B. LA NATIONALISATION D'EDF EN 2022 : LES PRÉMICES D'UN RETOUR DE L'ÉTAT STRATÈGE ?

1. Un projet utile, qui illustre le revirement tardif du Gouvernement sur le nucléaire

La Première ministre a en effet annoncé, dans son discours de politique générale du 4 juillet 2022, une montée de l'État à 100 % du capital d'EDF, via une offre publique d'achat simplifiée sur les titres de l'entreprise afin de retirer la société de la cote. Plus précisément, il s'agit pour l'État d'acquérir les 16,3 % du capital d'EDF et les 60 % d'obligations à option de conversion et/ou d'échange en actions nouvelles ou existantes (OCEANEs) qu'il ne détient pas. Le prix d'offre soumis le 4 octobre 2022 à l'examen de l'AMF est de 12,0 € par action (soit une prime de 53 % par rapport au cours de clôture de la veille).

La rapporteure prend acte de ce projet, qui est la suite des annonces du Président de la République en février dernier relatives à la construction de six nouveaux réacteurs de nouvelle génération (EPR2) d'ici 2050 (pour une mise en service du premier réacteur vers 2035), et à l'étude de huit réacteurs supplémentaires. Cette annonce tardive illustre toutefois le retard pris en la matière, pour des raisons essentiellement idéologiques. Le Président de la République souhaitait en effet, en 2017, réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d'énergie, en mettant notamment fin à l'activité de 14 réacteurs de 900 MW d'ici 2030 : ce choix, dramatique aux yeux de la commission des affaires économiques, s'est entre autres traduit par la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim en 2020 et par un désinvestissement frappant toute la filière nucléaire (formation, recrutement, etc.). Ce virage à 180 degrés est donc une bonne nouvelle, mais les dommages causés par le long désintérêt de l'exécutif (et du précédent) pour ce secteur hautement stratégique sont considérables.

Le retrait de la cotation permettra, in fine , d'engager l'entreprise dans des projets de long terme « parfois incompatibles avec les attentes de plus court terme d'actionnaires privés, et sans être exposée à la volatilité des marchés financiers 4 ( * ) ». Interrogée à ce sujet, l'APE a indiqué à la rapporteure que les intérêts des investisseurs minoritaires pouvaient diverger de ceux de l'État, comme par exemple en matière de fixation du prix d'électricité. En effet, la contrepartie des lourds investissements réalisés par EDF et financés par les Français devrait, en toute logique, être celle d'un prix attractif de l'électricité, incompatible avec les exigences de rendement des marchés financiers.

2. Un projet à 9 Mds€ qui soulève toutefois nombre d'interrogations, toujours sans réponse à quelques jours de l'opération
a) Quel(s) projet(s) de long-terme pour EDF ?

Premièrement, au-delà de la motivation mentionnée supra , les intentions de l'État restent floues. Selon l'Agence des participations de l'État, « cette évolution permettra à EDF de renforcer sa capacité à mener dans les meilleurs délais des projets ambitieux et indispensables pour notre avenir énergétique », ce qui semble peu précis compte tenu du fait qu'avec 84 % des droits de vote, l'État disposait déjà des leviers d'accélération qu'il semble aujourd'hui appeler de ses voeux.

Il est indiqué par ailleurs que ce projet permettra d'asseoir pleinement le caractère souverain et critique des activités régaliennes de production d'électricité décarbonée. Or, à nouveau, cela semble relever davantage de la symbolique, importante il est vrai puisque les symboles attestaient davantage d'une défiance ces dernières années, que d'un projet de long terme.

b) Quelles solutions aux problèmes déjà identifiés ?

Deuxièmement, cette opération ne règle pas plusieurs questions pourtant importante : la dette d'EDF reste aux environs de 43 Mds€, les indisponibilités du parc nucléaire sont toujours élevées, le financement de la relance du nucléaire n'est toujours pas précisé et le contentieux européen relatif au renouvellement des concessions hydrauliques n'est toujours pas terminé.

Troisièmement, si la nationalisation d'EDF peut s'apparenter aux prémices d'un (timide ?) retour de l'État stratège, à savoir une puissance publique qui soustrait aux aléas des marchés financiers une activité fondamentalement stratégique pour l'indépendance de notre pays, il convient de noter qu'elle est permise, à nouveau, par des crédits issus du budget général, et non pas grâce à une gestion active du portefeuille côté. Le programme n° 367 a en effet été abondé de 12 Mds€ environ dans la LFR1 d'août 2022, afin de financer ce projet. Le montant nécessaire sera transféré sur le CAS PFE, puis débloqué lors de l'achat des actions et obligations.

c) Un financement de l'opération qui valide les mises en garde successives du Sénat quant aux finances de l'État actionnaire

De toute évidence, il aurait été difficile de faire autrement, compte tenu des choix effectués par l'État actionnaire ces dernières années :

• le solde du CAS PFE n'a cessé de se dégrader depuis 2017 (cf. graphique ci-dessous), obérant les marges de manoeuvre de l'APE et obligeant l'État à y injecter des recettes du budget général pour financer ses actions ;

Évolution du solde cumulé du CAS PFE entre 2010 et 2022

(en milliards d'euros)

Source : commission des affaires économiques, à partir des données de l'APE.

• la concentration croissante du portefeuille autour de quelques valeurs stratégiques (défense, nucléaire, aéronautique) ne permet plus d'envisager des cessions de titres, indépendamment même du contexte financier, pour financer des achats d'actions. Ces secteurs représentent en effet plus de 83 % de la valeur du portefeuille (prédominance encore renforcée par l'augmentation du cours de l'action suite à l'annonce de la nationalisation totale d'EDF).

Énergie - Nucléaire

Aéronautique - Défense

d) Un prix d'achat des actions et obligations qui traduit une chute drastique de la valeur d'EDF depuis 2005

L'introduction en bourse d'EDF s'est faite au cours de 32 €. La veille de l'annonce de la nationalisation, l'action cotait 8,5 € environ, soit une baisse de... 73 % en moins de vingt ans. Le rachat par l'État des titres qu'il ne détenait pas a toutefois entraîné une hausse logique du cours, pour le porter aux alentours de 12 €, montant stable depuis l'officialisation du projet.

Source : commission des affaires économiques, à partir des données Boursorama.

Bien que la nationalisation totale d'EDF soit une nouvelle rassurante quant à l'esprit du Gouvernement vis-à-vis du nucléaire, il ne peut être fait abstraction du fait que sa gestion (et, bien entendu, certains évènements extérieurs comme la catastrophe de Fukushima, la raréfaction des matières premières, etc.) a entraîné une diminution sensible de sa valorisation boursière, au détriment notamment des actionnaires minoritaires.


* 4 Réponses de l'Agence des participations de l'État au questionnaire budgétaire.

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