N° 362

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 janvier 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un accès plus juste , plus simple et plus transparent au marché de l' assurance emprunteur ,

Par M. Jean-Baptiste BLANC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4624 , 4699 et T.A. 706

Sénat :

225 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Réunie le mardi 18 janvier 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné l'avis de M. Jean-Baptiste Blanc sur la proposition de loi n° 225 (2021-2022) pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l'assurance emprunteur , déposée à l'Assemblée nationale le 29 octobre 2021 par Mme Patricia Lemoine, M. Olivier Becht et plusieurs de leurs collègues. Cette proposition de loi, sur laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée , a été examinée par la commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale et adoptée en séance publique le 25 novembre 2021 .

La commission des finances a souhaité présenter un avis sur ce texte , qui comporte deux titres, étant donné que l'organisation du marché assurantiel et la distribution de produits d'assurance relèvent de son champ de compétences.

I. LE RENFORCEMENT DU DROIT AU CHANGEMENT D'ASSURANCE EMPRUNTEUR

Dans son titre premier, la proposition de loi :

- instaure un droit de résilier sans frais et à tout moment les contrats d'assurance emprunteur pour des crédits immobiliers (article 1 er ) ;

- précise qu' un éventuel refus de substitution d'assurance doit être motivé avec précision , de manière à permettre à l'emprunteur de compléter son dossier (article 2) ;

- renforce l' obligation d'information de l'emprunteur sur le droit de résiliation dans le contrat de prêt (article 3) ;

- oblige le prêteur à émettre un avenant au contrat de prêt dans les 10 jours en cas de substitution de contrat d'assurance emprunteur (article 4) ;

- prévoit des sanctions administratives notamment en cas de non-respect de l'information sur le droit de résiliation dans la notice pré-contractuelle ou en cas de non-respect des délais (article 5).

Enfin, l'article 6 prévoit que ces dispositions entrent en vigueur un an après la promulgation de la présente loi et que les nouvelles règles s'appliquent aux contrats en cours .

A. LA MISE EN CONCURRENCE DANS LE SECTEUR DE L'ASSURANCE EMPRUNTEUR EST RÉELLE, MAIS NE DOIT PAS REMETTRE EN CAUSE LE PRINCIPE DE MUTUALISATION DES RISQUES

Tout d'abord, la mise en concurrence, accrue ces dernières années grâce aux évolutions législatives récentes, a déjà profité aux emprunteurs, sans pour autant bouleverser le marché de l'assurance emprunteur. Si les assureurs dits « externes » conservent une part de marché encore minoritaire, celle-ci est en forte hausse pour les nouveaux contrats . En outre, la mise en concurrence a favorisé la baisse des coûts sur l'ensemble des catégories de contrats. En effet, les travaux récents du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) 1 ( * ) soulignent que la concurrence a eu pour effet une diminution importante du prix moyen de l'assurance emprunteur depuis 2010 , sans dégradation des garanties. La baisse des tarifs est en moyenne de 33 % sur les garanties « décès + perte totale et irréversible d'autonomie (PTIA) », c'est-à-dire les garanties les plus couramment retenues, sur le périmètre des contrats proposés par des assureurs externes 2 ( * ) . Cette diminution concerne la plupart des profils types.

Dans ce contexte, un droit à la résiliation « à tout moment » risquerait de favoriser un mouvement de démutualisation et une pression commerciale sur les consommateurs , avec des avantages limités en termes de réduction des coûts. En effet, les avantages de la résiliation infra-annuelle, telle que proposée par le texte, seraient en réalité assez limités et bénéficieraient essentiellement à des catégories d'emprunteurs spécifiques, correspondant aux profils les moins risqués. Les gains présentés dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, de l'ordre de 5 000 à 15 000 euros par personne assurée, ne correspondent en fait qu'à certains profils très peu risqués et reposent sur l'hypothèse que le prêt va jusqu'à son terme. Or, en pratique, selon les estimations transmises au rapporteur pour avis, les prêts sont en réalité soldés en moyenne au bout de sept à dix années .

B. L'APPLICATION DU DROIT DE RÉSILIATION DE L'ASSURANCE EMPRUNTEUR DOIT ÊTRE CLARIFIÉE

Le rapporteur pour avis partage le constat selon lequel le droit actuel en matière de résiliation de l'assurance emprunteur n'est pas adapté, dans la mesure où la procédure manque de clarté , notamment en ce qui concerne les délais applicables aux différentes étapes de la résiliation.

Dans cette perspective, l' article 4 de la présente proposition de loi ajoute une précision sur le délai de production de l'avenant, qui serait de dix jours ouvrés au maximum à compter de la réception de la demande de substitution. L'avenant serait donc produit dans le même délai que la décision d'acceptation ou de refus.

La détermination de la date d'échéance utilisée pour la résiliation annuelle fait toujours l'objet d'incertitudes qui ont rendu plus difficile l'application de ce droit instauré par le dispositif dit « amendement Bourquin », adopté en 2017 par le législateur.

Or, le rapporteur pour avis constate que le Parlement a déjà adopté il y a peu de temps des dispositions permettant de clarifier l'application du droit de résiliation. Sur sa proposition, la commission a adopté des amendements COM-35 et COM-36 qui inscrivent dans la loi comme date de résiliation la date anniversaire de la signature de l'offre de prêt ou toute autre date figurant dans le contrat de prêt .

C'est ce qu'avait proposé le Sénat, sur un autre amendement de M. Martial Bourquin 3 ( * ) , lors de l'examen en février 2020 du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP). Ce dispositif a fait l'objet d'un accord entre les deux assemblées réunies en commission mixte paritaire . Il a toutefois été censuré par le Conseil constitutionnel, non pas sur le fond, mais en raison de son absence de lien avec les dispositions du projet de loi. Le rapporteur pour avis s'interroge alors sur la nécessité de modifier l'équilibre de ces dispositions, d'autant plus que ce compromis avait été soutenu par le Gouvernement , qui avait souligné, lors des débats à l'Assemblée nationale en octobre 2020, le risque pour un dispositif de résiliation à tout moment de faire payer plus les personnes vulnérables, tandis que les personnes en bonne santé, jeunes et dotées d'un bon emploi paieraient moins 4 ( * ) . Le rapporteur pour avis s'étonne que le Gouvernement apporte aujourd'hui son soutien au principe de la résiliation à tout moment dont il dénonçait les effets pervers il y a un peu plus d'un an .

II. VERS UNE ÉVOLUTION DU DROIT À L'OUBLI ET DE LA GRILLE DE RÉFÉRENCE DE LA CONVENTION AERAS

Dans son titre II intitulé « Droit à l'oubli et évolution de la grille de référence de la « convention AERAS », la proposition de loi prévoit :

- la tenue d'une négociation entre les signataires de la convention dite « AERAS » (« s'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé »), dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, portant sur la possibilité d'appliquer un délai plus court pour bénéficier du droit à l'oubli en cas de cancer, et d'étendre à d'autres pathologies que les pathologies cancéreuses le droit à l'oubli et la grille de référence AERAS, ainsi que sur la hausse du montant du prêt pouvant être contracté en bénéficiant de la convention « AERAS ». À défaut de l'engagement de ces négociations, un décret en Conseil d'État peut fixer les conditions d'accès à la convention (article 7) ;

- la remise de deux rapports au Parlement, le premier du Gouvernement présentant un dispositif permettant de recueillir, d'analyser et de publier des données scientifiques nécessaires à la tarification du risque (article 8) ; le second du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) sur la mise en oeuvre de la présente loi (article 9).

A. LA CONVENTION AERAS : UN DISPOSITIF ORIGINAL ET NÉCESSAIRE, MAIS QUI ATTEINT SES LIMITES

La convention « AERAS », instituée par la loi du 31 janvier 2007 relative à l'accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé 5 ( * ) , vise à encadrer les conditions tarifaires appliquées aux personnes présentant un risque aggravé de santé et souhaitant souscrire un contrat d'assurance emprunteur. Elle repose sur deux piliers :

- d'une part, le droit à l'oubli qui permet, sous certaines conditions, à l'assuré de ne pas déclarer un cancer dont il est désormais guéri afin de ne pas se voir appliquer de surprime ;

- d'autre part, la grille de référence AERAS qui définit des pathologies pour lesquelles, au-delà d'un certain délai, aucune surprime ni exclusion de garantie ne peut être appliquée, ainsi qu'un plafond de surprime pouvant être appliquée pour les assurés qui ne peuvent pas bénéficier de la tarification standardisée.

Si la convention AERAS fournit des réponses indispensables aux personnes souffrant, ou ayant souffert, de pathologies les exposant à une surprime d'assurance emprunteur, les travaux du rapporteur pour avis ont mis en exergue les limites de ce cadre conventionnel, et notamment le fait que les études scientifiques restent insuffisantes pour paramétrer de façon fine et précise les critères de la grille de référence et l'application du droit à l'oubli. En effet, une connaissance objective des risques dans le temps associés aux différentes pathologies est la clé permettant, d'une part, de proportionner le coût de l'assurance emprunteur au plus juste pour l'assuré et, d'autre part pour les assureurs de maîtriser les risques des portefeuilles de prêts assurés. Dans cette perspective, le rapporteur pour avis partage l'objectif de la demande de rapport inscrite à l'article 8 de la proposition de loi . Par ailleurs, il rappelle que si les auditions ont souligné l'importance du cadre consensuel de la convention AERAS, l'État doit rester un acteur majeur de celle-ci , dans un contexte marqué tant par un rapport de force asymétrique entre les acteurs de la place et les associations d'emprunteurs, que par le caractère quasi-obligatoire de l'assurance emprunteur pour accéder à la propriété .

B. DES DISPOSITIONS INSUFFISAMMENT AMBITIEUSES POUR FACILITER L'ACCÈS À LA PROPRIÉTÉ DES PERSONNES SOUFFRANT DE RISQUES DE SANTÉ AGGRAVÉS

Alors que l'auteure et rapporteure de la proposition de loi partage l'idée que des améliorations de la convention AERAS sont nécessaires, le rapporteur pour avis regrette le manque d'ambition des dispositions du titre II de la présente proposition de loi en matière d'accès à l'assurance emprunteur pour les personnes présentant des risques aggravés de santé .

L'enjeu principal de cette proposition de loi est le suivant : quel équilibre doit-il être défini entre une tarification « sur mesure » de l'assurance emprunteur, encouragée par l'accroissement de la concurrence sur ce marché, et la nécessaire mutualisation des risques et des coûts pour permettre au plus grand nombre d'emprunteurs d'accéder à la propriété ? Au croisement de ces deux visions de l'assurance emprunteur, le rôle du questionnaire médical constitue un outil majeur dans la détermination du coût de l'assurance emprunteur . En théorie, le questionnaire médical permet ainsi à l'assureur d'équilibrer son portefeuille de prêts assurés, et de maîtriser le coût des sinistres . En pratique, le questionnaire médical s'apparente à un « révélateur de risques » très perfectible . D'une part, en l'absence de données scientifiques suffisamment nombreuses, le questionnaire médical peut conduire à appliquer des surprimes sans lien avec le risque sur l'espérance de vie . D'autre part, même si l'essentiel des personnes présentant des risques aggravés de santé se voient proposer une offre assurantielle, celle-ci peut être assortie de surprimes et d'exclusions de garanties telles que son intérêt devient limité pour l'emprunteur, qui voit pourtant le coût de son achat immobilier être considérablement alourdi .

Au-delà des négociations entre les signataires de la convention prévues par l'article 7, le rapporteur pour avis souhaite proposer une solution plus innovante, de nature à remettre la mutualisation des risques, principe cardinal en matière assurantielle, au coeur du fonctionnement de l'assurance emprunteur .

Afin d'offrir des conditions d'indemnisation homogènes à une large palette d'assurés, la commission a adopté , sur la proposition du rapporteur pour avis, un amendement COM-37 qui supprime du questionnaire et des examens médicaux, sous certaines conditions, pour la souscription d'un contrat d'assurance emprunteur visant à garantir un prêt immobilier .

Certes, la suppression du questionnaire médical prive l'assureur d'un outil de connaissance du risque pour les assureurs. Toutefois, il est proposé d'introduire deux conditions cumulatives pour contenir l'exposition des assureurs aux risques, à savoir :

- le plafonnement à 200 000 euros du montant du prêt pouvant être assuré sans questionnaire médical, ce seuil étant défini par référence au montant moyen d'un crédit immobilier pour l'habitat en 2021 ;

- l'échéance de remboursement du prêt doit intervenir avant le soixante-cinquième anniversaire de l'assuré, ce qui correspond à l'âge approximatif de la fin de la vie active . Compte tenu de la maturité initiale des prêts, cette limite d'âge permet a priori de cibler une population encore relativement jeune, présentant un risque aggravé de santé moindre.


* 1 Comité consultatif du secteur financier, Bilan de l'assurance emprunteur , 11 novembre 2020.

* 2 Les contrats alternatifs proposés par les établissements bancaires étant en concurrence directe avec ceux proposés par des tiers, il est probable qu'ils ont connu une évolution similaire.

* 3 Amendement n° COM-58 , présenté par M. Martial Bourquin et les membres du groupe socialiste et républicain, modifié par le sous-amendement n° COM-159 de Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure au nom de la commission spéciale chargée de l'examen du texte. Cet amendement est distinct de l'« amendement Bourquin » qui a instauré en 2017 le droit de résiliation annuel.

* 4 Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'industrie, intervention lors de la discussion du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique devant l'Assemblée nationale , 2 octobre 2020.

* 5 Loi n° 2007-131 du 31 janvier 2007 relative à l'accès au crédit des personnes présentant u risque aggravé de santé.

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