Avis n° 116 (2022-2023) de M. Jean-Pierre MOGA , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 novembre 2022

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N° 116

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances , considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour
2023 ,

TOME V

RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Par M. Jean-Pierre MOGA,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26

Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Réunie le mardi 22 novembre 2022, la commission des affaires économiques a adopté les crédits de la mission « Recherche ». Si la trajectoire budgétaire de la loi de programmation de la recherche (LPR) est respectée, le rapporteur rappelle que cette trajectoire a été fixée en euros courants et non en euros constants, c'est-à-dire sans tenir compte de l'inflation. Dans le contexte actuel de hausse des prix, des coûts de l'énergie et de dégel du point d'indice, l'ambition de la LPR risque d'être revue à la baisse, d'au moins 50 M€ pour 2023 et jusqu'à 400 M€ d'ici 2027 si aucune mesure n'est prise : les hausses budgétaires prévues par la LPR doivent être préservées de ces surcoûts temporaires.

Malgré une tendance à la dispersion des crédits dédiés à la recherche dont le financement « en accordéon » se confirme d'année en année, le rapporteur salue des hausses de crédits favorables dans des secteurs stratégiques, en particulier pour le secteur spatial, indispensable à notre souveraineté économique et industrielle.

Enfin, dans la continuité du rapport d'information « Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France », le rapporteur attire cette année l'attention sur une réforme ambitieuse du crédit d'impôt recherche (CIR) et du crédit d'impôt innovation (CII) afin de renforcer le soutien ciblé aux entreprises innovantes et l'efficience des dépenses.

I. LOI DE PROGRAMMATION DE LA RECHERCHE : ÉVITER UN DÉTOURNEMENT DE SES OBJECTIFS POUR AMORTIR LA HAUSSE DES PRIX ET DES COÛTS DE L'ÉNERGIE

A. POUR LA TROISIÈME ANNÉE, LA TRAJECTOIRE DE LA LOI DE PROGRAMMATION POUR LA RECHERCHE DEVRAIT ÊTRE RESPECTÉE

1. Le projet de loi de finances pour 2023 demeure fidèle à la trajectoire prévue par la loi de programmation de la recherche

Au total, pour 2023, les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » (MIRES) devraient être de 31,2 Md€ en autorisations d'engagement (AE) et de 30,8 Md€ en crédits de paiement (CP), soit une hausse respective de 6,3 % et 5,1 % .

Les mesures découlant de la mise en oeuvre, pour la troisième année, des engagements de la loi de programmation de la recherche (LPR) sont fidèles à la trajectoire prévue et correspondent à une hausse de 400 M€, dont 226 M€ pour le seul programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » auquel sont rattachés de nombreux organismes de recherche.

La trajectoire d'emplois de la MIRES est également en hausse de 650 emplois par rapport à l'an dernier, ce qui se traduit par une hausse de 237 ETPT pour les opérateurs relevant du P172 , dont 109 postes de doctorants et 59 de chaires de professeur junior (CPJ), à laquelle il faut également ajouter une hausse de 90 ETPT pour le CEA financée par le volet microélectronique du plan France 2030. Au total, le plafond d'emplois reste stable car il y a suffisamment de vacance sous plafond pour permettre le recrutement de ces 327 ETPT supplémentaires.

2. Le respect de cette trajectoire se traduit notamment par un renforcement continu de l'Agence nationale pour la recherche

L'Agence nationale pour la recherche (ANR) est l'opérateur qui bénéficie le plus de la LPR . Son renforcement, continu depuis 2021, est d'autant plus important que l'ANR est désormais l'un des principaux opérateurs de la mise en oeuvre du PIA 4 et de France 2030. Ce renforcement se traduit notamment par l'évolution favorable des indicateurs suivants :

- pour 2023, les crédits rattachés au programme 172 devraient s'élever à 163,51 M€ en AE et à 76,45 M€ en CP, soit une hausse respective de 15,4 % et de 8,6 % ;

- les montants financiers supplémentaires alloués aux établissements de recherche ont doublé en deux ans, passant de 101 M€ en 2020 à environ 200 M€ en 2022 ;

- les financements des instituts Carnot sont, à périmètre constant, en hausse, passant de 62 M€ en 2020 à 82 M€ en 2021 et à 92 M€ en 2022 ;

- le taux de succès de l'appel à projets générique (APG) est passé de 17 % en 2020 à 22,7 % en 2021 et à 23,5 % en 2022, ce qui correspond à une hausse d'environ 500 projets supplémentaires financés en deux ans associant 1 500 à 2 000 chercheurs ;

- le taux de préciput, soit l'abondement financier versé par l'ANR aux établissements participant au service public de la recherche, est passé de 19 % en 2019 à 28,5 % en 2022, la cible étant de 40 % d'ici 2027.

Les actions en faveur de la diffusion de la culture scientifique,
technique et industrielle

Poursuivant un objectif de renforcement des interactions entre science, recherche et société, la LPR prévoit que l'ANR dédie 1 % de son budget à la promotion de la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI). En 2021, cela correspondait à une enveloppe de 5,1 M€, un montant qui devrait être en hausse au regard du renforcement prévu des moyens de l'ANR.

Si le rapporteur se félicite des avancées menées par l'ANR sur ces sujets, il souhaiterait qu'au moins 50 % de ce budget soit fléché vers les actions de sensibilisation et de vulgarisation à destination des publics scolaires et des publics universitaires. L'enjeu est de susciter des vocations dès le plus jeune âge car l'économie française a besoin de près de 60 000 nouveaux ingénieurs chaque année alors que seulement 33 000 sont diplômés annuellement en France.

B. L'AMBITION DE CETTE LOI RISQUE TOUTEFOIS D'ÊTRE COMPROMISE PAR L'INFLATION ET LA HAUSSE DES COÛTS DE L'ÉNERGIE

1. L'ambition de la LPR, dont la trajectoire demeure incertaine et non contraignante, risque toutefois d'être revue à la baisse à cause de l'inflation

Dans le contexte actuel de hausse des prix et des coûts de l'énergie, le rapporteur rappelle que la trajectoire budgétaire de la LPR a été fixée en euros courants et non en euros constants , c'est-à-dire sans tenir compte de l'inflation, ce qui avait déjà été fortement critiqué par le Sénat lors de l'examen de la loi en 2020.

Évolutions prévisionnelles des trajectoires budgétaires de la LPR en euros courants
et en euros constants

2023

2024

2025

2026

2027

Trajectoire en € courants

1,25 Md

1,8 Md

2,3 Md

2,8 Md

3,3 Md

Trajectoire en € constants 2022

1,2 Md

1,68 Md

2,1 Md

2,5 Md

2,9 Md

Écart prévisionnel

50 M

120 M

200 M

300 M

400 M

Source : commission des affaires économiques, à partir des données budgétaires.

Dans la perspective de la clause de revoyure de la LPR en 2023, le rapporteur appelle à une réévaluation de la trajectoire budgétaire en euros constants afin de tenir compte de l'inflation, d'atteindre les objectifs initiaux et de respecter l'esprit de la loi telle que votée par le Parlement en 2020.

2. Les hausses budgétaires prévues par la LPR pour les organismes de recherche ne doivent pas être utilisées pour compenser la hausse des prix et des coûts de l'énergie

Le budget des opérateurs de recherche est premièrement impacté par le dégel du point d'indice des fonctionnaires, décidé par le Gouvernement au mois de juillet dernier . Le rapporteur rappelle toutefois que la hausse du point d'indice n'a pas été compensée pour le second semestre de l'année 2022, même si des mesures en gestion sont intervenues. Il estime que cette hausse devrait l'être pour 2023 . Par exemple, selon les informations transmises au rapporteur :

- le CNRS évalue que la hausse du point d'indice des fonctionnaires a entraîné un surcoût de 45 M€ en 2022, financé par prélèvement sur son fonds de roulement, ce surcoût étant évalué à 90 M€ pour 2023 ;

- le CEA estime que les moyens supplémentaires accordés par la LPR seront essentiellement utilisés pour revaloriser les salaires sur l'inflation, pour un surcoût évalué à 55 M€ en 2023 ;

- le CNES estime que la revalorisation des salaires sur l'inflation devrait coûter au moins 10 M€ supplémentaire en 2023.

Le budget des opérateurs de recherche est également impacté par la hausse des prix des consommables et des coûts de l'énergie, ce qui risque d'avoir des conséquences directes sur l'activité des laboratoires : suspension des travaux, renoncement à certains projets de recherche ou encore diminution du nombre de doctorants et de chercheurs par projet pour pallier la hausse des prix. Par exemple, selon les estimations transmises au rapporteur :

- le CEA estime que le surcoût énergétique devrait être de 90 M€ pour 2023 dont un tiers concernant la partie civile et deux tiers la partie militaire de ses activités ;

- l'Inserm évalue ainsi à 10 M€ pour 2023 les surcoûts liés à la hausse des prix de l'énergie ;

- le CNES estime que le surcoût énergétique devrait être de 40 M€ en 2023.

Si le rapporteur salue l'annonce de la mise en place d'un fonds d'intervention dédié à l'énergie à hauteur de 275 M€, il souligne toutefois que l'ensemble des opérateurs de recherche, et non pas seulement relevant exclusivement ou principalement de la tutelle du MESRI, devrait pouvoir bénéficier de cet « amortisseur électricité », au prorata de leurs surcoûts énergétiques, et non de façon forfaitaire .

3. Les réserves de trésorerie des opérateurs ne doivent pas être utilisées de façon disproportionnée pour compenser la hausse des prix

Dans la continuité de ses observations formulées l'année précédente, le rapporteur rappelle que les opérateurs de recherche détiennent un niveau important de trésorerie. Ainsi, selon les dernières données disponibles transmises par l'administration, le montant de trésorerie des organismes de recherche relevant du programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » s'élevait à environ 3,63 Md€ en 2021, représentant en moyenne 114 jours de fonctionnement contre 75 jours en 2020.

Le montant de cette trésorerie est détenu à 80 % par quatre organismes de recherche : le CNRS (1,18 Md€), le CEA (803,8 M€), l'Inserm (524,8 M€) et l'ANR (406,3 M€). Si la plupart de cette trésorerie a vocation à financer des investissements de court ou moyen termes ainsi qu'à respecter des seuils prudentiel, depuis le début de l'année 2022, les organismes de recherche l'utilisent également pour financer le dégel du point d'indice des fonctionnaires, la hausse des prix des consommables et des coûts de l'énergie.

Si les réserves de trésorerie constituent un « amortisseur » temporaire et utile de l'inflation, l'érosion des réserves des opérateurs dans la durée n'est pas souhaitable. Le rapporteur réitère sa volonté de voir les règles prudentielles évoluer afin de « libérer » la trésorerie mobilisable des opérateurs à leur profit et rehausser l'ambition globale des budgets nationaux alloués à la recherche .

II. POLITIQUE SPATIALE : À LA VEILLE DE LA PROCHAINE CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE DE L'AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE, DES CRÉDITS NATIONAUX EN FORTE HAUSSE

A. UNE HAUSSE DE 9 MD€ SUR 3 ANS QUI ACCENTUE LA DISPERSION TOUJOURS PLUS GRANDE DES CRÉDITS DÉDIÉS À LA POLITIQUE SPATIALE

1. Une hausse significative du budget dédié au financement de la politique spatiale

En septembre dernier, lors de l'ouverture du Congrès Astronautique International (IAC), la Première ministre a annoncé une hausse de 9 Md€ pour les trois prochaines années dédiée à la politique spatiale française, sur ses volets civil et militaire.

Pour la période 2023-2025, cela correspond à une hausse de 25 % des dépenses dédiées à la politique spatiale par rapport à la période 2020-2023 . Le tableau ci-dessous précise les incidences budgétaires de cette annonce, qui synthétise un ensemble de mesures budgétaires prises récemment.

Source de financement

Financement sur la période 2023-2025

Programme 193 « Recherche spatiale » - CNES

2 Md €

Programme 193 « Recherche spatiale » - ESA

3,4 Md €

Programme 191 « Recherche duale »

0,4 Md €

Loi de programmation militaire

2,2 Md €

PlA - Plan de relance - France 2030

1 Md €

Total

9 Md €

Source : commission des affaires économiques, à partir des données budgétaires.

2. Une répartition des crédits de plus en plus dispersée qui nuit à la visibilité de long terme de la politique spatiale

Dans le cadre du PLF 2023, la subvention pour charges de service public (SCSP) versée au Centre national d'études spatiales (Cnes) par le programme 193 « Recherche spatiale » s'élève à 641,55 M€, soit une hausse de 170 M€ par rapport à l'année dernière .

Toutefois, la hausse réelle est seulement de 20 M€ car, au cours de l'année 2022, un transfert en gestion de 150 M€ de crédits a eu lieu depuis le programme 146 « Équipement des forces » vers le programme 193 « Recherche spatiale », une mesure qui avait amené le rapporteur à exprimer ses doutes quant à la sincérité du budget dédié à la politique spatiale tel que présenté l'année dernière.

Cette année, en matière de sincérité et de lisibilité budgétaires, le rapporteur se félicite toutefois de la réintégration des crédits dédiés à la recherche duale au sein du programme 191 , alors qu'ils avaient été transférés, en 2021 et en 2022, sur le programme 363 « Compétitivité » de la mission « Plan de relance ».

Le rapporteur souligne que ces différents transferts confirment l'éclatement toujours plus marqué des crédits dédiés à la politique spatiale française, notamment financée par :

- le programme 193 « Recherche spatiale » à hauteur de 1,58 Md€ pour 2023 dont la contribution française à l'Agence spatiale européenne (ESA) ;

- le programme 191 « Recherche duale » à hauteur de 127,7 M€ pour 2023 ;

- le volet spatial du plan de relance à hauteur de 365 M€ dont 165 M€ de contribution additionnelle à l'ESA pour compenser les surcoûts d'Ariane 6 liés à l'inflation et 200 M€ pour « Innovation France » pour 2023-2025 ;

- le volet immobilier du plan de relance à hauteur de 9,9 M€ pour 2023-2025 ;

- France 2030 à hauteur de 1,5 Md€ avec un décaissement prévu sur cinq ans, soit environ 300 M€ par an.

Une telle dispersion nuit à la visibilité de long terme de la politique spatiale et à son contrôle budgétaire, c'est pourquoi le rapporteur réitère son souhait de disposer d'une politique de financement pérenne de la politique spatiale dans son ensemble .

B. LES ENJEUX DE LA CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE DE L'AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE

1. La contribution de la France au prochain budget triennal de l'Agence spatiale européenne demeure incertaine

Lors de la dernière Conférence ministérielle de l'ESA, qui avait eu lieu à Séville en 2019, les États membres avaient souscrit à un budget triennal de 14,4 Md€. Pour le prochain budget triennal, l'ESA espère obtenir des États membres une souscription de plus de 18 Md€ , la Conférence ministérielle (CM 2022) ayant lieu à Paris les 22 et 23 novembre prochain.

Pour 2023, la contribution française est en hausse, en partie pour tenir compte de l'inflation sur le développement d'Ariane 6. Les auditions menées par le rapporteur n'ont pas permis de déterminer le montant exact de la future contribution française au budget de l'ESA, la préparation et les négociations de la CM 2022 étant toujours en cours. La filière spatiale et aérospatiale française souhaiterait une contribution française de l'ordre de 3,6 Md€ sur trois ans. Les auditions ont toutefois mis en évidence le risque que la France ne soit plus le premier souscripteur au budget de l'ESA .

En effet, les récentes annonces budgétaires relatives au financement de la politique spatiale française confirment une volonté de multiplier les canaux d'investissement, en particulier par l'intermédiaire de France 2030 et des PIA, en privilégiant davantage qu'auparavant les investissements nationaux.

En conséquence, le rapporteur appelle, pour maintenir l'influence de la France en matière spatiale et maximiser le « juste retour géographique » pour les entreprises françaises, à augmenter la souscription de la France au budget de l'ESA afin qu'elle en demeure le premier souscripteur dans les années à venir .

2. La France doit avant tout assurer un juste « retour sur investissement » pour soutenir sa base industrielle et technologique en matière spatiale

Au-delà des montants investis par la France, l'enjeu est aussi d'assurer un bon « retour sur investissement » en fonction des priorités politiques, économiques, industrielles, scientifiques et technologiques de la France. Parmi les principaux enjeux identifiés par le rapporteur, figurent notamment :

- la finalisation du développement d'Ariane 6, dont les surcoûts sont déjà estimés à environ 600 M€ , qui devrait être exploitée comme le principal lanceur lourd européen pendant au moins une dizaine d'années ;

- l'exploitation des nouvelles opportunités et des nouveaux besoins grâce à Ariane 6 , en particulier pour la mise en orbite des constellations de connectivité ;

- l'engagement des États membres à soutenir financièrement le projet européen de constellation de connectivité sécurisée , la France prévoyant une contribution financière de 300 M€ par l'intermédiaire du plan France 2030 tandis que la Commission européenne envisage une contribution des États membres de 2,4 Md€ ;

- le développement des technologies réutilisables et moins consommatrices d'énergie pour préparer l'avenir de l'exploration spatiale.

Le rapporteur souligne également que tous les enjeux d'avenir de la politique spatiale européenne ne devraient pas être abordés lors de la CM 2022, en particulier concernant le financement de nouveaux lanceurs lourds et de véhicules spatiaux dédiés aux vols habités.

III. CRÉDIT IMPÔT RECHERCHE : POUR UNE RÉFORME AMBITIEUSE ET À MOYENS CONSTANTS AU SERVICE DE NOS ENTREPRISES

A. UN CRÉDIT D'IMPÔT INDISPENSABLE AU SOUTIEN DE LA R&D DES ENTREPRISES MAIS DONT L'INIQUITÉ EST TOUTEFOIS AVÉRÉE

1. Le CIR est la première dépense fiscale de soutien à l'innovation avec un coût annuel estimé à plus de 7 Md€ pour 2022

Instauré en 1983 et profondément réformé en 2004 puis en 2008, le crédit d'impôt recherche (CIR) est devenu le principal dispositif public de soutien à la recherche et au développement (R&D) des entreprises. En 2021, 21 695 entreprises ont bénéficié du CIR pour plus de 23 Md€ de dépenses éligibles, ce qui représente une créance fiscale de 6,54 Md€ .

Particulièrement apprécié par les entreprises, ce dispositif « monte en puissance » d'année en année, avec une hausse continue du nombre de bénéficiaires, de la dépense fiscale et donc de la créance fiscale associée qui, selon les dernières prévisions disponibles, devrait s'élever à plus de 7 Md€ pour 2022 et pour 2023 .

Première dépense fiscale, le CIR représente désormais plus de 86 % des dépenses fiscales en faveur du soutien à l'innovation contre 16,5 % en 2000 , et plus de deux tiers de l'ensemble des dépenses, fiscales et budgétaires, de soutien à l'innovation.

2. En dépit d'un coût élevé, le CIR devrait être davantage fléché vers les TPE-PME

Selon les dernières évaluations menées par la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (CNEPI), l'efficacité du CIR est limitée dans la mesure où son effet d'entrainement est inversement proportionnel à la taille des entreprises qui en bénéficient.

Source : rapport d'information Transformer l'essai de l'innovation :
un impératif pour réindustrialiser la France.

Alors que les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) constituent 96,7 % des bénéficiaires du CIR, elles ne perçoivent que 32 % de la créance fiscale, dont le versement demeure très concentré. En effet, les 10 % des bénéficiaires les plus importants perçoivent 77 % du montant total du CIR, les 100 bénéficiaires les plus importants en percevant 33 %.

3. Les évolutions récentes et durables de l'environnement fiscal justifient désormais une évolution du CIR

Le rapporteur rappelle qu'il n'y a pas eu de réforme importante du CIR depuis 2008 et que le coût du dispositif doit être apprécié au regard de l'environnement fiscal dans lequel il se situe . Initialement, la générosité du dispositif pouvait s'expliquer par le différentiel de coût de production entre la France et les autres pays de l'Union européenne. Or :

- le taux normal de l'impôt sur les sociétés a diminué pour atteindre 25 % en 2022 alors qu'il était encore de 33,33 % en 2018 ;

- la baisse des impôts de production se poursuit avec l'annonce de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ;

- le CIR demeure le dispositif de soutien à la R&D le plus généreux parmi les 30 pays de l'OCDE ayant mis en place des aides fiscales similaires.

B. UN CRÉDIT D'IMPÔT QUI POURRAIT ÊTRE PLUS ÉQUITABLE ET BÉNÉFICIER DAVANTAGE AUX TPE, PME ET ETI INNOVANTES

1. Supprimer le taux de 5 % au-delà du plafond de 100 M€

Actuellement, le taux applicable du CIR est de 30 % jusqu'à un seuil de 100 M€ de dépenses de R&D, puis de 5 % au-delà. Le rapporteur soutient, à titre individuel, la proposition du rapport d'information visant à supprimer ce taux de 5 % afin de plafonner les dépenses éligibles à 100 M€. Cette réforme poursuit un triple objectif de limitation de l'effet d'aubaine partiel induit par le fonctionnement actuel du CIR, d'amélioration de l'efficacité de la dépense publique et de redistribution .

Selon les dernières estimations disponibles transmises par l'administration :

- en 2020, 21 entreprises ont déclaré plus de 100 M€ de dépenses de R&D, un nombre relativement stable depuis 2010. La suppression du taux de 5 % engendrerait une réduction de la créance du CIR de 64,2 M€ pour ces entreprises ;

- en 2020, 26 intégrations fiscales ont déclaré des dépenses de R&D supérieures au seuil de 100 M€ pour un montant de 3,94 Md€. La suppression du taux de 5 % pour les dépenses supérieures à un seuil de 100 M€ calculé au niveau de l'intégration fiscale et non plus de chaque filiale engendrerait une réduction de la créance du CIR de 197 M€ .

2. Calculer le CIR au niveau du groupe et non de chaque filiale pour les entreprises pratiquant l'intégration fiscale

Actuellement, le régime de l'intégration fiscale, optionnel, permet à chaque filiale du groupe détenue à plus de 95 % de déclarer ses propres dépenses de R&D, de calculer son propre CIR, la société mère cumulant ainsi les crédits d'impôt de ses filiales avec éventuellement celui qu'elle s'est constitué en propre. Selon les dernières estimations disponibles transmises par l'administration :

- le calcul du seuil de 100 M€ au niveau de l'intégration fiscale et non plus de chaque filiale engendrerait une réduction de la créance du CIR de 660 M€ ;

- le cumul des deux réformes, à savoir le calcul du seuil de 100 M€ au niveau de l'intégration fiscale et le plafonnement du montant net des dépenses de R&D à 100 M€, engendrerait une réduction de la créance du CIR d'environ 860 M€ .

3. Augmenter à due concurrence le taux applicable jusqu'à 100 M€ de dépenses afin de compenser l'impact budgétaire de ces deux réformes cumulées

Soucieux de la stabilité fiscale et de proposer une redistribution du CIR à moyens constants, le rapporteur rappelle que cette proposition de réforme est assortie d'une augmentation, à due concurrence, du taux de 30 % jusqu'au seuil de 100 M€, ce qui représenterait une augmentation de ce taux estimée à 33,85 % par l'administration.

C. UN CRÉDIT D'IMPÔT QUI DEVRAIT ÊTRE RÉFORMÉ EN COMPLÉMENT DU CRÉDIT D'IMPÔT INNOVATION

1. Le CII complète utilement le CIR pour financer l'industrialisation des innovations

Instauré en 2013, le crédit d'impôt innovation (CII) est un dispositif de soutien réservé aux PME pour les aider à financer, à un taux normal de 20 %, les dépenses liées à leurs opérations de conception, à l'élaboration de leurs prototypes et à leurs installations pilotes de nouveaux produits, dans la limite de 400 000€ de dépenses.

En 2020, 9 317 entreprises ont bénéficié du CII, pour un montant d'environ 1,5 Md€ de dépenses, représentant une créance fiscale d'environ 300 M€. Tous ces indicateurs sont en constante hausse depuis 2013, témoignant du succès du dispositif.

La nouvelle réforme du crédit d'impôt innovation (CII)

À compter du 1 er janvier 2023, une importante réforme du CII entre en vigueur, visant à accroître l'effort financier à destination des PME innovantes et à mieux cibler le dispositif sur ses objectifs initiaux de financement. Pour cela :

- les dépenses de fonctionnement calculées forfaitairement sont supprimées ;

- le taux du CII applicable en métropole hors Corse est relevé de 20 % à 30 % ;

- le taux de CII applicable en Outre-mer est relevé de 40 % à 60 %.

2. Le CII pourrait mieux faciliter le « passage à l'échelle » des entreprises innovantes

En complément de la réforme du CII décidée par le Gouvernement, le rapporteur soutient, à titre individuel, la proposition de doubler le plafond du CII de 400 000 € à 800 000 € . En effet, le plafond actuel est trop bas pour permettre de soutenir efficacement le financement de gros démonstrateurs industriels, témoignant de l'existence de dispositifs de soutien à l'innovation qui ne sont pas adaptés aux spécificités du secteur industriel, alors même que les PME innovantes sont les plus susceptibles de contribuer à la réindustrialisation de nos territoires.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 novembre 2022, la commission a examiné le rapport pour avis de Jean-Pierre Moga sur la mission « Recherche » du projet de loi de finances pour 2023.

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous commençons nos travaux par l'examen du rapport pour avis présenté par Jean-Pierre Moga sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

M. Jean-Pierre Moga , rapporteur pour avis de la mission « Recherche et enseignement supérieur » . - Nous examinons aujourd'hui les crédits de la mission interministérielle pour la « recherche et l'enseignement supérieur » (Mires), dans le cadre du périmètre suivi par la commission des affaires économiques depuis désormais plusieurs années.

Au total, en 2023, les crédits de la Mires devraient s'élever à 31,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 30,8 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse respective de 6,3 % et 5,1 % par rapport à l'an dernier. Derrière cette hausse globale de crédits, nous pouvons distinguer deux tendances : l'une de long terme, à savoir la mise en oeuvre de la trajectoire pluriannuelle prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR) ; l'autre récente, mais qui pourrait perdurer, le début de la mise en oeuvre des mesures compensatoires liées au dégel du point d'indice des fonctionnaires, à l'inflation, à la hausse des prix des consommables et des coûts de l'énergie.

Concernant la mise en oeuvre de la LPR, la trajectoire prévue par ce projet de loi de finances (PLF) pour 2023 est conforme à la trajectoire budgétaire votée par le Parlement en 2020, avec une hausse prévue de 400 millions d'euros sur l'ensemble de la Mires, dont 226 millions d'euros pour le seul programme 172, qui finance entièrement ou en partie les principaux organismes de recherche de notre pays.

La trajectoire d'emplois prévue par le PLF 2023 est également conforme à la LPR, avec une hausse de 650 emplois prévue dont 237 emplois pour les opérateurs relevant du programme 172. Sur les trois dernières années, cela représente une hausse cumulée de 2 000 emplois.

Comme les années précédentes, les effets de la LPR sont amplifiés par les moyens alloués aux programmes et aux organismes de recherche au travers des programmes d'investissements d'avenir (PIA) et du plan France 2030. Pour vous donner un exemple concret, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) bénéficiera d'une hausse de 90 emplois financée par le volet microélectronique de France 2030, ce qui est une bonne chose.

Si la dispersion des crédits dédiés à la recherche et à l'innovation ne facilite pas le travail de contrôle parlementaire, nous commençons tout de même à constater des effets positifs sur le budget, le recrutement et les activités des organismes de recherche.

Depuis deux ans, j'ai pris l'habitude de vous dire que je n'auditionne que des « dirigeants heureux », je dois reconnaître que, cette année, je les trouve plutôt « heureux, mais soucieux ».

En effet, ce PLF 2023 est marqué par la hausse des prix et des coûts de l'énergie, dont les répercussions sont importantes et sous-estimées.

En 2020, le Sénat avait attiré l'attention du Gouvernement sur le fait que la trajectoire budgétaire prévue par la LPR était calculée en euros courants, et non en euros constants, c'est-à-dire sans prise en compte de l'inflation. À l'époque, il nous avait été répondu que l'inflation était une donnée économique qui appartenait au passé. Force est de constater que la situation que nous vivons depuis plusieurs mois nous donne raison.

Concrètement, si nous comparons les trajectoires budgétaires de la LPR en euros courants et en euros constants pour les années à venir, cela conduit à des écarts prévisionnels à la baisse de 50 millions d'euros pour 2023, 120 millions d'euros pour 2024, 200 millions d'euros pour 2025, 300 millions d'euros pour 2026 et 400 millions d'euros pour 2027 si aucune mesure n'est prise d'ici là.

Les budgets des opérateurs de recherche sont d'ores et déjà impactés par l'inflation, et en particulier par la hausse des coûts de l'énergie. Pour vous donner des exemples, le surcoût énergétique pour 2023 est estimé à 90 millions d'euros pour le CEA et à 40 millions d'euros pour le Centre national d'études spatiales (Cnes). Ces surcoûts ne seront que partiellement compensés par les dégels de crédits autorisés en gestion et par l'annonce de la ministre de la recherche de la mise en place d'un fonds d'intervention à hauteur de 275 millions d'euros dédié à l'énergie. Les modalités de mise en oeuvre de ce fonds, envisagé comme un véritable « amortisseur électricité », demeurent floues, c'est pourquoi je souhaite insister sur deux points.

D'une part, l'ensemble des grands organismes de recherche, et non pas seulement ceux qui relèvent exclusivement ou principalement de la tutelle du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri), doivent pouvoir bénéficier, au moins partiellement, de ce fonds. D'autre part, les versements doivent s'effectuer au prorata des surcoûts énergétiques et non de façon forfaitaire par établissement.

En plus des surcoûts énergétiques, les budgets sont également impactés par le dégel du point d'indice des fonctionnaires décidé en juillet 2022 : si des compensations sont prévues pour 2023, avec, par exemple, une hausse de 121 millions d'euros prévue à cet effet dans le programme 172, ce n'est pas le cas pour le second semestre 2022, obligeant les opérateurs à mobiliser leur fonds de roulement et leurs réserves de trésorerie.

À ce propos, je réitère ma demande d'évolution des normes prudentielles et comptables des opérateurs de recherche afin de « libérer » des moyens supplémentaires en faveur de leurs efforts de recherche et d'innovation.

Je souhaite ici être très clair : les objectifs de la LPR ne doivent pas être détournés pour amortir les surcoûts engendrés par l'inflation et la hausse des coûts de l'énergie. Les hausses budgétaires permises par la LPR doivent avant tout permettre de soutenir nos activités en matière de recherche et de porter notre effort national de recherche à 3 % du PIB alors que nous stagnons depuis plusieurs années à seulement 2,2 % du PIB, accusant un retard certain par rapport à nos voisins européens. Autrement dit, la clause de revoyure de la LPR prévue en 2023 devrait désormais permettre de définir une trajectoire budgétaire en euros constants pour les années à venir.

En parlant d'avenir, permettez-moi d'aborder le budget alloué à la politique spatiale, un sujet particulièrement cher à notre présidente et à notre commission.

Lors de l'ouverture du Congrès international d'astronautique (IAC - International Astronautical Congress ) à Paris en septembre dernier, la Première ministre a annoncé une hausse de 9 milliards d'euros sur trois ans. D'un point de vue budgétaire, cette hausse correspond essentiellement à des crédits d'ores et déjà engagés : 2 milliards d'euros pour le Cnes ; 3,4 milliards d'euros pour l'Agence spatiale européenne ; 400 millions d'euros pour la recherche duale ; 2,2 milliards d'euros pour la loi de programmation militaire (LPM) et 1 milliard d'euros prévu par le plan France 2030, les PIA et le plan de relance. Il s'agit d'une hausse sans précédent du budget alloué à la politique spatiale française, dont nous pouvons nous féliciter, malgré une dispersion des crédits toujours plus importante qui nuit à sa visibilité budgétaire.

En ce moment se tiennent les négociations de la Conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne afin de déterminer le budget pour les trois prochaines années.

L'objectif est d'atteindre plus de 18 milliards d'euros de souscriptions de la part des États membres, tandis que le dernier budget triennal s'élevait à 14,4 milliards d'euros. Le défi est réel. Les auditions menées ne m'ont pas permis de déterminer le niveau futur de la souscription française, mais je comprends que la France ne sera plus le premier souscripteur au budget de l'Agence spatiale européenne.

S'il existe effectivement d'autres canaux d'investissement pour soutenir le secteur spatial, j'ai du mal à comprendre comment nous pouvons conserver notre influence et maximiser le « retour géographique » pour nos entreprises si la France n'est plus le premier souscripteur.

Nous suivrons donc l'issue de ces négociations avec intérêt et vigilance.

Enfin, mes chers collègues, j'aborderai la réforme envisagée du crédit d'impôt recherche (CIR) et du crédit d'impôt innovation (CII).

Je soutiens cette réforme à titre individuel, car elle s'inscrit directement dans la continuité des travaux de la mission d'information sur la recherche et l'innovation en France, présidée par M. Christian Redon-Sarrazy, et rapportée par notre collègue Mme Vanina Paoli-Gagin, dont je salue la présence.

Le rapport d'information, adopté à l'unanimité, propose une réforme ambitieuse. Vous êtes de plus en plus nombreux à la soutenir même si je sais que des réticences et des incertitudes demeurent. Malheureusement, cette réforme n'a pas été adoptée en séance publique samedi dernier : je ne peux que regretter la position attentiste du Gouvernement qui, sous couvert d'une réforme annoncée du CIR l'année prochaine, a refusé tous les amendements visant à réformer le CIR et le CII dont la rédaction est pourtant issue de plusieurs mois de concertation.

Je ne reviendrai pas en détail sur cette réforme, car nous avons déjà eu l'occasion d'en discuter. Je souhaite toutefois vous rappeler les principaux objectifs poursuivis.

Premièrement, elle vise à limiter l'effet d'aubaine partiel induit par le fonctionnement actuel du CIR, dont l'efficacité est inversement proportionnelle à la taille des entreprises qui en bénéficient. Autrement dit, 1 euro de CIR versé aux petites et moyennes entreprises (PME) entraîne un accroissement de 1,4 euro de dépenses de recherche et développement (R&D). Au contraire, 1 euro de CIR versé aux grandes entreprises entraîne un accroissement de seulement 40 centimes de dépenses de R&D.

Deuxièmement, elle a pour objet l'amélioration de l'efficacité de la dépense publique, alors que le CIR constitue la première dépense fiscale de l'État, la créance fiscale étant supérieure à 7 milliards d'euros en 2022 et en 2023. Le CIR ne doit pas être une « réduction d'impôt » pour les grandes entreprises pratiquant l'intégration fiscale, d'autant que les impôts de production et l'impôt sur les sociétés ont fortement diminué, mais doit surtout être une aide fiscale à la R&D des entreprises.

Troisièmement, elle vise la redistribution fiscale, en faveur des très petites entreprises (TPE), des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) innovantes, qui ne bénéficient pas au maximum du fonctionnement actuel du CIR.

Nous avons eu le débat en séance publique, mais je souhaitais tout de même vous rappeler l'importance de la réforme que nous avons proposée cette année et sur laquelle nous allons travailler avec le Gouvernement dans la perspective du PLF 2024.

M. Jean-François Rapin , rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » . - Je m'exprimerai brièvement sur la question qui me concerne, celle de la recherche.

Aller retrouver les crédits chaque année de plus en plus dispersés grâce à des tours de passe-passe et de bonneteau se révèle être un exercice compliqué. Je ne citerai qu'un exemple, le programme 191 « Recherche duale ». Pendant deux ans, ce programme budgétaire a été « vidé » car les crédits avaient été transférés au sein du plan de relance. Cette année, ces crédits sont de nouveau inscrits dans le programme 191, mais à hauteur de 150 millions d'euros, soit un niveau en baisse par rapport à leur niveau antérieur au plan de relance.

Je rejoins entièrement le rapporteur pour avis lorsqu'il parle de dirigeants d'organismes de recherche « heureux, mais soucieux ».

Ils sont heureux, car leur budget augmente et que la trajectoire de la LPR est maintenue telle qu'elle était engagée. De plus, les crédits de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ont bien augmenté. Le Sénat avait souligné que cette agence deviendrait un outil de recherche intéressant le jour où son budget atteindrait 1 milliard d'euros et où le taux de succès des appels à projets s'élèverait à 25 %. Nous y sommes presque, avec 990 millions de CP et un taux de succès des appels à projets de 23,5 % contre 16 % il y a trois ans. Je rappelle que le préciput directement versé aux organismes de recherche a également augmenté pour atteindre près de 25 %. C'est un point important pour nos organismes de recherche puisque c'est un abondement financier complémentaire qu'ils perçoivent directement et qu'ils dédient à leurs activités de recherche. Ces organismes ont des charges de fonctionnement si importantes que seuls 20 % de leur budget sont dévolus à la recherche réelle.

Les opérateurs sont soucieux à cause de l'inflation, un problème que nous avions mis particulièrement en avant au moment de l'examen de la LPR. Le Gouvernement nous avait alors répondu qu'une inflation à 1 % était envisagée sur dix ans, et pas plus. Voyez où nous en sommes aujourd'hui. Une grande partie des crédits permet de maintenir la trajectoire, mais pas d'apporter la plus-value que l'on pouvait imaginer pour rattraper notre retard en matière de R&D.

Le fonds « d'amortissement électricité » de 275 millions d'euros complémentaires devrait pouvoir couvrir partiellement la hausse du coût de l'énergie. Les opérateurs sont toutefois très inquiets ; je pense au CEA, très consommateur d'énergie, dont les coûts énergétiques pourraient augmenter de 60 à 180 millions d'euros environ l'année prochaine, et qui pourrait en conséquence être contraint de fermer certains de ses laboratoires de recherche.

Les plafonds d'emplois ne posent guère de problèmes, ils sont aujourd'hui conformes à la LPR.

Je le dis de façon anticipée, la commission des finances a voté à l'unanimité les crédits de cette mission.

Enfin, sur la politique spatiale, Madame la présidente, j'ai visité à Prague la semaine dernière le centre opérationnel de l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial. Il est fondamental de maintenir le spatial à un haut niveau, et la France doit servir de courroie d'entraînement
- la petite revalorisation du budget du spatial nous y aidera. C'est essentiel pour l'avenir.

Mme Vanina Paoli-Gagin , rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Je remercie le rapporteur pour avis d'insister sur la nécessité de repenser le CIR.

Je consacrerai mon propos aux crédits de la vie étudiante. Nous pouvons observer, de façon générale, une satisfaction des acteurs du secteur face à la hausse de moyens, bien que celle-ci soit entamée par le surcoût énergétique et le renchérissement des matières premières.

Les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) sont les plus exposés. En effet, la demande estudiantine a connu un immense regain avec le repas à 1 euro pour les boursiers et le tarif bonifié de 3,30 euros pour les autres, au moment où le prix des denrées alimentaires et des matières premières atteint des sommets. Les Crous redoutent d'autant plus l'avenir proche que le coût moyen du repas universitaire est légèrement supérieur à 7,50 euros. C'est une vraie problématique.

Au rang des réformes en cours figure celle des bourses. Les acteurs du monde universitaire ont été auditionnés. La commission des finances a insisté sur l'importance de renforcer le continuum du lycée à l'enseignement supérieur. En effet, un lycéen boursier a de fortes chances de rester boursier lors de sa formation supérieure. L'idée serait de créer un dossier unique qui accompagnera le futur étudiant tout au long de sa formation.

Nous avons également réitéré nos remarques au sujet du patrimoine immobilier universitaire formulées dans mon rapport il y a deux ans. Nous réclamons sa rénovation depuis des années. C'était moins prégnant à cette époque, mais tout le monde comprend aujourd'hui la nécessité et l'urgence d'entreprendre ces travaux. Chaque année d'inaction, on perd de l'argent. Le coût de l'inefficacité en matière de transition écologique est astronomique.

Sur le CIR, je rappelle les travaux de la mission d'information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l'erreur française » que nous avons conduits avec Christian Redon-Sarrazy. Le Gouvernement nous a assurés que nous serions auditionnés dans le cadre de la reventilation de ce crédit d'impôt. Nous devons faire en sorte qu'il soit plus efficace.

M. Christian Redon-Sarrazy . - Le rapport de Jean-Pierre Moga souligne un certain nombre d'attentes de nos collègues de la mission d'information précitée, créée à la demande du groupe Les Indépendants - République et Territoires, dont Vanina Paoli-Gagin était rapporteur et que j'ai présidée. Nous avions auditionné nombre d'acteurs du secteur. La question des moyens revenait déjà de manière constante à l'époque, alors que les impacts que nous connaissons actuellement sur les coûts de fonctionnement n'existaient pas. La LPR a apporté un certain nombre de réponses en termes budgétaires, qui étaient jugés globalement et notoirement insuffisantes et à une échéance trop longue. Ce constat n'est qu'aggravé par la situation présente.

L'objectif de la mission était de réunir les conditions d'une réindustrialisation de la France ; la recherche en constitue le préalable incontournable. Chacun s'accorde à demander des moyens ; les chercheurs ont plus l'impression de chercher des crédits que de se concentrer sur leur activité. La récurrence des crédits est importante. Une moindre part aux appels à projets deviendra une réalité dans les années à venir, et cela ne pourra passer que par le renforcement des crédits. Certes, une évaluation est nécessaire au fil de l'eau. Aujourd'hui, le monde de la recherche se noie dans les méandres administratifs pour trouver tel ou tel financement. Les propositions qui ont été faites n'ont pas abouti dans le cadre de ce projet de loi de finances. Nous le regrettons, car c'était un axe fort des recommandations du rapport d'information. Nous espérons qu'elles ne resteront pas lettre morte et que, au contraire, les promesses seront tenues, afin de répondre aux attentes des territoires.

J'ai assisté aux journées de l'Association française des centres de ressources technologiques. Des financements de 30 000 euros pour des projets d'innovation obtiennent leur plébiscite, et je vous rappelle que ces centres sont directement connectés aux PME de notre territoire. Il est temps que le législateur et l'exécutif répondent aux attentes des PME en matière d'innovation. C'est l'une des voies majeures de la réindustrialisation de notre pays et de notre autonomie à venir.

Nous avons auditionné, par exemple, des dirigeants de PME très innovantes dans le domaine spatial. Donnons-leur les moyens de se développer dans nos territoires, et pas seulement dans la région parisienne ou dans les grandes métropoles. Nos laboratoires de recherche et nos universités de province comptent de belles pépites.

M. Daniel Gremillet . - Le CIR est un vrai sujet, qui prend une dimension supplémentaire dans la période que nous sommes en train de vivre. On veut repositionner les productions industrielles au sein de notre pays ou en Europe, mais cela ne se fera pas d'un claquement de doigts. Le CIR ne pose pas problème pour les entreprises de grande taille si l'on verrouille le processus : l'entreprise doit transformer l'essai en France ou en Europe. Il faut que la production industrielle se fasse sur notre territoire si l'entreprise a bénéficié d'investissements au titre du CIR.

Autre sujet majeur, l'envolée du prix des matières premières nous oblige à repenser le modèle industriel. Je songe aussi à l'enjeu énergétique. Si la France veut reconquérir sa place, elle aura besoin de moyens significatifs.

Dernièrement, je me suis rendu à l'Enstib. Ce centre possède de véritables pépites, et il est regrettable de constater qu'il n'a pas les moyens de transformer la recherche en production industrielle. Les chercheurs passent leur temps à tenter de trouver des moyens. Sur ce point, nous devons nous montrer plus offensifs.

Mme Sophie Primas , présidente . - Pour aller dans le sens de Daniel Gremillet, les membres de la commission qui sont partis en Californie l'été dernier ont pu voir à quel point le crédit d'impôt recherche était jalousé. Alors que la France permet aux entreprises de bénéficier du CIR, dès qu'elles passent à la phase d'industrialisation, elles filent dans l'Ouest californien. Le verrouillage du CIR est un sujet extrêmement important.

M. Jean-François Rapin , rapporteur spécial . - Je souhaiterais ajouter un point relatif à la recherche européenne, dans la mesure où vous évoquez la paperasse et la difficulté pour les organismes de recherche à aller chercher des crédits.

Les organismes de recherche se sont approprié cette question. Et ils peuvent le faire aujourd'hui avec l'augmentation du préciput qui leur donne plus de moyens, mais aussi parce qu'ils créent des cellules dédiées à l'élaboration des dossiers de subventions, notamment pour aller chercher des crédits européens.

Antoine Petit, président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), m'a par exemple indiqué qu'ils étaient en train d'élaborer une task force de recherche de crédits, ce qui va dégager du temps aux laboratoires.

S'agissant du CIR, nous avons travaillé sur cette question dans la nuit de samedi à dimanche en séance publique. Vos propos, Madame la présidente, sont empreints de bon sens : la recherche se passe en France, mais la production, avec le transfert de savoirs, se fait ailleurs. D'ailleurs, un amendement intéressant, déposé par le groupe de l'Union centriste, vise à exiger, dès lors qu'une entreprise bénéficie du CIR, que la production reste dans l'Union européenne (UE). Cet amendement est plein de bon sens, mais il n'arrivera à maturité que dans quelques années, quand sera mise en place l'autonomie stratégique et industrielle européenne.

Enfin, nous ne pouvons pas nous priver des productions faites au Royaume-Uni ou dans les pays qui demandent à entrer dans l'UE.

M. Jean-Pierre Moga , rapporteur pour avis . - Pour la recherche, comme ailleurs, nous nous focalisons sur les dépenses d'énergie, alors que tous les consommables et les matériaux augmentent dans les mêmes proportions, voire davantage. Or les grands laboratoires qui construisent des prototypes ont besoin d'énormément de consommables. L'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (Ifpen), par exemple, est en train de monter une tour à Dunkerque pour capter le carbone sur les grandes cheminées. Il ne faut pas oublier que s'ils veulent construire une tour à partir du prototype élaboré à Lyon, cela leur coûtera trois à quatre fois plus cher qu'en 2016 ou 2017.

Concernant le CIR, celui qui est fléché vers une PME reste en France, car elle produit pour son propre développement. En revanche, concernant les grands groupes qui sont implantés partout dans le monde, il est difficile de savoir si l'argent que nous avons investi pour la recherche restera en France.

Notre objectif doit être de faire passer l'effort national de recherche de 2,2 % du PIB à 3 % du PIB : si nous voulons atteindre l'objectif carbone de 2050, il conviendra de mettre les bouchées doubles en matière de recherche et d'innovation ; or sans moyens, nous n'y arriverons pas. Nous devons vraiment travailler pour que la recherche française soit l'une des meilleures recherches européennes et pour atteindre le niveau qui doit être le nôtre.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 2 novembre 2022

- Ministère de l'économie et des finances - Direction générale des entreprises (DGE) : Mme Julie GALLAND , sous-directrice du spatial, de l'électronique et du logiciel.

- Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) : Mme Claire GIRY , directrice générale, et M. Maurice CARABONI , chef du département de la gestion et du pilotage budgétaire des programmes du Service de la performance.

Lundi 7 novembre 2022

- Agence nationale de la recherche (ANR) : M. Thierry DAMERVAL , président-directeur général, et Mme Cécile SCHOU , chargée de mission à la direction générale.

Mardi 8 novembre 2022

- Centre national d'études spatiales (Cnes) : MM. Philippe BAPTISTE , président-directeur général, Pierre TREFOURET , directeur du cabinet du président, et Nicolas HENGY , directeur financier.

- Centre nationale de la recherche scientifique (CNRS) : MM. Antoine PETIT , président-directeur général, et Thomas BOREL , chargé des affaires publiques.

Mercredi 9 novembre 2022

- Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : Mme Marie-Astrid RAVON-BERENGUER , directrice financière et des programmes.

- Banque publique d'investissement - Bpifrance : MM. Paul-François FOURNIER , directeur exécutif Innovation, et Jean-Baptiste MARIN-LAMELLET , responsable des relations institutionnelles..

LISTE DE CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- IFP Énergies nouvelles

- Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2023.html

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