B. UNE RÉFORME DE L'AUDIOVISUEL ABANDONNÉE EN PLEINE OFFENSIVE DES « GAFAN »

1. Un renoncement synonyme d'affaiblissement pour l'audiovisuel public

Le quinquennat qui s'achève aura été marqué par l'annonce de deux projets de rapprochements stratégiques, entre TF1 et M6 d'une part et entre Vivendi et Lagardère d'autre part. Face à l'absence de réforme de fond du secteur de l'audiovisuel et de sa réglementation, les médias privés se sont résolus à engager des rapprochements pour peser davantage sur leur marché, concentrer leurs moyens et réduire leurs coûts. Confronté aux mêmes défis, il est paradoxal de constater que le secteur public aura été le seul à faire du sur-place alors même que, depuis 2015, un projet de gouvernance commune et un nouveau modèle économique avaient été proposés par des travaux sénatoriaux communs 2 ( * ) à la commission de la culture et à la commission des finances. Cela fait six ans que notre commission plaide pour un regroupement des quatre entreprises de l'audiovisuel public (FTV, Radio France, FMM et INA) au sein d'une holding afin, en particulier, de concentrer les moyens sur le numérique.

Il a fallu attendre la nomination de Franck Riester en octobre 2018 pour que ce projet prenne la forme d'un projet de loi 3 ( * ) qui a été discuté en première lecture à l'Assemblée nationale avant d'être abandonné en mars 2020 à la faveur de la crise sanitaire. Rien n'empêchait le Gouvernement de reprendre le cours du débat de ce texte au printemps 2021 . Au lieu de cela, c'est un texte portant essentiellement sur la régulation du secteur de l'audiovisuel qui a été adopté par le Parlement 4 ( * ) et qui ne résout aucune des difficultés existentielles du service public de l'audiovisuel.

Alors que la ministre de la culture a pris ses distances lors de son audition au Sénat avec le projet défendu par son prédécesseur, il n'est pas inutile de rappeler que, lors de leur propre audition, les dirigeants des entreprises de l'audiovisuel public ont tous indiqué au rapporteur que la création d'une gouvernance commune constituait un objectif indispensable, en dépit des difficultés inhérentes à la mise en oeuvre d'un tel projet .

2. Un rapprochement entre France 3 et France Bleu improvisé, partiel et insuffisant

Le rapprochement entre France 3 et France Bleu commencé en 2019 avec le lancement de six matinales communes à la radio et à la télévision met beaucoup de temps à se concrétiser puisqu' il faudra attendre 2023 pour que l'ensemble des matinales communes annoncées deviennent effectives .

Dans son avis sur les crédits de l'audiovisuel public dans le projet de loi de finances pour 2019, Jean-Pierre Leleux 5 ( * ) avait regretté les ambiguïtés de nature à contrarier ce projet de coopération. La première tenait au fait que ce rapprochement devait d'abord, dans l'esprit de ses concepteurs, permettre de faire des économies. Or, comme le remarquait notre collègue : « compte tenu des coûts induits par l'augmentation des programmes locaux et des ajustements techniques, il n'y aura pas d'économies massives même si l'évolution des méthodes de travail peut permettre des gains de productivité importants ». La seconde ambiguïté concernait la place accordée au numérique dans le projet . Dès le début, face aux difficultés identifiées pour créer des matinales communes à la radio et à la télévision les syndicats avaient indiqué qu'il aurait mieux valu commencer par créer des plateformes numériques communes . Comme le remarquait déjà en 2018 Jean-Pierre Leleux : « on ne peut que s'étonner, dans ces conditions, que les deux réseaux France 3 et France Bleu n'aient pas mis en chantier la création de plateformes communes numériques locales bénéficiant d'une marque unique ».

Il aura donc fallu trois années pour que l'État actionnaire annonce le lancement d'ici la fin du premier trimestre 2022 de cette « offre numérique de proximité partagée » qui proposera des contenus de France 3 et France Bleu sur une plateforme commune. Cette annonce apparaît néanmoins comme limitée dans ses ambitions puisqu'elle exclut tout regroupement des moyens et, notamment, la création d'une rédaction commune. Le recours à un GIE aurait pu préfigurer la création d'une sorte de « filiale commune » dotée de moyens nouveaux avec une ambition éditoriale offensive ; ce cadre ne devrait, en réalité, constituer qu'une coquille vide ayant pour vocation de diffuser les productions des deux entités qui conserveront leur identité. Faute d'avoir fait l'objet de concertations avec les syndicats, l'initiative ministérielle a déjà suscité une large opposition des personnels. La précipitation qui semble entourer cette annonce renforce le sentiment d'une initiative dépourvue de vision stratégique présentée quelques mois avant l'élection présidentielle pour faire oublier l'échec du projet de réforme de l'audiovisuel public abandonné en mars 2020.


* 2 https://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-709-notice.html

* 3 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2488_projet-loi#D_TITRE_III_75

* 4 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl20-523.html

* 5 https://www.senat.fr/rap/a18-151-41/a18-151-412.html

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