C. L'ASSOUPLISSEMENT DES CONDITIONS DE MISE EN oeUVRE DES DISPOSITIFS D'INTÉRESSEMENT : UN PARTAGE PLUS DURABLE DE LA VALEUR AVEC LES SALARIÉS (ARTICLE 3)

1. La possibilité pour l'employeur de décider unilatéralement et sous certaines conditions la mise en place de l'intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés : la promesse d'un partage plus durable de la valeur

L'intéressement est un dispositif facultatif d'épargne salariale lié aux résultats ou aux performances de l'entreprise. Les sommes reçues au titre de l'intéressement sont automatiquement placées sur un plan d'épargne salariale - plan d'épargne d'entreprise (PEE), plan d'épargne inter-entreprise (PEI), plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO) - sauf si le salarié demande leur versement immédiat ou leur placement sur un compte épargne-temps.

Il est normalement décidé par convention ou accord collectif de travail, par accord entre l'employeur et les représentants d'organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, par accord conclu au sein du comité social économique (CSE) ou bien à la suite de la ratification, à la majorité des deux tiers du personnel, d'un projet d'accord proposé par l'employeur. Cet accord fixe notamment les conditions de versement et les modalités de calcul de la prime d'intéressement. Depuis la promulgation de la loi dite « ASAP » du 7 décembre 2020 42 ( * ) , qui a pérennisé une expérimentation lancée le 1 er janvier 2020 43 ( * ) et prorogée jusqu'au 31 août de la même année par ordonnance en avril 2020 44 ( * ) , les accords d'intéressement, qui auparavant étaient conclus pour trois ans, le sont désormais pour une durée comprise entre un an et trois ans 45 ( * ) .

La loi dite « Pacte » 46 ( * ) avait, auparavant, permis de procéder à de premières simplifications du cadre légal pour faciliter la mise en oeuvre d'accords d'intéressement . Parmi les dispositions votées, peuvent être citées :

- l'obligation des branches de négocier des accords-types d'intéressement avant le 31 décembre 2020, accords susceptibles d'être repris par les entreprises ;

- la sécurisation du bénéfice des exonérations associées aux primes d'intéressement pour toute la durée de l'accord ;

- la facilitation du développement de l'intéressement de projet, qui permet de définir un objectif commun à tout ou partie des salariés de l'entreprise ;

- l'amélioration de l'information des salariés sur les sommes épargnées et les modalités d'investissement de ces sommes.

Le droit en vigueur, issu de l'article 18 de la loi du 17 juin 2020 47 ( * ) , prévoit par ailleurs une possibilité de dérogation au droit commun, qui permet à l'employeur de décider unilatéralement de la mise en place d'un dispositif d'intéressement, mais seulement dans les entreprises de moins de 11 salariés dépourvues de délégué syndical ou de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique. Cette décision unilatérale n'est possible que dans le cas où aucun accord d'intéressement n'est applicable ni n'a été conclu dans l'entreprise depuis au moins cinq ans avant la date d'effet de sa décision. Le dispositif d'intéressement ainsi déterminé ne peut être reconduit dans l'entreprise, au terme de la période de validité, que sous la forme d'un accord , l'objectif étant d'amorcer un mouvement susceptible de conduire, pour la mise en place du dispositif suivant, à des discussions avec les représentants du personnel.

Estimant que ces possibilités sont insuffisantes compte tenu de la faiblesse des structures représentatives du personnel - 31,9 % seulement des entreprises de 10 à 49 salariés avaient un élu syndical en 2019 et 3,2 % d'entre elles disposaient de délégués syndicaux 48 ( * ) - et malgré la possibilité de recours au référendum, le Gouvernement souhaite donc élargir encore les possibilités de dérogation au droit commun.

L'article 3 du présent projet de loi prévoit ainsi de modifier en particulier l'article L. 3312-5 du code du travail afin d' assouplir les conditions de mise en oeuvre d'un dispositif d'intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés et d'autoriser leur adoption par décision unilatérale de l'employeur, lorsque les délégués syndicaux ou les instances représentatives du personnel sont inexistants, ou bien en cas d'échec des négociations 49 ( * ) portant sur la mise en place d'un accord d'intéressement. Par ailleurs, le dispositif d'intéressement décidé unilatéralement pourrait être reconduit par cette même voie , à la différence du régime actuel où la reconduction doit obligatoirement faire l'objet d'un accord. Enfin, un dispositif d'intéressement pourrait durer entre un an et cinq ans, contre un à trois ans actuellement, afin de donner davantage de flexibilité et, si elles en ont besoin, de visibilité aux entreprises.

L'article 3 s'attache également à alléger les modalités de contrôle des accords d'intéressement et de participation, ainsi que des règlements de plans d'épargne d'entreprise qui, dans le régime actuel, font l'objet d'un contrôle de forme donnant lieu à un récépissé délivré par l'autorité administrative compétente (les directions départementales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) et d'un contrôle de fond exercé par les organismes de recouvrement 50 ( * ) . Il est ainsi prévu de supprimer le contrôle de forme exercé par les DDETS, jugé contraignant - voire dissuasif - par de nombreux employeurs , mais de conserver celui pratiqué par les organismes de recouvrement, qui pourront toujours demander le retrait ou la modification des clauses contraires aux dispositions légales.

2. Un dispositif bienvenu

Le rapporteur pour avis souscrit aux orientations déterminées par l'article , qui sont autant de simplifications qui devraient permettre la diffusion des dispositifs d'intéressement dans notre pays. S'il ne s'agit certainement que d'une première étape vers la mise en oeuvre de solutions plus pérennes de partage de la valeur , elle est néanmoins nécessaire.

En effet, si l'on en croit les théories microéconomiques de l'agence, les dispositifs d'intéressement permettraient d' inciter les salariés (les « agents ») qui, en situation d'asymétrie d'information seraient disposés à faire moins d'efforts que ce qui est attendu d'eux par leur employeur (le « principal »), à être plus productifs , puisqu'un élément de leur rémunération dépend de la performance de l'entreprise. Si la réalité est probablement plus complexe, il fait peu de doutes que l'intéressement constitue un élément de motivation supplémentaire susceptible d'entraîner une hausse de la productivité .

Deux bénéfices essentiels pour l'économie française peuvent donc être attendus de la promotion de l'intéressement : une augmentation de la productivité , d'une part, et un partage plus équitable et pérenne de la valeur allant vers plus de justice sociale, d'autre part. Le placement des sommes versées au titre de l'intéressement constitue, par ailleurs, une épargne de long terme susceptible d'être utilisée par les entreprises pour leur financement.

Le rapporteur pour avis souligne par ailleurs la nécessité de réaffirmer que les dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, qui prévoyaient que les sommes versées au titre de l'intéressement n'étaient pas assujetties au forfait social au taux de 20 % si l'entreprise comptait moins de 250 salariés, n'ont pas vocation à évoluer. L'inquiétude des entreprises demeure en effet vive à cet endroit.

3. Un impact budgétaire qui serait faible mais probablement pas neutre, compte tenu des exonérations qui entourent le régime de l'intéressement

Si l'adoption de l'article 3 débouchait sur une réelle diffusion des dispositifs d'intéressement, malgré la mise en oeuvre de la prime de partage de la valeur, il est probable que l'impact d'une telle disposition ne serait pas neutre budgétairement, compte tenu de l'ensemble des exonérations qui entourent le régime de l'intéressement.

En effet, selon le 18 bis de l'article 81 du code général des impôts (CGI), les sommes reçues au titre de l'intéressement et affectées à la réalisation de plans d'épargne salariale sont affranchies de l'impôt dans la limite de trois quarts du plafond annuel moyen de la Sécurité sociale (PASS) 51 ( * ) , soit 30 852 euros en 2022 52 ( * ) . On peut donc estimer que l'augmentation du nombre d'entreprises mettant en place un dispositif d'intéressement, telle qu'elle devrait logiquement découler de l'entrée en vigueur de l'article 3, devrait conduire à l'accroissement des sommes dont l'exonération d'impôt est prévue par l'article 81 du CGI. Il en résulterait un manque à gagner pour les finances publiques.

Toutefois, cet effet serait faible et, en tout cas incertain . Le manque de recul dont l'on dispose pour évaluer l'article 18 de la loi du 17 juin 2020 et le défaut de loquacité de l'étude d'impact pour juger de l'efficacité du dispositif proposé par l'article 3 pour augmenter le nombre des entreprises mettant en oeuvre un dispositif d'intéressement empêchent d'estimer, même à gros traits, cet impact. En tout état de cause, l'article 3 ne devrait avoir qu'un effet marginal sur les montants versés au titre de l'intéressement et donc sur les finances publiques.


* 42 Article 121 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.

* 43 I. B. de l'article 7 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.

* 44 Ordonnance n° 2020-385 du 1 er avril 2020 modifiant la date limite et les conditions de versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat.

* 45 Article L. 3312-5 du code du travail.

* 46 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

* 47 Loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

* 48 Chiffres retenus dans l'étude d'impact annexé au présent projet de loi.

* 49 Lorsqu'elles s'attachent à aboutir sur une convention ou un accord collectif de travail, à un accord entre l'employeur et les représentants d'organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ou sur un accord conclu au sein du CSE.

* 50 Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, caisses générales de sécurité sociale et caisses de mutualité sociale agricole.

* 51 Il faut remarquer que ce montant de trois quarts du PASS est également la limite fixée pour le plafond de la prime d'intéressement.

* 52 Le PASS, qui constitue la base de calcul du montant de nombreuses prestations sociales, est réévalué chaque année au 1 er janvier en fonction de l'évolution des salaires. Il est fixé pour 2022 à 41 136 euros (valeur annuelle).

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