Avis n° 310 (2021-2022) de Mme Jacqueline EUSTACHE-BRINIO , fait au nom de la commission des lois, déposé le 5 janvier 2022

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N° 310

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 janvier 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à combattre le harcèlement scolaire ,

Par Mme Jacqueline EUSTACHE-BRINIO,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4658 , 4712 et T.A. 720

Sénat :

254 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 5 janvier 2022, la commission des lois a adopté l'avis de Jacqueline Eustache-Brinio (Les Républicains - Val d'Oise) sur les dispositions pénales de la proposition de loi n° 254 (2021-2022) visant à combattre le harcèlement scolaire.

I. UN ENGAGEMENT NÉCESSAIRE MAIS UN TEXTE FAIBLEMENT NORMATIF

A. UNE PROPOSITION DE LOI MODIFIANT LE CODE DE L'ÉDUCATION MAIS AUSSI LE DROIT PÉNAL

La proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire compte 12 articles répartis en trois titres. Le premier, relatif à la prévention des faits de harcèlement scolaire et à la prise en charge des victimes, modifie à cette fin le code de l'éducation. Son examen relève de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, saisie au fond de ce texte. Le Titre II (articles 4 à 7 de la proposition de loi) tend à l'« amélioration du traitement judiciaire des faits de harcèlement scolaire et universitaire ». Il modifie le code pénal, le code de procédure pénale et le code de la justice pénale des mineurs. Son examen a été délégué au fond à la commission des lois qui s'est saisie pour avis. Le Titre III comportait un gage, levé par le Gouvernement en séance publique à l'Assemblée nationale.

Le caractère faiblement normatif des mesures soumises à l'examen du Sénat reflète la difficulté à traiter du sujet du harcèlement scolaire par la loi , alors qu'il relève, d'une part des projets d'établissements et des protocoles élaborés par l'Éducation nationale au plus près du terrain, d'autre part de la régulation des réseaux sociaux dont la complexité appelle une réponse de niveau européen.

La mission d'information du Sénat sur le harcèlement scolaire et cyberharcèlement 1 ( * ) , présidée par Sabine Van Heghe et dont le rapporteur était Colette Mélot avait formulé ce constat en septembre dernier tout en soulignant la nécessité d'une prise de conscience et d'une mobilisation de tous les acteurs . L'ampleur du phénomène appelle effectivement une action rapide, déterminée et efficace. Comme l'a souligné la mission sénatoriale, « 6 à 10 % des élèves subiraient une forme de harcèlement au cours de leur scolarité, un quart des collégiens serait confronté à du cyberharcèlement. Au total, chaque année entre 800 000 et 1 000 000 d'enfants seraient victimes de harcèlement scolaire ».

B. LE RISQUE LIÉ À LA CRÉATION D'UN DÉLIT SPÉCIFIQUE COMPORTANT DES SANCTIONS ÉLEVÉES MAIS N'AYANT PAS VOCATION À S'APPLIQUER

La volonté de marquer par la loi un engagement contre le harcèlement scolaire conduit les auteurs de la proposition de loi à proposer des dispositions soit de nature réglementaire, soit « expressives », redondantes avec les infractions existantes sur la qualification des faits mais cherchant à s'en distinguer par un quantum de peine supérieur . L'article 4 de la proposition de loi propose ainsi de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire puni de 4 à 10 ans d'emprisonnement et de 45 000 à 150 000 euros d'amende . Ce délit vise les faits de harcèlement tels qu'ils sont déjà visés par l'article 222-33-2-2 du code pénal, mais uniquement lorsque le ou les auteurs (élèves ou membres du personnel) et la victime étaient présents à l'origine au sein d'un même établissement d'enseignement .

Le rapport de la mission d'information sénatoriale avait souligné le risque lié à cette approche en affirmant : « notre mission ne préconise pas de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire. Au-delà de réaffirmer un interdit social - ce que nous ferons d'autres façons -, cette solution risque de n'être qu'un « tigre de papier » et n'aura pas ou très peu d'effet. Elle risquerait même de créer un sentiment de « bonne conscience » et de nuire à la nécessaire mobilisation générale. »

II. ASSURER LA COHÉRENCE DE LA RÉPONSE PÉNALE AUX SITUATIONS DE HARCÈLEMENT DANS LA PROLONGEMENT DES TRAVAUX DÉJÀ CONDUITS PAR LE SÉNAT

A. INTÉGRER LA SANCTION DU HARCÈLEMENT DANS LES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT AU DÉLIT GÉNÉRAL DE HARCÈLEMENT POUR TRAITER DE MANIÈRE COHÉRENTE TOUTES LES SITUATIONS IMPLIQUANT DES MINEURS

Dans le prolongement des travaux de la mission d'information du Sénat, la commission des lois a souhaité conserver la cohérence des infractions pénales tout en permettant qu'une caractérisation spécifique puisse apparaître dans le code afin de faciliter le dépôt de plainte et la conduite de la politique pénale contre le harcèlement scolaire. Elle a donc adopté, à l'initiative du rapporteur, une nouvelle rédaction de l'article 4 du projet de loi réintégrant le harcèlement scolaire tel qu'il est caractérisé par la proposition de loi au sein du délit général de harcèlement dont il constitue un cas particulier.

Cette réintégration répond à trois objectifs :

- tout d'abord, assurer la cohérence des dispositions pénales applicables au harcèlement et éviter la multiplication des infractions visant à réprimer les mêmes comportements , ceci d'autant plus que l'article 222-33-2-2 du code pénal a déjà été créé par la loi du 4 août 2014 afin de prendre en compte le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ;

- assurer la cohérence des peines applicables pour des faits similaires et éviter ainsi tout risque de rupture d'égalité. À cette fin, les faits de harcèlement scolaire au sens de la proposition de loi seront punis de peines allant jusqu'à 45 000 euros d'amende et trois ans de prison, comme les autres circonstances aggravantes du harcèlement ;

- recentrer la caractérisation du harcèlement scolaire sur les faits impliquant les élèves. Les faits relevant du personnel des établissements d'enseignement doivent être réprimés lorsqu'ils sont constitutifs d'un harcèlement mais ne peuvent être appréhendés de la même manière .

B. ASSURER LA NORMATIVITÉ ET L'EFFICACITÉ DES DISPOSITIONS EN MATIÈRE PÉNALE

Sur l'article 4 bis prévoyant la possibilité de saisie et de confiscation de téléphones portables et des ordinateurs qui auront été utilisés par des personnes pour harceler un élève en utilisant les réseaux sociaux, conformément au droit existant, la commission a souhaité, à l'initiative de la rapporteure, tirer les conséquences de deux décisions du Conseil constitutionnel en matière de confiscation des biens ayant servi à commettre un harcèlement et de réquisition des données de connexion. L'absence de disposition en la matière serait en effet de nature à gravement entraver la conduite des enquêtes.

L'article 5 , qui modifie le code de procédure pénale pour favoriser l'enregistrement de l'audition du mineur victime de harcèlement dans le cadre d'une procédure pénale, déjà recommandé mais non explicitement prévu par la loi, a fait l'objet d'une coordination.

L'article 6 modifie le code de la justice pénale des mineurs pour préciser que les stages ordonnés par le juge dans le cadre de la mise à l'épreuve éducative peuvent comporter un volet spécifique de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire. Il relève du domaine réglementaire et la commission propose donc de le supprimer.

Enfin l' article 7 renforce les obligations pesant sur les fournisseurs d'accès internet et les hébergeurs en matière de traitement des cas et de signalement aux autorités des faits de harcèlement scolaire. Par coordination avec la réécriture de l'article 4, la commission propose également de le supprimer.

*

* *

La commission des lois propose à la commission saisie au fond d'adopter les articles ainsi modifiés.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 4
Délit de harcèlement scolaire et universitaire

Cet article tend à créer un délit spécifique de harcèlement lié à la présence initiale du ou des auteurs des actes et de l'élève victime au sein d'un même établissement d'enseignement.

1. Le dispositif de la proposition de loi initiale

Il existe à l'heure actuelle quatre infractions relatives au harcèlement dans le code pénal :

- le harcèlement sexuel (article 222-33) ;

- le harcèlement moral (article 222-33-2) ;

- le harcèlement moral au sein du couple (article 222-33-2-1) ;

- le délit général de harcèlement (article 222-33-2-2).

Leur rédaction est, pour l'essentiel, issue de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes qui a, d'une part, harmonisé les éléments constitutifs des délits de harcèlement moral au travail et de harcèlement psychologique au sein du couple avec la définition du délit de harcèlement sexuel, et d'autre part, créé le délit général de harcèlement, susceptible d'être aggravé notamment en cas d'utilisation d'un moyen de communication au public en ligne ou lorsque la victime est particulièrement vulnérable ou mineure de quinze ans. Les peines prévues par l'article 222-33-2-2 sont majorées (trois ans de prison et 45 000 euros d'amende) lorsqu'aux moins deux circonstances aggravantes sont réunies.

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a complété ces articles pour permettre de qualifier de harcèlement les actes dirigés par plusieurs personnes contre une seule victime, même si chacune n'a agi qu'une fois.

Comme le soulignent tant les rapports de notre ancienne collègue Virginie Klès que ceux du député Sébastien Denaja, l'objectif de l'article 222-33-2-2 est de lutter contre le cyberharcèlement, particulièrement en milieu scolaire.

Les auteurs de la proposition de loi ont cependant considéré que l'absence de délit spécifique était de nature à rendre plus difficile le dépôt de plainte et le traitement judiciaire des infractions liées au milieu scolaire ainsi que le suivi du phénomène.

Surtout trois critiques sont adressées à l'article 222-33-2-2 :

- la distinction des peines selon l'âge de la victime créerait un effet de seuil difficilement compréhensible dans le milieu scolaire autour de l'âge de quinze ans ;

- le harcèlement serait davantage sanctionné lorsqu'il a lieu en ligne que lorsqu'il se déroule au sein d'un établissement, ce qui paraît incohérent avec l'objectif de lutte contre le harcèlement scolaire ;

- le quantum de peine proposé serait trop faible au regard de celui prévu pour le harcèlement au travail ou au sein du couple alors que la situation de huis clos serait similaire.

L'article 4 de la proposition de loi propose de sanctionner spécifiquement le harcèlement scolaire, caractérisé par renvoi à l'article 222-33-2-2 et dont il constitue donc un cas particulier. Un élément constitutif supplémentaire est prévu. Les faits doivent avoir commencé alors que le ou les auteurs et l'élève victime étudiaient ou exerçaient une activité professionnelle au sein du même établissement d'enseignement. La victime est donc nécessairement élève, tandis que les auteurs peuvent être élèves ou tout autre intervenant en milieu scolaire (professeurs, administratifs, intervenants extérieurs, etc .).

Le quantum de peine est pour sa part supérieur à celui prévu par l'article 222-33-2-2 et aligné sur celui prévu pour l'infraction de harcèlement conjugal. Il varie en fonction du préjudice subi par la victime. Il est de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, ce qui est la peine maximale prévue par l'article 222-33-2-2, si le harcèlement a causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours, ou lorsqu'il n'a entraîné aucune incapacité totale de travail ; de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque les faits ont causé une incapacité totale de travail de plus de huit jours ; de dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende quand ces faits ont amené la victime à mettre fin à ses jours ou à tenter d'y mettre fin.

Par ailleurs, le droit pénal ne distinguant pas les établissements selon qu'il s'agit d'établissements scolaires (écoles, collège, lycée) ou autres, ce sont tous les établissements d'enseignement, quel que soit leur niveau, qui sont concernés.

Tous les faits de harcèlement, physique ou en ligne, sont également punis, et aucune circonstance aggravante n'est prévue.

2. La position de la commission des lois

La commission des lois partage l'analyse faite par l'Assemblée nationale sur la nécessité de sanctionner spécifiquement les faits de harcèlement au sein des établissements d'enseignement. Cependant, fonder la possibilité de sanctions lourdes sur la seule présence commune de l'auteur et de la victime au sein d'un même établissement d'enseignement paraît trop restrictif par rapport à la réalité des faits de harcèlement susceptibles de toucher élèves et étudiants. Ainsi, les cas de harcèlement impliquant des élèves d'établissements différents mais réunis géographiquement ou survenant à l'occasion d'un ramassage scolaire seraient moins sévèrement sanctionnés, sans que la victime puisse davantage se soustraire à la présence physique du ou des auteurs que s'ils se trouvaient dans la même structure juridique.

Le quantum de peine proposé paraît par ailleurs trop élevé par rapport à l'objectif affiché de la proposition de loi, qui est de prévenir le harcèlement scolaire et non de sanctionner par de lourdes peines de prison les mineurs qui peuvent s'en rendre coupables. L'effet dissuasif d'une échelle de sanction lourde est par ailleurs contestable et ne peut se substituer à la nécessité d'une action pédagogique résolue au niveau de chaque établissement.

Enfin, il a paru à la commission nécessaire de distinguer ce qui relève du harcèlement entre élèves et les faits impliquant des adultes, personnels des établissements d'enseignement. Ces faits doivent être sanctionnés mais ne peuvent être appréhendés de la même manière.

La commission a donc adopté l' amendement COM-4 présenté par le rapporteur, tendant à prévoir que le harcèlement entre élèves d'un même établissement constitue une nouvelle circonstance aggravante du harcèlement moral tel que défini à l'article 222-33-2-2 du code pénal. Seront ainsi sanctionnés par un quantum de peine identique tous les cas de harcèlement impliquant des élèves, avec un niveau de peines renforcé lorsque la victime a moins de quinze ans ou est particulièrement vulnérable, ou encore lorsque le harcèlement est à la fois physique et en ligne.

La commission propose à la commission saisie au fond d'adopter l'article ainsi modifié.

Article 4 bis
Saisie des instruments ayant permis l'accès à un service de communication au public en ligne dans le cadre d'un harcèlement scolaire

Cet article tend à faciliter la saisie et la confiscation de téléphones portables, tablettes et ordinateurs qui auront été utilisés par des personnes pour harceler un élève en utilisant les réseaux sociaux.

1. Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale

Cet article est issu d'un amendement adopté en séance publique à l'Assemblée nationale à l'initiative de Zivka Park et de plusieurs de ses collègues. Il tend à compléter l'article 131-21 du code pénal relatif à la peine de confiscation, afin de rendre plus efficace la répression du délit de harcèlement scolaire en précisant que si une infraction a été commise en utilisant un service de communication au public en ligne, l'instrument utilisé accéder à ce service sera considéré comme un bien meuble ayant servi à commettre l'infraction et pourra être confisqué, et qu'il pourra être saisi au cours de l'enquête ou de l'instruction conformément aux dispositions du code de procédure pénale. Ces dispositions permettent ainsi la saisie et la confiscation des téléphones portables et des ordinateurs qui auront été utilisés par des personnes pour harceler un élève en utilisant les réseaux sociaux.

Cette possibilité, comme le note les auteurs de l'amendement, découle déjà de l'article 222-44 du code pénal dont le 7° prévoit « la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ».

2. La position de la commission

Aux yeux du rapporteur, l'impact de cet article et sa portée normative semblent relativement limités au rapporteur. Toutefois, dans une décision n° 2021-949/950 QPC du 24 novembre 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution six alinéas de l'article 131-21 du code pénal au motif que cet article ne prévoit pas que l'époux non condamné doit être mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation devant la juridiction de jugement qui envisage de la prononcer lorsque celle-ci porte sur un bien commun. Cette décision, dont les effets sont différés au 31 décembre 2022, aura pour conséquence, si l'article 131-21 n'est pas modifié afin d'en tirer les conséquences, de supprimer la peine de confiscation à compter de cette date. Il a donc paru opportun à la commission, en adoptant l' amendement COM-2 du rapporteur, de réécrire l'article 4 bis afin de procéder aux modifications exigées par cette décision QPC, en prévoyant notamment que toute personne ayant un droit de propriété sur un bien susceptible de confiscation, et pas uniquement un tiers (ce qui peut être compris comme excluant le conjoint de la personne poursuivie), doit pouvoir s'expliquer devant la juridiction.

Par ailleurs, dans sa décision n° 2021-952 QPC du 3 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions du code de procédure pénale relatives aux réquisitions, au motif qu'elles permettent de requérir des données de connexion sans prévoir de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et la recherche des auteurs d'infractions, et il a également différé les effets de sa décision, au 31 décembre 2022.

Ces réquisitions sont cependant indispensables pour identifier les auteurs de harcèlement scolaire commis par le biais de réseaux sociaux, ce qui est fréquemment le cas. Dès lors, afin d'éviter l'impunité de ces personnes, il a paru à la commission nécessaire de compléter le code de procédure pénale pour prévoir, en matière de réquisition de données de connexion, des garanties répondant aux exigences constitutionnelles. L' amendement COM-5 du rapporteur prévoit ainsi que ces réquisitions ne seront possibles que pour les crimes ou les délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement, et si les nécessités de la procédure l'exigent (ces conditions étant notamment similaires à celles prévues par l'article 100 du CPP pour les écoutes téléphoniques).

La commission propose à la commission saisie au fond d'adopter l'article ainsi modifié.

Article 5
Enregistrement de l'audition du mineur victime de harcèlement
dans le cadre d'une procédure pénale

Cet article tend à favoriser l'enregistrement de l'audition des mineurs victimes de harcèlement en inscrivant explicitement cette possibilité dans le code de procédure pénale.

1. Le dispositif de la proposition de loi initiale

L'article 706-52 du code de procédure pénale prévoit que l'audition d'une victime mineure, au cours de l'enquête policière et de l'information judiciaire, fait obligatoirement l'objet d'un enregistrement audiovisuel pour un certain nombre d'infractions d'une particulière gravité, afin d'éviter à la victime la multiplication des témoignages. Ne figurent pas parmi les cas d'enregistrement obligatoire les situations de harcèlement dont un mineur serait victime. La Chancellerie encourage cependant cette pratique.

Afin de la conforter, le présent article complète l'article 706-52 pour inclure dans le champ des enregistrements obligatoires les cas de harcèlement et de harcèlement scolaire lorsque la victime est mineure.

2. La position de la commission

Si le rapporteur s'interroge sur le caractère véritablement incitatif de cette mesure, il n'en demeure pas moins que la pratique de l'enregistrement doit être encouragée. En conséquence, la commission a jugé utile le maintien de ce dispositif et adopté l' amendement COM-6 de coordination proposé par le rapporteur.

La commission propose à la commission saisie au fond d'adopter l'article ainsi modifié.

Article 6
Stage de responsabilisation à la vie scolaire

Cet article tend à ouvrir la possibilité que les stages prononcés dans le cadre des mesures éducatives judiciaires comportent des modules relatifs au harcèlement scolaire.

1. Le dispositif de la proposition de loi initiale

Cette disposition tend à compléter le code de la justice pénale des mineurs pour prévoir que les stages prononcés par le procureur comme alternative au jugement ou par la juridiction de fond comme complément ou alternative aux poursuites puissent comporter un volet spécifique de sensibilisation au risque liés au harcèlement scolaire.

2. La position de la commission

Cet article relevant du domaine réglementaire, la commission a adopté l' amendement COM-7 du rapporteur supprimant cet article.

La commission propose à la commission saisie au fond de supprimer cet article.

Article 7
Lutte contre le harcèlement scolaire par les prestataires de services de communication au public en ligne

Cet article tend à obliger les fournisseurs d'accès à internet et les hébergeurs à mettre en place un dispositif de signalement accessible à toute personne et à informer promptement les autorités compétentes des faits qui leur sont signalés. Les opérateurs de plateforme les plus importants seront en outre astreints à des obligations renforcées.

1. Le dispositif de la proposition de loi initiale

Cet article tend à aligner les obligations pesant sur les fournisseurs d'accès internet et les hébergeurs en matière de harcèlement scolaire et universitaire sur celles existant en matière de harcèlement sexuel, de pédopornographie et d'apologie du terrorisme. Ces obligations consistent essentiellement dans l'obligation de mettre en place un dispositif de signalement accessible à toute personne et d'informer promptement les autorités compétentes des faits qui leur sont signalés.

2. La position de la commission

La lutte contre le cyberharcèlement appelle nécessairement une plus grande implication des plateformes d'accès. Le présent article tend à renforcer les obligations en la matière par l'intermédiaire des fournisseurs d'accès. Toute réponse en ce domaine reste cependant nécessairement partielle en l'absence de normes européennes qui sont actuellement en cours d'élaboration.

Par coordination avec la réécriture de l'article 4, qui réintègre le harcèlement au sein des établissements d'enseignement à l'infraction générale de harcèlement, mais aussi dans l'attente d'une disposition d'ensemble cohérente sur les obligations des plateformes internet, la commission a adopté l'amendement COM-8 du rapporteur supprimant cet article.

La commission propose à la commission saisie au fond d'adopter de supprimer cet article.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 05 JANVIER 2022

- Présidence de Mme Catherine Di Folco, vice-président -

Mme Catherine Di Folco , présidente . - Nous allons examiner le rapport pour avis de Mme Jacqueline Eustache-Brinio sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à combattre le harcèlement scolaire.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio , rapporteure pour avis . - Madame la présidente, mes chers collègues, notre commission s'est saisie pour avis de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire, examinée au fond par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

La proposition de loi compte 12 articles, répartis en trois titres.

Le titre I, relatif à la prévention des faits de harcèlement scolaire et à la prise en charge des victimes, modifie à cette fin le code de l'éducation. Son examen relève de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

Le titre II tend à l'« amélioration du traitement judiciaire des faits de harcèlement scolaire et universitaire ». Il modifie le code pénal, le code de procédure pénale et le code de la justice pénale des mineurs. C'est ce titre dont l'examen a été délégué au fond à notre commission.

Le titre III comportait un gage, levé par le Gouvernement en séance publique à l'Assemblée nationale.

Le caractère faiblement normatif des mesures soumises à l'examen du Sénat reflète la difficulté à traiter du harcèlement scolaire par la loi, alors qu'il relève, d'une part, des projets d'établissement et des protocoles élaborés par l'éducation nationale au plus près du terrain, et d'autre part, de la régulation des réseaux sociaux, dont la complexité appelle une réponse de niveau européen.

La mission d'information du Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, que présidait notre collègue Sabine Van Heghe et dont la rapporteure était Colette Mélot, a formulé ce constat dans son rapport publié en septembre dernier, tout en soulignant la nécessité d'une prise de conscience et d'une mobilisation de tous les acteurs. L'ampleur du phénomène appelle effectivement une action rapide, déterminée et efficace, mais qui ne soit pas nécessairement de nature législative.

La volonté de marquer par la loi un engagement contre le harcèlement scolaire conduit les auteurs de la proposition de loi à proposer des dispositions qui sont soit de nature réglementaire, soit « expressives », selon la formule consacrée. Elles sont largement redondantes avec les infractions existantes sur la qualification des faits, mais cherchent à s'en distinguer par un quantum de peine supérieur.

L'article 4 de la proposition de loi propose ainsi de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire puni de quatre à dix ans d'emprisonnement et de 45 000 à 150 000 euros d'amende, soit un alignement sur les peines prévues pour le harcèlement au sein du couple et plus de trois fois plus que les peines actuellement prévues. Ce délit viserait les faits de harcèlement tels qu'ils sont déjà prévus par l'article 222-33-2-2 du code pénal, qui vise le délit général de harcèlement, mais uniquement lorsque le ou les auteurs - élèves ou personnel - et la victime étaient présents à l'origine au sein d'un même établissement d'enseignement. Je souligne que la notion d'établissement d'enseignement couvre tous les établissements - écoles, collèges, lycées, mais aussi universités - et tout établissement d'enseignement supérieur. Le nouveau délit est, en fait, un cas particulier du délit général de harcèlement, mais avec un quantum de peine nettement plus élevé.

Le rapport de la mission d'information sénatoriale avait souligné le risque lié à cette approche, en affirmant : « notre mission ne préconise pas de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire. Au-delà de réaffirmer un interdit social - ce que nous ferons d'autres façons -, cette solution risque de n'être qu'un “tigre de papier” et n'aura pas ou très peu d'effet. Elle risquerait même de créer un sentiment de “bonne conscience” et de nuire à la nécessaire mobilisation générale. »

Dans le prolongement des travaux de cette mission, et pour conserver la cohérence des infractions pénales, je vous proposerai donc de ne pas retenir l'idée d'un délit spécifique, dont le périmètre pose question et qui se trouverait assorti d'un quantum de peine difficilement justifiable au regard de l'objectif de prévention et de réinsertion qui prime en matière de justice des mineurs, car ce sont principalement des mineurs qui sont auteurs de harcèlement scolaire.

Il me semble néanmoins que c'est à juste titre que les députés ont souligné que les faits de harcèlement survenant dans les établissements scolaires doivent être identifiés et faire l'objet d'une sanction renforcée. Je vous proposerai donc une nouvelle rédaction de l'article 4 du projet de loi, réintégrant le harcèlement scolaire au sein du délit général de harcèlement, dont il constituera une circonstance aggravante, complétant les circonstances aggravantes déjà prévues.

Cette réintégration répond à trois objectifs.

Le premier est d'assurer la cohérence des dispositions pénales applicables au harcèlement et d'éviter la multiplication des infractions visant à réprimer les mêmes comportements, d'autant plus que l'article 222-33-2-2 du code pénal a justement été créé par la loi du 4 août 2014 afin de prendre en compte le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, au-delà du harcèlement au travail et du harcèlement au sein du couple, qui étaient déjà sanctionnés - les rapports de notre ancienne collègue Virginie Klès et de l'Assemblée nationale de l'époque sont clairs sur ce point.

Le deuxième objectif de l'amendement que je vous soumets est d'assurer la cohérence des peines applicables pour des faits similaires et d'éviter ainsi tout risque de rupture d'égalité. En effet, fonder la possibilité de sanctions lourdes sur la seule coprésence de l'auteur et de la victime au sein d'un même établissement d'enseignement, comme le fait la proposition de loi, paraît trop restrictif par rapport à la réalité des faits de harcèlement susceptibles de toucher les élèves : cela conduirait à ce que les cas de harcèlement impliquant des élèves d'établissements différents, mais réunis géographiquement ou survenant à l'occasion d'un ramassage scolaire seraient moins sévèrement sanctionnés, alors même que la victime ne pourrait pas se soustraire à la présence physique du ou des auteurs plus facilement que s'ils se trouvaient dans la même structure juridique. L'amendement que je vous propose conduit à ce que tous les faits de harcèlement touchant les élèves soient pris en compte et sanctionnés de la même manière.

Le troisième objectif de l'amendement est de recentrer la caractérisation du harcèlement scolaire sur les faits impliquant les élèves. En effet, la proposition de loi met sur le même plan les faits de harcèlement entre élèves et ceux dont l'auteur est membre du personnel de l'établissement. Or, si les faits relevant du personnel des établissements d'enseignement doivent évidemment être réprimés lorsqu'ils sont constitutifs d'un harcèlement, il m'apparaît qu'ils ne peuvent être appréhendés de la même manière.

La solution que je vous propose vise donc à assurer la cohérence des infractions et des sanctions, tout en renforçant la prise en compte des faits survenant dans les établissements d'enseignement. C'est, me semble-t-il, une solution équilibrée.

J'en viens à l'article 4 bis de la proposition de loi, qui prévoit la possibilité de saisie et de confiscation des téléphones portables et ordinateurs qui auront été utilisés par des personnes pour harceler un élève en utilisant les réseaux sociaux, conformément au droit existant. Je vous proposerai ici encore un amendement de réécriture afin de tirer les conséquences de deux décisions du Conseil constitutionnel en matière de confiscation des biens ayant servi à commettre un harcèlement et de réquisition des données de connexion. L'absence de disposition en la matière serait, en effet, de nature à gravement entraver la conduite des enquêtes. C'est après des échanges avec le ministère de la Justice que nous vous proposons cet amendement.

L'article 5 modifie le code de procédure pénale pour favoriser l'enregistrement de l'audition du mineur victime de harcèlement dans le cadre d'une procédure pénale, déjà recommandée, mais non explicitement prévue par la loi. Bien que faiblement normatif, il n'appelle qu'un amendement de coordination.

L'article 6 modifie le code de la justice pénale des mineurs pour préciser que les stages ordonnés par le juge dans le cadre de la mise à l'épreuve éducative peuvent comporter un volet spécifique de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire. Il relève du domaine réglementaire ; je propose donc de le supprimer.

Enfin, l'article 7 renforce les obligations pesant sur les fournisseurs d'accès internet et les hébergeurs en matière de traitement des cas et de signalement aux autorités des faits de harcèlement scolaire. Par coordination avec la réécriture de l'article 4, la commission propose de le supprimer.

Nous partageons tous la volonté de lutter contre le harcèlement scolaire, et des ajustements aux mesures législatives existantes peuvent toujours être utiles, mais nous payer de mots ne sert à rien et peut même parfois s'avérer dangereux. Je vous propose donc de veiller à ce que les mesures pénales de la proposition de loi soient réellement normatives, utiles et applicables. Il me semble que c'est notre responsabilité en tant que législateurs, surtout en ce domaine.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Notre groupe a inscrit ce texte dans son espace réservé, car il lui paraît porter des dispositions utiles pour affermir l'effectivité de la lutte contre les phénomènes de harcèlement scolaire. Ces agressions répétées, souvent effectuées en « meute », font de nombreuses victimes, ébranlent les valeurs de l'école ainsi que le développement des personnes.

Notre Haute Assemblée a elle-même produit un travail d'importance sur le sujet, au travers d'une mission d'information qui a fait état de 800 000 à 1 million d'élèves victimes de harcèlement scolaire chaque année, soit plus de 10 % des élèves.

Le rapport d'information a souligné la trop faible connaissance des outils en vigueur, mais également l'insuffisance de ces outils face aux vecteurs, notamment numériques, du harcèlement scolaire.

La présente proposition de loi de nos collègues députés renforce ces outils, au travers, d'une part, de dispositions qui arment la communauté éducative et, d'autre part, de dispositions pénales améliorant le traitement judiciaire des faits de harcèlement scolaire et universitaire.

Dans la continuité de l'unanimité rencontrée à l'Assemblée nationale, nous pourrons assez largement converger sur ce texte au Sénat, comme en témoignent d'ailleurs les propositions d'amendements techniques et cohérentes de notre rapporteure pour avis.

Au-delà des textes, c'est un ensemble de moyens qu'il faudra déployer pour notamment faire de la prévention en matière de harcèlement scolaire.

M. Philippe Bonnecarrère . - Chacun comprend que le harcèlement scolaire soit un sujet de société, qu'il y ait à cet égard des éléments très préoccupants et que, plus globalement, la société doive assurer la prévention de telles difficultés. Reste à savoir si cela doit être fait par le droit pénal, alors qu'existent déjà des dispositions en cette matière.

Je veux simplement rappeler que, depuis quelques années, nous avons multiplié les dispositions pénales, dans les lois sur le respect des principes de la République, ou Climat et Résilience ou encore dans les textes récents en matière, par exemple, de prévention des mesures concernant l'orientation sexuelle. D'autres dispositions sont dans le circuit législatif s'agissant des lanceurs d'alerte. Nous ne cessons de prendre des dispositions pénales, mus par l'illusion que celles-ci sont de nature à réguler la société et avec l'inconvénient supplémentaire que, plus l'on crée de catégories d'infraction, plus on crée de difficultés d'application.

Nous le faisons alors même que se déroulent des états généraux de la justice - du moins sont-ils censés se dérouler -, dont nous savons que l'un des objets est précisément de nous exhorter à laisser le système juridique se stabiliser.

Je ne peux donc, madame la rapporteure pour avis, qu'exprimer un soutien à tout ce qui permettrait de satisfaire le besoin sociétal évident de lutte contre le harcèlement, mais il convient de toucher le moins possible à notre code pénal.

Mme Marie Mercier . - Je vous remercie, madame la rapporteure pour avis, de votre travail éclairé sur ce sujet infiniment douloureux.

Vous avez parfaitement raison : on ne peut pas se payer de mots. Le harcèlement scolaire est une vraie tragédie. Comme vous l'avez souligné, il s'agit souvent de violences commises par des mineurs sur d'autres mineurs. Depuis la nuit des temps, l'adolescence est un âge sans pitié, et les réseaux sociaux sont un outil terrible, puisque, comme chacun le sait, internet reste un royaume sans roi, ni loi, ni frontière, malgré tout ce que l'on peut essayer de mettre en place.

Il faut peut-être laisser toute sa place à l'éducation qui est faite dans les lycées et dans les collèges et qui doit être faite dans les écoles primaires, de manière à généraliser cette prévention et à protéger nos enfants. Ce n'est pas à nos enfants de se protéger eux-mêmes.

Mme Françoise Gatel . - Je veux remercier notre rapporteure pour avis de la qualité de sa réflexion.

Nous rêvons d'un monde ultra-simple, où chaque problème aurait sa solution et où la solution serait la loi. Je ne pense pas que la loi puisse guérir tous nos maux. Elle devient plutôt encombrante et engendre parfois plus de difficultés qu'elle n'en résout, puisque nous sommes parfois même dans l'incapacité de l'appliquer. À cet égard, j'approuve les propos tenus par mon collègue Philippe Bonnecarrère sur l'encombrement qui en découlerait pour la justice.

Le harcèlement est un vrai sujet, qui prend aujourd'hui des proportions considérables et plonge des enfants dans des difficultés importantes et dans une grande solitude. On en connaît les conséquences parfois dramatiques. Même pour des enfants qui ne commettent pas l'irréparable, le harcèlement laisse des traces et crée des difficultés dans leur construction.

Il me semble que la solution relève plus de la détection et de la prévention qui doit être mise en place à l'école, parfois même dès la maternelle, où le personnel doit être attentif aux signes de marginalisation de certains petits enfants - cela peut parfois être le début d'une opération de harcèlement qui le suivra tout au long de sa scolarité.

Au-delà de l'école, il faut considérer tous les lieux d'accueil des enfants, comme les accueils périscolaires. Il faut entourer l'enfant d'une sorte de filet de sécurité et lui donner confiance, en lui apprenant à se protéger et à se défendre. L'ensemble des structures - éducation nationale, communes, associations sportives ou culturelles - doivent développer des réflexes et déployer ensemble des procédures pour détecter puis corriger. Ce sera beaucoup plus efficace qu'une loi, qui, en l'espèce, serait illusoire.

Mme Brigitte Lherbier . - Madame la rapporteure pour avis, votre analyse est très claire et judicieuse. Nous avons tous la volonté de lutter contre les harcèlements, mais nous sommes unanimes : créer un nouveau délit ne semble pas très pertinent.

Souvent, les auteurs sont des jeunes qui ne se rendent pas compte de ce qu'ils font et qui cherchent à s'amuser.

C'est effectivement au niveau de la prévention qu'il faut agir.

Les conséquences du harcèlement peuvent être horribles, certains adolescents tentant de se suicider.

Je veux vous faire part de ce qui existe dans le Nord : un établissement de santé mentale dispose d'équipes mobiles qui vont à demeure, dans les écoles, chez les parents, pour essayer de comprendre ce qui se passe et pour dénouer les liens qui ont engendré le harcèlement. Cette formule a beaucoup de succès, et est beaucoup plus humaine que d'obliger les jeunes à se déplacer. Les jeunes se sentent compris.

M. Hussein Bourgi . - Je remercie à mon tour Mme la rapporteure pour avis de son travail. Je souscris au constat qu'elle a dressé au début de sa présentation.

Il me semble que les leviers d'action se situent à un autre niveau. Lorsque j'ai participé à la mission d'information sénatoriale sur le harcèlement scolaire, nous avons identifié deux sujets prioritaires.

Premièrement, pour participer à la nécessaire sensibilisation de la société, nous avions émis l'idée que la lutte contre le harcèlement scolaire puisse être décrétée « grande cause nationale ». C'est véritablement par ce genre de décisions que l'on pourra davantage impliquer les chefs d'établissement et les équipes pédagogiques. En effet, lorsqu'ils sont confrontés à une situation de harcèlement scolaire, ces derniers disent souvent qu'elle ne concerne pas l'institution, puisqu'elle se déroule sur les réseaux sociaux.

Or les différents protagonistes se sont rencontrés dans le cadre scolaire. La rencontre se prolonge ensuite en dehors du cadre scolaire - il y a parfois des incidents à bord des cars de transport scolaire -, puis sur les réseaux sociaux. C'est le règne de la défausse : personne ne veut avoir à gérer ce genre de conflits - au reste, on comprend bien qu'il y a suffisamment de problèmes à régler dans les établissements...

Pour cette raison, il nous avait semblé plus intéressant et plus utile d'en passer par la grande cause nationale et par des mesures de prévention, d'éducation, de sensibilisation et de mobilisation. Puisque les protagonistes se rencontrent dans le cadre de l'éducation nationale et ont vocation à s'y retrouver quasiment tous les jours, c'est à celle-ci de prendre la part la plus importante.

Nous avons relevé beaucoup de réticences à mentionner et à signaler les incidents de la part de certains chefs d'établissement, qui redoutent que celui-ci ne soit stigmatisé, les classements des meilleurs établissements qui sont établis chaque année étant fondés non seulement sur le taux de réussite au baccalauréat, mais aussi sur le nombre d'incivilités et de conseils de discipline.

Il nous faut absolument accompagner les établissements dans le nécessaire engagement de tous les acteurs : conseillers principaux d'éducation, infirmières scolaires, chefs d'établissement, enseignants, mais aussi parents - ceux-là mêmes qui sont susceptibles d'offrir la tablette ou le smartphone qui pourra devenir un outil de harcèlement...

Deuxièmement, nous avions identifié un autre levier d'action : la responsabilisation des fournisseurs d'accès et des hébergeurs. À cet égard, je forme le voeu que la présidence du Conseil de l'Union européenne puisse servir à la nécessaire harmonisation entre les différents pays de l'Union. Lors des auditions, les fournisseurs d'accès et les hébergeurs nous ont paru à mille lieues des préoccupations que nous exprimons aujourd'hui.

Les actions prioritaires se situent ailleurs. Cette proposition de loi contient quelques dispositions mineures. Nous essaierons de les parfaire pour que l'arsenal législatif et juridique soit le plus fonctionnel et opérationnel possible.

Je pense qu'il y a entre nous un consensus.

Dans le cadre des travaux de la mission que j'ai évoquée, on a bien vu que, selon le projet d'établissement, les choses ne sont pas gérées de la même manière. Nous avons rencontré des chefs d'établissement dont c'était la priorité.

Les choses évoluent. Il est vrai, monsieur Bourgi, que le problème numéro un aujourd'hui est l'accès aux réseaux sociaux, l'anonymat et l'impossibilité de savoir qui se cache derrière tel ou tel pseudo.

Nous ne pouvons pas être insensibles à ce qui est aujourd'hui un vrai problème de société, principalement dans les collèges, ni faire abstraction de ce sujet majeur pour nos établissements scolaires.

Nous avons abordé le texte sous le prisme de la gravité du harcèlement, mais n'avons pas voulu surcharger encore les codes en créant un délit spécifique. Nous pouvons améliorer les outils dont nous disposons. C'est ce que nous vous proposons de faire aujourd'hui.

S'agissant du périmètre du texte au titre de l'article 45, il a été défini en accord avec la commission de la culture, saisie au fond.

Je vous propose de considérer qu'il comporte les dispositions relatives au harcèlement scolaire et au cyberharcèlement ainsi que les mesures visant à les prévenir et à lutter contre ceux-ci et le délit de harcèlement au sein des établissements d'enseignement, mais qu'il ne comprend pas le harcèlement moral dont serait victime un personnel de l'éducation nationale ou de l'enseignement supérieur.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 4 (délégué)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio , rapporteure pour avis . - L'amendement COM-1 vise à supprimer le délit spécifique de harcèlement scolaire. C'est ce que je vous propose également de faire mais en intégrant les éléments au sein de l'infraction existante. Par conséquent, je sollicite le retrait de l'amendement au profit du mien ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.

La commission proposera à la commission de la culture de demander le retrait de l'amendement COM-1 et, à défaut, de ne pas l'adopter.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio , rapporteure pour avis . - L'amendement COM-4 réécrit l'article 4 : il supprime le délit spécifique de harcèlement scolaire, qui devient une circonstance aggravante dans le droit existant.

L'amendement COM-4 est adopté.

La commission proposera à la commission de la culture d'adopter l'article 4 ainsi modifié.

Article 4 bis (nouveau) (délégué)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio , rapporteure pour avis . - L'amendement COM-5 , que je dépose notamment suite à mes échanges avec la Chancellerie, vise à réécrire l'article 4 bis pour régler les difficultés soulevées par deux décisions récentes du Conseil constitutionnel.

L'amendement COM-5 est adopté.

La commission proposera à la commission de la culture d'adopter l'article 4 bis ainsi modifié.

Article 5 (délégué)

L'amendement de coordination COM-6 est adopté.

La commission proposera à la commission de la culture d'adopter l'article 5 ainsi modifié.

Article 6 (délégué)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio , rapporteure pour avis . - L'amendement COM-7 supprime l'article 6, qui relève du domaine réglementaire.

L'amendement COM-7 est adopté.

La commission proposera à la commission de la culture d'adopter l'article 6 ainsi modifié.

Article 7 (délégué)

L'amendement de coordination COM-8 est adopté ; l'amendement COM-2 devient sans objet.

La commission proposera à la commission de la culture d'adopter l'article 7 ainsi modifié.

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 2 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 3 ( * ) . Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 4 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 5 ( * ) .

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté , lors de sa réunion du 5 janvier 2022, la proposition adressée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication de périmètre indicatif des articles 4, 4 bis, 5, 6 et 7 de la proposition de loi n° 254 (2021-2022), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à combattre le harcèlement scolaire .

Elle a considéré que ce périmètre incluait :

- les dispositions relatives au harcèlement scolaire et au cyberharcèlement ainsi que les mesures visant à les prévenir et à lutter contre ceux-ci ;

- le délit de harcèlement au sein des établissements d'enseignement.

En revanche, la commission a estimé que ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé , des amendements relatifs :

- au harcèlement moral dont serait victime un personnel de l'éducation nationale ou de l'enseignement supérieur.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de la Justice

Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)

M. Manuel Rubio Gullon , sous-directeur de la négociation et de la législation pénales

M. Francis Le Gunehec , chef du bureau de la législation pénale générale

Mme Anne-Mahaut Mercier , magistrate au bureau de la législation pénale générale

Associations

« Marion Fraisse - La main tendue »

Mme Nora Tirane-Fraisse , fondatrice et présidente de l'association

Association « Hugo ! »

M. Hugo Martinez , fondateur et président de l'association

Mme Pauline Frey , directrice générale

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl21-254.html


* 1 Harcèlement scolaire et cyberharcèlement : mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter , Rapport d'information de Colette Mélot, fait au nom de la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement n° 843 (2020-2021), 22 septembre 2021.

* 2 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 3 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 4 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 5 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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