N° 104

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 octobre 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi,
adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
portant diverses dispositions de
vigilance sanitaire ,

Par Mme Pascale GRUNY,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Laurence Garnier, Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, M. Olivier Léonhardt, Mmes Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4565 , 4574 et T.A. 682

Sénat :

88 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Réunie le mardi 26 octobre 2021 sous la présidence de Mme Catherine Deroche, la commission des affaires sociales a examiné le rapport de Mme Pascale Gruny sur le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire. La commission a proposé à la commission des lois d'adopter les articles qui lui étaient délégués au fond, sous réserve des amendements qu'elle a adoptés. Elle a également adopté plusieurs amendements sur les articles pour lesquelles elle s'était saisie pour avis .

S'agissant de l' article 3 relatif aux modalités de contrôle du respect de l'obligation vaccinale contre la covid-19, pour lequel elle a reçu une délégation d'examen de la commission des lois, la commission a veillé à garantir des modalités à la fois opérationnelles et respectueuses des exigences de protection des données de santé à caractère personnel . Elle propose en particulier que l'accès éventuel des responsables du contrôle à la base SI-Vaccin soit justifié et proportionné au regard des contraintes propres rencontrées pour la mise en oeuvre de ce contrôle.

S'agissant de l' article 4 ter , il vise à donner aux directeurs d'établissements scolaires l' accès aux données virologiques, vaccinales et de contact concernant les élèves de leur établissement. Considérant le dispositif proposé bien trop lacunaire dans la justification de ses intentions et trop imprécis dans ses modalités de mise en oeuvre, la commission propose de revenir à la solution qui avait été retenue lors de l'examen de la loi du 5 août dernier, en prévoyant une communication hebdomadaire de l'assurance maladie aux directeurs d'établissements scolaires d'informations sur la dynamique de l'épidémie et de la vaccination dans le secteur de leur établissement.

Concernant les dispositions du projet de loi relatives au droit du travail ( articles 5, 5 ter et 6 ), sur lesquelles elle s'est également saisie pour avis, la commission a veillé à limiter au strict nécessaire les prorogations et adaptations de mesures exceptionnelles proposées pour faire face à un éventuel rebond de l'épidémie, notamment en matière d'activité partielle.

I. LA NÉCESSITÉ DE RENDRE LE CONTRÔLE DU RESPECT DE L'OBLIGATION VACCINALE PLUS OPÉRATIONNEL

A. UNE OBLIGATION VACCINALE EFFECTIVE, EN DÉPIT DE DIFFICULTÉS PERSISTANTES ET PRÉOCCUPANTES

Instituée par la loi du 5 août 2021 1 ( * ) , l'obligation vaccinale contre la covid-19 s'applique à différentes catégories de professionnels - dont, en particulier, les professionnels de santé - amenés à entrer en contact, dans le cadre de leur activité, avec des personnes vulnérables . Entrée en vigueur à compter du 8 août 2021 2 ( * ) , son déploiement a été progressif afin de ménager aux personnes concernées le temps nécessaire pour justifier d'un schéma vaccinal complet à partir du 16 octobre 2021. En application de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, les professionnels concernés qui ne se conforment pas à cette obligation ne peuvent plus continuer à exercer leur activité : ils font alors l'objet d'une suspension de leur contrat de travail dans le cas des salariés et agents publics, de sanctions ordinales et financières 3 ( * ) dans le cas des professionnels de santé libéraux ou encore de la suspension de leur formation dans le cas des étudiants en santé.

1. Un déploiement globalement réussi de l'obligation vaccinale

Selon une enquête de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) conduite auprès des établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux 4 ( * ) , la proportion de personnels n'ayant pas entamé de schéma vaccinal au 13 octobre s'est établie à 5,6 % au sein des établissements de santé publics, à 4,5 % au sein des établissements de santé privés et à 3,2 % au sein des établissements sociaux et médico-sociaux. S'agissant des professionnels de santé libéraux conventionnés, cette proportion s'est élevée, selon des données de la caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) au 14 octobre, à 4,1 % pour les libéraux actifs et à 7,9 % pour les libéraux retraités.

Selon les enquêtes conduites par le ministère de la santé, l'assurance maladie et Santé publique France 5 ( * ) , on peut estimer à 95 % la proportion des personnels des établissements sanitaires et médico-sociaux engagés dans un schéma vaccinal.

On observe néanmoins que le respect de l'obligation vaccinale est sensiblement plus important au sein de la filière soignante médicale (médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes) qu'au sein de la filière soignante non médicale (infirmiers, aides-soignants, agents des services hospitaliers...). Selon l'enquête de la Drees précitée, les personnels soignants médicaux n'ont représenté, au 13 octobre 2021, que 3 % des personnels qui ne s'étaient pas soumis à l'obligation vaccinale au sein des établissements répondants, contre 63 % pour les personnels soignants non médicaux, les 34 % restants concernant les personnels de rééducation, les personnels éducatifs, pédagogiques, sociaux et d'animation, les personnels médicotechniques, les personnels techniques et ouvriers et les personnels administratifs.

Sur le plan juridique, outre l'absence de censure des dispositions concernant l'obligation vaccinale par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 août 2021 6 ( * ) , l'obligation vaccinale a vu sa conformité avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales admise par le Conseil d'État statuant en référé, dans une décision du 30 août 2021 7 ( * ) .

Par ailleurs, selon la commission, le fait que les soignants aient compté parmi les premiers publics à avoir accès à la vaccination rend plus que jamais d'actualité la question de la prise en compte d'une dose de rappel dans le schéma vaccinal complet permettant de satisfaire à l'obligation vaccinale.

2. La persistance de résistances qui peuvent mettre en difficulté les établissements concernés

La Drees a recensé, au 13 octobre 2021, un peu moins de 8 000 suspensions pour non-respect de l'obligation vaccinale et un peu moins de 3 000 démissions. Ces suspensions et démissions ont majoritairement concerné la filière soignante non médicale.

Le ministre des solidarités et de la santé a néanmoins indiqué que les deux tiers des soignants ayant fait l'objet d'une suspension pour refus vaccinal ont été réintégrés après s'être conformés à l'obligation vaccinale 8 ( * ) .

Suspensions et démissions liées au non-respect de l'obligation vaccinale
au 13 octobre 2021

Métiers

Nombre de suspensions

Nombre de démissions

Filière soignante médicale

257 (3 %)

55 (2 %)

Filière soignante non médicale

4 952 (63 %)

2 041 (69 %)

Autres*

2 721 (34 %)

846 (29 %)

* personnels de rééducation, personnels éducatifs, pédagogiques, sociaux et d'animation, personnels médicotechniques, personnels techniques et ouvriers, personnels administratifs

Source : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, enquête du 13 octobre 2021

* Source : Direction générale de la santé citée in Nicolas Berrod, « Vaccination obligatoire contre le covid-19 : 130 000 soignants n'ont toujours reçu aucune dose », Le Parisien , édition du 20 octobre 2021.

a) Des refus de l'obligation vaccinale qui ont pu occasionner des difficultés d'organisation et de fonctionnement

Le refus pour des personnels de se conformer à l'obligation vaccinale peut être source de difficultés pour l'établissement en termes d'organisation. L'enquête de la Drees précitée montre qu'au 13 octobre 2021, une majorité d'établissements de santé publics répondants font état, comme conséquences de ces situations, du recours à l'intérim et aux contrats courts (62 %), d'une augmentation de l'absentéisme (59 %), mais aussi de démissions (24 %) ainsi que de fermetures de lits (18 %) et de ruptures de prise en charge (13 %).

Proportion d'établissements de santé et sociaux et médico-sociaux ayant rencontré
des difficultés d'organisation et de fonctionnement liées au refus de l'obligation vaccinale

Type de difficultés

Établissements
de santé publics

Établissements de santé privés

Établissements pour personnes âgées

Établissements pour personnes handicapées

Démissions

23,6 %

21,4 %

25,1 %

13,6 %

Recours à l'intérim / contrats courts

61,6 %

60,4 %

48,6 %

44,8 %

Augmentation

de l'absentéisme

59,3 %

43,5 %

34,9 %

46,8 %

Fermeture de lits

18,2 %

11,9 %

3 %

1,6 %

Report d'activité

programmée

7,4 %

9,8 %

4,4 %

12 %

Transfert de patients

3,5 %

2,5 %

1,1 %

0,9 %

Ruptures de prise en charge / baisse des admissions

13,2 %

15,1 %

20,8 %

14,8 %

Grève / mouvement social

9,3 %

1,4 %

2,4 %

4,2 %

Troubles à l'ordre public

1,9 %

0,4 %

0,1 %

0,1 %

Autres

20,5 %

23,2 %

29 %

25,4 %

Source : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, enquête du 13 octobre 2021

b) Une obligation vaccinale qui peine à devenir effective dans certaines collectivités ultramarines

La mise en oeuvre de l'obligation vaccinale s'avère particulièrement problématique dans un certain nombre de territoires ultramarins, notamment dans les Antilles ou en Guyane où l'intensité de la quatrième vague avait conduit M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé à déclarer, à l'occasion d'un déplacement le 12 août en Martinique, ne pas vouloir « rajouter la contrainte de l'obligation vaccinale » 9 ( * ) à une situation déjà difficile.

En dépit de dispositions légales qui doivent s'appliquer dans les mêmes conditions et délais sur l'ensemble du territoire national, les contrôles du respect de l'obligation vaccinale semblent avoir été différés dans les Antilles et en Guyane.

Selon des informations rapportées dans la presse 10 ( * ) , la première suspension aurait été prononcée en Guadeloupe le 18 octobre et la Martinique aurait repoussé au 24 octobre et au 15 novembre les dates de déploiement de l'obligation vaccinale fixées par la loi respectivement au 15 septembre - pour la preuve de l'entrée dans une démarche vaccinale - et au 16 octobre - pour la preuve d'un schéma vaccinal complet -.

Pour autant, dans ses réponses au questionnaire de la commission, le ministère des solidarités et de la santé assure, s'agissant des outre-mer, que l'obligation vaccinale des professionnels de santé s'applique de la même manière sur l'ensemble du territoire national et qu'aucune dérogation n'existe. Il explique néanmoins que, compte tenu de l'ampleur de la quatrième vague et du faible taux de vaccination des professionnels concernés, un contrôle gradué et progressif de cette obligation a été mis en place , d'abord par des rappels pédagogiques, puis par un contrôle prioritaire des professionnels les moins mis en tension, avant un élargissement des contrôles à partir de mi-octobre.

Selon les données issues d'une enquête de la direction générale de la santé et de la direction générale de la cohésion sociale du 6 octobre 2021, 86 % des personnels des établissements de santé répondants n'auraient pas entamé de schéma vaccinal en Martinique, cette proportion s'établissant à 43 % en Guadeloupe et à 55 % en Guyane 11 ( * ) . Dans l'hexagone, ce taux se situe généralement entre 3 % et 5 %, sauf en Nouvelle-Aquitaine où il atteindrait 9 % et en Corse avec 6 %. S'agissant des professionnels de santé libéraux, le taux de schémas vaccinaux complets s'établit, au 24 octobre 2021, à 72,4 % en Martinique, 73,8 % en Guadeloupe et 76,4 % en Guyane, quand il est de 94,4 % à La Réunion et de 96,7 % en France métropolitaine 12 ( * ) .

Proportion des personnels des établissements de santé
et des établissements sociaux et médico-sociaux n'ayant pas entamé
de schéma vaccinal au 6 octobre 2021, par région

Région

En établissements
de santé publics et privés

En établissements sociaux et médicaux sociaux

Auvergne-Rhône-Alpes

4 %

4 %

Bourgogne-Franche-Comté

3 %

3 %

Bretagne

3 %

2 %

Centre-Val de Loire

2 %

2 %

Grand Est

4 %

3 %

Hauts-de-France

3 %

3 %

Île-de-France

5 %

4 %

Normandie

3 %

2 %

Nouvelle-Aquitaine

9 %

3 %

Occitanie

3 %

5 %

Pays de la Loire

3 %

2 %

Provence-Alpes-Côte d'Azur

5 %

5 %

Corse

6 %

7 %

Guadeloupe

43 %

48 %

Guyane

55 %

/

Martinique

86 %

48 %

Mayotte

/

/

La Réunion

6%

7%

Source : Direction générale de la santé et direction générale de la cohésion sociale, enquête du 6 octobre 2021


* 1 Loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

* 2 Jour de la parution du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1 er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

* 3 Lorsqu'une agence régionale de santé (ARS) constate qu'un professionnel de santé libéral conventionné ne respecte pas son interdiction d'exercer notifie au professionnel concerné l'interdiction d'exercice qui s'impose à lui et transmet l'information à la caisse primaire d'assurance maladie qui, au bout de trente jours, entame une procédure de récupération d'indu directement auprès du professionnel afin de ne pas impacter sa patientèle. Lorsque l'ARS constate que le professionnel exerce en infraction depuis plus de trente jours, elle informe le cas échéant l'ordre professionnel dont il relève, qui peut engager des poursuites disciplinaires devant les juridictions ordinales.

* 4 48,8 % d'établissements répondants.

* 5 Selon un bilan de Santé publique France, au 20 septembre 2021, 92 % des professionnels exerçant dans les établissements de santé avaient reçu au moins une dose - dont 86,6 % présentaient un schéma vaccinal complet -, 96,6 % des agents en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) - dont 92,4 % étaient entièrement vaccinés - et 95,5 % des soignants libéraux avaient reçu au moins une dose - dont 93,2 % présentaient un schéma vaccinal complet.

* 6 Décision du Conseil constitutionnel n° 2021-824 DC du 5 août 2021.

* 7 Conseil d'État, 30 août 2021, Gentillet, n° 455623 ; CESDH.

* 8 Audition par la commission des affaires sociales et la commission des lois du Sénat du 26 octobre 2021.

* 9 Cité in Youssr Youssef et FIG Data, « Obligation vaccinale : les outre-mer à la traîne », Le Figaro , édition du 15 octobre 2021.

* 10 Ibidem .

* 11 Un article de presse (Youssr Youssef et FIG Data, « Obligation vaccinale : les outre-mer à la traîne », Le Figaro , édition du 15 octobre 2021) évoque un taux de « 68 % de soignants complètement vaccinés en Martinique ».

* 12 Données de Santé publique France, à partir de la base vaccin Covid.

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