Avis n° 144 (2020-2021) de Mme Maryse CARRÈRE , fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 novembre 2020

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N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la c ommission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

TOME VIII

PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

Par Mme Maryse CARRÈRE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Après avoir entendu Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice 1 ( * ) , le mardi 17 novembre 2020, la commission des lois, réunie le mercredi 18 novembre 2020 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), a examiné, sur le rapport de Maryse Carrère (RDSE - Hautes-Pyrénées), les crédits du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2021.

Les crédits de paiement alloués à ce programme augmentent de 7,2 % en 2021 pour atteindre un montant de 789,8 millions d'euros. L'augmentation globale des crédits de paiement s'inscrit dans la suite de celle des quatre dernières années mais est plus importante (+ 2,3 % en PLF 2020 par rapport à 2019, + 2,85 % en PLF 2019 par rapport à 2018).

Hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions (qui retrace les crédits consacrés au financement des pensions versées par l'État), les crédits de rémunération s'élèvent à 396,4 millions d'euros, en hausse de 4,5 % par rapport à la loi de finances pour 2020.

Hors Titre 2, le budget de la PJJ continue sa progression entamée il y a quatre ans avec une hausse de 9,1 %.

Ces augmentations importantes doivent cependant être analysées au regard de l'effet de rattrapage nécessaire à la concrétisation des engagements des années antérieures en matière de création de postes et des enjeux d'adaptation importants auxquels fait face la PJJ.

Suivant la proposition de son rapporteur, la commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice » inscrits au projet de loi de finances pour 2021.

I. UN RATTRAPAGE NECESSAIRE ENTRE POSTES OUVERTS ET POSTES CRÉÉS

Si le projet de budget pour 2021 prévoit de nouvelles créations de postes, la PJJ a souffert au cours des dernières années d'un écart croissant entre le nombre de postes théoriquement ouverts par le budget et une dotation en crédits insuffisante pour recruter effectivement des personnels au sein des différents cadres.

Cet écart s'est accentué au point que, depuis 2019, l'augmentation prévue de postes se trouve limitée afin de réduire l'écart entre le nombre théorique et le nombre réel de postes. Cette limitation résulte de l'application de l'article 11 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 2 ( * ) qui interdit une augmentation supérieure à 1 % du nombre d'emploi par rapport au nombre d'emplois consommés l'année précédente.

Ainsi, en 2020, initialement fixé à 9 141 emplois équivalents temps plein (ETPT), le plafond des autorisations d'emplois (PAE) a été ramené à 9 118 ETPT.

Année

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Nombre de postes ouverts (PAE)

8 567

8 821

9 092

9 108

9 051

9 118

9 186

Nombre de postes réels

8 480

8 695

8 874

8 919

8 982

N.C

Si le nombre de postes de la PJJ a augmenté chaque année entre 2015 et 2019 (plus 400 postes au total), il augmente donc moins que ne pouvaient le laisser supposer les plafonds d'emplois autorisés.

Ces difficultés de création de postes sont à mettre en regard de l'important volet de personnels contractuels auxquels la PJJ doit avoir recours (près de 19,7 % des effectifs). En 2020, le nombre de postes demandés a été réduit de 86 unités pour tenir compte du recrutement d'éducateurs contractuels « dans le cadre du renforcement de la justice de proximité ». Comme l'a souligné la directrice de la PJJ lors de son audition, le recrutement de personnels contractuels correspond majoritairement à des besoins ponctuels. Cependant la rapporteure note qu'un volet croissant de ces emplois correspond aux difficultés de recrutements pérennes d'éducateurs, notamment en région parisienne et dans les outre-mer.

En l'état, le budget de la PJJ prévoit la création nette de 40 postes , dont 19 liés à l'ouverture de nouveaux centres éducatifs fermés et 20 emplois pour la participation aux cellules de recueil d'informations préoccupantes (CRIP). Un emploi sera créé pour le suivi des mineurs en milieu ouvert, vers lequel 83 emplois seront par ailleurs redéployés. Les conditions exactes de ce redéploiement ne sont pas encore connues.

II. L'ENTRÉE EN VIGUEUR RETARDÉE DU CODE DE JUSTICE PÉNALE DES MINEURS EST LIÉE AUX DIFFICULTÉS D'ADAPTATION, DANS DES DÉLAIS RAPIDES, DE LA JUSTICE ET DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

La loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de Covid-19 du 17 juin 2020 a prévu le report, du 10 octobre 2020 au 31 mars 2021, de l'entrée en vigueur du nouveau code de justice pénale des mineurs, qui doit se substituer à l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante. Ce nouveau code, promulgué par voie d'ordonnance en septembre 2019, modifie la procédure de jugement des mineurs, en instituant notamment une césure du procès pénal.

La commission des lois avait constaté lors de l'examen de ce projet de loi que tant les juridictions pour mineurs que les services de la protection judiciaire de la jeunesse ne seraient pas prêts à mettre en oeuvre la réforme à la date initialement prévue. Les développements informatiques ont également pris du retard, de même que le travail de formation des personnels qui doit précéder l'application de la réforme.

La grève des avocats, en début d'année, puis le confinement ont perturbé le fonctionnement des juridictions qui n'ont pas réussi à apurer leurs stocks d'affaires, comme elles l'avaient initialement envisagé. Or cet apurement est indispensable pour éviter que les juridictions ne soient obligées d'appliquer deux procédures en parallèle, ce qui compliquerait grandement leur fonctionnement : la procédure actuellement en vigueur et la procédure nouvelle issue du code de justice pénale des mineurs. Des renforts d'effectifs contractuels semblent devoir être déployés au cours de l'année 2021 pour faire face à cette difficulté.

Il n'est pas sûr que les services de la PJJ et les juridictions pour mineurs soient en état, au 31 mars prochain, de faire face à l'entrée en vigueur du nouveau code. En effet, le changement de procédure, qui est l'un des axes essentiels de la réforme envisagée, conduit à une évolution importante des pratiques éducatives qui devront se concentrer sur une période de six à éventuellement neuf mois après la reconnaissance de la culpabilité du mineur. Or les possibilités de formation des personnels se trouvent limitées depuis début 2020 par la crise sanitaire et le budget formation de la PJJ est, pour 2021, en réduction. Le risque d'une mise en oeuvre plus formelle que pratique de la réforme et d'importants temps de transition au cours de l'année 2021 paraît donc réel.

Par ailleurs le Sénat a plusieurs fois insisté sur la nécessité d'un débat parlementaire spécifique pour la ratification de l'ordonnance. La date de celui-ci n'est toujours pas définitivement fixée.

III. LA CRÉATION DES CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS CONCENTRE CETTE ANNÉE ENCORE UNE PART IMPORTANTE DE L'ACTIVITÉ DE LA PJJ

La création des centres éducatifs fermés est un des axes essentiels du développement de l'activité de la PJJ depuis deux ans.

Sur les vingt nouveaux centres éducatifs fermés (CEF) qui doivent être créés , quinze seront confiés au secteur associatif habilité et cinq au service public.

Cependant, seuls cinq ont à ce jour une emprise de terrain validée et six autres une emprise identifiée. Neuf projets sont encore sans emprise. Au moins quatre CEF, dont deux publics, devraient ouvrir en 2021.

Les services concernés indiquent que l'opposition des populations aux projets d'implantation est dans la plupart des cas responsable des difficultés à valider et à trouver des emprises. La situation est donc similaire à celle des projets de construction de nouvelles places de prison.

La part, hors titre II, des dépenses liées au CEF représente 7 % des dépenses totales liés à la mise en oeuvre des décisions de justice par le secteur public.

Coût des différents types de structures du secteur public

Source : Programme annuel de performance

Déjà importante au regard du nombre de jeunes placés en leur sein, la part des CEF dans les dépenses de la PJJ est amenée à croître avec la création des vingt nouveaux CEF au cours des prochaines années. Les frais de gestion et d'entretien de ces structures, qui font d'elles la plus coûteuse des formes d'hébergement, ne doivent pas obérer le développement des autres types d'accueil et du secteur ouvert.

La PJJ se trouve par ailleurs confrontée à des difficultés de gouvernance de ces centres et à la gestion de la sortie des jeunes qui y sont placés et qui ne sont pas dans une démarche de réinsertion. L'assimilation du placement en CEF à une peine de prison par les mineurs qui s'y trouvent et la difficulté parallèle à intégrer des dispositifs de transition et d'insertion dans un milieu fermé sont facteurs de difficultés dans les prises en charge.

La volonté de la PJJ de diversifier les modes d'accueil est l'un des axes des « états généraux du placement » lancés au début de l'année 2020. L'achèvement des vingt CEF programmés fera de ces centres les plus nombreuses des structures d'hébergement et devrait donc permettre de flécher, à l'avenir, davantage de crédits vers les autres types de structures (foyers notamment) après 2022.

IV. D'IMPORTANTS PROJETS INFORMATIQUES DOIVENT VOIR LE JOUR ENTRE FIN 2020 ET 2021

Sur le plan des équipements, la PJJ a, comme les autres administrations, lancé un programme d'équipement informatique à la suite du premier confinement de l'année 2020. Les syndicats auditionnés par la rapporteure ont constaté l'augmentation des dotations des agents en ultra-portables. Ils ont cependant regretté une insuffisante prise en compte des contraintes spécifiques au métier d'éducateur dans ces dotations et des possibilités dont ils pourraient disposer pour effectuer du travail à distance.

S'agissant des outils de suivi des jeunes et des logiciels mis à disposition des services de la PJJ mais aussi des magistrats et greffiers, le projet PARCOURS de la PJJ doit permettre progressivement, à partir de 2021, d'assurer le suivi de tous les mineurs confiés à la PJJ et la recension de tous les actes pris à leur égard.

Outre un suivi plus précis et efficace des jeunes, ce programme doit permettre d'avoir une image exacte de leur parcours et de l'efficacité des mesures prises, notamment pour éviter les récidives.

Ce programme doit aussi permettre de mieux suivre deux populations particulièrement fragiles, les mineurs étrangers isolés et les jeunes majeurs, ces derniers représentant 26 % des jeunes suivis.

Le projet PARCOURS devait faire l'objet d'une première version en 2020. Il apparaît cependant qu'il sera plutôt déployable à partir de la fin du premier trimestre 2021, période prévue pour la mise en oeuvre du nouveau code de justice pénale des mineurs. L'appropriation de cet outil par les services devra donc s'effectuer dans un contexte de changement des pratiques.

*

* *

La commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme.

La mission « Justice » sera examinée en séance publique le 4 décembre.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 18 NOVEMBRE 2020

Mme Maryse Carrère , rapporteur pour avis . - Monsieur le Président, Mes chers collègues, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) représente 9,4 % des crédits de l'ensemble de la mission Justice, moins d'un quart des crédits du programme Administration pénitentiaire et un peu plus d'un quart de ceux du programme Justice judiciaire.

Les missions dévolues à la PJJ, qui assure le suivi de près de 150 000 jeunes chaque année, justifient cependant qu'un examen spécifique de ses crédits et de ses missions soit effectué chaque année par la commission des lois.

Ainsi que nous l'avons décidé, je vous présenterai aujourd'hui une analyse budgétaire des points saillants du budget proposé pour 2021 et vous proposerai un avis sur ces crédits. Nous envisagerons dans un deuxième temps un rapport thématique.

Le projet de loi de finances pour 2021 dote la protection judiciaire de la jeunesse d'un budget de 789,8 millions d'euros (hors pensions), en augmentation de 53,2 millions, soit 7,2 %, par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Cette augmentation particulièrement importante est supérieure à celle des années antérieures (+ 2,3 % en PLF 2020 par rapport à 2019, + 2,85 % en PLF 2019 par rapport à 2018). Elle est à l'aune de celle de l'ensemble de la mission mais doit être soulignée et saluée.

Cette augmentation doit cependant être analysée au regard de l'effet de rattrapage nécessaire à la concrétisation des engagements des années antérieures en matière de création de postes et des enjeux d'adaptation importants auxquels fait face la PJJ, principalement, mais pas uniquement, en lien avec la réforme de l'ordonnance de 1945 relative à la justice des mineurs, dont l'entrée en vigueur est désormais reportée au 31 mars 2021. Lors de son audition devant notre commission hier, le garde des Sceaux a fait part de son optimisme s'agissant de la mise en oeuvre de cette réforme.

Si le projet de budget pour 2021 prévoit de nouvelles créations de postes, la PJJ a souffert au cours des dernières années d'un écart croissant entre le nombre de postes théoriquement ouverts par le budget et une dotation en crédits insuffisante pour recruter effectivement des personnels au sein des différents cadres.

Cet écart s'est accentué au point que, depuis 2019, l'augmentation prévue de postes se trouve limitée afin de réduire l'écart entre le nombre théorique et le nombre réel de postes.

Ainsi, en 2020, le plafond des autorisations d'emplois, initialement fixé à 9141 emplois équivalents temps plein, a été réduit de 23 postes.

Si le nombre de postes de la PJJ a augmenté chaque année entre 2015 et 2019 (plus 400 postes au total), il augmente donc moins que ne pouvaient le laisser supposer les plafonds d'emplois autorisés.

Ces difficultés de création de postes sont à mettre en regard de l'important volet de personnels contractuels auxquels la PJJ doit avoir recours. Ceux-ci constituent près de 19,7 % des effectifs. En 2020, le nombre de postes demandés a été réduit de 86 unités pour tenir compte du recrutement d'éducateurs contractuels « dans le cadre du renforcement de la justice de proximité ». Comme l'a souligné la directrice de la PJJ lors de son audition, le recrutement de personnels contractuels correspond majoritairement à des besoins ponctuels. Cependant je note qu'un volet croissant de ces emplois correspond aux difficultés de recrutements pérennes d'éducateurs, notamment en région parisienne et dans les outre-mer.

En l'état, le budget de la PJJ prévoit la création nette de 40 postes, dont 19 liés à l'ouverture de nouveaux centres éducatifs fermés et 20 emplois pour la participation aux cellules de recueil d'informations préoccupantes (CRIP). Un emploi sera créé pour le suivi des mineurs en milieu ouvert, vers lequel 83 emplois seront par ailleurs redéployés. Les conditions exactes de ce redéploiement ne sont pas encore connues.

Or le renforcement et la formation des équipes d'éducateurs sont essentiels pour permettre la mise en oeuvre du nouveau code de justice pénale des mineurs, comme je l'ai rappelé hier au ministre de la justice lors de son audition par la commission. Comme vous le savez, ce nouveau code, promulgué par voie d'ordonnance en septembre 2019, modifie la procédure de jugement des mineurs, en instituant notamment une césure du procès pénal.

La commission des lois avait constaté en juin dernier que tant les juridictions pour mineurs que les services de la protection judiciaire de la jeunesse ne seraient pas prêts à mettre en oeuvre la réforme à la date initialement prévue. Les développements informatiques ont également pris du retard, de même que le travail de formation des personnels qui doit précéder l'application de la réforme.

La grève des avocats, en début d'année, puis le confinement ont perturbé le fonctionnement des juridictions qui n'ont pas réussi à apurer leurs stocks d'affaires, comme elles l'avaient initialement envisagé. Or cet apurement est indispensable pour éviter que les juridictions ne soient obligées d'appliquer deux procédures en parallèle, ce qui compliquerait grandement leur fonctionnement : la procédure actuellement en vigueur et la procédure nouvelle issue du code de justice pénale des mineurs. Des renforts d'effectifs contractuels semblent devoir être déployés au cours de l'année 2021 pour faire face à cette difficulté.

Il n'est pas sûr que les services de la PJJ et les juridictions pour mineurs soient en état au 31 mars prochain de faire face à l'entrée en vigueur du nouveau code. En effet, le changement de procédure qui est l'un des axes essentiels de la réforme envisagée conduit à une évolution importante des pratiques éducatives, qui devront se concentrer sur une période de six à éventuellement neuf mois après la reconnaissance de la culpabilité du mineur. Or les possibilités de formation des personnels se trouvent limitées depuis début 2020 par la crise sanitaire et le budget formation de la PJJ est pour 2021 en réduction. Le risque d'une mise en oeuvre plus formelle que pratique de la réforme et d'importants temps de transition au cours de l'année 2021 paraît donc réel.

Par ailleurs le Sénat a plusieurs fois insisté sur la nécessité d'un débat parlementaire spécifique pour la ratification de l'ordonnance. La date de celui-ci n'est toujours pas définitivement fixée. Le garde des Sceaux nous a assuré hier que ce débat aurait lieu avant la mise en oeuvre du nouveau code de justice pénale des mineurs.

L'un des axes essentiel du développement de l'activité de la PJJ depuis deux ans est la création des centres éducatifs fermés.

Sur les vingt nouveaux centres éducatifs fermés (CEF) qui doivent être créés, quinze seront confiés au secteur associatif habilité et cinq au service public.

Au moins quatre CEF, dont deux publics, devraient ouvrir en 2021. Ils font partie des cinq projets qui ont une emprise de terrain validée, six autres ayant une emprise identifiée. Neuf projets sont encore sans emprise.

Les services concernés indiquent que l'opposition des populations aux projets d'implantation est dans la plupart des cas responsable des difficultés à valider et à trouver des emprises. La situation est donc similaire à celle des projets de construction de nouvelles places de prison.

La part, hors titre II, des dépenses liées au CEF représente 7 % des dépenses totales liés à la mise en oeuvre des décisions de justice par le secteur public.

Déjà importante au regard du nombre de jeunes placés en leur sein, la part des CEF dans les dépenses de la PJJ est amenée à croître avec la création des vingt nouveaux CEF au cours des prochaines années. Or il m'apparaît que les frais de gestion et d'entretien de ces structures, qui font d'elles la plus coûteuse des formes d'hébergement, ne doivent pas obérer le développement des autres types d'accueil et du secteur ouvert.

La PJJ se trouve par ailleurs confrontée à des difficultés de gouvernance de ces centres et à la gestion de la sortie des jeunes qui y sont placés et qui ne sont pas dans une démarche de réinsertion. L'assimilation du placement en CEF à une peine de prison par les mineurs qui s'y trouvent, et la difficulté parallèle à intégrer des dispositifs de transition et d'insertion dans un milieu fermé, sont facteurs de difficultés dans les prises en charge.

La volonté de la PJJ et cela nous a été confirmé par sa directrice, de diversifier les modes d'accueil est l'un des axes des "états généraux du placement" lancés au début de l'année 2020. L'achèvement des vingt CEF programmés en fera les structures d'hébergement les plus nombreuses et devrait donc permettre de flécher, à l'avenir, davantage de crédits vers les autres types de structures (foyers notamment) après 2022.

Enfin, face aux défis d'adaptation qui sont les siens et dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, la PJJ a, comme les autres administrations, lancé un programme d'équipement informatique à la suite du premier confinement de l'année 2020. Les syndicats que j'ai auditionnés ont constaté l'augmentation des dotations des agents en ultra-portables. Ils ont cependant regretté une prise en compte insuffisante des contraintes spécifiques au métier d'éducateur dans ces dotations, comme des possibilités dont ils pourraient disposer pour effectuer du travail à distance.

S'agissant des outils de suivi des jeunes et des logiciels mis à disposition des services de la PJJ mais aussi des magistrats et greffiers, le projet PARCOURS de la PJJ doit permettre progressivement à partir de 2021 d'assurer le suivi de tous les mineurs qui lui sont confiés, et la recension de tous les actes pris à leur égard.

Outre un suivi plus précis et efficace des jeunes, ce programme doit permettre d'avoir une image exacte de leur parcours et de l'efficacité des mesures prises, notamment pour éviter les récidives.

Ce programme doit aussi permettre de mieux suivre deux populations particulièrement fragiles, les mineurs étrangers isolés et les jeunes majeurs, ces derniers représentant 26 % des jeunes suivis.

Le projet PARCOURS devait faire l'objet d'une première version en 2020. Il apparaît cependant qu'il sera plutôt en déploiement à partir de la fin du premier trimestre 2021, période prévue pour la mise en oeuvre du nouveau code de justice pénale des mineurs. L'appropriation de cet outil par les services devra donc s'effectuer dans un contexte de changement des pratiques et dans un temps très court.

La PJJ fait donc face à des défis importants auxquels l'augmentation très importante de son budget permet partiellement de répondre. Il nous faudra suivre avec attention les différents dossiers que j'ai évoqués devant vous.

Pour l'heure, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182.

Je vous remercie.

M. Alain Marc . - Madame la rapporteur, pourriez-vous nous préciser le nombre de jeunes par CEF en moyenne et le taux d'encadrement ? Il semble que dans certains cas l'encadrement ne soit pas suffisamment rigoureux, j'ai l'exemple d'un maire qui a dû faire intervenir la gendarmerie en raison de troubles à l'ordre public causés par les jeunes d'un CEF installés temporairement devant une maison de retraite.

Autre sujet que je souhaitais évoquer : les mineurs étrangers non accompagnés dits MNA. Le coût de leur suivi représente entre 5 et 6 millions d'euros par an pour les départements et le remboursement par l'État est beaucoup plus faible. Pouvez-vous nous dire si le nombre de MNA sur le territoire est en diminution ?

M. Jean-Pierre Sueur . - Je souscris aux conclusions de notre rapporteur. J'insiste sur la future loi de ratification de l'ordonnance instituant le nouveau code de justice pénale des mineurs. Lors de son audition devant notre commission hier, le ministre nous a confirmé qu'il souhaitait un débat complet devant le Parlement au moment de la ratification des ordonnances, qui ne serait donc pas seulement formelle. J'en prends acte. Monsieur le Président, je forme le voeu que l'ordre du jour du Sénat y consacre le temps nécessaire.

M. Hussein Bourgi . - Je remercie et rejoins Madame Carrère. J'ai interrogé hier le garde des Sceaux sur ce sujet des MNA. Il ne m'a pas paru saisir la mesure du problème. Or la délinquance de MNA qui flambe dans certains quartiers est une réalité.

Les départements accompagnent très volontiers les mineurs, c'est leur vocation.

Mais il faut savoir qu'une minorité de MNA sèment la panique dans certaines grandes villes. Malheureusement la PJJ et les services de l'État sont totalement absents. L'État se défausse sur les départements ou alors choisit de sous-traiter la gestion des CEF à des associations, ce qui ne me semble pas satisfaisant. J'ai par exemple connaissance de cas de MNA ayant fugué d'un CEF, et que les associations gestionnaires n'ont jamais déclaré. Dans mon département, la moitié des faits divers sont causés par des MNA. Je suggère donc que nous nous penchions sérieusement sur ce sujet qui constitue à la fois un problème budgétaire et d'ordre public.

M. François-Noël Buffet . - Nous avons justement pour projet de créer un groupe de travail commun avec la commission des affaires sociales sur la question des mineurs étrangers non accompagnés.

Mme Valérie Boyer . - Je considère sur ces sujets que le Gouvernement nous met devant le fait accompli. Je souscris à ce que mon collègue Bourgi vient de dire. À Marseille presque mille MNA sont arrivés en deux ans. Sur des sujets aussi sensibles nous ne sommes pas là pour commenter les décrets que le Gouvernement veut prendre. Nos départements sont en difficulté financière : le coût de prise en charge des MNA est de 55 000 euros par an et, dans 60 % des cas, ils ne sont, en réalité, pas mineurs. Il s'agit donc d'un détournement de la loi.

Je m'interroge aussi sur l'accès à la nationalité française : combien de MNA deviennent français et, ensuite, combien procèdent à un regroupement familial ? La loi du 10 septembre 2018 portée par Gérard Collomb a élargi les possibilités de regroupement familial. Ainsi, certains réseaux utilisent des faux mineurs pour permettre à toute une famille de s'établir sur le territoire français indûment.

Face à ces abus, les départements n'ont plus les moyens de protéger les mineurs à qui ils doivent cette protection. Je souhaiterais que le Gouvernement puisse nous communiquer des statistiques sur la délinquance des MNA et leur accès à la nationalité française, y compris lorsqu'ils ont un casier judiciaire.

Le Parlement a pleinement son rôle à jouer sur cette question qui intéresse beaucoup les français.

Mme Marie Mercier . - Pour contribuer au débat, dans mon département le CEF n'a pas fonctionné et a fermé mais je me rappelle de notre visite du CEF de Savigny-sur-Orge qui était un exemple de réussite, notamment grâce à la qualité des dirigeants et la volonté du personnel encadrant. Ce sont des qualités essentielles pour ces jeunes souvent abandonnés par leur famille.

M. François Bonhomme . - Peut-on placer un jeune MNA en CEF ? Je me pose également les mêmes questions qu'Alain Marc sur le nombre moyen de jeunes par CEF et le taux d'encadrement.

M. François-Noël Buffet . - Il est possible de placer les MNA en CEF puisque c'est la minorité qui est protégée.

M. François Bonhomme . - Sur le plan statistique, je rappelle que le ministère de la justice évalue à 20 000 le nombre de MNA alors qu'ils sont en réalité 40 000.

M. Jean-Yves Leconte . - Laisser penser que tout enfant étranger mineur obtient la nationalité française n'est pas acceptable.

M. François-Noël Buffet . - N'ouvrons pas dès à présent le débat sur l'immigration : nous aurons l'occasion d'en parler la semaine prochaine à l'occasion de l'avis budgétaire sur le sujet.

M. Jean-Yves Leconte . - Le sujet majeur c'est l'investissement de l'aide sociale à l'enfance (ASE) pour ces mineurs et leur suivi une fois qu'ils ont atteint la majorité.

Nous ne pouvons pas aborder ces sujets de manière caricaturale.

M. Philippe Bas . - Je remercie Maryse Carrère de son exposé lucide.

Le sujet dont nous parlons est un débat récurrent aux multiples dimensions.

Je remercie le président François-Noël Buffet du lancement de ce travail commun avec la commission des affaires sociales : il est nécessaire pour appréhender la question des mineurs étrangers non accompagnés ou MNA, qu'on appelait autrefois les mineurs isolés étrangers.

Il est du devoir des départements de prendre en charge des mineurs qui se trouvent sans parents. Le président du conseil départemental exerce, dans ce cas, l'autorité parentale.

Mais si l'on veut avoir une approche solidaire et fraternelle de l'accueil des mineurs qu'ils soient étrangers ou français, encore faut-il qu'il soit possible de lutter contre les abus.

Peu de gens le savent, mais quand les centres sociaux des départements sont saturés, les mineurs sont placés à l'hôtel ce qui occasionne des coûts très importants de l'ordre 3 000 euros par mois et par enfant, sans qu'un accompagnement satisfaisant puisse être proposé.

Or, beaucoup de ces jeunes qui se déclarent mineurs ne le sont pas, il s'agit d'adultes entrés en France via des filières d'immigration irrégulières. Force est de constater que le régime français permet en dissimulant son âge de rentrer sur le territoire et de bénéficier d'un accompagnement.

Je voudrais souligner que la législation telle qu'elle a été modifiée au cours du précédent quinquennat est trop restrictive sur les conditions de détermination de l'âge. Le groupe de travail pourrait nous proposer de revoir la législation sur ce point.

Cela me semble un point essentiel pour consacrer à ceux qui en ont réellement besoin l'aide des départements.

Il existe d'ailleurs actuellement un problème d'équité entre départements puisque ceux qui ont une politique ferme ont résolu ce problème en refusant l'accueil des faux MNA une fois la majorité déterminée, alors que d'autres départements peinent à le faire et concentrent donc l'accueil d'un nombre plus importants de MNA.

J'espère que les conclusions de ce rapport nous parviendront rapidement pour concilier humanité dans l'accueil des vrais mineurs et fermeté dans la lutte contre les filières d'immigration clandestine.

M. Alain Richard . - Il me semble important d'analyser plus globalement le phénomène des mineurs allégués isolés au sein de l'espace Schengen, pour évaluer s'il y a une attractivité plus forte en France qu'ailleurs et pourquoi.

Mme Maryse Carrère . - Chers collègues je vous remercie pour ces échanges, je répondrai aux questions qui concernent les missions de la PJJ et laisserai le président répondre aux questions d'ordre général.

Pour les MNA, la PJJ s'occupe de la répartition par départements en fonction de la clef de répartition fixée chaque année par décret.

Je rappelle qu'un CEF est un lieu d'enfermement. C'est la dernière alternative avant la prison. En réponse aux questions de MM. Marc et Bonhomme, il y a en principe 12 places de mineurs par CEF, actuellement c'est plutôt 10 car ces structures sont occupées à 80%. Il y a 26 encadrants pour 12 mineurs en moyenne.

Sur la délinquance des MNA, si ce sujet est bien réel, il ne représente pas la majorité des MNA.

Sur les 40 000 MNA présents en France selon l'association des départements de France, une minorité a sombré dans la délinquance. Les MNA représentent toutefois la majorité des mineurs incarcérés. Cela pose problème car il y a moins de suivi éducatif. Comme le disait le président, je confirme que des MNA sont placés en CEF.

Madame Boyer, Monsieur Bourgi, sans répondre à toutes vos interrogations, je pense que ce taux de délinquance est dû à l'emprise des réseaux clandestins par lesquels ces jeunes arrivent.

Je dois dire toutefois que la PJJ est très impliquée sur la problématique des MNA.

Comme vous l'indiquiez Madame Mercier, la qualité des équipes des CEF est essentielle dans la réussite des jeunes et nous sommes conscients des écarts qu'il peut exister entre les différents CEF. La PJJ rencontre des difficultés de recrutement, elle doit faire appel à des contractuels remplaçants ce qui n'est pas toujours idéal et peut expliquer les marges de progression qui existent encore.

Je précise pour MM. Bas et Richard qui évoquaient les travaux de contrôle à venir qu'une mission à l'Assemblée nationale travaille en ce moment sur le sujet de la délinquance des MNA.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je souhaite que notre commission n'oublie pas les territoires d'outre-mer. On parle beaucoup des MNA dans l'hexagone, mais à Mayotte ce sont des milliers de jeunes qui sont concernés. Beaucoup sont livrés à la prostitution ou tombent dans la délinquance. N'oublions pas ces territoires déjà très en difficulté.

M. François-Noël Buffet . - Chers collègues, je vous indique de nouveau que nous pourrons reparler de ces sujets la semaine prochaine, dans le cadre plus adapté du rapport pour avis sur le budget de l'immigration.

Sur le fond chacun sait qu'il existe un grand nombre de filières et de réseaux qui organisent le transfert vers le territoire métropolitain de MNA par les pays du Maghreb. Il y a quelques années les centres d'hébergement du sud de la France avaient constaté des arrivées massives. Je m'étais moi-même rendu avec le Président Larcher dans les villes de Médina et Tanger, zones de départ connues vers la France. Nous étions également allés à Gap, dans les Hautes-Alpes. À l'époque, aucun outil de suivi n'existait au niveau national. Dès lors, un jeune reconnu majeur par un département pouvait ensuite se présenter dans un autre département, sans que ce dernier ne puisse détecter la fraude. Ce problème a été résolu à l'initiative du Sénat avec la mise en place d'un fichier unique des mineurs isolés de façon à éviter un « tour de piste » frauduleux des départements. La question du lien entre les MNA et la délinquance est posée. Nous entendons la semaine prochaine le ministre de l'intérieur, ce sera l'occasion de l'interroger sur ce sujet.

Je vous propose également d'interroger nos services pour avoir une analyse de droit comparé sur le cadre juridique applicable aux MNA au sein de l'espace Schengen. Nous avons besoin de connaître ces éléments objectifs et de disposer de statistiques pour apporter des réponses.

Je voudrais finir sur une note positive. Je me souviens être allé dans un centre d'hébergement de jeunes mineurs géré par la Croix-Rouge à Taverny. Il y a aussi des enfants accueillis par la France et qui s'en sortent et, en général, les préfectures instruisent les dossiers en amont de la majorité pour accorder des titres de séjour avant de passer à l'étape de l'acquisition de la nationalité. Il faut, à mon sens, conserver les points positifs et lutter contre les filières frauduleuses.

La commission émet un avis favorable aux crédits du programme 182, protection judiciaire de la jeunesse.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de la justice, direction de la protection judiciaire de la jeunesse

Mme Charlotte Caubel , directrice

M. Ludovic Fourcroy , sous-directeur du pilotage et de l'optimisation des moyens

Syndicat national des personnels de l'éducation et du social (SNPES) PJJ/Fédération syndicale unitaire (FSU)

M. Christophe Caron , secrétaire national

M. Vito Fortunato , secrétaire national

UNS-CGT PJJ

M. Pierre Lecorcher , secrétaire national

M. Josselin Valdenaire , secrétaire national

Interco CFDT Justice

M. Patrice Chollier , secrétaire fédéral


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html

* 2 « À compter de l'exercice 2019, le plafond des autorisations d'emplois prévu en loi de finances initiale, spécialisé par ministère, conformément à l'article 7 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, ne peut excéder de plus de 1 % la consommation d'emplois constatée dans la dernière loi de règlement, corrigée de l'incidence des schémas d'emplois, des mesures de transfert et des mesures de périmètre intervenus ou prévus. »

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