Avis n° 116 (2022-2023) de Mme Martine BERTHET , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 novembre 2022

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N° 116

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances , considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour
2023 ,

TOME VIII

PARTICIPATIONS FINANCIÈRES DE L'ÉTAT

Par Mme Martine BERTHET,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26

Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Le projet de loi de finances pour 2023 inscrit environ 17 Mds€ sur le CAS PFE, en recettes comme en dépenses, dont une dizaine de milliards d'euros afin de financer la nationalisation d'EDF.

La commission des affaires économiques propose de rejeter les crédits de ce compte, pour deux raisons principales :

- pour le moment, l'approche volontariste du Gouvernement en termes de défense de la souveraineté économique du pays reste cantonnée aux discours. La façon dont l'État actionnaire entend redevenir un État stratège n'est toujours pas précisée. Alors même que l'urgence de prendre ce sujet à bras le corps est documentée à longueur de rapports, le Gouvernement n'a toujours pas donné suite aux propositions formulées en la matière par l'Agence des participations de l'État. La nationalisation à venir d'EDF, certes utile mais intervenant après des années d'abandon de la filière hautement stratégique qu'est le nucléaire, ne doit pas faire oublier les nombreux secteurs dans lesquels l'autonomie du pays est compromise ;

- le compte est utilisé par le Gouvernement pour réaliser un tour de « passe-passe » budgétaire en matière de remboursement de la dette Covid. En effet, si près de 7 Mds€ sont budgétisés pour contribuer au désendettement de l'État, ils seront en fait simplement prélevés sur le budget général pour venir alimenter la Caisse de la dette publique. Autrement dit, la manipulation permet l'affichage du désendettement, mais il n'y a aucun effort réel du Gouvernement pour assainir les finances publiques françaises.

I. DEPUIS 2020 : UN ACTIONNAIRE QUI A TROQUÉ SA TENUE D'ÉTAT STRATÈGE POUR CELLE D'ÉTAT POMPIER, COMPTE TENU DES SAUVETAGES D'ENTREPRISES À OPÉRER

A. DEPUIS 2020, L'ÉTAT A SURTOUT VOLÉ AU SECOURS D'ENTREPRISES FRAGILISÉES PAR LES CRISES SUCCESSIVES, GRÂCE À LA MOBILISATION SANS FAILLE DE L'AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L'ÉTAT

Le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » retrace en temps normal l'action de l'État actionnaire, c'est-à-dire à la fois les recettes liées par exemple à des cessions de titres, et les dépenses en lien avec lesdites recettes, comme par exemple des participations à des augmentations de capital ou des achats de titres (programme 731). Par ailleurs, le compte permet également de retracer la part des cessions de titres qui sert au désendettement de l'État (programme 732).

Le déclenchement de la crise sanitaire en 2020, puis de la crise économique qui s'en est suivie, a doublement contraint l'État actionnaire : d'une part, aucune cession de titres n'était envisageable tant que les marchés financiers étaient au plus bas, au risque de mettre en péril les intérêts financiers de l'État, et d'autre part la fragilisation d'entreprises stratégiques comme Air France l'a conduit à intervenir afin, notamment de souscrire à leurs augmentations de capital ou de leur prêter des fonds.

Par conséquent, la rapporteure constate que le CAS PFE a, d'une certaine façon, changé de nature depuis près de trois ans. Il ne retraçait plus les mouvements caractéristiques d'une « respiration » du portefeuille côté de l'État (des cessions de titres financent des achats d'actions), mais était au contraire devenu un simple véhicule budgétaire permettant de transférer des crédits du budget général vers ce compte, puis de ce compte vers les entreprises aidées. Pour ce faire, une enveloppe de 20 Mds€ avait été ouverte dans la deuxième loi de finances rectificative pour 2020, consommée à hauteur de 9 Mds€ dès la première année. Les principales interventions de l'État à ce titre ont été :

Il convient toutefois de rappeler que le lien entre ces opérations et la crise sanitaire-économique ne semble pas toujours absolument évident : par exemple, la situation d'alors de la Sncf ne relevait pas entièrement de cette urgence. De même, les crédits injectés dans le fonds France Nucléaire visent à soutenir les sous-traitants d'EDF, non pas tant en raison de l'impact de la crise sur leur situation, mais afin de « réparer » les choix des deux derniers gouvernements de délaisser le développement de la filière nucléaire...

Nonobstant ces remarques, la rapporteure souligne la très grande mobilisation et le professionnalisme sans faille des effectifs de l'Agence des participations de l'État, qui ont contribué significativement à ces sauvetages d'entreprises, dans un contexte d'urgence et d'incertitudes.

B. PAR CONSÉQUENT, AUCUNE CESSION DE TITRES N'A EU LIEU, POUR LA TROISIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, CE QUI MODIFIE SENSIBLEMENT LE TYPE DE RECETTES ALIMENTANT LE COMPTE, À REBOURS DE SON « ESPRIT » INITIAL

Compte tenu de la situation des marchés financiers, l'État n'a quasiment plus procédé à des cessions de titres de son portefeuille côté depuis 2020 ; le cas inverse l'aurait en effet conduit à supporter des moins-values potentiellement lourdes, au détriment de ses intérêts financiers.

Source : commission des affaires économiques du Sénat.

Si ce choix est bienvenu compte tenu de la situation, la rapporteure note que cette absence de recettes issues des cessions de titres interroge quant au fonctionnement du compte d'affectation spéciale. Pour parer à l'urgence, en effet, le compte se voit doté d'importants crédits en provenance du budget général, ce qui l'éloigne chaque année davantage de la définition-même d'un CAS, à savoir de mettre en relation des dépenses et des recettes de même nature. In fine , il informe peu - voire pas du tout - quant à la stratégie de long-terme de l'État actionnaire 1 ( * ) , bien que l'action de l'État en matière de souveraineté économique de la France soit mise en avant dans le débat public depuis trois ans ; au contraire, il s'apparente de plus en plus à une simple pompe prélevant des crédits du budget général d'un côté, et les injectant dans des entreprises fragilisées de l'autre côté. Si le pur respect des formes comptables et budgétaires est respecté, l'« esprit » du compte a indéniablement changé. Le graphique ci-dessous retrace la mutation du compte intervenue depuis trois ans.

Source : commission des affaires économiques du Sénat.

Pour 2023, il est à noter que l'Agence des participations de l'État annonce 500 M€ de recettes issues des produits de cessions, dont l'origine ne peut être précisée dans un document public, afin de ne pas en informer les marchés financiers.

En outre, la compréhension de la stratégie de l'État est perturbée par le flou
qui entoure les programmes du budget général qui alimentent le compte

Puisque le compte n'est plus alimenté par des recettes issues des cessions de titres de l'État, ce dernier fait quasi-intégralement appel au budget général pour financer ses opérations sur le compte. Celles-ci peuvent, schématiquement, être scindées en deux catégories : les soutiens aux entreprises touchées par les conséquences économiques de la crise sanitaire (programme n° 358 au sein de la mission « Plan d'urgence », créée par la LFR2 de 2020), et les opérations plus classiques (qu'est venu financer le programme n° 367 au sein de la mission « Économie »). Si le programme n° 358, devenu de moins en moins utile, est supprimé dans le PLF 2023, le programme n° 367 est bien maintenu (bien que non alimenté pour l'an prochain, compte tenu de ses crédits non-encore utilisés), ce qui laisse supposer qu'il sera sollicité par le Gouvernement dans l'hypothèse où des dépenses imprévues devaient apparaître en cours d'année. Or, ce programme « ne [répond] pas à un thème spécifique [et ne respecte] pas le principe de spécialité des crédits budgétaires », comme le notait la Cour des comptes encore récemment 2 ( * ) .

Si les marges de manoeuvre de l'État en la matière sont limitées, la rapporteure note qu'il s'agit là d'une conséquence directe d'un choix du Gouvernement, dénoncé à maintes reprises depuis plusieurs années : celui de laisser le solde du compte diminuer, ce qui le contraint à faire appel au budget général.

II. UNE DÉFENSE DE LA SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE FRANÇAISE TOUJOURS BALBUTIANTE, EN DÉPIT DU PROJET BIENVENU DE NATIONALISATION D'EDF

A. LE GOUVERNEMENT N'A TOUJOURS PAS CLARIFIÉ LA FAÇON DONT IL ENTEND ASSURER LA SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE DU PAYS EN TANT QU'ÉTAT ACTIONNAIRE

La doctrine d'investissement de l'État actionnaire a évolué au cours du quinquennat précédent. En effet, en 2017, le Gouvernement a souhaité recentrer son portefeuille sur trois types d'entreprises : celles stratégiques qui contribuent à la souveraineté du pays (défense, nucléaire), celles participant à des missions de service public ou d'intérêt général, et celles en difficulté dont la disparition pourrait entraîner un risque systémique. La mise en oeuvre de cette doctrine l'a conduit, notamment, à céder ses titres de la Française des jeux.

Pour autant, ainsi que l'a notée la commission des affaires économiques du Sénat à plusieurs reprises, cette doctrine reste floue et ne garantit pas, en l'état, la sauvegarde de la souveraineté économique française. En effet, l'enchaînement de crises depuis 2020 met en lumière des produits, des entreprises et des filières qui sont tout à fait stratégiques et qui, pour autant, ne rentrent dans aucune des catégories susmentionnées (équipements de protection, batteries électriques, recherches médicales, etc.). Interrogée à ce sujet, l'Agence des participations de l'État a, du reste, confirmé la vision de la rapporteure, en reconnaissant que la définition de la souveraineté retenue en 2017 était trop restrictive

La commission a donc accueilli avec satisfaction les propos du Commissaire aux participations de l'État, rapportés dans le rapport annuel d'activité pour l'année 2020 de l'APE, selon lesquels : « la crise a à la fois fragilisé la situation financière des entreprises, surtout dans les secteurs les plus exposés, mais aussi mis en exergue la dispersion du capital de certaines grandes sociétés cotées, qui les expose à des prises de contrôle inamicales et non souhaitées et qui peuvent mettre en péril le maintien de centres de décision en France ou en Europe. C'est pourquoi l'État actionnaire devra davantage intégrer cette préoccupation dans la gestion de ses interventions en capital ». Dans le rapport annuel d'activité pour l'année 2021, le nouveau commissaire aux participations de l'État a confirmé cette vision, et le ministre de l'Économie affirme par ailleurs que les décisions de l'État actionnaire « sont fondées sur des logiques de souveraineté économique et de consolidation de filières au-delà des seuls enjeux patrimoniaux et de rentabilité, contrairement aux investisseurs privés ».

Ces propos confirment un constat (et les solutions) avancé par le Sénat depuis de nombreuses années, et encore récemment largement documenté dans le rapport Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique de 2022 3 ( * ) , qui propose 50 solutions en la matière. Les rapporteurs notaient ainsi que « dans les faits, la perte de souveraineté économique progressive de notre pays depuis les années 1980, a fortiori au cours des années récentes, est bien plus transversale et bien plus profonde qu'on ne le soupçonne. Elle frappe l'ensemble des secteurs [...] et des thématiques [...] étudiés, dans des proportions rarement soulignées par les travaux préexistants consultés par les rapporteurs ».

Pour autant, il persiste deux ombres au tableau :

• d'une part, le Commissaire aux participations de l'État ajoutait, dans ses propos, que : « cette hyper-crise nous amène à amender notre stratégie d'intervention, pour un moment du moins [...] ». Or rien ne justifie, aujourd'hui, que la défense de la souveraineté économique du pays ne soit que temporairement mise au coeur de la stratégie de l'État actionnaire : elle doit au contraire être un axe transversal, permanent, la boussole principale de son action. L'inaction des pouvoirs publics ces dernières années, une forme de « laissez-faire » poursuivant avant tout l'objectif d'optimiser les coûts des chaînes de valeur au détriment de l'objectif de sécurisation des approvisionnements, ont rendu l'économie française vulnérable et captive, et c'est donc d'une action résolument volontariste et constante que cette dernière a besoin ;

• d'autre part, la rapporteure peine à trouver des exemples de mises en oeuvre de cette modification de la doctrine au profit de la souveraineté économique. Certes le sauvetage ou le soutien d'entreprises importantes (Air France, SNCF, Renault, etc.) participe de la défense du tissu industriel, mais un objectif aussi ambitieux que celui de renforcer la souveraineté économique française ne peut être atteint uniquement en « défensif », c'est-à-dire en évitant que des acteurs ne fassent faillite. Une vision de long-terme nécessite bien davantage que réagir aux crises et éteindre les incendies. À ce titre, l'éparpillement des quelques crédits investis dans des fonds (aéronautique, automobile, nucléaire), s'ils sont bien entendu utiles, ne suffisent pas à inverser cette tendance.

Certes, l'Agence des participations de l'État a élaboré une nouvelle « feuille de route » afin de mieux prendre en compte les enjeux de défense de la souveraineté économique du pays (cybersécurité, santé, métaux stratégiques, etc.), document qui a été transmis au ministre. Il convient donc que sa publication par le Gouvernement se fasse au plus vite, et que ce dernier inscrive ces axes au coeur de son action.

B. LA NATIONALISATION D'EDF EN 2022 : LES PRÉMICES D'UN RETOUR DE L'ÉTAT STRATÈGE ?

1. Un projet utile, qui illustre le revirement tardif du Gouvernement sur le nucléaire

La Première ministre a en effet annoncé, dans son discours de politique générale du 4 juillet 2022, une montée de l'État à 100 % du capital d'EDF, via une offre publique d'achat simplifiée sur les titres de l'entreprise afin de retirer la société de la cote. Plus précisément, il s'agit pour l'État d'acquérir les 16,3 % du capital d'EDF et les 60 % d'obligations à option de conversion et/ou d'échange en actions nouvelles ou existantes (OCEANEs) qu'il ne détient pas. Le prix d'offre soumis le 4 octobre 2022 à l'examen de l'AMF est de 12,0 € par action (soit une prime de 53 % par rapport au cours de clôture de la veille).

La rapporteure prend acte de ce projet, qui est la suite des annonces du Président de la République en février dernier relatives à la construction de six nouveaux réacteurs de nouvelle génération (EPR2) d'ici 2050 (pour une mise en service du premier réacteur vers 2035), et à l'étude de huit réacteurs supplémentaires. Cette annonce tardive illustre toutefois le retard pris en la matière, pour des raisons essentiellement idéologiques. Le Président de la République souhaitait en effet, en 2017, réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d'énergie, en mettant notamment fin à l'activité de 14 réacteurs de 900 MW d'ici 2030 : ce choix, dramatique aux yeux de la commission des affaires économiques, s'est entre autres traduit par la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim en 2020 et par un désinvestissement frappant toute la filière nucléaire (formation, recrutement, etc.). Ce virage à 180 degrés est donc une bonne nouvelle, mais les dommages causés par le long désintérêt de l'exécutif (et du précédent) pour ce secteur hautement stratégique sont considérables.

Le retrait de la cotation permettra, in fine , d'engager l'entreprise dans des projets de long terme « parfois incompatibles avec les attentes de plus court terme d'actionnaires privés, et sans être exposée à la volatilité des marchés financiers 4 ( * ) ». Interrogée à ce sujet, l'APE a indiqué à la rapporteure que les intérêts des investisseurs minoritaires pouvaient diverger de ceux de l'État, comme par exemple en matière de fixation du prix d'électricité. En effet, la contrepartie des lourds investissements réalisés par EDF et financés par les Français devrait, en toute logique, être celle d'un prix attractif de l'électricité, incompatible avec les exigences de rendement des marchés financiers.

2. Un projet à 9 Mds€ qui soulève toutefois nombre d'interrogations, toujours sans réponse à quelques jours de l'opération
a) Quel(s) projet(s) de long-terme pour EDF ?

Premièrement, au-delà de la motivation mentionnée supra , les intentions de l'État restent floues. Selon l'Agence des participations de l'État, « cette évolution permettra à EDF de renforcer sa capacité à mener dans les meilleurs délais des projets ambitieux et indispensables pour notre avenir énergétique », ce qui semble peu précis compte tenu du fait qu'avec 84 % des droits de vote, l'État disposait déjà des leviers d'accélération qu'il semble aujourd'hui appeler de ses voeux.

Il est indiqué par ailleurs que ce projet permettra d'asseoir pleinement le caractère souverain et critique des activités régaliennes de production d'électricité décarbonée. Or, à nouveau, cela semble relever davantage de la symbolique, importante il est vrai puisque les symboles attestaient davantage d'une défiance ces dernières années, que d'un projet de long terme.

b) Quelles solutions aux problèmes déjà identifiés ?

Deuxièmement, cette opération ne règle pas plusieurs questions pourtant importante : la dette d'EDF reste aux environs de 43 Mds€, les indisponibilités du parc nucléaire sont toujours élevées, le financement de la relance du nucléaire n'est toujours pas précisé et le contentieux européen relatif au renouvellement des concessions hydrauliques n'est toujours pas terminé.

Troisièmement, si la nationalisation d'EDF peut s'apparenter aux prémices d'un (timide ?) retour de l'État stratège, à savoir une puissance publique qui soustrait aux aléas des marchés financiers une activité fondamentalement stratégique pour l'indépendance de notre pays, il convient de noter qu'elle est permise, à nouveau, par des crédits issus du budget général, et non pas grâce à une gestion active du portefeuille côté. Le programme n° 367 a en effet été abondé de 12 Mds€ environ dans la LFR1 d'août 2022, afin de financer ce projet. Le montant nécessaire sera transféré sur le CAS PFE, puis débloqué lors de l'achat des actions et obligations.

c) Un financement de l'opération qui valide les mises en garde successives du Sénat quant aux finances de l'État actionnaire

De toute évidence, il aurait été difficile de faire autrement, compte tenu des choix effectués par l'État actionnaire ces dernières années :

• le solde du CAS PFE n'a cessé de se dégrader depuis 2017 (cf. graphique ci-dessous), obérant les marges de manoeuvre de l'APE et obligeant l'État à y injecter des recettes du budget général pour financer ses actions ;

Évolution du solde cumulé du CAS PFE entre 2010 et 2022

(en milliards d'euros)

Source : commission des affaires économiques, à partir des données de l'APE.

• la concentration croissante du portefeuille autour de quelques valeurs stratégiques (défense, nucléaire, aéronautique) ne permet plus d'envisager des cessions de titres, indépendamment même du contexte financier, pour financer des achats d'actions. Ces secteurs représentent en effet plus de 83 % de la valeur du portefeuille (prédominance encore renforcée par l'augmentation du cours de l'action suite à l'annonce de la nationalisation totale d'EDF).

Énergie - Nucléaire

Aéronautique - Défense

d) Un prix d'achat des actions et obligations qui traduit une chute drastique de la valeur d'EDF depuis 2005

L'introduction en bourse d'EDF s'est faite au cours de 32 €. La veille de l'annonce de la nationalisation, l'action cotait 8,5 € environ, soit une baisse de... 73 % en moins de vingt ans. Le rachat par l'État des titres qu'il ne détenait pas a toutefois entraîné une hausse logique du cours, pour le porter aux alentours de 12 €, montant stable depuis l'officialisation du projet.

Source : commission des affaires économiques, à partir des données Boursorama.

Bien que la nationalisation totale d'EDF soit une nouvelle rassurante quant à l'esprit du Gouvernement vis-à-vis du nucléaire, il ne peut être fait abstraction du fait que sa gestion (et, bien entendu, certains évènements extérieurs comme la catastrophe de Fukushima, la raréfaction des matières premières, etc.) a entraîné une diminution sensible de sa valorisation boursière, au détriment notamment des actionnaires minoritaires.

III. LE COMPTE EN 2023 : UNE DISPARITION ENFIN ACTÉE DU FONDS POUR L'INNOVATION, ET UNE CONTRIBUTION AU DÉSENDETTEMENT COMPLÈTEMENT FACTICE

A. 17 MDS€ DEMANDÉS, EN DÉPIT D'UNE SOUS-EXÉCUTION CHRONIQUE DEPUIS DES ANNÉES

1. Le compte affiche d'importants montants de recettes et dépenses pour 2023, mais la circonspection reste de mise compte tenu de l'exécution des années passées

Pour 2023, le projet de loi de finances prévoit un total de 17,1 Mds€ (AE=CP) en recettes et dépenses pour le CAS PFE. Plus précisément, ce montant se subdivise entre 10,3 Mds€ demandés pour participer à des augmentations de capital et autres dotations en fonds propres ou avances d'actionnaire, 126 M€ demandés pour participer à des achats de titres, et 6,6 Mds€ inscrits pour contribuer au désendettement de l'État.

Sur les 10,3 Mds€ prévus pour des augmentations de capital ou dotations en fonds propres, seuls 2,3 Mds€ sont précisés dans le PLF : il s'agit de 2 Mds€ au titre des programmes d'investissement d'avenir et du plan France Relance 2030 (« Fermes de demain », « Métaux critiques et durables », etc.), de 150 M€ pour le renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement et de 145 M€ pour la recapitalisation de banques multilatérales de développement. Les 7,9 Mds€ restants ne font l'objet d'aucune information .

Or les années passées ont montré que l'exécution s'éloigne invariablement des prévisions contenues dans le PLF, ainsi que le résume le graphique ci-dessous.

Prévisions et exécutions des recettes du CAS « PFE » depuis 2014

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires économiques du Sénat.

2. En outre, le rendement du portefeuille de l'État actionnaire reste durablement inférieur à celui du CAC40

Dans ses réponses à la rapporteure, le Gouvernement note que la valorisation du portefeuille côté de l'État a augmenté de 54 % entre le 31 mars 2020 et le 31 août 2022, tandis que le CAC40 aurait enregistré, sur la même période, une hausse de 39,5 %. Par conséquent, le portefeuille de l'État actionnaire aurait surperformé par rapport aux marchés financiers. Or cette présentation n'est si « avantageuse » que parce qu'elle omet de préciser qu'une grande partie de cette amélioration de la valorisation est liée à la hausse du cours d'EDF le lendemain de l'annonce de sa nationalisation, le 4 juillet 2022.

De janvier 2021 à juin 2022, la réalité est toute autre, comme en atteste l'APE elle-même dans son rapport annuel d'activité publié en octobre 2022. Quelques jours avant l'annonce de la nationalisation, en effet, le portefeuille côté de l'APE continuait de grandement sous-performer par rapport au CAC40 (même en excluant les valeurs énergétiques, l'évolution de sa valorisation est bien inférieure à celle du CAC40 jusqu'en mars 2022, avant de retrouver un rythme similaire.

Évolution du portefeuille côté de l'APE comparée à celle du CAC40 depuis janvier 2021

Source : rapport annuel d'activité 2021 de l'APE.

Alors que le rapport de l'APE indique que la valeur de la participation de l'État dans EDF s'élevait à 25,4 Mds€ au 30 juin 2022, les réponses de l'Agence à la rapporteure indiquent qu'elle est désormais de 31,6 Mds€ au 31 août 2022. En deux mois, cette participation a donc augmenté d'environ 9 %, uniquement grâce à cette annonce.

B. 6 MDS€ ANNONCÉS POUR LE DÉSENDETTEMENT... QUI N'EST QU'UN PUR EFFET D'AFFICHAGE

Le CAS PFE est constitué d'un deuxième programme, le n° 732, qui retrace les fonds issus de la gestion du portefeuille de l'État dédiés au désendettement de l'État. De 2019 à 2021, aucun versement à cette fin n'a été effectué ; en 2022, 1,9 Md€ doivent effectivement être consacrés au désendettement de l'État. Or, puisqu'aucune cession de titre n'a lieu, cette somme provient d'un simple transfert de crédits du budget général (le P 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la Covid-19 ») vers le CAS PFE, avant d'être à nouveau transférée, cette fois vers la Caisse de la dette publique.

Il ne s'agit donc que d'un pur affichage : en prélevant des crédits sur le budget général pour les affecter au remboursement de la dette Covid, le Gouvernement ne s'inscrit pas dans une démarche d'effort afin de renforcer la soutenabilité des finances publiques, mais se contente au contraire de creuser le déficit budgétaire d'un côté pour « afficher » une baisse de la dette de l'autre côté.

Or ce tour de passe-passe factice devrait être répété en 2023, cette fois à hauteur de 6,6 Mds€ ! À nouveau, la rapporteure ne peut que constater qu'il s'agit là de « déshabiller Paul pour habiller Jacques » : la prise de conscience quant à la nécessité de réduire notre taux d'endettement ne semble toujours pas réelle au niveau gouvernemental...

C. LA DISPARITION DU FONDS POUR L'INNOVATION : IL EST MIS FIN AU CONTOURNEMENT DU PARLEMENT

Alors que tant le Parlement que la Cour des comptes contestaient depuis bientôt cinq ans la mise en place du Fonds pour l'innovation et l'industrie (FII) au motif qu'il n'apportait rien de plus qu'une dotation budgétaire classique mais qu'il permettait en revanche de contourner le contrôle du parlement, et ce au profit d'une usine à gaz inutilement complexe, le Gouvernement annonce enfin sa suppression, pour 2023. Il s'agit d'une bonne nouvelle sur le fond, mais qui n'apporte pas de réponse à toutes les questions :

• pourquoi avoir prévu un mécanisme supposé assurer 250 M€ de financement à l'innovation chaque année, alors même que l'arrêté le créant mettait en place une clause de revoyure en... 2023, qui aurait conduit à diminuer ce montant de financement dans les années à venir ?

• ainsi que l'a noté la Cour des comptes, si le FII a programmé 843,8 M€ de soutien à l'innovation de 2018 à 2021, il n'en a décaissé que 433,3 M€ 5 ( * ) : la mise en place du FII a-t-elle conduit, in fine , à une baisse du financement de l'innovation par rapport à ce qui aurait résulté d'une dotation budgétaire classique ?

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 16 novembre, la commission a examiné le rapport pour avis de Mme Martine Berthet sur les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » du projet de loi de finances pour 2023.

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous allons à présent examiner les crédits du compte d'affectation spécial « Participations financières de l'État ».

Mme Martine Berthet , rapporteure pour avis . - Madame la Présidente, mes chers collègues, nous examinons ce matin le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » pour 2023, qui doit retracer les décisions de l'État actionnaire, mises en oeuvre par l'Agence des participations de l'État.

Je vous proposerai de refuser d'approuver les crédits de ce compte, pour trois raisons principales. D'une part, le fait qu'en dépit d'annonces qui allaient dans le bon sens, le Gouvernement n'a toujours pas fait le choix d'opter pour un État stratège, capable de soutenir résolument la souveraineté économique de la France. D'autre part, et de façon plus formelle, car le compte reste durablement éloigné de ses objectifs initiaux, puisqu'il est devenu principalement un simple instrument comptable, et non plus le levier qui permet à l'État de piloter stratégiquement son portefeuille. Enfin, car il se cache dans ce compte un tour de « passe-passe » budgétaire qui permet d'afficher un désendettement de l'État alors, qu'en réalité, il n'en est rien.

Avant d'entrer dans le détail, quelques éléments de présentation des grandes masses financières du compte et de valorisation du portefeuille côté de l'État.

La valeur du portefeuille côté de l'État actionnaire atteignait 72 milliards d'euros au 31 août 2022 (je rappelle que l'État ne détient toutefois pas que des entreprises cotées). D'après le Gouvernement, cette valorisation est supérieure de 54 % à ce qu'elle était en mars 2020, au déclenchement de la crise sanitaire, tandis que le CAC40, lui, n'aurait augmenté que de 40 % entre ces deux dates ; ce serait là le signe d'un pilotage particulièrement efficace et avisé du portefeuille. Or le diable se cache dans les détails. En effet, la date du 31 août 2022 permet au Gouvernement de retenir une présentation très avantageuse de la situation, puisque ce faisant elle intègre le surcroît de valorisation dont a bénéficié le portefeuille suite à l'annonce de la nationalisation d'EDF le 4 juillet. Dès le lendemain, l'action EDF a fortement augmenté en bourse, ce qui a mécaniquement fait augmenter la valeur de l'ensemble du portefeuille.

Si on arrête l'analyse juste avant l'annonce de la nationalisation, à fin juin 2022, la réalité est toute autre : le portefeuille sous-performe grandement par rapport au CAC 40. L'APE elle-même, dans son rapport d'activité, fournit un graphique très parlant qui confirme ce constat. En deux mois, la valeur de la participation de l'État dans EDF a augmenté de 9 % ; sans cette annonce de nationalisation, donc, le Gouvernement ne pourrait pas se targuer de sur-performer le marché ...

Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que la guerre en Ukraine a permis une meilleure valorisation en bourse des entreprises du secteur de la défense : c'est donc un épisode conjoncturel, exogène, qui explique la hausse de ces titres, et ce n'est donc pas le résultat d'une stratégie déterminée qui aurait porté ses fruits.

Au-delà de la valorisation, je souhaiterais vous indiquer quelques chiffres clefs de ce compte. Pour 2023, le compte affiche 17 milliards d'euros de recettes et dépenses. Je rappelle, si besoin, qu'il s'agit là de chiffres notionnels, c'est-à-dire qui ne recouvrent pas de réelle réalité, puisque l'État ne peut pas annoncer dans un document public quels sont les achats ou ventes d'actions qu'il entend réaliser l'an prochain... Toujours est-il que les 17 milliards d'euros de recettes proviendraient, selon lui, à 75 % de simples versements du budget général, soit 12 milliards d'euros tout de même ! J'y reviendrai. Concernant les dépenses, 10 milliards d'euros sont prévus pour participer à des augmentations de capital ou dotations en fonds propres, 1,5 milliard d'euros sont prévus pour des achats d'actions, et près de 7 milliards d'euros sont supposés aller au désendettement de l'État. Là encore, j'y reviendrai plus tard.

Sur le fond, il convient de noter que depuis le déclenchement de la crise, l'État actionnaire est exclusivement intervenu en tant qu'État pompier, c'est-à-dire pour sauver des entreprises stratégiques qui étaient en situation de grande fragilité. Ce fut le cas pour la SNCF, pour Air France KLM (deux fois), et pour EDF. L'État n'a quasiment pas réalisé de cession de titres, compte tenu du niveau bas des cours de bourse durant cette période ; il n'a pas pris de participation dans de nouvelles entreprises non plus.

Par ailleurs, il a également souscrit à divers fonds, notamment pour soutenir les sous-traitants d'EDF. Mais dans ce cas, il ne s'agissait pas tant de réagir à l'impact de la crise, que de réparer les choix funestes des deux derniers gouvernements qui ont délaissé le développement de la filière nucléaire ...

J'en viens maintenant aux trois raisons de fonds qui me conduisent à vous proposer de ne pas valider les crédits de ce compte.

Premièrement, la défense de la souveraineté économique française par le Gouvernement est toujours balbutiante. À cet égard, la nationalisation d'EDF ne doit pas nous tromper : elle est l'arbre qui cache une forêt d'atermoiements, de renoncements et d'hésitations ...

Le Gouvernement avait établi une nouvelle doctrine d'intervention en 2017, centrée sur trois types d'entreprises : celles qui contribuent à la souveraineté du pays (comme la défense ou le nucléaire), celles qui participent à des missions de service public, et celles en difficulté dont la disparition entraînerait un risque systémique. Or nous avons toujours dit que cette doctrine était trop floue et ne garantissait pas, en l'état, la sauvegarde de la souveraineté économique française. L'enchaînement de crises depuis 2020 a mis sur le devant de la scène nombre de produits, entreprises ou filières qui sont stratégiques pour notre pays et qui, pour autant, ne rentrent pas dans les catégories que je viens de mentionner. Même l'APE, pourtant bras armé du Gouvernement en la matière, a confirmé notre vision et a concédé que la définition retenue de la souveraineté était trop restrictive.

C'est donc avec satisfaction que, l'an dernier, nous avons accueilli les propos du Commissaire aux participations de l'État, qui témoignaient d'une prise de conscience bienvenue. Il indiquait en effet que désormais, l'État actionnaire devra davantage, je cite, « prendre en compte la souveraineté économique ». Et cette année encore, le ministre de l'économie a déclaré, je cite à nouveau, que les décisions de l'État « sont fondées sur des logiques de souveraineté économique et de consolidation de filières au-delà des seuls enjeux patrimoniaux et de rentabilité, contrairement aux investisseurs privés ». C'est-à-dire exactement ce que nous martelons dans cette commission depuis des années, et plus récemment encore dans le rapport de notre présidente Sophie Primas et de nos collègues Franck Montaugé et Amelle Gacquerre !

Je crains, hélas, qu'il ne faille encore attendre la traduction concrète de ces déclarations... D'une part, le Commissaire aux participations de l'État, lorsqu'il précise que la crise amène l'État à amender sa stratégie d'intervention, ajoute immédiatement que c'est « du moins pour un moment ». Or il n'est pas normal que la défense de la souveraineté économique du pays ne soit envisagée qu'à titre temporaire : elle doit au contraire être un axe transversal, permanent, la boussole principale de l'action du Gouvernement ! Ce n'est pas un effet de mode, mais une nécessité constante. D'autre part, on peine à trouver des exemples de mises en oeuvre de ce soudain regain d'intérêt pour la souveraineté économique. Et pour cause : presque trois ans après le déclenchement de la crise, plus d'un an après les propos que je viens de mentionner, la feuille de route proposée par l'APE au ministre au sujet de la nouvelle doctrine stratégique n'a toujours pas été validée ! Je ne peux que regretter cette situation, qui témoigne à tout le moins d'une priorisation regrettable des sujets ...

Je souhaiterais maintenant dire un mot de la nationalisation d'EDF. Nous n'en savons pas beaucoup plus que ce que nous avons pu lire dans la presse. Le Gouvernement considère, à juste titre, que les investissements à réaliser à l'avenir sont incompatibles avec les attentes financières des actionnaires minoritaires. Mais au-delà de cette justification, les informations utiles sont assez rares, en dépit du montant important de l'opération : près de 10 milliards d'euros. Par ailleurs, la nationalisation ne règle pas toutes les questions. Par exemple, comment régler la dette de près de 60 milliards d'euros d'EDF ? Comment sera financée la relance du nucléaire ? Quid des contentieux relatifs aux concessions hydrauliques, qui ne sont toujours pas terminés ?

La deuxième raison pour laquelle je vous propose de ne pas adopter les crédits réside dans le fait que ce compte s'est durablement éloigné de ses objectifs initiaux. Comme il n'y a plus de cession de titres depuis trois ans, les seules recettes du compte sont des crédits du budget général que le Gouvernement injecte au fur et à mesure de l'année dans ce compte. Or si ce compte d'affectation spéciale a été créé, c'est pour une bonne raison : à savoir, mettre en relation des recettes et des dépenses qui sont de même nature. En l'occurrence, les recettes issues de la vente d'actions, et les dépenses servant à l'achat d'actions. Ce principe n'est absolument plus respecté depuis des années : le compte ne sert plus du tout à piloter la « respiration » du portefeuille de l'État, il est devenu une simple pompe à injection, une courroie de transmission entre le budget général et, bien souvent, les programmes d'investissement d'avenir.

En outre, à force de ne générer aucune ressource propre, le solde du compte s'est dégradé : il est passé de 3,7 milliards d'euros en 2017 à 900 millions en 2022. Pour le dire autrement, cela signifie que si l'État doit intervenir d'urgence dans une entreprise, il ne pourra pas le faire grâce à son travail de gestionnaire de portefeuille ; il devra le faire, encore et encore, en puisant dans le budget général.

Par ailleurs, le constat que notre commission établit depuis des années se renforce encore : le portefeuille est extrêmement concentré autour des seules valeurs de l'énergie et de la défense... Et ce, encore plus maintenant que la valeur d'EDF a augmenté en prévision de la nationalisation ... Ce qui pose un problème majeur : que vendre, en cas de besoin de liquidités pour sauver une entreprise ? Où sont les marges de manoeuvre ? Visiblement, nulle part, puisque le portefeuille repose toujours davantage sur des fleurons qui ne peuvent être vendus.

J'en viens maintenant à la troisième raison du refus, qui concerne le désendettement de l'État. Il est prévu dans ce PLF que parmi les 17 milliards d'euros de dépenses, près de 7 milliards soient consacrés au remboursement de la dette Covid. Car l'un des objectifs du compte est, effectivement, de céder des titres pour participer à la bonne gestion des finances publiques. Or, cette année comme depuis trois ans, il n'y a aucune cession de titres qui n'est prévue... et pourtant sont bien affichés 7 milliards d'euros de désendettement ! Quand on creuse, on se rend compte de l'effet d'affichage : le remboursement de la dette proviendra en réalité ... d'un simple versement du budget général. Le tour de passe-passe est vertigineux : on déshabille l'un pour habiller l'autre. On prend 7 milliards dans le budget, on les met dans le compte qui nous intéresse, et on les verse au désendettement. Autrement dit, il n'y a absolument aucun effort structurel qui est fait pour assainir les finances publiques ; on ne rembourse pas la dette par des économies, mais en continuant de creuser le budget général ! Tout ça pour « afficher » simplement un effort de désendettement, mais qui n'en a que le nom, car cela revient en fait à s'endetter pour se désendetter ...

Et pour finir, une bonne nouvelle : le Fonds pour l'innovation et l'industrie a enfin été supprimé, conformément à ce que nous demandions depuis 2019. Ce fonds, pour mémoire, était censé être alimenté par les sommes issues des cessions d'ADP et de la FDJ, qui étaient ensuite investies dans des bons du Trésor supposés porter intérêt à 2,5 %. Depuis le début, nous avons critiqué le fait que le financement de l'innovation n'était absolument pas pérennisé par un tel fonds et nous avons dénoncé le fait qu'il n'apportait rien par rapport à une dotation budgétaire classique, si ce n'est qu'il permettait au Gouvernement de contourner le Parlement ! Nous avons finalement été entendus, et le fonds sera supprimé d'ici 2023.

Voilà, mes chers collègues, les trois raisons principales pour lesquelles je vous propose que nous rejetions les crédits de ce compte.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Bien entendu, nous sommes d'accord avec la rapporteure : il ne faut pas adopter ces crédits. Je souhaiterais par ailleurs apporter quelques remarques complémentaires.

Premièrement, s'il n'y a pas, ou peu, de recette sur ce compte, c'est en raison des politiques conduites depuis plusieurs années. À force d'avoir privatisé, d'avoir cédé le capital de grandes entreprises, dont on découvre après coup qu'elles étaient stratégiques, nous nous sommes privés de ressources qui pourraient être réinvesties dans des secteurs qui en ont besoin.

Deuxièmement, s'il y a bien un endroit où il ne faut pas chercher les moyens du désendettement, c'est dans le capital des entreprises publiques, qui permet leur investissement industriel. C'est un enjeu contemporain majeur. Les sommes dont nous parlons là représenteraient un sérieux handicap pour le développement de l'industrie.

Troisièmement, je me félicite, moi aussi, de la suppression du Fonds pour l'innovation et l'industrie, qui reposait sur un raisonnement bidon, à savoir que ce serait la vente d'Aéroports de Paris qui permettrait le financement de l'innovation française. Toutefois, l'innovation reste insuffisamment financée, de même que la recherche. Le discours selon lequel il n'y aurait jamais eu autant d'argent pour la recherche en France est erroné, preuve en est le déclin de ce secteur.

Nous avons besoin d'un capital public, stable dans certains secteurs et mobile dans d'autres. À cet égard, j'avais posé une question d'actualité au Gouvernement relative au groupe Exxelia, qui travaille notamment dans le secteur de la défense, et qui a été vendu aux Américains faute d'acteur français souhaitant recapitaliser l'entreprise : c'est précisément un exemple où l'État aurait dû entrer à son capital temporairement, le temps de trouver des acteurs stables permettant son développement.

Nous voterons donc contre les crédits de ce compte, qui est un trompe-l'oeil. Je trouve désolant, du reste, le discours ambiant selon lequel tout irait bien, alors que les échanges extérieurs hors-énergie sont en chute libre et que des entreprises importantes disparaissent. Je n'ai par ailleurs toujours pas compris la stratégie du Gouvernement d'accompagnement des entreprises qui cessent leur activité en raison du prix de l'énergie. Par exemple, dans la verrerie, nous allons au-devant de problèmes immenses. Si une stratégie est mise en oeuvre, il me semble que le citoyen et le Parlement devraient en être correctement informés.

M. Fabien Gay . - Je partage l'analyse qui vient d'être développée. Si nous avons des entreprises publiques, ce n'est pas pour les gérer comme le ferait le secteur privé, car ils ne peuvent avoir exactement la même finalité. Sur certaines questions stratégiques, nous voyons bien qu'il faut une intervention de l'État : nous militons par exemple pour la création d'un pôle public du médicament. La majorité sénatoriale s'y oppose, mais les dysfonctionnements dans ce secteur sont aujourd'hui flagrants. Sanofi n'a pas été en mesure de produire un vaccin dans les temps, les brevets n'ont pas été levés, et désormais des doses sont détruites car nous serions en surcapacité.

De même, la situation dans le secteur énergétique illustre bien le fait que le privé ne peut pas tout organiser. EDF est le grand sujet de l'année prochaine, et je considère que nous ne pouvons pas avoir une telle étatisation du groupe sans débat parlementaire. En rejetant les crédits de ce compte, nous voulons aussi rappeler au Gouvernement la nécessité d'avoir un tel débat sur la stratégie d'EDF. Ce n'est pas possible d'avoir une nationalisation de cette ampleur via un simple amendement au milieu de l'été, sans discussion sur ce que nous voulons faire de cet outil. Nous n'avons encore que peu d'éléments, mais il semblerait que l'étatisation d'EDF serve, in fine , à filialiser et privatiser certaines de ses activités. Le débat doit concerner le Parlement, mais aussi les usagers et les syndicats du groupe.

M. Daniel Gremillet . - Je remercie la rapporteure pour ce travail, et pour son positionnement. Le sujet énergétique est stratégique pour notre pays, et il concerne tant le niveau national que le niveau européen. Nous avons réclamé plusieurs fois un débat sur ce thème, qui lui apporterait un surcroît de légitimité. Il faut continuer à le demander - et à demander un débat plus vaste que le seul sujet d'EDF.

Mme Sophie Primas , présidente . - Le débat que nous avions eu sur l'énergie était en effet frustrant...

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 26 octobre 2022

Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - Agence des participations de l'État : Mme Stéphanie BESNIER , directrice générale adjointe, M. Gustave GAUQUELIN , secrétaire général, Mme Bénédicte METON , secrétaire générale adjointe, et M. Antonin VALLS , chef de cabinet adjoint et pôle communication.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2023.html


* 1 En 2017, par exemple, l'État actionnaire a vendu 100 millions d'actions ENGIE (pour 1,1 Md€) afin de dégager des recettes pour financer des investissements liés à la refondation de la filière nucléaire annoncée en juin 2015.

* 2 Cour des comptes, Note d'analyse de l'exécution budgétaire de 2021, 4 juillet 2022.

* 3 Rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 6 juillet 2022.

* 4 Réponses de l'Agence des participations de l'État au questionnaire budgétaire.

* 5 En audition, l'APE a toutefois estimé qu'entre 2018 et 2021, 809 M€ ont été engagés, et 690M€ décaissés (200M€ pour la deep tech, 100 M€ pour la micro-électronique et 120 M€ pour les Grands Défis).

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