EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 17 novembre 2021, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 151 - Français à l'étranger et affaires consulaires - de la mission « Action extérieure de l'Etat ».

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis . - Monsieur le président, mes chers collègues, avant de vous présenter avec mon collègue Guillaume Gontard nos observations sur les crédits du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires », je voudrais rappeler combien nos compatriotes établis hors de France ont été depuis 2020 fortement impactés par les vagues successives de la pandémie de Covid, à la fois brutalement et de manière très aléatoire selon les pays. Le gouvernement avait rapidement réagi en ouvrant 100 M€ de crédits supplémentaires en faveur de l'aide à la scolarité et du secours occasionnel de solidarité (SOS-Covid). J'en profite pour saluer la mobilisation des agents de nos 207 postes consulaires. Ils ont notamment rendu possible la vaccination de 60 000 Français établis hors de France, sont venu en aide à environ 87 000 bénéficiaires de l'aide ponctuelle SOS-Covid.

Il faut préciser, comme l'a rappelé le ministre lors de son audition que le soutien aux Français de l'étranger les plus démunis se poursuivra en 2022. La crise sanitaire n'est donc pas encore derrière nous.

De plus, l'année 2022 se caractérisera par l'organisation des élections présidentielles et législatives, ces dernières devant faire l'objet pour la première fois d'un scrutin électronique. L'affectation d'une enveloppe spécifique de 13,3 millions d'euros en provenance du ministère de l'intérieur est prévue pour couvrir ces frais supplémentaires.

Aussi, au sortir de ces deux années, 2020 et 2021, qui auront mobilisé des crédits supplémentaires pour faire face aux effets de la crise sanitaire, ma première observation est celle d'un certain étonnement. En effet, on ne peut que s'étonner que, à périmètre constant et déduction faite des crédits dédiés aux élections, le budget du programme 151 baisse de 3 % par rapport à la loi de finances pour 2021 pour s'établir à 360,9 millions d'euros. Ce niveau est très inférieur aux crédits consommés en 2020, qui étaient de 398,4 millions d'euros. Alors que l'administration consulaire retrouve progressivement son activité antérieure au Covid et que le ministre a donc confirmé le maintien des aides en 2022, avec mon co-rapporteur, nous exprimons deux préoccupations majeures :

- d'abord le risque de sous-budgétisation de plusieurs dispositifs d'aide pour continuer à faire face à la crise sanitaire, mon collègue vous en dira un mot ;

- ensuite le bon déploiement des réformes de modernisation de l'administration consulaire.

Sur ce second point, j'ai échangé avec la direction des Français de l'étranger plusieurs préconisations et pistes de réflexion pour accélérer le rythme de déploiement du nouveau Service France Consulaire à l'Union européenne et au reste du monde. Par ailleurs, il me semble important de rappeler que le processus de dématérialisation des services ne doit pas pour autant conduire à négliger la sécurisation et l'amélioration de l'accueil des usagers lorsque leur présence physique reste indispensable. À cet égard, il faut rappeler que le Service France Consulaire n'est compétent que pour répondre aux demandes d'informations générales. Chaque consulat demeure en charge du suivi des dossiers individuels et des visas. L'expérience de la crise sanitaire montre que le maintien d'un accueil physique reste fondamental.

Par ailleurs, nous avons identifié des marges de progression qui ne semblent pas prises en compte dans les objectifs de dématérialisation. Je propose, à l'image de ce qui existe déjà pour les Britanniques à l'étranger, d'étudier avec le ministère de l'Intérieur la possibilité d'expérimenter pour les Français la dématérialisation totale des demandes de renouvellement de pièces d'identité. De même, pourquoi maintenir l'envoi postal de la propagande électorale à l'étranger qui est coûteux et peu fiable dans de nombreux pays. Là encore je propose d'étudier la possibilité d'une transmission par voie électronique pour les élections organisées hors de France.

Le processus de modernisation du service public consulaire me semble donc encore devoir être clarifié. Sous ces réserves, je formule un avis favorable à l'adoption des crédits de ce budget pour 2022.

Je passe maintenant la parole à mon co-rapporteur.

M. Guillaume Gontard, rapporteur pour avis . - Monsieur le président, mes chers collègues, j'ajouterai aux préconisations de Bruno Sido sur l'organisation des élections présidentielles et législatives qu'il faudra tout particulièrement veiller au maintien de bureaux de vote physique pour les élections législatives où le scrutin numérique sera également mis en place, des problèmes ayant été relevés dans plusieurs pays lors des dernières échéances électorales, ce qui pose de sérieux problèmes démocratiques.

J'en viens maintenant à nos sujets de préoccupations budgétaires.

Le budget pour 2022 ne peut être fixé indépendamment des constats effectués sur les dépenses réelles des deux exercices précédents que sont l'année 2020, au début de la crise Covid, et l'année en cours 2021 où nous constatons que le nombre de bénéficiaires d'aides sociales a continué à augmenter.

Il faut rappeler que le niveau des dépenses consommés en 2020 s'est établi à 398,4 millions d'euros, soit 25,9 millions d'euros de plus que le montant voté en loi de finances initiale pour 2020. Nos auditions ont de plus confirmé le dépassement en cours d'année des crédits prévus pour 2021 de plusieurs dispositifs d'aide. Dans ces conditions, le budget pour 2022 présente un risque de sous-budgétisation de plusieurs dispositifs d'aide pour continuer à faire face à la crise sanitaire.

J'émets avec mon co-rapporteur plusieurs points de vigilance.

S'agissant de l'aide à la scolarité : nous constatons une sous-budgétisation volontaire devant être complétée par l'excédent de trésorerie de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Le ministère évalue à 71 millions d'euros la « soulte » mobilisable par l'AEFE pour compléter la dotation budgétaire. Cette situation semble soutenable à court terme, mais ce système ne peut pas être pérenne.

Concernant les aides sociales et le maintien en 2022 du SOS-Covid, il y a un risque majeur de dépassement de crédits en cours d'année. De l'avis même de l'administration consulaire, indépendamment de la crise sanitaire, une partie des Français résidant à l'étranger continue à se paupériser notamment par les effets de crises locales au Venezuela, en Égypte, au Brésil, en Argentine et au Liban. En 2020, le total général de l'aide sociale a atteint un niveau de consommation de 17,8 millions d'euros. Depuis, le nombre de bénéficiaire du dispositif SOS-Covid ne cesse de progresser. Dans ces conditions, la prévision de dépense globale de 15,2 millions d'euros pour 2022 risque d'être insuffisante.

Le constat est le même pour les organismes locaux d'entraide et de solidarité (OLES). La budgétisation de 1,4 million d'euros est insuffisante. Le besoin excède déjà la prévision si l'on se réfère au niveau de consommation des crédits de 2020 (2,17 millions d'euros pour 108 associations) et de l'année 2021 en cours où, d'ores et déjà 1,7 million d'euros ont été versés.

Enfin, je voudrais évoquer le dispositif d'aide de la caisse des Français de l'étranger (CFE). La situation sanitaire a également entraîné une hausse du nombre de bénéficiaires de la 3 e catégorie dite « aidée », qui a pour objet de permettre aux Français expatriés les plus démunis de bénéficier de la protection sociale offerte par la CFE tout en s'acquittant d'une cotisation minorée. On compte actuellement plus de 2 000 bénéficiaires, mais de l'avis même du directeur de la caisse, ce dispositif ne semble pas suffisamment connu des Français les plus démunis. En 2020, la dotation initiale de 380 000 € avait été portée à 960 000 € pour tenir compte de l'augmentation du nombre d'adhérents et mieux équilibrer entre l'État et la caisse le coût global du dispositif qui s'établit aujourd'hui à 3,8 millions d'euros. D'une part, nous incitons la CFE et l'administration consulaire à mieux faire connaître le dispositif, sous réserve de la revalorisation par le Gouvernement de la dotation prévue pour 2022 dont le montant de 380 000 € apparaît d'emblée insuffisant. D'autre part, la possibilité d'une augmentation pérenne de la contribution de l'État devrait être étudiée, puisque comme nous l'avons dit, l'État ne prend aujourd'hui en charge que 10 % du dispositif contre 50 % lors de sa création. Le modèle de financement actuel pose de sérieuses questions pour l'avenir, d'après le directeur de la caisse.

Au final, mon constat sur tous les points évoqués est que ce budget pour 2022 est en baisse et ne tient pas compte des besoins réels et des perspectives de dépenses. C'est pourquoi, à titre personnel, je m'abstiendrai sur le vote de ce budget.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je pense que, comme pour la réforme de la haute fonction publique, nous pourrions engager un travail sur le vote électronique car nous testerons à grande échelle un mode de scrutin dont l'analyse sera utile pour une éventuelle adaptation au niveau national. En revanche, je ne suis pas d'accord avec la préconisation de dématérialisation totale des demandes de renouvellement des pièces d'identité. Il faut réaliser qu'un grand nombre de nos compatriotes ne sont pas connectés pour raisons diverses, de génération ou de manque de réseau dans leur pays de résidence. Si on dématérialise complètement la propagande électorale, cela priverait certains électeurs d'une communication qui par ailleurs n'existe pas dans les médias. Plus généralement, faisons attentions aux limites de la dématérialisation. On en voit les conséquences dans les consulats où il n'y a plus de standard téléphonique pour prendre rendez-vous.

Pour les bourses scolaires, je voudrais dénoncer ce qui se fait au niveau local sur des économies volontaires de certains postes qui ne dépensent pas totalement les enveloppes qui leur sont attribuées pour justifier à Paris de leur bonne gestion. Cela au dépend des familles qui déscolarisent leurs enfants. C'est très malheureux.

Mme Michelle Gréaume . - Ce rapport point les insuffisances de ce budget dont la légère augmentation concerne une mission ponctuelle, celle des élections. À périmètre constant, les crédits baissent. J'ai une préoccupation concernant le fait d'encourager le Gouvernement à accélérer la dématérialisation des services consulaires. La plateforme téléphonique commune est intéressante, mais elle ne doit pas conduire à fermer les antennes consulaires. Il faudrait que la dématérialisation soit une possibilité et non une obligation pour les usagers car certains d'entre eux ne peuvent accéder aux procédures à distances.

M. Rachid Temal . - Le vote électronique pose la question de la sécurité. Je rappelle qu'il avait été tenté puis retiré. Face aux risques d'attaques quelles sont les garanties apportées par l'administration consulaire ? Sur les autres points, effectivement 100 % des crédits affectés aux bourses scolaires ne sont pas attribués. C'est un sujet récurent mais aussi compliqué. Concernant la dématérialisation, je vous invite à lire un excellent article du journal Le Monde sur la question du service public que l'on veut choisir pour répondre vraiment aux besoins.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis . - Concernant le vote électronique, chacun sait que cela peut apporter une réponse à l'abstention importante et favoriser le vote. Je suis tout à fait d'accord avec ma collègue Hélène Conway-Mouret pour analyser et faire le bilan du scrutin en ligne par internet qui ne s'appliquera, je le rappelle, qu'aux élections législatives.

L'administration poursuit surtout la dématérialisation des pièces d'état-civil, mais pas des passeports et des cartes d'identité. La question du renouvellement des passeports provient d'un échange sur la situation à Londres où le consulat est mal équipé pour recevoir le public. Cela dit, les Britanniques ont de leur côté réussi à dématérialiser la procédure de renouvellement des passeports. Au Royaume-Uni, les Français doivent se déplacer à Londres même s'ils habitent au nord de l'Ecosse. Et encore, il s'agit d'un pays où les moyens de communication fonctionnent. Je précise que la préconisation ne concerne que la possibilité d'expérimenter une telle procédure dématérialisée, pas l'obligation d'y recourir.

M. Guillaume Gontard, rapporteur pour avis . - Je suis d'accord avec les remarques qui ont été faites sur le vote électronique. L'expérience du vote aux élections consulaires qui se sont tenues en mai dernier a ainsi révélé des problèmes. Car pour qu'il y ait vote électronique, il faut aussi des bureaux de vote physique. Or nous n'avons pas été en capacité d'en organiser partout ce qui représente autant de manquements. Par ailleurs, je ne souhaite pas l'installation d'un vote à 100 % numérique.

Le numérique peut être intéressant pour d'autres usages également, par exemple les passeports, mais pour de nombreuses demandes qui peuvent être très complexes, il faudra toujours préserver un accueil physique. Cela nécessite des moyens sur lesquels il faudra toujours être vigilant.

M. Christian Cambon, président . - Nous allons procéder au vote global sur les trois rapports pour avis de l'action extérieure de l'État.

M. Jean-Marc Todeschini . - Le groupe socialiste s'abstiendra. Il s'agit d'une abstention de vigilance, certains crédits étant en hausse et d'autres en baisse. Cette vigilance s'impose car nous n'aurons probablement pas de débat en séance publique.

M. Christian Cambon, président . - Je mets aux voix les trois avis favorables formulés par les rapporteurs des programmes 105 « Action de la France en Europe et dans le monde », 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » et 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ».

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».

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