Avis n° 117 (2022-2023) de MM. Pascal ALLIZARD et Yannick VAUGRENARD , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 17 novembre 2022

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N° 117

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances , considéré comme
adopté par l'Assemblée nationale
en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour
2023 ,

TOME V

DÉFENSE

Environnement et prospective de la politique de défense (Programme 144)

Par MM. Pascal ALLIZARD et Yannick VAUGRENARD,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26

Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

RENSEIGNEMENT ET PROSPECTIVE :
DES EFFORTS À CONSOLIDER

En 2023, les crédits du programme 144 atteindront près de 2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (- 7,3 %) et 1,9 milliard d'euros en crédits de paiement (+ 7,2 %).

Le montant des crédits alloués à la recherche et l'exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France s'établiront à 476,8 millions d'euros en crédits de paiement, en augmentation de 16,5 % par rapport à 2022. Cette hausse est destinée à financer les projets cyber et immobiliers de modernisation de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction du renseignement et de la sécurité de défense (DRSD).

En matière d'innovation, vos rapporteurs pour avis donnent acte au Gouvernement du fait que, pour la deuxième année consécutive, l'enveloppe consacrée aux études amont atteindra le milliard d'euros.

Ces crédits permettront notamment le financement des études relatives au système « Main Ground Combat System » (MGCS) et au système de combat aérien du futur (SCAF) ainsi que la poursuite des études sur les thématiques d'innovation telles que la lutte anti-drones, l'hypervélocité, le quantique et l'énergie. S'agissant du SCAF, vos rapporteurs pour avis regrettent que le Gouvernement ne soit pas plus transparent sur l'état des négociations entre industriels et avec l'Allemagne ainsi que sur l'existence et le contenu d'un éventuel scénario alternatif.

Au-delà de la question des moyens, plusieurs défis doivent être relevés par l'agence de l'innovation de défense et la direction générale pour l'armement, qu'il s'agisse de l'accélération de la montée en maturité des technologies ou encore de la prise en compte du retour d'expérience ukrainien qui a montré toute l'importance de la masse.

Dans le prolongement des travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées initiés en 2020, vos rapporteurs pour avis ont souhaité aborder la question de l'accès au financement des entreprises de la BITD , problématique clé alors que le passage à une économie de guerre est appelé de ses voeux par le Gouvernement. Si une prise de conscience semble avoir eu lieu tant au niveau des banques qu'au sommet de l'État, sur ce sujet, la vigilance demeure de mise.

Le mercredi 23 novembre 2022, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs au programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».

I. LA HAUSSE DES CRÉDITS DU RENSEIGNEMENT S'AMPLIFIE EN 2023 AU PROFIT DU CYBER ET DE LA MODERNISATION IMMOBILIÈRE DE LA DGSE ET DE LA DRSD

L'année 2023 correspondra à une montée en puissance de projets structurants pour le cyber , suivant la priorité définie par l'actualisation 2021 de la loi de programmation militaire, et pour l'entrée en phase de construction des projets immobiliers de modernisation des sièges de la DGSE et de la DRSD . De plus, à compter du 1 er novembre 2022, la DGSE va engager une importante réforme de son organisation - comprenant une reconfiguration de ses directions et la création de centres de mission - qui va notamment voir la fusion au sein d'une même direction des fonctions relatives à la recherche et aux opérations, et le maintien de la direction technique, à laquelle s'ajoute l'innovation, dans le giron de la DGSE.

Les crédits du renseignement augmentent de 16,5 %
par rapport à la LFI 2022 (409 M€)

Pour la DGSE , les crédits de paiement s'établissent à 417,5 M€ contre 374 M€ en LFI 2022

Pour la DRSD , les crédits de paiement s'établissent à 59,2 M€ contre 35,4 M€ en LFI 2022

A. LA DGSE ET LA DRSD SE MODERNISENT

Les crédits pour 2023 de la DGSE progresseront de 11,6 % en crédits de paiement (soit 417 millions d'euros au lieu de 374 millions d'euros en 2022), soit +43 millions d'euros répartis entre +17 M€ en dépenses de fonctionnement et +27 M€ en dépenses d'investissement. Ces hausses s'inscrivent dans la trajectoire croissante de la LPM 2019-2025 dont la cible devrait s'établir à 588 M€ en 2025. Cette prévision d'augmentation se matérialisera dès 2023 par :

• Le financement d' opérations immobilières en cours ainsi que le choix d'attribution, au premier semestre, de l'appel d'offres relatif à la construction du futur siège de la DGSE au Fort neuf de Vincennes qui accueillera quelque 6 000 postes de travail. Cette opération majeure dont le début des travaux est prévu pour l'automne 2024, vise une mise en service en 2028 dans le cadre d'une enveloppe globale de 1,5 milliard d'euros comprenant des enveloppes de travaux immobiliers mais aussi d'infrastructures techniques ( data center et systèmes d'information et de communication) ;

• l'augmentation de la part prise par la DGSE dans le développement des capacités cyber du ministère des armées ;

• l' accroissement de l'activité opérationnelle .

Les mêmes causes (modernisation cyber et construction d'un nouveau siège) produisent des effets encore plus significatifs sur l'augmentation (+67 %) des crédits de paiement pour 2023 de la DRSD qui s'établissent à 59,2 M€ contre 35,4 M€ en LFI 2022. Cette hausse est justifiée par deux motifs principaux :

• le contexte de transformation du système d'information du renseignement contre l'ingérence de défense (SIRCID), dont le financement se poursuit dans le cadre d'une enveloppe globale de 19 M€ sur la période 2021-2025 pour une entrée progressive en service opérationnelle des traitements big data à partir de 2023, et du projet ENF d'automatisation des recherches en sources ouvertes au bénéfice des enquêtes administratives (près de 370 000 demandes d'enquêtes annuelles), notamment dans le cadre du traitement des habilitations et des contrôles d'accès ;

• l'opération de construction du « bâtiment 646 » - en référence au nombre de postes de travail prévus - dans l'emprise actuelle de la DRSD dans le Fort de Vanves a débuté en 2021, dans le cadre d'une enveloppe globale de 80 M€ sur la période 2021-2025, et donnera lieu en 2023 à une bosse significative de financement d'un montant de 40 M€. en effet, après 3,4 M€ en 2021 puis 15 M€ en 2022, le montant annuel de dépenses pour cette opération sera ensuite appelé à décroitre puisque l'échéancier prévoit de le ramener à 22 M€ en 2024 avant la livraison du bâtiment prévue en 2025.

La reconfiguration des dispositifs opérationnels liée au redéploiement des effectifs présents au Mali du fait de la fin de l'opération Barkhane et le renforcement de la contribution française à la réassurance du flanc Est de l'OTAN sont des sujets d'attention soulevés par vos rapporteurs, mais les services ont indiqué, à ce stade, pouvoir remplir ces missions à budget constant.

B. UN SECTEUR DE RECRUTEMENT EN TENSION : DES PLAFONDS D'EMPLOI DIFFICILE À ATTEINDRE.

Les crédits de personnels ne relèvent pas du présent programme 144. Ceux-ci relèvent du programme 212 « Soutien de la politique de défense » et sont en augmentation pour 2023 tant pour la DGSE (+3,6 % pour s'établir à 516 M€) que pour la DRSD (+5 % pour s'établir à 138,6 M€). Toutefois, cette hausse ne se traduit pas nécessairement par une augmentation des effectifs, pourtant prévue par la loi de programmation 2019-2025.

Celle-ci comportait un objectif de 1 500 nouveaux emplois pour renforcer les effectifs de la cyberdéfense et du renseignement . Mais on observe que les moyens humains du renseignement extérieur vont « stagner » en 2023 - on note même une légère baisse de 5 723 ETPT en 2023 par rapport à 5 745 en 2022 - à un niveau inférieur à l'enveloppe cible fixée à 6 024 ETP. La LPM 2019-2025 prévoit, à terme, un plafond d'emplois de 6 200. Le défi à relever pour la DGSE est donc double car il doit faire à la fois face à un déficit de sous-officiers disponibles (le plafond d'emploi des armées étant lui-même tendu) et à un marché de l'emploi civil sous tension notamment dans le secteur des SIC. Près de 1 000 recrutements sont ainsi prévus pour 2023 pour pallier les départs et remplir l'objectif d'augmentation des objectifs.

Pour sa part la DRSD s'inscrit dans une perspective d'augmentation de ses ressources humaines rapide puisque de 1 051 ETP en 2013, elle s'est fixé un objectif de 1 693 ETP en 2025 (+61 % en 11 ans ). On note une progression des effectifs entre 2022 (1 590,25 ETPT) et 2023 (1 609,98 ETPT). Les tensions dans le recrutement d'analyste cyber et d'administrateurs de SIC, sont similaires aux points évoqués par la DGSE, à ceci près que la proportion de militaires et de civils est inversée entre la DGSE (1/3 de militaires et 2/3 de civils) et la DRSD (2/3 de militaires et 1/3 de civils). C'est pourquoi, dans le cas de la DRSD, la question d'une plus grande ouverture aux recrutements de civils est prise en considération.

Enfin, le renforcement des filières académiques de formation dans le cyber devient une préoccupation pour l'ensemble de la communauté du renseignement, avec notamment l'enjeu crucial de mettre en place des actions pour la promotion de la mixité et ainsi augmenter le nombre de femmes dans les filières cyber , pour soutenir des organismes de formation - au sein des armées (BTS cyber par exemple) ou en dehors (universités, écoles d'ingénieurs, CNAM, etc.) - ou pour renforcer l'écosystème public/privé (Campus cyber, actions événementielles, etc.).

C. GUERRE EN UKRAINE, REVUE NATIONALE STRATÉGIQUE 2022 ET FUTURE LPM 2024-2030 : QUELS BESOINS NOUVEAUX DE FINANCEMENT ?

Outre la progression des crédits d'ores et déjà prévus par la LPM actuelle, vos rapporteurs se posent la question du chiffrage des nouveaux besoins immédiats mais aussi futurs dans le cadre de la revue nationale stratégique 2022 et de la prochaine LPM 2024-2025 :

• Le déclenchement de la guerre en Ukraine appelle une attention particulière sur le flanc Est de l'OTAN et constitue de ce fait un premier sujet d'interrogation concernant l'impact budgétaire qu'un redéploiement opérationnel peut occasionner sur les crédits de la DGSE comme de la DRSD, cette dernière ayant dans ses attributions « l'accompagnement » de l'opération Aigle en Roumanie. Aussi en marge des éventuels surcoûts engagés au titre des fonds spéciaux (FS) 1 ( * ) - dont il faut rappeler que le contrôle ne relève pas du présent programme et dont les détails de l'exécution demeurent classifiés - un point de vigilance doit toutefois être porté sur une éventuelle sous-budgétisation pour 2023 des crédits de fonctionnement en « fonds normaux » du programme 144 dédiés à la DGSE et à la DRSD pour financer le surcroît d'activité ;

• La revue nationale stratégique et le discours du Président de la République du 9 novembre 2022 à Toulon ont fait de la lutte informationnelle et de l' influence une nouvelle « fonction stratégique ». Pour la DGSE et la DRSD, l'investissement dans le champ de l'influence ne peut donc pas attendre la LPM 2024-2030, car des mesures nouvelles à mener en Afrique comme en Europe mais aussi dans l'Indopacifique devront être prise dès 2023. Leur coût et leur exécution devront donc être estimés et surveillés au fur et à mesure de l'année à venir ;

• Enfin, à l'horizon 2030 , plusieurs axes de travaux (révolution quantique, intelligence artificielle, économie de guerre, réinvestissement des capacités de renseignement vers l'OTAN, etc.) seront autant de sources nouvelles de coûts qu'il faudra analyser et estimer avant la discussion prochaine de la LPM 2024-2030.

Observations des rapporteurs pour la DGSE et la DRSD

- Au total , en additionnant les crédits de fonctionnement et d'investissement du programme 144 (476 M€) et les crédits de personnels (titre 2) du programme 2012 (655 M€), 1,13 milliard d'euros seront consacrés à la recherche et l'exploitation du renseignement par la DGSE et la DRSD ;

- Les crédits de fonctionnement et d'investissement de ces deux directions seront essentiellement absorbés par la conduite d'opérations pluriannuelles de modernisation cyber et immobilières ;

- Le marché de l'emploi est en tension dans les spécialités recherchées par les services et il faut encourager les actions de soutien aux filières de formation dans le cyber, de communication et de promotion de la mixité dans les parcours de recrutement ;

- L' impact budgétaire du surcroît d'activité opérationnelle occasionné par la guerre en Ukraine n'apparaissant pas clairement chiffré, vos rapporteurs recommandent qu'un suivi particulier de ces surcoûts soit effectué tout au long de l'année 2023 et communiqué au Parlement dans le cadre du suivi de l'exécution budgétaire prévu par l'article article 10 de la loi de programmation militaire (deux fois par an, avant le 15 avril et avant le 15 septembre).

II. POUR LA DEUXIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, LES CRÉDITS CONSACRÉS AUX ÉTUDES AMONT ATTEINDRONT LE MILLIARD D'EUROS

A. UN BUDGET CONFORME AUX ENGAGEMENTS

En 2023, les crédits de paiement consacrés aux études amont atteindront 1 016,4 millions d'euros, soit une hausse de près de 40 % depuis 2018 et un taux de croissance annuel moyen de près de 6,7 %.

Cette enveloppe est conforme à l'engagement d'inscrire un milliard d'euros de crédits de paiement sur les études amont (dissuasion comprise) en 2023 et de poursuivre l'accroissement de l'effort d'investissements tel qu'inscrit dans la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 ( cf. graphique ci-après).

En millions d'euros

Les priorités de 2023 porteront sur i) la préparation du renouvellement des capacités de renseignement et de télécommunications spatiales, ii) les études technologiques et d'architecture du système « Main Ground Combat System » (MGCS) en coopération franco-allemande, iii) les technologies qui concourent au système de combat aérien du futur (SCAF) et aux évolutions du programme Rafale, iv) la poursuite des travaux de coopération franco-britannique sur le futur missile de croisière et v) la poursuite des études sur les thématiques d'innovation telles que la lutte anti-drones, l'hypervélocité, le quantique et l'énergie.

S'agissant plus spécifiquement du SCAF , si les études menées jusqu'à présent (étude d'architecture, études sur les piliers technologiques, études de maturation des briques technologiques utilisées par les aéronefs) devraient s'avérer utiles quelle que soit l'issue de la coopération, vos rapporteurs pour avis regrettent que le Gouvernement ne soit pas plus précis sur l'état d'avancement de ce dossier et les éventuelles alternatives possibles , le ministre des armées s'étant borné à indiquer lors de son audition 2 ( * ) : « j'ai bien déclaré que notre attente est « que cela se fera ». Oui, il y aura un avion du futur, un successeur au Rafale, qui aura vocation à participer à la dissuasion nucléaire et à nos politiques d'export. Oui, il y a une vision française, fondée sur des coopérations synallagmatiques : les deux parties doivent y trouver leur compte. J'ai rappelé à l'Allemagne et à l'Espagne que le Scaf doit se faire, car nous avons besoin d'un tel avion ».

En tout état de cause, l'accord européen sur le démarrage de la phase 1B d'étude du démonstrateur, annoncé par le gouvernement allemand le 18 novembre 2022, est le bienvenu mais mérite d'être suivi avec vigilance, compte tenu du long chemin qui reste avant l'aboutissement de ce projet.

B. AU-DELÀ DE LA QUESTION DES MOYENS, L'ENJEU DES DÉLAIS DE MONTÉE EN MATURITÉ

Au cours des auditions, l'attention de vos rapporteurs pour avis a été appelée sur l'enjeu de l'accélération de l'innovation .

L'agence de l'innovation de défense (AID) et la direction générale pour l'armement (DGA) évaluent le niveau de maturité d'une technologie selon 9 niveaux appelés « technology readiness level » (TRL). Les délais entre les premiers éléments de recherche fondamentale (TRL 1 à 3) et les premiers de série (TRL 7 à 9) peuvent être très longs (en moyenne, entre 5 et 10 ans, mais ces délais peuvent être beaucoup plus importants et atteindre plusieurs décennies 3 ( * ) ).

Consciente de cet enjeu, l'AID a lancé plusieurs initiatives destinées à accélérer l'innovation, en particulier :

1) une structuration en mode projet organisée autour des projets de technologies de défense (PTD), des projets de recherche (PR), des projets d'accélération de l'innovation (PAI) et des projets d'innovation participative (PIP) ;

2) la mise en place d'un guichet unique pour les entreprises innovantes. 454 projets ont été déposés en 2021, parmi lesquels 134 PAI et 29 PIP ont été labellisés. Si la durée initiale d'examen des projets est apparue excessive, une réorganisation est intervenue en début d'année 2022 permettant l'instruction en 15 jours de « pré-projets », synthèses en quelques pages du projet définitif ;

3) la création de l'Innovation Défense Lab visant à structurer et mettre en place des projets d'accélération de l'innovation. Des appels à projets peuvent être lancés permettant de sélectionner des projets répondant à un besoin clairement identifié . À titre d'exemple, 7 projets ont été sélectionnés en 2021 dans le cadre de l'appel à projets « drone intercepteur de drone », qui visait la mise en oeuvre et la démonstration à très court terme d'un système capable d'intercepter, de capturer ou de neutraliser des drones commerciaux identifiés par un système d'objectif externe ;

4) la mise en place d'une cellule dédiée à l'innovation ouverte qui détecte et suit les « start-up » d'intérêt défense. En 2021, 436 nouvelles entreprises ont ainsi été référencées. Par ailleurs, des crédits ont été prévus au sein des programmes 146 (10 millions d'euros) et 178 (10 millions d'euros) pour le financement de commandes de premières capacités opérationnelles associées à des projets d'innovation ouverte.

En audition, il a été indiqué que d'autres pistes pourraient être envisagées telles qu'une plus grande prise en compte du rôle crucial joué par les projets de démonstration technologiques . Il conviendrait ainsi que des démonstrateurs puissent être soumis aux opérationnels à un stade relativement précoce afin de leur permettre de confirmer le cas d'usage et de proposer les incréments nécessaires , dont la prise en compte à un stade plus avancé serait plus coûteuse voire inenvisageable.

Enfin, l'attention de vos rapporteurs pour avis a été appelée sur la question de l'application du code des marchés publics qui conduirait à retarder le passage à l'échelle. Il leur a ainsi été indiqué qu'entre la réalisation d'un démonstrateur et les phases ultérieures, un nouvel appel d'offres devait souvent être lancé, pour lequel l'attributaire n'était pas nécessairement l'industriel à l'origine de la technologie. Il s'agit d'un point de vigilance que vos rapporteurs pour avis souhaitent approfondir dans le cadre de leurs travaux ultérieurs.

C. LE RETEX DU CONFLIT UKRAINIEN INVITE À MIEUX INTÉGRER LA NÉCESSITÉ DE RETROUVER DE LA MASSE

Si l'innovation est essentielle pour conserver une supériorité opérationnelle et, en cela, pour « gagner la guerre avant la guerre », il convient toutefois de trouver le juste équilibre entre sophistication technologique, qui implique des coûts plus élevés, et prise en compte de l'importance de la masse , comme l'a mis en lumière le retour d'expérience (RETEX) du conflit ukrainien.

En audition, il a ainsi été indiqué que, dès le stade des études amont, plusieurs versions d'une même technologie pouvaient être envisagées : une version de « haute technologie », permettant l'entrée en premier, et une version moins sophistiquée mais pouvant être produite en plus grande quantité, permettant un volume d'attrition plus important et dont l'exportation serait facilitée.

Ces différentes versions, correspondant à des usages et des besoins différents, doivent être pensées dès le départ, une évolution a posteriori étant généralement coûteuse ou impossible à développer.

III. LE PASSAGE À UNE ÉCONOMIE DE GUERRE NÉCESSITE DE GARANTIR L'ACCÈS AU FINANCEMENT DES ENTREPRISES DE LA BITD

A. DES DISPOSITIFS DE FINANCEMENT PUBLICS UTILES MAIS NÉCESSAIREMENT LIMITÉS...

L'agence de l'innovation de défense (AID) met en oeuvre plusieurs dispositifs de subvention de projets d'innovation, rappelés dans le tableau ci-après. Si l'utilité de ces instruments est indiscutable, leur portée demeure limitée tant en termes de nombre d'entreprises ou de projets soutenus que de montants en jeu . Ainsi, à l'exception du régime d'appui pour l'innovation duale (RAPID) qui, depuis sa création, a soutenu 700 projets pour un montant d'environ 500 millions d'euros, les financements totaux apportés par les autres dispositifs sont en règle générale inférieurs à 100 millions d'euros.

Dispositif

Date de création

Objet

Nombre de projets/entreprises soutenus

Montant cumulé des financements

Régime d'appui pour l'innovation duale (RAPID)

2009

Soutenir des projets d'innovation d'intérêt dual portés par des PME ou, depuis 2011, des ETI de moins de 2 000 personnes, seules ou en consortium avec un ou deux partenaires.

700

500 M€

Accompagnement Spécifique des Travaux de Recherche et d'Innovation Défense (ASTRID)

2011

Soutenir des projets de recherche exploratoire et d'innovation de haut niveau (niveau de maturité technologique de 1 à 4), de type mixte entre les organismes de recherche et les entreprises, qui traitent des problématiques de recherche d'intérêt défense.

347

97 M€

ASTRID Maturation

2013

Valorisation duale de travaux scientifiques financés par la défense et permet de valoriser des projets ASTRID déjà accomplis avec succès et leur accompagnement, dans le cadre d'un partenariat entre un organisme de recherche et une entreprise, jusqu'à un niveau de maturité technologique supérieur ou égal à 5.

59

29 M€

DEFINVEST

2017

Fonds d'investissement visant à soutenir le développement des PME stratégiques pour la défense, via des prises de participations au capital des pépites technologiques du secteur de la défense, aux côtés d'investisseurs financiers et industriels. L'objectif est de permettre à ces entreprises de se développer en toute autonomie grâce à l'augmentation de leurs fonds propres.

13

Doté de 100 M€

Fonds innovation défense

2021

Répondre au besoin de financement des entreprises innovantes en phase de croissance, disposant de technologies transverses susceptibles d'intéresser la défense

2

Doté de 200 M€ pouvant être complété jusqu'à 400 M€ par des crédits institutionnels ou du secteur privé

Par ailleurs, il a été indiqué en audition, que les entreprises dont la part représentée par le secteur de la défense dans l'activité totale dépassait 20 % ont pu rencontrer des difficultés d'accès au soutien du fonds DEFINVEST, BPI France tendant à privilégier les dossiers dans lesquels la part du civil était plus importante. Interrogée sur ce point, la DGA a indiqué à vos rapporteurs pour avis qu'aucun critère de ce type n'était appliqué pour la sélection des dossiers. Dans le cadre de leurs travaux à venir, vos rapporteurs pour avis s'attacheront néanmoins à évaluer la réalité et, le cas échéant, l'ampleur de ce phénomène.

S'agissant du fonds européen de défense (FED), si le nombre de projets soutenus dans ce cadre est également limité, les montants attribués apparaissent significativement plus élevés . Ainsi, en 2021, le fonds était doté de 322 millions d'euros pour son volet « Recherche » et de 845 millions d'euros pour son volet « Développement ». La Commission européenne a retenu 61 projets sur 142 projets proposés. L'industrie française est présente dans 47 de ces projets et en coordonne 18.

B. ... QUI, PAR CONSÉQUENT, NE PEUVENT NI NE DOIVENT SE SUBSTITUER AU FINANCEMENT BANCAIRE ET À L'INVESTISSEMENT PRIVÉ

Les dispositifs publics n'ayant ni vocation ni les moyens de se substituer aux acteurs privés (cf. supra ), alors que le passage à une économie de guerre est appelé de ses voeux par le Gouvernement, l'accès des entreprises de la BITD au financement bancaire et à l'investissement privé constitue un enjeu crucial.

Or dans leur rapport de l'an dernier, vos rapporteurs pour avis rappelaient que des entreprises actives dans le secteur de la défense, notamment des PME, faisaient état de difficultés de financement pour des questions de conformité ou d'image. Lors d'une table-ronde 4 ( * ) , la fédération bancaire française a cependant indiqué n'avoir connaissance d'aucun dossier rejeté sur le seul motif de l'appartenance au secteur de la défense, les refus étant, selon elle, uniquement motivés par des questions d'application de normes, qui s'imposent aux banques, ou liées à la situation financière des entreprises concernées.

Pour autant, il ressort des auditions et des réponses apportées par le ministère des armées à vos rapporteurs pour avis que :

1) des cas de refus explicites en raison d'une appartenance au secteur de la défense existent bien et concernent essentiellement les PME et les TPE . Il est cependant parfois difficile de connaître les raisons exactes des refus opposés ;

2) ces difficultés concernent en particulier les projets d'exportation vers certains marchés ou de certains matériels considérés comme sensibles par les établissements financiers ;

3) elles ne sont pas uniquement le fait des banques mais peuvent s'étendre aux sociétés financières, au secteur assurantiel, voire aux prestataires logistiques.

Depuis le rapport de 2020 de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur ce sujet 5 ( * ) , d'autres travaux ont été menés par l'Assemblée nationale 6 ( * ) ou encore le Conseil général de l'économie. Ces alertes ont permis, selon la Fédération bancaire française, de sensibiliser les banques sur ce sujet. Pour autant, les obstacles rencontrés étant peu documentés, ce sujet n'a fait l'objet d'aucune communication interne particulière au sein des groupes bancaires . Par ailleurs, la mise en place de « référents défense » dans les établissements, projet soutenu par la DGA, se fait encore attendre.

Les questions relatives aux projets de taxonomies européennes ou aux critères en matière environnementale, sociale ou de gouvernance (ESG) constituent également un sujet de vigilance. Vos rapporteurs pour avis soutiennent l'initiative de la DGA de créer un label ESG pour les entreprises de la défense, permettant d'objectiver pour les banques et les entreprises elles-mêmes les efforts consentis par ces dernières sur ces sujets.

Il semblerait par ailleurs que cette problématique ait été prise en compte au sommet de l'État, le président de la République ayant déclaré le 13 juillet 2022, « Parce qu'il y a parfois des esprits étranges qui au moment où on voit la guerre revenir en Europe, s'ingénient à compliquer l'investissement dans les industries de défense en Europe. Donc, j'assume totalement le fait que les taxonomies doivent nous permettre de consolider nos industriels grands groupes, ETI, PME, start-up, et renforcer les investissements dans ces secteurs en leur donnant de la visibilité ». Cette volonté présidentielle a trouvé une traduction dans la revue nationale stratégique au paragraphe 126.

« L a BITD doit pouvoir bénéficier d'outils de financement favorables, y compris dans le contexte du développement de la finance durable. Ainsi, les futures normes en matière de taxonomie ou de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ne doivent pas décourager l'investissement dans les entreprises de l'industrie de défense », Revue nationale stratégique, paragraphe 126.

Il convient désormais que ce principe soit décliné, le cas échéant législativement, dans le cadre de la future loi de programmation militaire .

Observations des rapporteurs sur l'innovation et le financement de la BITD

- Nommer un directeur de plein exercice à la tête de l'AID ;

- Encourager la constitution de fonds d'investissement privés pour épauler le volet « amorçage » du financement de la BITD ;

- Intégrer dans le volet « économie de guerre » de la RNS 2022 une meilleure coopération et compréhension mutuelles des banques avec les entreprises de la BITD et recommander la création au sein de chaque banque d'un « référent défense » identifiable ;

- Inciter les entreprises de la BITD à plus et mieux communiquer sur la valorisation de leur secteur et leur contribution à la souveraineté nationale.

IV. LA RENÉGOCIATION DU TRAITÉ DE COOPÉRATION AVEC LA RÉPUBLIQUE DE DJIBOUTI : UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE À RÉAFFIRMER

A. UNE SITUATION STRATÉGIQUE AU SEIN D'UNE RÉGION CONSIDÉRÉE COMME PRIORITAIRE DEPUIS LE LIVRE BLANC DE 2013

Djibouti occupe une position stratégique dans la corne de l'Afrique, du fait de sa situation géographique, sur le détroit de Bab-el-Mandeb, l'un des principaux couloirs maritimes au monde, aux portes de la mer rouge et de l'océan indien, mais également de sa stabilité au sein d'un environnement régional confronté à des crises récurrentes : crises ouvertes en Éthiopie, en Somalie et au Yémen, crise latente en Érythrée. Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 définit ainsi cette région comme une des priorités stratégiques de la France 7 ( * ) .

L'intérêt stratégique de Djibouti a été bien compris par nos alliés et compétiteurs, plusieurs États ayant établi, à la suite de la France, une base dans ce pays : États-Unis, Japon, Italie, mais également Chine, qui a installé sa première base à l'étranger dans ce pays en 2017, laquelle pourrait accueillir jusqu'à 10 000 militaires.

B. UN PARTENARIAT DE DÉFENSE ANCIEN QUI DOIT ÊTRE RÉAFFIRMÉ

Le premier partenariat de défense avec la République de Djibouti date de l'indépendance et la signature du traité d'amitié et de coopération le 27 juin 1977 . Dans le cadre de la renégociation des accords de défense liant la France à huit pays africains, la France et la République de Djibouti ont signé, le 21 décembre 2011, un traité de coopération en matière de défense qui est entré en vigueur le 1 er mai 2014 .

Ainsi, en 2023, plus de 27 millions d'euros seront inscrits au sein de l'action 08 « Relations internationales et diplomatie de défense » au titre de :

- la contribution forfaitaire versée au gouvernement de la République de Djibouti au titre de l'implantation de forces permanentes françaises sur son territoire (26,1 millions d'euros) ;

- la contribution au fonds de soutien à la modernisation des forces armées djiboutiennes (1 million d'euros).

Le traité de coopération actuel devant arriver à échéance en 2024, 2023 sera donc une année de renégociation . Au regard de l'importance stratégique de Djibouti rappelée supra , vos rapporteurs pour avis estiment indispensable de réaffirmer le partenariat avec ce pays. Ils seront attentifs au contenu des négociations qui devraient débuter, selon la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), d'ici la fin de l'année 2022 ou en début d'année 2023.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 16 novembre 2022, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen du rapport de MM. Pascal Allizard et Yannick Vaugrenard, sur les crédits « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons aujourd'hui quatre rapports concernant la mission « Défense ». Nous commençons par le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ».

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - En 2023, les crédits du programme 144 atteindront près de 2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de plus de 7 % par rapport à 2022. En matière d'innovation, pour la deuxième année consécutive, l'enveloppe consacrée aux études en amont atteindra 1 milliard d'euros, ce qui est conforme aux engagements pris ; nous en prenons acte.

Ces crédits importants permettront notamment le financement des études relatives au Main Ground Combat System (MGCS) - le char remplaçant du Leclerc - et au système de combat aérien du futur (SCAF), ainsi que la poursuite des études sur des thématiques telles que la lutte anti-drones, l'hyper-vélocité, le quantique et l'énergie.

Si les priorités retenues par le ministère et les moyens inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) nous semblent aller dans le bon sens, nous constatons cependant que l'Agence de l'innovation de défense (AID) n'a plus de directeur de plein exercice depuis près de six mois. Le message envoyé n'est pas le bon, alors que le rôle de cette agence est absolument fondamental.

Concernant le Scaf, nous regrettons que le Gouvernement ne soit pas plus transparent. L'accord sur le démarrage de la phase 1B annoncée par le gouvernement allemand nous semble bienvenu, mais mérite d'être suivi avec vigilance.

Au-delà de la question des moyens consacrés à l'innovation, plusieurs défis doivent être relevés par l'AID et la direction générale de l'armement (DGA). Le premier défi concerne l'accélération de la montée en maturité des technologies. Au-delà des initiatives déjà prises par l'AID en la matière et qui commencent à porter leurs fruits, nous proposons que le rôle crucial des démonstrateurs soit renforcé avec la réalisation d'un prototype ou démonstrateur à un stade assez précoce, afin de permettre aux opérationnels de confirmer le cas d'usage et de proposer les incréments nécessaires.

Par ailleurs, les personnes entendues ont insisté sur la nécessité de retrouver de la masse et de prendre en compte cette exigence dès le stade des études en amont, par exemple en envisageant deux versions d'une même technologie ; une première version de haute technologie, permettant l'entrée en premier, et une seconde version, moins sophistiquée, mais produite en plus grande quantité, permettant un volume d'attrition plus important et, le cas échéant, une exportation plus aisée.

J'en viens à la question du financement de la base industrielle et technologique de défense (BITD), à laquelle nous attachons une attention particulière. Le passage à une économie de guerre nous semble nécessiter, aujourd'hui plus encore qu'hier, de garantir l'accès aux sources de financement des entreprises du secteur de la défense. Les discours tenus autour de cette question sont contradictoires. Les entreprises nous font part de difficultés d'accès au financement ; les banques, quant à elles, considèrent qu'il n'y a pas de sujet ; et les administrations, selon qu'il s'agisse de Bercy ou de la DGA, sont divisées.

À l'issue des auditions réalisées, nous considérons qu'il existe bien des cas de refus de financement, du fait de l'appartenance au secteur de la défense. Par ailleurs, les projets de taxonomie ou encore la montée en puissance des normes environnementales, sociales ou de gouvernance constituent autant de risques pour nos entreprises. Nos alertes répétées ont permis de sensibiliser jusqu'au sommet de l'État sur cette problématique, ce dont nous nous félicitons. Pour autant, nous formulons plusieurs recommandations dans le rapport afin de lever les blocages rencontrés par les entreprises de la défense, en particulier la mise en place rapide de « référents défense », sortes de médiateurs, au sein des banques.

Sous bénéfice de ces observations et de celles qui vont vous être présentées par Yannick Vaugrenard, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 144.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Je fais la même observation que Pascal Allizard sur la concordance globale des crédits du programme 144 avec la ligne tracée par la loi de programmation militaire (LPM) ; c'est vrai en ce qui concerne l'innovation et les études amont. Sur ce sujet, et sous réserve que soit confirmée l'évolution favorable du dossier sur le Scaf, les problèmes à résoudre en priorité sont d'ordre extrabudgétaire ; je pense au financement de la BITD, ainsi qu'à la souveraineté industrielle, le vrai sujet de l'économie de guerre. Dans mon département de Loire-Atlantique par exemple, la préparation de la construction du futur porte-avion de nouvelle génération et la mobilisation de tout l'écosystème autour des chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire commencent dès aujourd'hui, alors que la livraison n'est prévue qu'en 2038.

Au sujet du renseignement intéressant la sécurité de la France, l'année 2023 correspondra, pour la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), à une montée en puissance de projets structurants dans la cyberdéfense et la modernisation immobilière de leurs sièges respectifs. Je rappelle que la DGSE va engager une opération de grande ampleur de déménagement à Vincennes afin de regrouper plus de 6 000 postes de travail, dont la direction technique. Depuis le 1er novembre dernier, elle conduit une importante réforme de son organisation, avec la fusion des fonctions de recherche et d'opération au sein d'une même direction, ainsi que le maintien de la direction technique dans son périmètre de compétence.

La DRSD conduit également une vaste reconfiguration de son siège au fort de Vanves afin de construire et de regrouper dans un nouveau bâtiment ses systèmes d'information du renseignement de contre-ingérence de la défense (Sircid), de traitement de big data et d'automatisation du traitement des demandes d'enquêtes administratives.

Dans ce contexte de transformation, la hausse des CP portera le budget global - celui, cumulé, de la DGSE et de la DRSD, hors les dépenses de personnels - à 476,8 millions d'euros, soit 16,5 % de plus par rapport à 2022.

Cependant, trois sujets posent question et devront être surveillés tout au long de l'exécution de ce budget 2023. Il y a d'abord la question du recrutement. La priorité donnée à l'embauche de cybercombattants continue de se heurter aux réalités du marché civil de l'emploi, mais aussi au déficit de sous-officiers s'agissant de la voie militaire. On note une plus grande communication auprès du grand public et aussi un soutien à certains organismes de formation ; c'est une politique novatrice qu'il convient d'encourager.

Autre sujet à surveiller en 2023 : la question du chiffrage de l'impact budgétaire de la guerre en Ukraine. Nécessairement, et sans entrer dans le détail, la DGSE comme la DRSD opèrent un redéploiement opérationnel sur le flanc Est de l'Otan. Le rôle de la DRSD est précisément de sécuriser les éléments français de l'opération Aigle en Roumanie. Je rappelle que 350 soldats français sont actuellement sur le terrain en Roumanie et que, dans les prochaines semaines, seront livrés une douzaine de véhicules blindés et une douzaine de chars Leclerc.

Enfin, nos services vont devoir, dès 2023, s'investir dans le champ de la guerre informationnelle et de l'influence, afin de mettre en oeuvre ce que le Président de la République a désigné comme une nouvelle « fonction stratégique » lors de son discours du 9 novembre dernier à Toulon.

Avec la guerre en Ukraine, il s'agit bien là de nouvelles priorités qui n'étaient pas prévues dans la LPM actuelle et qu'il faudra prendre en compte dans la future LPM sur la période 2024-2030. En conséquence, sous bénéfice des observations précédemment formulées, je propose un avis favorable sur les crédits du programme 144.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mercredi 19 octobre 2022 :

- M. Patrick Aufort , directeur par intérim de l'agence d'innovation de défense (AID), M. Nicolas Grangier , responsable du pôle financement et acquisition de l'innovation à l'AID, et M. Cyril Casserra , chef de cabinet du directeur.

Mardi 25 octobre 2022 :

- Mme Alice Guitton , Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), Mme Julie Augusto, Mme Patricia Lewin, M. Nicolas Bronard et Mme Charlotte Duponchel .

Mardi 8 novembre 2022 :

- Général de brigade aérienne Cédric Gaudillière , Chef de la division « Cohérence capacitaire » de l'État-major des armées, M. l'ingénieur en chef Fréderic Sakhochian .

Mardi 15 novembre 2022 :

- Direction générale du renseignement extérieur (DGSE).

- Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).

Mercredi 16 novembre 2022 :

- M. François Mattens , Co-fondateur et Vice-président de Defense Angels.

- Table ronde : Mme Solenne Lepage (Fédération bancaire française), M. Paul Teboul , Sous-directeur chargé du financement international des entreprises et M. Clément Colin (Direction générale du Trésor).


* 1 Ceux-ci relèvent des crédits des services du Premier ministre, ouverts dans le cadre du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental ». Leur montant de 76 M€ pour 2023 est inchangé par rapport à 2022. Or, bien que le détail de la ventilation des FS par service de renseignement soit classifié, il peut être estimé que le surcroît d'activité opérationnelle en 2022 ait conduit à une exécution supérieure à la prévision. Mutatis mutandis, les mêmes effets pourraient s'appliquer aux fonds normaux relevant du présent programme 144.

* 2 Audition du 11 octobre 2022.

* 3 Dans son rapport annuel de 2021, la Cour des comptes relève ainsi : « Le programme d'hélicoptère de combat TIGRE en est un bon exemple : cinq décennies se sont en effet écoulées entre les premières discussions franco allemandes au début des années 1970 et la livraison du dernier appareil reconfiguré à l'armée française au début des années 2020. Or, non seulement le contexte stratégique a radicalement changé entretemps, mais les évolutions technologiques se sont également accélérées, rendant complexe et coûteuse l'intégration des innovations survenues en cours de programme ».

* 4 Table-ronde du 16 novembre 2022 réunissant des représentants de la fédération bancaire française et de la direction générale du Trésor.

* 5 L'industrie de défense dans l'oeil du cyclone, rapport d'information de MM. Pascal Allizard et Michel Boutant, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 605 (2019-2020) - 8 juillet 2020.

* 6 Mission Flash sur le financement de l'industrie de défense, Mme Françoise Ballet-Blu et M. Jean-Louis Thiériot, 17 février 2021.

* 7 « Le Sahel, de la Mauritanie à la Corne de l'Afrique, ainsi qu'une partie de l'Afrique subsaharienne sont également des zones d'intérêt prioritaire pour la France, en raison d'une histoire commune, de la présence de ressortissants français, des enjeux qu'elles portent et des menaces auxquelles elles sont confrontées ».

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