enfin, le déploiement des solutions de 4G fixe affiche une progression par rapport à 2021 : sur les 995 zones identifiées par le Gouvernement, 350 sites sont désormais en service. L'année dernière, seuls 35 sites étaient ouverts commercialement, sur un total, à l'époque, de 510 sites identifiés par le Gouvernement. Je rappelle que les services de 4G fixe permettent d'offrir une connexion non filaire aux territoires qui ne bénéficieront pas immédiatement de la fibre. En ce sens, leur déploiement est essentiel et indissociable de l'objectif de couverture du territoire en très haut débit.

Je souhaite toutefois relayer une alerte s'agissant des réseaux mobiles : le phénomène de spéculation foncière sur le renouvellement des baux relatifs aux terrains portant les antennes mobiles fait courir un risque réel pour la couverture numérique du territoire. Des centaines de baux auraient ainsi déjà été renégociés par les maires avec des sociétés foncières peu scrupuleuses, alors qu'ils n'ont aucune garantie que les opérateurs se maintiendront sur les sites. La Fédération française des télécoms se dit très inquiète et évoque un risque de récréer des « trous de couverture », y compris dans d'anciennes zones blanches que nous étions parvenus à résorber grâce au New Deal . Il est urgent que le Gouvernement prenne des mesures pour juguler ce phénomène et, a minima , qu'il sensibilise les élus locaux aux conséquences dangereuses de ces pratiques.

J'attire votre attention sur un dernier point : l'activation de certains pylônes peut être retardée du fait de délais importants pour la réalisation du raccordement électrique par Enedis. Les opérateurs peuvent alors se trouver dans l'obligation d'utiliser des groupes électrogènes, afin de respecter les délais de mise en service des antennes.

Voici mes chers collègues, les grandes lignes de mon rapport pour avis sur l'aménagement numérique du territoire. Je vous propose donc de donner un avis favorable aux crédits des missions « Économie », « Transformation et fonction publiques » et « Plan de relance » relatifs au numérique.

Je vous remercie.

M. Jean-François Longeot , président . - Merci Monsieur le rapporteur, je cède la parole à Louis-Jean de Nicolaÿ.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Je remercie le rapporteur pour la clarté de son travail. Dans la Sarthe, le déploiement du très haut débit a démarré en 2004. Nous sommes en 2022, il aura donc fallu près de 20 ans pour installer la fibre optique. J'ai des inquiétudes sur la rapidité avec laquelle nous avons prévu l'extinction du réseau cuivre d'Orange, qui est prévue pour 2030. L'échéance est proche, et compte tenu des difficultés rencontrées sur les raccordements à la fibre, je m'interroge sur la qualité du service sur l'extinction du réseau cuivre.

Par ailleurs, où en est le déploiement de la 5G sur le territoire national ? Sur certains territoires, les opérateurs installent des pylônes de façon « désordonnée », dans l'objectif de capter un grand nombre de clients.

M. Jean-Michel Houllegatte , rapporteur pour avis. - Je partage totalement l'inquiétude s'agissant de l'extinction du réseau cuivre. Il y a en réalité deux échéances : l'arrêt de la commercialisation du réseau cuivre est prévu au 1 er janvier 2026, dans la mesure où la généralisation de la fibre doit être assurée au 31 décembre 2025. En réalité, l'extinction du cuivre a déjà débuté car depuis novembre 2020, l'opérateur historique n'est plus en charge du service universel et n'est plus soumis, en conséquence, à l'obligation de déployer le réseau cuivre. Dans ce contexte, certains logements en cours de construction ne sont pas raccordés au réseau cuivre. Or, s'ils ne sont pas couverts par la fibre, les occupants ne disposent d'aucune solution d'accès à l'internet, sauf peut-être la 4G fixe.

Sur la 5G, je vous renvoie au site de l'Arcep qui comprend des chiffres et des cartographies sur l'état des déploiements sur le territoire. À l'heure actuelle, environ 31 000 sites mobiles seraient couverts en 5G.

Mme Patricia Demas . - Je souhaite féliciter le rapporteur pour la qualité de son travail et attirer l'attention sur trois sujets concernant le déploiement de la fibre. En zone RIP, les derniers locaux seront les plus difficiles à raccorder. Il y a une inégalité entre les territoires quant au déploiement de la fibre. En zone AMII, nous sommes tributaires des opérateurs d'infrastructures, en particulier Orange, avec des sous-traitants qui sont parfois défaillants. Enfin, en zone très dense également, il existe des zones blanches, la libre concurrence entre les opérateurs ne permettant pas d'assurer la couverture en fibre optique.

M. Jean-Claude Anglars . - Depuis la fin du service universel, qu'en est-il de l'entretien du réseau cuivre ? Il me semble que l'État s'était engagé à ce que l'entretien des lignes existantes soit assuré.

M. Jean-Michel Houllegatte , rapporteur pour avis. - Effectivement, en zone très dense, la couverture fibre soulève des inquiétudes dans certaines villes comme Lille et Marseille, dans lesquelles le taux de couverture s'établit respectivement à 71 % et 76 %. Les opérateurs n'ont pas pris d'engagements contractuels avec l'État dans cette zone car il a estimé que l'initiative privée pouvait s'y déployer, à l'inverse des zones AMII et AMEL. Malheureusement, on constate un manque d'appétence des opérateurs dans certaines villes. Il faudrait que l'Arcep mette les opérateurs face à leurs responsabilités, elle a le pouvoir de le faire. Avec l'extinction du réseau cuivre, la question de la mise en place d'un nouveau service universel des communications électroniques devra être posée afin que chaque logement soit raccordé au réseau internet, quel que soit le territoire.

Orange s'est en effet engagé auprès de l'État à assurer l'entretien du réseau historique en cuivre jusqu'en 2030.

La commission a émis à l'unanimité un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire des missions « Économie », « Plan de relance » et « Transformation et fonction publiques ».

Audition de M. Christophe Béchu,
ministre de transition écologique et de la cohésion des territoires
et de Mme Dominique Faure, secrétaire d'État chargée de la ruralité
(Mercredi 2 novembre 2022)

Le compte rendu de cette audition est publié dans l'avis budgétaire n° 119 tome 1 fascicule 1 Environnement - Biodiversité et expertise en matière de développement durable et consultable sur le site du Sénat 16 ( * ) .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET CONTRIBUTION ÉCRITE

Liste des personnes entendues

Mercredi 26 octobre 2022

- Fédération française des télécoms (FFT) : MM. Olivier RIFFARD , directeur des affaires publiques de la FFT, Laurentino LAVEZZI , directeur des affaires publiques d'Orange, Corentin DURAND , responsable affaires publiques de Bouygues Telecom, Mme Roxane BESSIS , responsable des relations institutionnelles d'Altice SFR.

Mercredi 2 novembre 2022

- Banque des Territoires : M. Nicolas TURCAT , responsable éducation, inclusion & services au public au sein de la DICST, Mme Patricia BLANCHANDIN , conseillère relations institutionnelles, M. Antoine DARODE de TAILLY , directeur du département « transition numérique » à la direction de l'investissement.

Lundi 7 novembre 2022

- Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) : Mmes Laure de la Raudière, présidente, Cécile DUBARRY , directrice générale, Virginie MATHOT de RAINCOURT , conseillère de la présidente.

Mercredi 9 novembre 2022

- Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca) : MM. Patrick CHAIZE , président, Ariel TURPIN , délégué général.

Contribution écrite

Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2023.html


* 1 Fin décembre 2020, la couverture en bon haut débit avait atteint « quasiment 100 % des foyers et entreprises » selon l'ANCT, dont 98 % avec les technologies terrestres et 86 % par les seuls réseaux filaires.

* 2 Le premier Appel à manifestation d'intérêt d'investissement date de 2011 : le Gouvernement a recueilli les intentions des opérateurs à déployer sur fonds propres des réseaux à horizon de 5 ans dans les zones moins denses.

* 3 Les Appels à manifestation d'intentions d'engagements locaux ont été lancés fin 2017.

* 4 Dont 30 M€ supplémentaires pour le programme 343 à l'initiative du Sénat (PLFR 3 pour 2020), 240 M€ supplémentaires via le Plan de relance et 300 M€ de crédits dégagés sur les RIP antérieurs.

* 5 Source : Arcep.

* 6 Source : ANCT.

* 7 https://www.arcep.fr/cartes-et-donnees/nos-cartes/visualisations-ma-connexion-internet.html

* 8 L'article 169 de cette loi a rappelé le rôle du conseil municipal pour procéder à la dénomination des voies et lieux-dits, y compris les voies privées ouvertes à la circulation. Il prévoit également que les communes doivent mettre à disposition les données relatives à la dénomination des voies et la numérotation des maisons et autres constructions.

* 9 Proposition de loi n° 795 (2021-2022) relative à la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, déposée le 19 juillet 2022 par Patrick Chaize et plusieurs de ses collègues.

* 10 Ces obligations sont prévues en contrepartie du renoncement par l'État du produit de redevances des autorisations d'utilisation des fréquences 4G, estimé à 3 Md€.

* 11 Source : Arcep.

* 12 Un arrêté du 23 décembre 2019 a défini 408 zones à couvrir au plus tard dans les 24 mois, réparties en 236 zones pour Orange et 172 zones pour SFR. Un arrêté du 3 novembre 2020 est venu compléter cette liste en identifiant 102 sites supplémentaires, dont 73 pour Orange et 29 pour SFR.

* 13 Loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France , issue d'une proposition de loi dont le premier signataire était M. Patrick Chaize.

* 14 Le terme d'« illectronisme » constitue un néologisme, entré en 2020 dans le dictionnaire Larousse, qui désigne « l'état d'une personne qui ne maîtrise pas les compétences nécessaires à l'utilisation et à la création des ressources numériques ».

* 15 Rapport d'information n° 588 (2021-2022) du 29 mars 2022, « Renforcer cohésion numérique dans les territoires : 20 mesures pragmatiques et de bons sens », de Mme Patricia Demas, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

* 16 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221031/atdd.html#toc6.

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