EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021

M. Alain Marc , rapporteur pour avis sur les crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » . - Il me revient, comme l'an passé, de vous présenter les crédits du programme consacré à l'administration pénitentiaire. En 2022, ces crédits atteindront presque 4,6 milliards d'euros, ce qui correspond à plus de 40 % des crédits de la mission « Justice ».

Pour la deuxième année consécutive, ces crédits s'inscrivent en forte hausse, progressant de 9 % par rapport à la loi de finances pour 2021, hors crédits affectés au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ». Cette dynamique des dépenses s'explique en grande partie par la poursuite du programme de construction de 15 000 places de prison, qui occasionne des dépenses immobilières et rend indispensables des recrutements pour assurer le fonctionnement des futurs établissements.

En introduction de mon propos, il me semble utile de faire un point sur ce programme de construction qui devait aboutir, je vous le rappelle, à la livraison de 7 000 nouvelles places d'ici à la fin de l'année 2022 et à la livraison de 8 000 autres places à l'horizon de 2027. Je signale que les investissements immobiliers absorberont l'an prochain 636 millions d'euros de crédits, soit un montant en hausse de 14,5 % par rapport à 2021.

Même si le ministre a essayé de nous convaincre, la semaine dernière, photos à l'appui, que les chantiers avançaient à un bon rythme, la réalité est que le calendrier ne sera pas tenu.

À ce jour, 2 000 places environ ont effectivement été livrées. Elles concernent des projets - ceux de la Santé et de Baumettes II notamment - lancés avant 2017, ce qui n'est guère surprenant. En effet, l'administration pénitentiaire considère qu'un délai de sept années s'écoule entre le moment où la décision est prise de construire une prison et le moment où l'établissement ouvre ses portes.

Les chantiers aujourd'hui en cours portent sur un total d'environ 2 500 places, et c'est seulement au cours du premier semestre de 2022 que seront lancés les travaux nécessaires à la réalisation des 2 500 places manquantes pour arriver au total de 7 000. Il est exclu que ces places soient livrées en totalité à la fin de l'année prochaine, l'administration pénitentiaire envisageant plutôt un achèvement des travaux à la fin de l'année 2023, ce qui est sans doute encore une évaluation optimiste.

Concernant les 8 000 places suivantes, un peu moins de 46 millions d'euros leur sont consacrés dans le budget. Ces crédits sont orientés vers les cinq projets les plus avancés. Je rappelle que cinq appels d'offres ont été lancés en 2020, quatre en 2021, et que les six derniers seront lancés en 2022, l'objectif étant que l'ensemble du programme de 15 000 places ait été au moins passé en commande à la fin de l'année prochaine.

Le programme de construction a naturellement des conséquences sur les recrutements. L'an prochain, le budget permettra de financer la création de 599 emplois supplémentaires ; sur ce total, 419 emplois serviront à constituer les équipes nécessaires à l'ouverture des futurs établissements, le solde venant renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP).

Même si le programme de construction pèse lourd dans le projet de budget, il n'explique pas à lui seul la hausse des dépenses. Les crédits prévus dans le projet de loi de finances doivent permettre aussi de financer l'entretien et la sécurisation du parc pénitentiaire, ainsi que des mesures de revalorisation salariale.

L'entretien du parc pénitentiaire ne doit pas être négligé, sans quoi la dégradation du bâti risque d'entraîner, à plus long terme, d'importantes dépenses de réhabilitation. Il est satisfaisant de constater que les crédits consacrés à ce poste de dépense progressent de 5 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2021, étant précisé que les redéploiements internes sont susceptibles d'abonder cette enveloppe en cours d'année, comme ce fut le cas au cours des exercices antérieurs.

La sécurité dans les établissements constitue un autre motif de préoccupation. À cet égard, le budget marque un effort très significatif, puisque les crédits augmentent de 113 %, pour dépasser les 135 millions d'euros. Cette enveloppe permettra d'améliorer les systèmes de détection des produits illicites ou dangereux, la lutte contre les drones et le brouillage des téléphones mobiles. L'administration pénitentiaire prévoit également de déployer un nouveau terminal mobile qui permettra aux surveillants de communiquer, d'accéder plus facilement à leurs applications métier et de déclencher une alarme. Les membres des équipes de sécurité pénitentiaire vont recevoir des pistolets à impulsion électrique, plus communément dénommés « tasers ».

Le budget prévoit également de consacrer 22,4 millions d'euros au financement de diverses mesures tendant à améliorer la rémunération des personnels pénitentiaires. Parmi les plus significatives, on relève la fusion des grilles de surveillants et de brigadiers, ainsi que la revalorisation de la prime de sujétion spéciale et de l'indemnité pour charges pénitentiaires. Les plus faibles rémunérations bénéficient, en outre, du relèvement de l'indice minimum de traitement des agents des trois fonctions publiques.

L'administration pénitentiaire souligne que 120 millions d'euros auront été consacrés au total, au cours du quinquennat, à cette politique d'amélioration catégorielle, ce qui n'est pas négligeable. Il n'en reste pas moins que les rémunérations demeurent moins élevées dans l'administration pénitentiaire que dans d'autres secteurs de la fonction publique. Ces écarts nuisent à l'attractivité des emplois, alors que l'administration pénitentiaire doit continuer à recruter. Elle organise régulièrement des campagnes d'information dans les médias, sur les réseaux sociaux ou par voie d'affichage pour attirer des candidats aux concours qu'elle organise.

Je souhaite également évoquer les conditions de détention qui dépendent, en grande partie, de l'évolution de la population carcérale. Après la forte baisse observée en 2020, la population carcérale est repartie à la hausse ; le 1 er octobre dernier, le nombre de détenus s'élevait à 69 173, en augmentation de 18 % par rapport au point bas atteint à la fin du premier confinement ; le nombre de détenus n'a pas encore retrouvé son niveau d'avant la crise, proche de 71 000, mais il s'en rapproche.

Au début du mois d'octobre, le taux d'occupation était revenu à près de 115 % en moyenne, et il s'élevait à 135 % dans les maisons d'arrêt, qui sont traditionnellement les établissements les plus sollicités. On comptait plus de 1 400 matelas au sol, et le taux d'encellulement individuel était retombé à 43 %.

Cette évolution doit retenir toute notre attention. On ne peut exclure que le nombre de détenus se stabilise dans les prochains mois autour de 70 000. En revanche, si la hausse se poursuivait, elle pourrait entraîner une dégradation rapide des conditions de détention. Jusqu'à présent, le nombre de recours pour conditions indignes est resté limité ; l'administration pénitentiaire en a recensé une cinquantaine, principalement à Fresnes, Nanterre et dans les établissements ultra-marins ; mais cette situation pourrait ne pas durer.

Cette évolution conduit à s'interroger sur les effets de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui avait pour ambition de réduire le nombre de courtes peines de prison, en privilégiant les alternatives à l'incarcération. L'encombrement des maisons d'arrêt montre que les tribunaux continuent de prononcer un nombre élevé de courtes peines. Les efforts du Gouvernement pour développer le travail d'intérêt général et les dispositifs de surveillance électronique n'ont pas encore d'effets tangibles sur le niveau de la population carcérale. Ces peines alternatives peuvent pourtant être adaptées pour sanctionner des infractions de faible gravité, en offrant de meilleures perspectives de réinsertion.

Enfin, le projet de loi de finances prévoit d'allouer une enveloppe de 54 millions d'euros au développement du travail en détention et à l'amélioration du statut du détenu travailleur, dans le prolongement de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire dont nos collègues Agnès Canayer et Philippe Bonnecarrère étaient les rapporteurs. Une mesure est également prévue en faveur des détenus indigents ; l'aide qui leur versée, dont le montant n'avait pas été revalorisé depuis 2013, sera portée de 20 à 30 euros par mois.

En conclusion, je vous propose d'émettre, comme l'an dernier, un avis favorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire, compte tenu de l'effort important réalisé sur les recrutements, l'immobilier et la sécurisation des établissements.

Toutefois, en parallèle de cet effort financier, je crois indispensable que le ministère de la justice développe sa fonction d'évaluation des politiques publiques ; cela est également valable pour d'autres ministères. On manque d'études rigoureuses permettant d'apprécier les effets de telle ou telle peine sur la récidive et sur les chances de réinsertion. Les indicateurs de performance, annexés à la loi de finances, sont plus des indicateurs d'activité qu'une véritable mesure des résultats de l'action publique. Or, plus la nation consacre de moyens à ses prisons, plus elle est en droit d'exiger qu'il soit fait un bon usage de ces crédits, ce que seule une évaluation objective et indépendante peut garantir à nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Sueur . - Les questions sont toujours les mêmes. Comment se fait-il que les alternatives à la détention, depuis le temps que nous en parlons, ne progressent pas davantage, voire régressent ? Tous les gardes des sceaux ne cessent de vanter ces alternatives : le bracelet électronique, les travaux d'intérêt général, la suppression des courtes peines - notamment pour les jeunes qui se retrouvent, pour une courte période, dans le milieu carcéral et y acquièrent un vocabulaire, des relations, un savoir-faire, qui ne les aident pas à se réinsérer.

En 2020, 7 000 ou 8 000 détenus en fin de peine ont été libérés ; cela n'a pas causé la révolution dans notre pays, ni une augmentation de la délinquance. L'important n'est pas d'atteindre un nombre toujours plus élevé de détenus ; il en faudrait moins et que l'on s'occupe davantage d'eux pour préparer la sortie. À cet égard, je salue la mesure relative au développement du travail en prison, ainsi que l'augmentation, certes mesurée, des fonds pour les détenus indigents - en passant à 30 euros par mois, cela ne va pas mettre en péril le budget de l'État.

M. Alain Marc , rapporteur pour avis . - C'est encore au conditionnel...

M. Jean-Pierre Sueur . - Oui, si cela est voté... On entend des annonces tonitruantes sur l'augmentation du nombre de places ; je ne suis pas séduit par cela. On voit d'ailleurs que ce qui était prévu en six ans va finalement se réaliser en quinze. Au-delà de la construction de nouvelles prisons, la priorité doit concerner l'entretien et la rénovation de celles qui existent. Par ailleurs, ce n'est pas la peine d'en construire de nouvelles si l'on croit dans le développement des peines alternatives.

M. Alain Marc , rapporteur pour avis . - Je partage beaucoup de choses avec Jean-Pierre Sueur. Quand je disais que l'on n'avait pas encore atteint le nombre de 70 000 détenus, je ne m'en réjouissais pas.

M. Jean-Pierre Sueur . - J'ai évoqué cela pour que vous puissiez le préciser.

M. Alain Marc , rapporteur pour avis . - En annonçant que l'on va construire de nouvelles prisons, on présuppose que cela va diminuer la délinquance. Or, comme vous l'avez dit fort justement, il arrive que des jeunes détenus sombrent davantage encore dans la délinquance et récidivent, alors qu'ils auraient pu envisager un autre avenir, par le biais de peines alternatives.

Faute d'une évaluation rigoureuse des mesures, nous sommes incapables de mener une politique pénitentiaire à long terme. Les 15 000 places sont décidées, mais elles ne seront probablement pas livrées en totalité avant sept ou huit ans. Il nous faudra progresser sur ces peines alternatives qui seraient certainement plus utiles aux primodélinquants.

M. Jean-Pierre Sueur . - On recense 419 postes pour les nouveaux établissements pénitentiaires et 250 postes pour les SPIP ; nous pourrions faire d'autres choix.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

Page mise à jour le

Partager cette page