Avis n° 143 (2020-2021) de M. Julien BARGETON , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 19 novembre 2020

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N° 143

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation
et de la communication (1)
sur le projet de loi de finances ,
adopté par l'Assemblée nationale, pour
2021 ,

TOME IV

Fascicule 4

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES :

Livre et industries culturelles

Par M. Julien BA RGETON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mme Sabine Drexler, MM. Fabien Genet, Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

AVANT-PROPOS

Le domaine des « industries culturelles » a été bouleversé en 2020 par une crise qui n'est pas encore achevée et qui met en péril toute son économie.

Dans ce contexte, le rapporteur pour avis tient à souligner que l'État a été particulièrement présent , en anticipant les conséquences de court terme liées à l'urgence , notamment avec la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020, mais également à plus long terme , avec un plan de relance massif en particulier dans le secteur de la musique. La simple analyse de l'évolution des crédits du programme « Livre et industries culturelles » de 3,78 % en 2021, si elle marque l'attention des pouvoirs publics, n'est donc pas suffisante pour appréhender les difficultés du secteur comme l'effort de la collectivité.

Si les industries culturelles ont été parmi les secteurs les plus affectés , elles ont également été parmi les plus soutenues ce qui singularise la France par rapport à la plupart des pays développés.

Le rapporteur a choisi de consacrer son rapport pour avis à trois sujets particulièrement d'actualité , et qui font successivement l'objet de développements :

- la Bibliothèque nationale de France , qui fait face à de nombreux défis dans le domaine immobilier, mais mène également une politique ambitieuse sur des projets comme la numérisation des oeuvres ;

- le secteur du livre avec en particulier la préservation des librairies. Le fort attachement manifesté par nos concitoyens en juin à ces commerces essentiels a souligné leur importance dans notre pacte social ;

- enfin, le nouveau Centre national de la musique , qui doit cumuler sa mise en place avec son nouveau rôle de principal outil d'aide au secteur.

Le deuxième confinement acté au mois d'octobre, et dont la sortie sera progressive à compter du 28 novembre, fragilise une fois encore des industries culturelles déjà durement éprouvées. Toutes les conséquences devront être tirées de ce nouvel épisode dont on peine encore à estimer l'impact.

I. LES GRANDS CHANTIERS DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE

Moins exposée que d'autres grands opérateurs culturels aux conséquences de la pandémie, la Bibliothèque nationale de France (BnF) bénéficie du soutien constant des pouvoirs publics. L'État doit cependant demeurer attentif dans les années à venir pour accompagner l'institution dans ses ambitieux projets immobiliers et patrimoniaux .

A. DES MOYENS EN PROGRESSION, ET UN IMPACT RÉEL MAIS LIMITÉ DE LA PANDÉMIE

1. Une progression régulière des crédits

Les crédits de la BnF représentent à eux seuls un peu moins de 70 % des crédits du programme « Livre et industries culturelles ».

Ils connaissent une progression régulière ces dernières années, passant de 204,3 millions d'euros en 2018 à 216,9 millions d'euros en 2021.

Évolution des crédits de la BnF depuis 2018

(en millions d'euros)

Subvention pour charges de service public

Dotation en fonds propres

Total

2018 (LFI)

180,430

23,934

204,364

2019 (LFI)

183,970

23,684

207,654

2020 (LFI)

186,426

23,684

210,11

2021 ( PLF )

189,193

27,684

216,877

Source : ministère de la culture

Les crédits de la BnF sont divisés en deux parties :

Ø d'une part, une dotation de fonctionnement de 189 millions d'euros, en progression de 2,7 millions d'euros en 2021 . Elle bénéficie depuis 2018 de hausses régulières qui reflètent tout à la fois des mesures de périmètre (en particulier, en 2019, 3 millions d'euros en provenance du Centre national du livre pour la numérisation des collections), et de crédits destinés à financer les nouveaux besoins, en particulier la préparation de la réouverture du site Richelieu ;

Ø d'autre part, une dotation en fonds propres destinée au financement des investissements et des acquisitions , d'un montant de 27,6 millions en 2021. Il convient de relever que le montant des autorisations d'engagement sur cette ligne fait plus que doubler, passant de 23,6 millions d'euros à 57,6 millions d'euros pour l'année 2020, en prévision des travaux du futur centre de conservation (voir infra ).

2. Des ressources propres variables

Les ressources propres de la BnF représentent chaque année entre 6 et 8 % de son budget.

Elles se divisent en deux catégories :

- les ressources directement « pilotables », comme les recettes de billetterie, les reproductions ou les expositions, pour un montant d'environ 10 millions d'euros par an ;

- les ressources « exceptionnelles » liées à un projet précis , d'immobilier ou d'acquisition d'oeuvres, qui obéissent dans ce dernier cas à la mise en vente d'exemplaires susceptibles de rejoindre les collections de la Bibliothèque. La BnF va alors tenter de mobiliser des mécènes .

Le caractère variable de ces projets explique des évolutions parfois importantes des ressources propres d'une année sur l'autre. Ainsi, dans son rapport consacré à la gestion de la BnF entre 2011 et 2018, la Cour des comptes indique qu'elles se sont élevées à 45,6 millions d'euros en 2011 et 18,5 millions d'euros en 2018.

Comme le remarque cependant la Cour, il est plus facile de réunir des mécènes pour des projets d'acquisition d'ouvrages, comme le Livre d'heures de Jeanne d'Arc (2012, 258 000 euros de mécénat pour 1 702 dons) ou le Bréviaire royal de Saint-Louis (2015, 440 000 euros de mécénat pour 3 358 dons) que pour les travaux immobiliers du site Richelieu qui, par comparaison, n'a réuni « que » 6 millions d'euros entre 2016 et 2020.

Pour 2020, la BnF espère recueillir près de 10 millions d'euros , dont 8,5 millions d'euros pour financer l'acquisition d'une partie du fonds « Aristophil » suite à la liquidation de la société en 2019 et 1,5 million d'euros pour les travaux de l'ensemble Richelieu.

3. Un impact limité mais réel de la pandémie

La BnF a été moins touchée que d'autres par la crise née de la situation pandémique. Sa structure de revenus, essentiellement composée de subventions et de mécènes jugés comme solides, l'a en effet en bonne partie préservée. A contrario , les ressources numériques de l'établissement se sont avérées utiles et particulièrement appréciées durant cette période.

Si l'impact est limité, il n'en est pas moins réel , avec une perte nette estimée à 6 millions d'euros sur 2020 , composée de recettes en moins, principalement les salles de lecture, et les mesures prises pour assurer la protection des personnels. L'institution estime pouvoir couvrir environ la moitié, soit 3 millions d'euros, par redéploiement interne, mais devra, dans des proportions infiniment plus modestes que pour les autres grands établissements culturels recevant du public, bénéficier à terme de mesures de soutien spécifiques et adaptées .

B. TROIS GRANDS PROJETS STRUCTURANTS POUR 2021

La Bibliothèque est engagée dans trois grands chantiers immobiliers sur lesquels le rapporteur pour avis souhaite attirer l'attention.

1. Le « quadrilatère Richelieu »

Le site Richelieu est le berceau de la Bibliothèque nationale de France, qui y est installée depuis le début du XVIII e siècle. Le départ des collections d'imprimés et de périodiques vers le site François-Mitterrand en 1998 a laissé à Richelieu des espaces vacants qui permettent aux départements spécialisés, arrivés à saturation, de se redéployer et à l'Institut national d'histoire de l'art (INHA) ainsi qu'à l'École nationale des chartes (ENC) d'installer leurs bibliothèques dans le bâtiment rénové.

L'état des bâtiments et des équipements nécessitait cependant une rénovation complète et urgente, pour répondre à quatre objectifs principaux : réhabiliter les bâtiments et les équipements de Richelieu afin de mieux assurer la sécurité et le confort des personnes ainsi que d'améliorer les conditions de conservation des collections patrimoniales , améliorer les conditions de travail des publics , consolider le site Richelieu comme pôle d'excellence, de renommée internationale , en matière de recherche sur l'histoire des arts et du patrimoine, enfin, ouvrir le site à un plus large public.

Le budget et les délais, initialement fixés en 2002 respectivement à 120,8 millions d'euros et 7 ans (2006--2013) ont été doublés , avec 244,9 millions d'euros en 2019 par le biais de 12 avenants et l'achèvement du chantier en 2021. Pour expliquer ce dérapage, la Cour des comptes estime la part des extensions à 49 %, la prolongation des délais à 38 % et les aléas à 13 %.

Alors que les travaux devaient enfin s'achever en 2020, la crise liée à la pandémie a encore décalé cette échéance. Le chantier a été interrompu totalement entre le 16 mars et le 11 mai 2020, avec des effectifs fortement réduits. Le calendrier général a donc été mis à jour et prévoit dorénavant la fin des travaux hors muséographie et jardin à la fin du premier trimestre 2021 . La réouverture complète du site est prévue pour l'été 2022 , au moins une année étant nécessaire pour procéder aux aménagements intérieurs, dont le musée de 1 200 m². La BnF bénéficie de 8,02 millions d'euros destinés à achever les travaux de mise en sécurité.

Le coût de fonctionnement supplémentaire induit par le fonctionnement de ce site est estimé à 7 millions d'euros par an , dont la moitié environ pourrait être couverte par des recettes supplémentaires. Cela doit donc conduire dès aujourd'hui l'État à anticiper un rebasage pérenne de la dotation de fonctionnement.

2. Les travaux du site François Mitterrand

Inauguré il y a vingt-cinq ans, le site de Tolbiac nécessite dans les années à venir de très lourds investissements pour continuer à accueillir du public dans des conditions de confort et de sécurité satisfaisantes. Les montants estimatifs sont d'un peu plus de 72 millions d'euros d'ici 2027 . Les plus significatifs sont :

- le remplacement du système de sécurité incendie, pour 31 millions d'euros ;

- la rénovation des installations électriques pour 9,7 millions d'euros ;

- le remplacement des ascenseurs pour 6 millions d'euros.

Ces travaux pourront être étalés dans le temps, à l'exception de ceux liés à la sécurité incendie, qui doivent être achevés d'ici 2022. Leur ampleur signifie, en termes strictement budgétaires, que l'achèvement des travaux de Richelieu ne devrait pas permettre de dégager de fortes marges de manoeuvre dans les années à venir pour la BnF.

3. Le futur centre de stockage de la BnF

La date limite de saturation des capacités de stockage de la BnF avait été initialement fixée à 2019, finalement repoussée à 2023 puis 2025 grâce à la signature d'une convention avec le centre technique du livre de l'enseignement supérieur. L'extension du centre de Bussy-Saint-Georges a été écartée notamment en raison des difficultés d'accès.

Il a donc été décidé de lancer les études préalables à la construction d'un nouveau centre de stockage et de conservation, pour un budget encore estimatif compris entre 70 et 90 millions d'euros .

La numérisation des collections de presse

Les archives de presse ont la double caractéristique d'être très fragiles, en raison des modalités d'impression, et très consultées, ce qui accroit d'autant les risques de détérioration. En plus de la nécessité de disposer de lieux de stockage adaptés et de bénéficier d'un traitement des exemplaires, la BnF cherche à accélérer la numérisation des collections , ce qui permettra de rendre les publications accessibles au plus grand nombre.

20 millions de pages de presse ont ainsi été numérisées ces dernières années, qu'il convient de mettre en perspective avec les 100 millions de pages de la seule presse de la III e République . Cette dernière, qui constitue une source irremplaçable pour l'histoire de la République, doit être intégralement numérisée dans les dix prochaines années sous peine de voir les exemplaires irrémédiablement endommagés. Sur cette période, le traitement et la numérisation représentent une dépense d'un million d'euros par an , que le rapporteur pour avis estime essentiel d'affecter et de sanctuariser .

Un appel à manifestation d'intérêt a ainsi été lancé le 25 juin 2020 auprès des collectivités d'Ile-de-France et limitrophes. Le nouveau site représentera une emprise de 15 000 m² et hébergera 350 km linéaire de collections, dont le conservatoire national de la presse. Le futur site doit être accessible à deux heures de Paris en voiture et trois heures en transports en commun.

Fin octobre 2020, plus de 80 candidatures avaient été enregistrées dans sept régions, ce qui constitue une démonstration que l'on peut qualifier de remarquable, de l 'intérêt suscité auprès des collectivités par ce grand projet structurant . La décision finale devrait intervenir à l'issue du premier trimestre 2021.

*

* *

Les défis de la BnF sont nombreux dans les prochaines années. Elle devra articuler ses projets de numérisation avec un programme d'investissements immobiliers extrêmement lourd, dans un contexte social jugé « tendu » par la Cour des comptes. Il conviendra d'être particulièrement attentif, du côté de la BnF, au bon suivi des chantiers, du côté de l'État, au respect des contraintes budgétaires de l'établissement, en garantissant un montant de dotations pour les prochaines années à même de permettre à l'établissement de remplir ses missions.

II. UN SECTEUR DU LIVRE SOUTENU MAIS PLEIN D'INQUIÉTUDES

Le secteur du livre a bénéficié du soutien des pouvoirs publics, mais également des lecteurs qui, nombreux, ont tenu dès la réouverture des librairies au mois de juin à manifester leur attachement à ces commerces. Le deuxième confinement suscite cependant pour l'ensemble de la profession de vives inquiétudes .

A. UN NOUVEAU CONFINEMENT TRÈS DIFFICILE À VIVRE

1. Un premier confinement conclu sur une note positive
a) Une crise systémique

Toute l'industrie du livre a été lourdement touchée par le premier confinement, qui s'est répercuté sur l'ensemble de l'industrie du livre.

ü Les auteurs

Les auteurs - dont les traducteurs - ont été rapidement touchés via la fermeture :

- des bibliothèques et l'annulation de manifestations littéraires ou d'événements au cours desquels ils auraient pu percevoir des rémunérations, par exemple pour des rencontres et des lectures ;

- des établissements scolaires, entraînant l'amoindrissement des revenus liés aux actions d'éducation artistique et culturelle comme les ateliers d'écriture ;

- des points de vente de livres entraînant une baisse des ventes des ouvrages et le recul des cessions de droits auprès de maisons d'édition étrangères, ce qui entraîne de moindres rémunérations pour les auteurs.

En raison des délais pour le paiement des droits, les auteurs seront le plus lourdement affectés en début d'année 2021 , pour des montants qui restent encore à déterminer précisément.

ü Les éditeurs

L'interdiction d'accueil du public pendant deux mois a causé une forte réduction du chiffre d'affaires des éditeurs. Dans certains segments éditoriaux tels que la poésie, ou pour de petites maisons confrontées aux difficultés d'accéder au réseau de points de vente, les annulations de manifestations littéraires ainsi que les ralentissements momentanés du transport postal se sont traduits par de moindres ventes directes des éditeurs aux lecteurs.

Le moindre chiffre d'affaires réalisé par les éditeurs a mis sous tension leur trésorerie pour faire face à leurs créances à court terme - auteurs, imprimeurs, diffuseurs-distributeurs, divers prestataires tels que les correcteurs, attachés de presse, etc. Ces entreprises se sont donc endettées vis-à-vis des banques, notamment par des prêts garantis par l'État (PGE), ou ont reçu le soutien de leurs actionnaires, pour sécuriser leur financement.

ü Les libraires

La crise sanitaire a commencé à affecter les librairies établies dans des foyers de contamination dès début mars 2020 . Pour certains territoires, notamment les librairies parisiennes, la pandémie a succédé à deux mouvements sociaux d'ampleur qui avaient déjà ralenti leur activité.

Les librairies ont principalement subi l'interdiction d'accueillir le public, à compter du 15 mars jusqu'au 11 mai 2020 . De manière très large, la profession n'avait pas souhaité militer pour une réouverture un temps envisagé, faute de capacité à mettre en place un protocole sanitaire alors encore vague. Cependant, et dès le 16 mars, les libraires ont eu la possibilité de mettre en place des systèmes de livraison ou de retrait de commandes en magasin (« click and collect »). Environ 400 libraires ont usé de cette faculté, qui ne leur a cependant permis de réaliser qu'un chiffre d'affaires de l'ordre de 10 % .

D'après les données du baromètre mensuel Livres Hebdo/Xerfi-I+C, le marché du livre a ainsi reculé de 33 % en mars , 56 % en avril et 20 % en mai 2020 par rapport aux mois de 2019.

b) La sortie « presque miraculeuse » du confinement

Les dernières estimations du ministère de la culture faisaient état, en juillet, d'une perte d'environ 23 % des recettes pour le secteur du livre.

Cependant, d'après les données de l'Observatoire de la librairie, les librairies ont réalisé, entre le 11 mai et le 14 juin 2020, des ventes en croissance de 16,5 % par rapport à la même période en 2019. Cette « surperformance » recouvre des tendances contrastées : les plus grandes librairies ont connu une reprise des ventes proche du niveau ordinaire, tandis que les librairies de petite et moyenne dimension enregistrent des ventes plus importantes.

Les chiffres définitifs pour le mois de juin, en hausse de 22 % par rapport à 2019, ont été jugés par tous comme spectaculaires, et ont conforté les libraires dans la conscience de leur rôle essentiel dans notre pays.

Ce premier confinement s'est donc achevé sur une note « positive », avec l'espoir d'un retour à la normale pour les fêtes de fin d'année. Suivant les interlocuteurs du rapporteur pour avis, les pertes pour l'année se situaient alors autour de 10 %.

2. Un deuxième confinement potentiellement dévastateur

Les conséquences du deuxième confinement, qui prend fin le 28 novembre, pourraient être bien plus importantes que celles du premier, et ce pour deux raisons :

- d'une part, la diminution de trésorerie des libraires et des éditeurs, qui n'ont pour la plupart pas complètement rattrapé les pertes du printemps ;

- d'autre part, la période novembre-décembre représente entre 25 et 30 % du chiffre d'affaires annuel . En effet, et en plus des « prix littéraires », les libraires profitent souvent de ces mois pour proposer des « assortiments » destinés à être offerts.

Le « click and collect » ne peut constituer qu'une réponse partielle. En effet, s'il permet dorénavant de réaliser entre 20 % et 30 % des ventes habituelles - avec de forts écarts entre librairies -, il nécessite pour sa mise en place le fonctionnement quasi normal de l'entreprise, avec l'intégralité des charges afférentes .

Sans l'annonce de la réouverture le 28 novembr e, les établissements n'auraient pas été en capacité de constituer une trésorerie importante qui leur permet habituellement de supporter les mois suivants. Prolongé jusqu'à Noël, le confinement aurait en effet conduit, selon les estimations, à une perte de chiffre d'affaires sur l'année comprise entre 20 % à 40 % .

Il est cependant encore trop tôt pour tirer toutes les conséquences du deuxième confinement. Elles pourraient ne se faire ressentir qu'au premier trimestre de l'année 2021, avec des établissements contraints de fermer face à une trésorerie insuffisamment reconstituée, y compris les éditeurs.

3. Les libraires médiatiquement en première ligne

Le rapporteur pour avis remarque que les libraires ont été placés médiatiquement en « première ligne » de la contestation contre la fermeture des établissements, arguant du caractère « essentiel » de leurs produits. Leur situation se rapproche de celle des commerces « saisonniers », comme les marchands de jouets, qui réalisent une part importante de leur chiffre d'affaires en fin d'année.

Sans revenir sur les raisons sanitaires légitimes qui ont présidé à cette décision , le rapporteur pour avis attire l'attention sur les conséquences durables pour le secteur du livre d'un second confinement qui est intervenu à un moment particulièrement critique.

B. UN SECTEUR QUI A BÉNÉFICIÉ D'UNE ATTENTION SOUTENUE DES POUVOIRS PUBLICS

1. Des mesures de soutien budgétaires satisfaisantes... jusqu'au deuxième confinement

Le secteur du livre a bénéficié des mesures de soutien de l'ensemble de l'économie. Des crédits spécifiques ont également été mis en place. Ainsi :

Ø le Centre national du livre (CNL) a mis en place dès le premier confinement un plan de soutien de 5 millions d'euros à destination de l'ensemble de la chaine, notamment des auteurs, qui ont pu percevoir une aide d'un montant de 1 500 euros maximum ;

Ø la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020 a permis d'engager 36 millions d'euros , dont 31 millions à destination des libraires et 5 millions des éditeurs les plus fragiles ;

Ø le plan de relance prévoit pour sa part 29,5 millions d'euros de crédits dont 9,5 millions pour plusieurs aides à l'attention des libraires.

Pour autant, rien n'est encore prévu pour tenir compte du deuxième confinement. Il y aura lieu de s'interroger sur la nécessité d'un soutien spécifique à la filière du livre .

2. Des mesures ciblées à conforter et à étudier
a) Des frais de port réduits

En plus des crédits, des mesures plus spécifiques ont été mises en place pour aider le secteur du livre, certaines étant portées de longue date par les représentants des libraires, d'autres pouvant être mises à l'étude.

Le Gouvernement a ainsi acté des frais de port divisés par trois pour l'envoi de livres par les libraires . Les éditeurs souhaiteraient que cette mesure puisse leur être étendue, afin de leur permettre de communiquer auprès de la presse et des libraires sur les sorties d'ouvrages. Les libraires, pour qui ces frais postaux alignés sur la presse constituent une revendication portée de longue date , souhaiteraient la voir perdurer au-delà du confinement, afin de leur permettre de contrer durablement les offres très attractives des plateformes comme Amazon.

Par ailleurs, les livres vendus par correspondance ne viennent pas minorer les aides auxquelles les libraires ont droit, ce qui constitue un « coup de pouce » significatif .

b) Une idée à étudier : le rabais consenti aux collectivités

Une idée évoquée devant le rapporteur pour avis mériterait pour sa part d'être étudiée. La loi du 10 août 1981 relative au prix du livre dispose que les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente compris entre 95 et 100 % de celui fixé par l'éditeur. Cependant, le législateur, soucieux de favoriser, dans les bibliothèques et les établissements scolaires, une diffusion du livre qui connaissait à l'époque un grand retard, avait décidé de ne pas appliquer le régime du prix unique du livre aux ventes à certaines collectivités, ni aux ventes de manuels scolaires à des associations .

L'article 4 de la loi du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs a limité cette réduction à 9 % .

Selon les informations recueillies par le rapporteur pour avis, cela représente aujourd'hui une perte d'environ 12 millions d'euros pour les librairie s, soit l'intégralité de leur marge annuelle . S'il parait en première analyse difficile de justifier, sans concertation, d'une hausse des dépenses des collectivités, la question peut légitimement se poser au regard de la modestie des montants rapportée à leur budget. Sans aller jusqu'à la suppression, un dispositif gradué qui tiendrait par exemple compte de la richesse de la collectivité pourrait être étudié, d'autant plus qu'il permettrait de compenser, au moins partiellement, le montant des loyers dans les grandes agglomérations. Cela nécessite une concertation approfondie avec les associations d'élus locaux .

*

* *

Selon le rapporteur pour avis, rien n'illustre mieux le rôle essentiel des libraires qu'une donnée : en novembre 2019, 150 000 références différentes d'ouvrages avaient été vendues. En novembre 2020, ce chiffre est divisé par trois. Cela illustre la capacité des libraires à attirer l'attention des clients sur des ouvrages vers lesquels ils ne seraient pas spontanément tournés, par opposition à la vente en ligne. Il est primordial, au-delà d'un secteur économique, de préserver cette capacité à susciter la curiosité et l'intérêt.

III. UN CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE IMMÉDIATEMENT MIS À L'ÉPREUVE

Constitué en pleine période de crise pour l'ensemble de la filière musicale, le Centre national de la musique (CNM) a su se positionner comme un acteur précieux et incontournable. Il doit cependant rapidement s'interroger sur son modèle initial, probablement appelé à évoluer au regard de son action durant la pandémie.

A. DES PREMIERS PAS ENCOURAGEANTS

Le CNM a été créé par la loi du 30 octobre 2019, suite à l'adoption de la proposition de loi déposée le 27 mars 2019 par les députés Pascal Bois et Émilie Cariou, promulguée après un vote unanime du Sénat 1 ( * ) . Il regroupe au sein du nouvel établissement plusieurs leviers d'action alors assurés par différents acteurs publics et privés.

Le CNM a été officiellement créé le 1 er janvier 2020 après la publication du décret statutaire du 24 décembre 2019, dans la continuité du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), dont il a repris les droits, obligations et personnels. Depuis cette date, le Centre est pleinement opérationnel : le Conseil d'administration s'est réuni à neuf reprises, et le conseil professionnel, dont la composition avait été longuement débattue au Sénat, à quatre reprises. Le Centre doit s'installer dans son nouveau siège, à proximité de la gare de Lyon, vers la fin du premier trimestre 2021.

B. UNE CRISE PANDÉMIQUE QUI TOUCHE IMMÉDIATEMENT LE NOUVEAU CENTRE

1. Une mobilisation rapide

La mise en place de ce nouvel établissement public était déjà complexe, en raison de la diversité des structures à fusionner. Elle a été percutée par la crise pandémique, qui l'a imposé comme le principal instrument de soutien au secteur musical.

Très rapidement, il est apparu que la gestion des conséquences de la crise allait prendre le pas sur la structuration du centre.

Ainsi, entre mars et avril 2020, alors que l'État n'avait pas encore mobilisé de moyens, le CNM a décidé d'affecter l'ensemble de ses crédits, soit 7,5 millions d'euros , dans un premier fonds, ultérieurement abondé par les professionnels et l'État pour s'établir in fine à 18,4 millions d'euros. Il a été intégralement consommés en septembre au bénéfice de près de 1 000 entreprises, toutes esthétiques confondues.

2. Un budget qui quadruple

Le budget du CNM était initialement de 46 millions d'euros en 2020, dont 35,5 millions d'euros en provenance de la taxe sur les spectacles de variété.

Suite à l'adoption de la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020 et aux annonces dans le cadre du présent projet de loi de finances et du quatrième collectif budgétaire ces deux textes étant encore en cours d'examen, ce budget est maintenant près de quatre fois supérieur , à 173,4 millions d'euros , faisant du CNM le principal organe chargé de réagir aux conséquences de la crise .

Si les recettes de la taxe sur le spectacle vivant s'établiront finalement autour de 9,6 millions d'euros, l'État a abondé les crédits du CNM en trois temps entre mai et octobre 2020, pour un montant de 142 millions d'euros .

Pour 2021, les crédits du CNM s'établissent à 200 millions d'euros , soit 25 millions d'euros pour le centre (dont 5 millions de produits de la taxe) et 175 millions attribués par l'État dans le cadre du plan de relance .

C. DES FONDS DESTINÉS À TOUTES LES ESTHÉTIQUES

L'usage et la répartition des crédits attribués pour l'ensemble de la profession par le CNM font encore l'objet de concertations . Plusieurs fonds et mécanismes ont été créés pour répondre à la situation « d'urgence absolue » du secteur et ne sont pas encore pleinement structurés, ce qui nuit à leur bonne lisibilité, y compris pour les entreprises du secteur.

En l'état actuel, les deux fonds les plus significatifs sont :

Ø le fonds de sauvegarde, qui a pris la suite du fonds de secours au spectacle vivant, qui a permis de répartir 18,4 millions d'euros entre mars et septembre (voir supra ). Le nouveau fonds de sauvegarde est destiné à soutenir les entreprises du secteur de la musique qui justifient d'une perte d'au moins 30 % du chiffre d'affaires. L'aide est plafonnée à 120 000 euros, les dossiers étant examinés individuellement par le centre. 50 millions d'euros sont prévus ;

Ø le fonds de compensation des pertes de billetterie. Il est issu des annonces faites le 27 août 2020 par le Premier ministre prévoyant un mécanisme de compensation pour encourager la reprise de l'activité dans l'ensemble du secteur culturel, alors qu'était planifiée une reprise progressive dite en « jauge dégradée ». Les crédits sont destinés aux diffuseurs (salles de spectacle, festivals..) et aux producteurs. Le fonds permet de compenser le manque à gagner correspondant à l'écart entre le chiffre d'affaires de billetterie réalisé avec la jauge « distanciation » et celui qui aurait été réalisé avec une jauge « point mort » (80 %) . Il s'établit à 45 millions d'euros .

Par ailleurs, à l'initiative de Pascal Bois, l'Assemblée nationale a adopté lors de son examen du projet de loi de finances pour 2021 un amendement portant article additionnel après l'article 24 (article 24 ter ) qui suspend la perception de la taxe sur le spectacle vivant due par les redevables pour la période du 17 mars au 31 décembre 2020 , compte tenu des difficultés financières rencontrées par de nombreuses entreprises du spectacle vivant dans le contexte de la crise sanitaire. Avec le même objectif de soutien à la trésorerie des entrepreneurs et vendeurs de spectacles et pour permettre un étalement du paiement de la taxe, l'article adopté par les députés fixe également au 31 décembre 2021 la date limite de paiement de la taxe due pour les représentations antérieures au 17 mars 2020.

D. LES CONSÉQUENCES ENCORE NON BUDGÉTÉES DU DEUXIÈME CONFINEMENT

1. Des décisions à prendre à moyen terme

L'effort ne tient pas encore compte du deuxième confinement , qui nécessitera un soutien encore plus poussé des pouvoirs publics pour le secteur.

Ce soutien devra s'exercer suivant deux axes.

- en volume , avec des soutiens publics qui devront très vraisemblablement augmenter en fonction de la durée du deuxième confinement et des conditions de reprise . Ainsi, le fonds initialement destiné à compenser les jauges dégradées, même abondé, pourrait se retrouver très rapidement épuisé ;

- en intensité . Les aides du fonds de sauvegarde sont actuellement plafonnées à un montant satisfaisant pour les petites entreprises mais trop réduit pour les plus grandes sociétés, dont il était jugé qu'elles seraient en mesure de poursuivre leur activité. Or la chute de l'une d'entre elles déstabiliserait un peu plus le secteur. Il sera donc nécessaire de prévoir de nouveaux plafonds pour tenir compte de la durée de la crise.

Il est encore tôt pour évaluer avec précision les besoins du secteur . L'évolution du modèle économique de la musique, qui donne une place plus importante aux concerts et événements, rend le secteur plus vulnérable que par le passé à la pandémie, mais offre également des perspectives de reprise considérables une fois la crise passée.

2. Faire vivre le CNM après la crise

À plus long terme, la crise sanitaire a révélé au moins trois enseignements majeurs concernant le CNM.

Tout d'abord, son financement repose majoritairement sur une ressource fiscale unique, et sa pérennité pourrait se trouver menacée en cas d'attrition de cette dernière. Les mesures de suspension de la perception de la taxe, si elles soulagent le secteur, fragilisent d'autant son modèle. Une réflexion sur une participation des plateformes comme YouTube, par exemple via une fraction de la taxe perçue par le CNC, envisagée de longue date, pourrait être mise à l'étude.

Ensuite, le CNM doit intégrer des financements d'origine privée issus des sommes que les organismes de gestion collective (OGC) consacrent à l'action culturelle, qui doivent faire l'objet d'une attribution volontaire de la part de ces derniers et qui sont aussi profondément affectés par la crise sanitaire. De plus, les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 8 septembre 2020 (voir infra ) menacent très directement cette ressource.

Enfin, il faut souligner que le Centre a été placé en position de gérer des montants d'un niveau très supérieur aux prévisions initiales, alors même qu'il se trouvait en phase de création. Le rapporteur pour avis salue cette montée en puissance réussie et, à travers elle, l'ensemble des personnels qui ont su se placer à la hauteur des enjeux d'une crise sans précédent .

E. LES CONSÉQUENCES TRÈS PRÉOCCUPANTES DE L'ARRÊT DE LA CJUE DU 8 SEPTEMBRE 2020

L'arrêt de la CJUE « Recorded Artists Actors Performers Ltd » du 8 septembre 2020 constitue un véritable séisme pour certains OGC et fragilise le financement de la création.

L'arrêt s'est opposé à ce qu'un État membre limite de lui-même , sans que l'Union ne l'y autorise spécifiquement , le droit à rémunération équitable des ayants droit issus de pays tiers qui n'appliquent pas ce droit sur leur territoire . Jusqu'à présent, ces sommes étaient considérées comme des « irrépartissables », que l'article L. 324-17 du code de la propriété intellectuelle affecte aux aides à la création, à la diffusion du spectacle vivant, au développement de l'éducation artistique et culturelle et à la formation des artistes.

Il convient au passage de relever que l'ordonnance du 27 mars 2020, prise sur le fondement de l'article 11 de la loi d'urgence du 20 mars 2020, prévoyait d'utiliser par exception ces sommes jusqu'à la fin de l'année pour soutenir financièrement les auteurs et artistes privés de recettes économiques en raison des répercussions de la crise sanitaire. De plus, il était prévu que les OGC aient la possibilité d'en user pour financer le CNM.

Les conséquences de l'arrêt de la CJUE sont donc doubles :

• à court terme, les OGC ont l'obligation de rembourser environ 140 millions d'euros , ce qui, surtout en cette période, fragilise non seulement les structures mais également l'ensemble des artistes. Un amendement adopté à l'initiative du Gouvernement sur le projet de loi « Ddadue » a été adopté pour l'éviter, ce qui, au moins pour un temps, écarte un risque financier immédiat ;

• à plus long terme, les OGC seraient privés de 25 à 30 millions d'euros par an , sommes qui ne seraient donc utilisées ni pour l'action culturelle, ni pour le CNM, ni pour le soutien aux artistes en période de crise. Pour l'instant, aucune autre piste qu'une renégociation au niveau européen - que l'arrêt de la Cour semble d'ailleurs appeler de ses voeux - ne semble envisageable, mais elle prendrait au minimum trois à quatre ans, soit dans le meilleur des cas, une perte de recettes transitoires comprises entre 75 et 120 millions d'euros.

Il n'est pas exclu que le CNM soit appelé à « compenser » aux OGC les pertes de recettes. Le rapporteur pour avis note cependant le paradoxe qu'il y aurait à mettre à contribution le Centre pour des organismes qui étaient précisément supposés lui apporter une partie de leurs crédits. En tout état de cause, cela nécessiterait une réflexion approfondie sur les finalités et les moyens d'action du CNM.

Audition de Mme la ministre Roselyne Bachelot le 10 novembre 2020

Interrogée par le rapporteur pour avis, la ministre a indiqué :

« Concernant l'arrêt de la Cour de justice, ce sont plus les OGC qui vont être impactés que le financement du CNM. Par le biais des OGC, des activités seront financées mais vous êtes modeste sur la perte estimée à 25 millions d'euros alors que je tablerai plutôt sur 30 actuellement. Cet arrêt de la Cour de justice permet de ne pas reverser les sommes perçues aux artistes et aux producteurs non européens en raison de l'absence de réciprocité, aussi appelé droits « irrépartissables ». L'arrêt dit par ailleurs que la législation européenne aurait dû prévoir la liste exhaustive des pays concernés. Je suis ces travaux au plus près avec la commission européenne . »

Dans une période marquée par la plus forte crise pandémique du siècle, cet arrêt constitue indéniablement une nouvelle donne porteuse de fortes incertitudes pour le secteur musical.

*

* *

Le rapporteur pour avis note avec satisfaction que, en cette période complexe, le soutien de l'État n'a pas fait défaut au secteur de la musique et que le Centre national de la musique a su montrer, dans des délais très réduits et sous forte contrainte, toute son utilité et sa pertinence, confirmant ainsi la justesse de l'intuition de ses créateurs.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2021 .

TRAVAUX EN COMMISSION

MERCREDI 25 NOVEMBRE 2020

___________

M. Julien Bargeton, rapporteur pour avis du programme « Livre et industries culturelles » . - Monsieur le président, mes chers collègues, la période de confinement que nous avons vécu et que, hélas, nous vivons de nouveau, a réaffirmé avec force l'attachement presque intime de nos concitoyens aux industries culturelles, vaste ensemble qui dans ce programme regroupe aussi bien les livres que la musique, le jeu vidéo, ou encore les bibliothèques.

Dans le cadre de mon rapport pour avis, j'ai souhaité analyser de manière approfondie trois sujets : la Bibliothèque nationale de France (BnF), confrontée à de lourds défis en particulier immobiliers, le secteur du livre, frappé de plein fouet par la crise pandémique, et enfin la mise en place rendue complexe par la situation du Centre national de la musique.

Premier point, les défis qui attendent la Bibliothèque nationale de France, qui représente à elle-seule 70 % des crédits du programme.

Ce grand établissement public a été moins touché que d'autres par la pandémie. L'essentiel de ses ressources provient en effet des subventions de fonctionnement et d'investissement, qui progressent cette année de 3,2 % pour s'établir à un peu moins de 217 millions d'euros. Les ressources propres ne représentent qu'entre 6 % et 8 % de son budget, par le biais de location d'espaces et de droits d'accès aux salles de lecture, mais également d'opérations de mécénats pour le financement de travaux comme pour l'acquisition d'exemplaires destinés à rejoindre les collections.

Pour autant, l'impact de la pandémie est évalué à 6 millions d'euros, pour moitié de pertes de recettes, pour moitié de dépenses engagées pour assurer la sécurité des personnels. Comme je vous le disais, si ce montant est modeste par comparaison avec les salles de spectacle, il est néanmoins significatif pour un budget serré et dont la plus grande partie des dépense est contrainte.

La BnF est engagée dans trois grands projets que je souhaite évoquer devant vous par ordre chronologique.

Tout d'abord, un chantier enfin en voie d'achèvement, celui du « Quadrilatère Richelieu ». Berceau historique de la Bibliothèque, il a nécessité d'importants travaux de restructuration. Le chantier devait initialement s'élever à 120 millions d'euros et durer 7 ans, entre 2006 et 2013. Finalement, budget et délais ont été doublés, puisque la facture finale s'élèvera à un peu moins de 250 millions et les travaux ne seront achevés qu'en 2021, pour une ouverture au public en 2022. Il reste encore du chemin à faire avant de pouvoir profiter de ce lieu unique, qui nécessitera environ 7 millions d'euros de budget de fonctionnement annuel, dont seule une moitié sera couverte par de nouvelles recettes.

Deuxième chantier d'ampleur, le site François-Mitterrand de Tolbiac. 25 ans après son inauguration, il nécessite des travaux importants pour permettre son fonctionnement. Plus de 72 millions d'euros devront être engagés d'ici 2027, dont 31 millions pour la sécurité incendie.

Dernier chantier, la création d'un nouveau centre de stockage des oeuvres. La ministre a évoqué devant vous l'enthousiasme suscité auprès des collectivités locales suite à l'appel à manifestation d'intérêt. Plus de 80 candidatures ont été enregistrées dans toutes les régions éligibles. Le centre de stockage doit permettre non seulement de conserver dans de bonnes conditions les collections, mais également de faire une place particulière à la presse, un sujet qui ira droit au coeur de Michel Laugier ! Je suis personnellement très intéressé par ce projet de conservation et de numérisation. Pensez, mes chers collègues, que 100 millions de pages de presse de la seule IIIème République doivent être traitées et numérisées d'ici 10 ans pour éviter leur disparition ! Il s'agit là d'un projet d'ampleur pour notre mémoire collective, et je serai très attaché, comme j'ai pu l'indiquer à la Présidente de la BnF, au succès de ce projet trop méconnu.

Deuxième sujet de ma présentation, le soutien au secteur du livre.

Durant nos auditions, j'ai été très marqué par un chiffre relevé par le Syndicat des libraires : 150 000 références différentes de livres avaient été vendues en novembre 2019. En 2020, nous passons à 50 000, soit une division par trois. Cela devrait éclairer le débat autour de la place prise par les plateformes numériques : on vient dans une librairie pour flâner, se laisser surprendre et conseiller, on va sur internet pour acheter juste ce que l'on a prévu d'acheter.

À lui seul je crois, ce chiffre justifie le soutien accordé par les pouvoir publics à toute l'industrie du livre. Les libraires, en particulier, ont subi des diminutions de leur chiffre d'affaires de près de 40 % sur les mois de confinement de printemps, ce qui est considérable pour des commerces qui affichent la plus faible rentabilité.

Dès la réouverture, cependant, les clients ont « redécouvert » le chemin des librairies ce qui, au-delà des effets économiques d'une hausse de 22 % du chiffre d'affaires en juin, a profondément touché ces professionnels souvent passionnés.

C'est alors qu'est intervenu le deuxième confinement. Il diffère du premier pour au moins deux raisons :

- d'une part, les libraires n'ont pas reconstitué leur trésorerie au printemps. Ils arrivent donc affaiblis ;

- d'autre part, la période novembre-décembre représente entre 25 et 30 % du chiffre d'affaires annuel. En effet, et en plus des « prix littéraires », les libraires profitent souvent de ces mois pour proposer des « assortiments » destinés à être offerts.

Or le « commande-retrait » ne peut constituer qu'une réponse partielle, avec dans le meilleur des cas 20 à 30 % du chiffre d'affaires, mais au prix d'un niveau de charges très semblable à celui d'une ouverture normale.

Les conséquences du deuxième confinement pourraient donc ne se faire ressentir qu'au premier trimestre de l'année 2021, avec des établissements contraints de fermer faute de trésorerie. Certains éditeurs de très petite taille pourraient en effet faire faillite.

C'est la raison pour laquelle les libraires se sont retrouvés médiatiquement en première ligne dans la bataille de la réouverture, soutenus par de nombreuses personnalités - je pense à l'initiative de notre collègue Laure Darcos qui a rassemblée la signature de 68 collègues.

Les annonces du Président de la République hier soir, qui a annoncé la réouverture des commerces le samedi 28 novembre, constituent enfin une bonne nouvelle, même s'il est trop tôt pour savoir dans quelle mesure elle permettra de rattraper le temps perdu.

Dans ce contexte, il faut le souligner, les pouvoirs publics ne sont pas restés sourds et ont entendu les libraires, comme l'ensemble du secteur du livre. En plus des mesures de droit commun, le livre a bénéficié de mesures spécifiques : 5 millions d'euros rapidement mobilisés par le Centre national du livre (CNL) et 36 millions d'euros, dont 31 millions à destination des libraires et 5 millions des éditeurs les plus fragiles ont été engagés par la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020.

A l'heure actuelle, le plan de relance prévoit 29,5 millions d'euros de crédits dont 9,5 millions pour plusieurs aides à l'attention des libraires. De plus, le Gouvernement a acté des frais de port divisés par trois pour l'envoi de livres par les libraires, une revendication ancienne de la profession qu'il faudra certainement prolonger pour lui permettre de lutter à armes plus égales contre les grandes plateformes.

Pour résumer, les pouvoirs publics ont été présents, ce que toute la profession reconnait et apprécie.

Cela sera-t-il suffisant compte tenu du deuxième confinement ? Probablement pas, mais il y a tout lieu de penser que le lien fort entre les français et leurs libraires, réaffirmé en juin dernier, constitue la meilleure garantie de pérennité du secteur.

Dernier sujet, la mise en place du Centre national de la musique, cher à notre collègue Jean-Raymond Hugonet qui prête toujours une oreille (musicale !) attentive au Centre.

Le CNM a été directement plongé dans le « grand bain ». Alors qu'il devait déjà, à compter du 1 er janvier 2020, gérer la délicate mission de fusionner des structures distinctes, convaincre les organismes de gestion collective (OGC) de lui allouer des fonds, et organiser son déménagement, il s'est retrouvé en première ligne pour aider un secteur menacé dans son existence même. Il nous faut, je crois, saluer l'engagement des personnels d'un CNM, qui a su en un temps record, se montrer indispensable, probablement au-delà des espérances.

Ainsi, entre mars et avril 2020, alors que l'État n'avait pas encore mobilisé de moyens, le CNM a décidé d'affecter l'ensemble de ses crédits, soit 7,5 millions d'euros, dans un premier fonds, ultérieurement abondé par les professionnels et l'État pour s'établir in fine à 18,4 millions d'euros. Il a été intégralement consommé en septembre au bénéfice de près de 1 000 entreprises, toutes esthétiques confondues.

Alors que le budget pour 2020 du CNM s'établissait à 46 millions d'euros en 2020, il a été presque quadruplé, passant à 173,4 millions d'euros. La tendance se renforce encore en 2021, avec un budget de 200 millions d'euros, soit 25 millions d'euros pour le centre et 175 millions issus du plan de relance.

La répartition exacte de ces crédits doit encore faire l'objet de concertation. Plusieurs fonds et mécanismes ont été créés pour répondre à la situation « d'urgence absolue » du secteur. Les plus significatifs sont :

- le fonds de sauvegarde, qui a pris la suite du fonds de secours au spectacle vivant. Le nouveau fonds de sauvegarde est destiné à soutenir les entreprises du secteur de la musique qui justifient d'une perte d'au moins 30 % du chiffre d'affaires. Il est doté de 50 millions d'euros ;

- le fonds de compensation des pertes de billetterie. Les crédits sont destinés aux diffuseurs (salles de spectacle, festivals..) et aux producteurs. Le fonds permet de compenser le manque à gagner correspondant à l'écart entre le chiffre d'affaires de billetterie réalisé avec la jauge « distanciation » et celui qui aurait été réalisé avec une jauge « point mort » (80 %). Il s'établit à 45 millions d'euros.

Malgré ces moyens considérables mis à disposition du CNM, la question posée par le deuxième confinement reste là encore entière. Il est probable que des moyens supplémentaires seront nécessaires. Cependant, nous pouvons avoir la satisfaction de disposer maintenant d'un instrument dédié et performant pour le secteur.

Avant de conclure, je voudrais dire un mot d'un sujet évoqué en audition avec la ministre, soit les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) « Recorded Artists Actors Performers Ltd » du 8 septembre 2020. Pour le résumer, cet arrêt s'oppose à ce qu'un État membre limite de lui-même, sans que l'Union ne l'y autorise spécifiquement, le droit à rémunération équitable des ayants droit issus de pays tiers qui n'appliquent pas ce droit sur leur territoire. Très concrètement, la perte pour les OGC serait comprise entre 25 et 30 millions d'euros par an, des sommes destinées à l'action culturelle et au soutien à la création. Le secteur de la musique est de loin le plus touché. Si un amendement adopté sur le projet de loi « Ddadue » devrait permettre aux OGC de ne pas rembourser 140 millions correspondant aux dernières années, la perte annuelle fragilise incontestablement le secteur. Une négociation européenne est indispensable et urgente sur ce point. J'avais proposé, dans la première partie de la loi de finances, une nouvelle taxe sur certains matériels électroniques, ce qui aurait représenté environ la moitié de la somme, mais le dispositif, trop complexe, n'a pas été adopté.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de crédits du programme « Livre et industries culturelles » pour 2021.

Mme Laure Darcos . - Je partage le constat du rapporteur pour avis. Je déplore cependant la complexité des dispositifs qui mélangent les fonds d'urgence avec le plan de relance. Cela ne facilite pas la lisibilité de l'action publique. Sur les librairies, je rappelle que leurs représentants n'avaient pas souhaité ouvrir, au premier confinement, en dépit de la proposition du ministre de l'économie, car ils ne se sentaient pas prêts. Cela leur a été reproché par certains. Pour le deuxième confinement, alors que les libraires s'estimaient en capacité d'accueillir leurs clients, le Gouvernement n'a pas souhaité l'autoriser. Je l'ai bien entendu regretté.

En ce qui concerne les auteurs, j'ai fait adopter avec ma collègue Sylvie Robert, un amendement en première partie du PLF permettant de tenir compte de ceux qui ne disposent pas de numéro SIRET et n'étaient donc pas éligibles aux aides financières d'urgence. J'attire également l'attention sur les conséquences de l'annulation des salons littéraires pour lesquels, à ma connaissance, aucune aide n'a été actée. Je salue la baisse des tarifs postaux pour les libraires, un combat que je mène depuis des années et qu'il faudra pérenniser au-delà de la crise. Enfin, un dernier mot sur la décision de la CJUE du 8 septembre : il faut éviter que le CNM se retrouve à devoir compenser la perte de 25 à 30 millions d'euros liée à la disparition des aides à la création versées aujourd'hui aux artistes par les organismes de gestion collective.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je suis sur la même ligne que Laure Darcos sur l'importance des manifestations, dont l'absence fragilise toute la filière. Les manifestations ont une dimension territoriale qui est trop souvent sous-estimée. Par ailleurs, il serait intéressant de savoir dans quelle mesure les collectivités ont apporté leur aide aux libraires. Sur la question du CNM, je me réjouis qu'il puisse servir d'outil de soutien au secteur et je salue à cette occasion l'ancien ministre Franck Riester. Je suis cependant inquiète de l'absence de soutien sur les musiques du patrimoine qui ne sont traitées ni par le CNM ni par la direction générale de la création artistique (DGCA).

Mme Sylvie Robert . - Je rejoins les propos précédents sur l'importance des librairies. Le sujet des bibliothèques doit être évoqué dans le cadre de ce rapport. La dotation générale de décentralisation (DGD) a été abondée de 88 millions d'euros suite à mon rapport de 2015 sur l'élargissement des horaires d'ouverture. Cela ne constitue cependant qu'une expérimentation et il nous faudra être très attentif à sa pérennisation, compte tenu du succès rencontré.

Je suis très sensible aux propos de Laure Darcos et Catherine Morin-Desailly sur les manifestations événementielles qui ont besoin de visibilité pour se préparer au mieux. Enfin, le CNM doit veiller à élaborer des critères clairs et transparents dans la répartition de ces aides et il nous appartiendra d'éviter qu'il ne se retrouve, à moyens constants, à devoir compenser les effets de l'arrêt de la CJUE.

M. Pierre Ouzoulias . - Je voudrais formuler 5 remarques. La première concerne les aides aux libraires qui ne sont délivrées qu'au prix d'une lourdeur administrative qui en décourage beaucoup. Deuxièmement il est primordial de préserver au maximum les manifestations locales. À titre d'exemple, la foire du livre de Brive rayonne sur l'ensemble de la Corrèze et présente un caractère structurant pour le département. Troisièmement les bibliothèques universitaires ont été fortement touchées par la pandémie et les étudiants ont eu de grandes difficultés à y accéder. Quatrièmement, je suis en plein accord avec le rapporteur pour avis sur l'importance de préserver les collections du XIX e et XX e siècles, notamment les archives de presse qui menacent de disparaître. Cinquièmement, la bibliothèque numérique Gallica gérée par la BnF est un acteur essentiel de la diffusion de notre culture et il me semblerait pertinent qu'elle soit traduite en langues étrangères. Par exemple, les débats autour de la loi de 1905 pourraient être rendus accessibles au public arabophone.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Je suis très préoccupé par les conséquences de l'arrêt de la CJUE. Il ne s'agit pas que d'un problème technique, les critères de répartition des irrépartissables étant extrêmement clairs et détaillés, mais surtout d'une question politique. Cette décision intervient en effet dans un contexte de crise pour le secteur et a pour origine un conflit entre deux organismes de gestion collective irlandais. Une pratique vertueuse très utile pour soutenir la création se trouve donc compromise. Je sais la ministre très attentive à cette question qui ne peut être traitée qu'au niveau européen. Hélas cela prendra très longtemps avant que les instances européennes ne tranchent sur ce sujet. Enfin, je suis très satisfait de constater que le CNM remplit pleinement son rôle et il me semble qu'il sera utile d'inviter son président à venir s'exprimer devant nous prochainement.

M. Julien Bargeton . - Je partage les propos de Laure Darcos sur la difficulté de compréhension des différents supports budgétaires. Il faudra mieux distinguer ce qui relève du soutien et de la relance. Le retour dans les librairies nécessitera sans doute un protocole sanitaire précis car l'usage dans ces commerces est de feuilleter les ouvrages. Sur l'amendement adopté à l'initiative de Laure Darcos et Sylvie Robert, je souhaite bien évidemment qu'il puisse être promulgué dans le cadre de la loi de finances. J'approuve également les propos de la présidente Catherine Morin-Desailly sur l'importance des collectivités territoriales, un travail approfondi serait nécessaire pour en faire le bilan. Je suis également sensible aux propos de Sylvie Robert sur « l'expérimentation bibliothèques » et je m'engage à suivre ce dossier de près. De la même manière, il est évident que les grandes manifestations doivent avoir la meilleure visibilité possible. Le CNM, pour sa part, ne doit en aucun cas se trouver en position de devoir compenser les conséquences de l'arrêt de la CJUE. Je confirme les propos de Pierre Ouzoulias sur la complexité pour les libraires à accéder aux aides et je le remercie de son soutien pour la conservation et la numérisation des collections des XIX e et XX e siècles, de même que je partage sa proposition de traduire des documents présents sur Gallica pour les rendre accessibles au-delà de notre pays. Enfin, je suis aussi préoccupé que Jean-Raymond Hugonet par le manque à gagner lié à l'éventuelle disparition des irrépartissables et je souhaite vivement qu'une solution européenne puisse être rapidement apportée.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 3 novembre 2020

- Bibliothèque nationale de France (BnF) : Mme Laurence ENGEL , présidente, et M. Denis BRUCKMAN , directeur général.

Jeudi 5 novembre 2020

- Syndicat national de l'édition : M. Vincent MONTAGE , président.

Mardi 10 novembre 2020

- Centre national de la musique (CNM): M. Jean-Philippe THIELLAY , président.

Jeudi 12 novembre 2020

- Syndicat de la librairie française (SLF) : Mme Anne MARTEL , présidente, et M. Guillaume HUSSON , délégué général.

ANNEXE

Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

MARDI 10 NOVEMBRE 2020

___________

M. Laurent Lafon , président . - Nous sommes très heureux de vous accueillir de nouveau parmi nous cette semaine afin que vous nous présentiez les grandes lignes du budget de la culture, un des secteurs les plus durement frappés par la crise sanitaire, un secteur en danger, avec la crainte de conséquences en cascade sur l'emploi, les artistes, l'accès à la culture, la diversité artistique ainsi que le dynamisme et le rayonnement des territoires.

Au-delà des menaces que fait peser cette crise, nous constatons qu'elle accélère et amplifie les changements déjà à l'oeuvre depuis plusieurs années, en particulier la question du numérique, d'où les fortes attentes vis-à-vis de l'État de la part de l'ensemble des acteurs culturels, soit pour les soutenir et les aider à passer ce cap qui pourrait se révéler fatidique, soit pour les accompagner face aux changements et mieux réguler ce nouveau monde culturel en pleine émergence, soit sur ces deux aspects à la fois.

Comme vous l'avez souligné, il s'agit, pour 2021, d'un budget d'une ampleur exceptionnelle : aux crédits de la mission culture s'ajoute le volet culture de la mission relance ainsi que les mesures générales et sectorielles mises en place au cours de l'année 2020.

Nous tenons à saluer votre détermination depuis votre arrivée à la tête de ce ministère pour que la culture ne passe en aucune manière par pertes et profits pendant cette période compliquée. Le nouveau confinement a, hélas, de nouveau suspendu depuis fin octobre les activités d'une majorité d'acteurs culturels, au moment même où un certain nombre d'entre eux constatait les premiers signes de reprise. Dans ce contexte, nous aimerions avoir des précisions sur l'impact de cet arrêt sur le budget de la culture en 2021. Pouvez-vous par ailleurs nous confirmer que les mesures de relance seront mobilisées à titre de soutien et pensez-vous que de nouvelles mesures pourraient être envisagées courant 2021 ? Quelles sont les réformes structurelles que vous identifiez comme prioritaires l'an prochain pour la sortie de crise ?

L'audiovisuel constitue l'autre grand volet budgétaire de votre ministère. Au sujet des ressources de l'audiovisuel public, nous attendons toujours le rapport au Parlement relatif à la réforme de la contribution à l'audiovisuel public. Comment expliquer ce retard alors que de nombreux rapports, notamment celui de notre commission de 2015, ont permis de baliser depuis longtemps le chemin à suivre, s'inspirant des taxes universelles mises en place par nos voisins allemands et suisses ? Pour en revenir à la crise sanitaire actuelle, le gouvernement a souhaité apporter un soutien aux entreprises de l'audiovisuel public dans le cadre du plan de relance, tout en maintenant la trajectoire budgétaire. Il prévoit de préciser la feuille de route dans le cadre des nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM) de 3 ans. Pouvez-vous nous en indiquer les priorités ? Que va-t-il advenir du projet d'examen au Parlement du nouveau projet de loi « ramassé » consacré à l'audiovisuel ?

Il me faut enfin mentionner les questions toujours sensibles de la presse - qui a doublement souffert de la pandémie et des soubresauts de l'entreprise Presstalis -, des industries culturelles, comme les librairies par exemple, et enfin du cinéma, menacé dans son existence même par le confinement, comme nous l'a montré notre table ronde du 27 octobre dernier.

À l'issue de votre intervention liminaire, nos rapporteurs pour avis vous poseront une série de questions sur la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Nous poursuivrons nos travaux dans un second temps avec la partie « création et patrimoine ».

Concernant la tension ressentie la semaine dernière à l'issue du texte de loi sur le retour des biens aux Républiques du Sénégal et du Bénin, nous avons exprimé notre déception d'apprendre, par voie de presse, la remise de la couronne du dais à Madagascar au moment même où nous débattions dans l'hémicycle. Vous savez notre attachement à ce sujet et comprenez notre réaction. Cette remarque, en avant-propos, ne vise pas à relancer le débat mais au contraire à clore cet épisode, et vous dire, madame la ministre, notre volonté de travailler avec vous dans les meilleures conditions.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je vous remercie pour votre accueil. Pour préciser votre préoccupation concernant le prêt à Madagascar de la couronne du dais de la Reine Ranavalona III, il ne s'agit pas d'une restitution, mais d'une convention de dépôt signée avec Madagascar. Seule une loi au Parlement peut en effet déroger au caractère inaliénable des collections publiques et cette procédure n'est absolument pas remise en cause. La demande du gouvernement malgache datait de plusieurs années durant lesquelles il lui a été clairement indiqué que seul un prêt était envisageable. Une concomitance de calendrier fait que cette acceptation du prêt a eu lieu au moment de notre discussion à ce sujet. Il ne s'agit de ma part d'aucune dissimulation. Ayant été parlementaire pendant un quart de siècle, je suis très attachée aux prérogatives du Parlement. Je tiens à exprimer aux sénateurs et aux sénatrices toute ma considération pour le travail accompli et les assurer que tout projet de restitution sera soumis à un vote, avec les procédures d'analyses, scientifiques et historiques, nécessaires.

Vous l'avez justement évoqué, monsieur le président, le secteur de la culture traverse une période extrêmement difficile. Dans ce contexte, les missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles » vont, en 2021, connaître une hausse exceptionnelle. L'augmentation de 4,8 % des crédits budgétaires du ministère de la culture témoigne de l'importance accordée par le gouvernement à la culture qui joue un rôle indispensable dans notre économie, ainsi que dans nos vies sociales, démocratiques et également intimes. L'effort budgétaire important consenti s'inscrit dans la continuité de la mobilisation totale dont l'État fait preuve depuis le début de la crise pour soutenir les acteurs culturels. Pour rappel, le monde de la culture dans son ensemble a déjà bénéficié de 5 milliards d'euros de mesures d'urgence dont 3,3 milliards d'euros dans le cadre des mesures transversales, ainsi que de plusieurs mesures d'accompagnement, la plus significative étant les 949 millions d'euros accordés aux intermittents du spectacle dans le cadre de « l'année blanche ». Pour pouvoir se projeter, j'ai obtenu que le volet culturel du plan France Relance mobilise une enveloppe exceptionnelle de 2 milliards d'euros en soutien à l'ensemble des acteurs culturels à partir de janvier 2021. D'autres mesures ont eu lieu : depuis la rentrée, 220 millions d'euros ont été mobilisés pour que les secteurs du spectacle vivant et du cinéma puissent faire face aux nouvelles contraintes de distanciation physique et au couvre-feu. Alors qu'a débuté une nouvelle période de confinement, je travaille avec les professionnels à adapter ces dispositifs à la réalité des besoins.

Au cours de la première année de mise en oeuvre sur les deux que compte le plan de relance, plus d'1,1 milliard d'euros de moyens exceptionnels viendront s'additionner aux crédits des missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles ». Ce budget complétera et amplifiera l'action menée pour réparer et refonder nos politiques culturelles. La crise sanitaire, véritable tournant pour le monde de la culture, n'en finit pas de bouleverser les conditions de vie et de création des acteurs culturels et révèle également les pratiques de nos concitoyens. Elle exacerbe des fragilités structurelles préexistantes, causées par des mutations profondes. Notre modèle culturel doit les prendre en compte. Les résultats de l'enquête sur les pratiques culturelles des Français, parue début juillet, mettent en lumière la nécessité de décloisonner et de réconcilier les cultures patrimoniale et numérique, afin d'atteindre l'objectif fixé par mon glorieux prédécesseur André Malraux. En effet, au-delà des mesures financées par les crédits budgétaires, c'est l'un des objectifs stratégiques pour nos industries culturelles et créatives, dotées de 400 millions d'euros sur 5 ans dans le cadre du 4 e programme d'investissement d'avenir. Les moyens inscrits dans les deux missions budgétaires nous permettront de relever ces défis en mettant les habitants et les territoires au coeur de nos politiques culturelles.

Par rapport à l'année 2020, la mission « Culture » connaît une forte hausse de 4,6 % à périmètre constant.

Le patrimoine bénéficie d'un budget de 1,015 milliard d'euros, en hausse de 4,4 %, auxquels s'ajoutent 345 millions d'euros issus du plan de relance. L'investissement prévu dans ce secteur a pour but de développer économiquement les territoires et de renforcer leur attractivité et leur cohésion. C'est l'objectif du plan de rénovation des musées territoriaux, doté de 52 millions d'euros sur deux ans, dont six provenant du plan de relance, et du soutien renforcé aux archives et à l'archéologie dont bénéficieront les équipements patrimoniaux dans les territoires. Dès l'année prochaine, un vaste plan « cathédrales » sera entrepris, en plus de son financement structurel annuel, doté de 50 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent 40 millions d'euros issus du plan de relance, en 2021 puis en 2022, soient au total 180 millions d'euros. Ce budget permettra, d'une part, de réaliser les travaux de mise en sécurité nécessaires et évoqués de longue date et d'accélérer les projets de restauration des cathédrales, parallèlement à ceux des monuments historiques, qu'ils appartiennent aux collectivités territoriales ou aux propriétaires privés. Par ailleurs, il a pour vocation de poursuivre les grands chantiers comme la Cité de la langue française et de la francophonie et la restauration du château de Villers-Cotterêts.

Nous devons, par ailleurs, veiller à l'entretien du patrimoine non protégé dans nos territoires et à sa valorisation, aux côtés des collectivités territoriales dont le rôle est central. Stéphane Bern et moi-même partageons la volonté d'une meilleure représentation de ces monuments au sein des projets de restauration soutenus par le « Loto du patrimoine » lors de sa prochaine édition.

En articulation avec le plan de relance, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit des financements visant à garantir la réalisation des programmes de travaux des grandes institutions culturelles patrimoniales comme de création : ainsi 15 millions d'euros de mesures nouvelles permettront de poursuivre le chantier de relogement du Centre national des arts plastiques à Pantin ou encore des investissements pour équiper les deux scènes de l'Opéra de Paris.

Nous avons choisi de réorienter le projet de restauration nécessaire du Grand Palais, dans une optique de maîtrise des coûts et des délais, compte tenu des dérives constatées et de l'échéance des Jeux Olympiques de 2024. Plus écologique, mieux maîtrisé, techniquement et financièrement, ce nouveau projet assurera la préservation du bâtiment et le réaménagement de ses espaces intérieurs, en rétablissant son unité et de meilleures conditions d'accueil à ses visiteurs.

En contrepartie du soutien important accordé à ces grandes institutions, je leur demande d'incarner encore davantage la responsabilité nationale qui est la leur, proches de l'ensemble de nos concitoyens et facteurs d'animation des territoires.

Le programme « Création » connaît, comme celui du patrimoine, une très forte augmentation de 4,5 % qui permettra d'assurer un soutien renforcé à la création, la diffusion et la production artistique dans les domaines du spectacle vivant et des arts visuels. À ces 37 millions d'euros de mesures nouvelles s'ajouteront 320 millions d'euros issus du plan de relance, ce qui est, là encore, totalement inédit. L'une des priorités est de mieux accompagner les établissements de création en régions : 15 millions d'euros seront consacrés à la restauration et à la consolidation des marges artistiques des labels, ainsi qu'au soutien des compagnies artistiques. Sur ce total, 3 millions d'euros iront aux arts visuels. Les mesures du plan de relance viendront, quant à elles, soutenir la programmation et financer des chantiers de rénovation de ces établissements.

Le spectacle vivant sera également fortement soutenu grâce au renforcement des moyens du Centre national de la musique, le CNM, avec 7,5 millions d'euros supplémentaires dans le PLF au programme 334, pour accompagner sa montée en puissance, et surtout la dotation exceptionnelle de 200 millions d'euros dans le cadre du plan de relance pour qu'il joue un rôle moteur dans la reprise de l'ensemble de la filière musicale, elle aussi gravement mise à mal par la pandémie. Les dispositifs fiscaux permettront de soutenir l'activité des salles de spectacle, avec une prorogation du crédit d'impôt pour le spectacle vivant aux critères assouplis et la création d'un crédit d'impôt théâtre. On peut noter que Bercy, habituellement défavorable aux crédits d'impôt, a clairement indiqué que ma demande était justifiée.

Une autre priorité est de renforcer le soutien aux artistes et aux créateurs, en particulier ceux qui n'entrent pas dans le champ des dispositifs transversaux. En plus du grand plan de commande artistique doté de 30 millions d'euros, le PLF 2021 prévoit 5 millions d'euros au titre du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps) pour diminuer la précarité des artistes et techniciens intermittents et 2 millions d'euros pour mettre en oeuvre les premières mesures à destination des artistes-auteurs avant la fin du 1 er trimestre 2021.

La mission « Culture » comporte également le nouveau programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », qui reprend les actions 1, 2 et 9 qui étaient auparavant inscrites au programme 224 concernant l'enseignement supérieur culturel, l'accès à la culture et la politique linguistique. À périmètre constant, il bénéficiera, en 2021, de 46 millions d'euros de crédits supplémentaires, soit une forte hausse de 8,5 %. Une nouvelle délégation générale, créée au sein du ministère de la culture au 1 er janvier prochain, aura la charge de ces moyens. Elle assurera un pilotage transversal de notre action en matière d'accès à la culture dans les territoires, d'éducation artistique et culturelle (EAC) et de formation en lien avec les ministères concernés dont, bien entendu, celui chargé de la cohésion des territoires et ceux de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. L'an prochain, nous amplifierons l'action menée pour atteindre notre objectif « 100 % EAC » en partenariat avec ces ministères et les collectivités territoriales.

La hausse des crédits du pass Culture permettra d'accompagner son développement. Partant du bilan de ses expérimentations, je souhaite le faire évoluer afin qu'il s'articule mieux avec la fin du parcours d'éducation artistique et culturelle pour enfin diversifier les pratiques culturelles de nos jeunes.

La politique d'accès à la culture dans les territoires bénéficie également de moyens supplémentaires, notamment pour accompagner un nouveau label, celui de « capitale française de la culture », dont le premier sera décerné en 2021. Tous les deux ans, ce label distinguera l'innovation artistique et l'activité d'une ville ou d'un groupement de collectivités.

Par ailleurs, les États généraux des festivals, à Avignon en octobre, ont permis de lancer, avec succès, une concertation entre les acteurs culturels et les collectivités locales, premiers partenaires de ces événements. Leurs travaux vont continuer et nous permettre de mieux accompagner ces manifestations qui jouent un rôle majeur dans l'attractivité de nos territoires, parallèlement à la prolongation du fonds festival en 2021.

L'enseignement supérieur dans le domaine de la culture fera l'objet d'une attention particulière l'an prochain, dans une volonté d'accompagnement des créateurs de demain. L'accroissement conséquent du budget de 3,3 % après des années de stagnation vise à améliorer les conditions de vie et d'études des élèves de ces écoles et leur insertion professionnelle. S'y ajoutera un plan exceptionnel de rénovation et de modernisation de leurs infrastructures s'élevant à 70 millions d'euros, financé par le plan de relance.

Concernant la mission « Médias, livre et industries culturelles », la hausse de 3,2 % exprime notre volonté de moderniser et consolider ces filières culturelles aux fragilités structurelles révélées par la crise. Le programme « Presse et médias » verra son budget progresser de 2,9 %. Ces nouveaux moyens de 483 millions d'euros pour la période 2020-2022 sont intégrés au plan « filière » pour la presse et ont été présentés par le Président de la République à la profession le 27 août dernier. Il s'agit d'un plan de modernisation massif qui accompagnera la transformation nécessaire de la filière.

Grâce au plan de relance, et au-delà des moyens inscrits dans la troisième loi de finances rectificative (LFR3), le fonds stratégique pour le développement de la presse sera abondé de 45 millions d'euros sur deux ans, le montant de l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse sera doublé et un fonds de transformation des imprimeries de la presse régionale doté de 31 millions d'euros.

Les enjeux environnementaux et sociaux occupent une place centrale dans ce plan de filières : un fonds pour la transition écologique est donc mis en place, de même qu'un fonds de lutte contre la précarité, doté de 18 millions d'euros par an en soutien aux acteurs les plus fragiles de la profession comme les pigistes, les photojournalistes ou les dessinateurs de presse. Des mesures nouvelles d'aide au pluralisme seront mises en place, l'une à destination des services de presse en ligne, d'informations politiques et générales, à hauteur de 4 millions d'euros par an, l'autre à destination de la presse ultramarine à hauteur de 2 millions d'euros par an.

Le programme « Livre et industries culturelles » connaîtra une hausse moyenne de 3,5 % l'année prochaine, soit plus de 10 millions d'euros. Au-delà des mesures concernant la filière musicale, déjà évoquées, ces nouveaux crédits permettront de financer l'achèvement du chantier de restauration du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (BnF). L'ouverture de 30 millions d'euros en autorisations d'engagement va également permettre à la BnF de lancer la construction d'un nouveau centre de stockage, opérationnel d'ici 2027. Plus de 80 candidatures ont d'ores et déjà été déposées. Le secteur du livre bénéficie en outre d'un plan total de 89 millions d'euros sur trois ans, financé par la LFR3 de 2020 et le plan de relance, avec l'objectif de soutenir les activités des libraires et des bibliothèques.

Concernant les filières cinématographiques et audiovisuelles, en plus des ressources habituelles du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) stables en 2021, un plan global de 165 millions d'euros inclus dans le plan de relance les accompagne pour permettre la reprise et moderniser l'ensemble de leurs acteurs.

Le financement de l'audiovisuel public respectera, en 2021, la trajectoire engagée en 2018. Le compte de concours financier pour l'audiovisuel public s'élèvera à 3,72 milliards d'euros et le montant de la contribution à l'audiovisuel public dont s'acquitteront nos concitoyens restera stable. L'effort d'économie de 80 millions d'euros demandé aux sociétés de l'audiovisuel public a été réduit de 10 millions d'euros, afin de tenir compte de la prolongation, jusqu'à l'été 2021, de la diffusion linéaire de France 4. Je souhaite engager une réelle réflexion participative et stratégique sur l'offre que nous voulons en matière de contenus éducatifs, sans urgence, qui s'appuie sur la créativité de la représentation nationale. Un soutien financier exceptionnel de 70 millions d'euros sera octroyé, dans le cadre du plan pour compenser les impacts de la crise sanitaire. La coïncidence entre les deux enveloppes de 70 millions d'euros ne représente pas un effet de balance, mais d'un côté, une aide conjoncturelle et, de l'autre, une trajectoire structurelle.

En parallèle, une vaste réflexion sur les ressources de l'audiovisuel public doit être menée, compte tenu de la suppression totale, à l'horizon 2023, de la taxe d'habitation à laquelle est adossée la contribution à l'audiovisuel public (CAP). Nous approfondirons le début de ce travail avec l'ensemble des parlementaires dont les sénateurs, très attentifs à ce sujet d'importance.

Je veux saluer les travaux en cours menés par le Sénat à l'occasion de la transposition de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) introduite dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Ddadue). Ils vont permettre, avec la révision du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande, d'intégrer les plateformes numériques ciblant le public français à notre système de contribution à la création. Il s'agit d'une première étape essentielle d'un système de rééquilibrage d'ensemble de notre système de financement de la création. Les actions et les ambitions de la France, en ce domaine, sont attendues pour fixer un modèle. Une révision du décret fixant la contribution et les obligations des chaînes historiques a lieu, avec des négociations professionnelles, dans ce cadre. Une adaptation de la chronologie des médias devra être mise en place dans les prochains mois, avec ouverture des concertations dans les prochains jours.

Concernant les autres mesures, certaines disposions prioritaires très attendues par le secteur doivent faire l'objet d'une traduction législative, dès que possible, en particulier la lutte contre piratage et l'évolution de la régulation. Un nouveau projet de loi « resserré », proposé au Premier ministre, tient compte des travaux déjà effectués lors de l'examen du projet loi initial. S'il est impossible de reprendre toutes les dispositions proposées, il est indispensable d'adapter les règles encadrant ce secteur à la transformation rapide, tant chez ses acteurs que dans les usages de nos concitoyens.

Telles sont les orientations qui guideront mon ministère, ce budget en étant le reflet, doté de moyens nouveaux, à la hauteur des attentes des professionnels de la culture et du grand public. Il prend en compte les défis urgents, conjoncturels et structurels. En complément du plan de relance, il a pour but de conforter le modèle culturel français, dont l'originalité fait notre fierté.

M. Jean-Raymond Hugonet , rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel . - Il y a deux ans, votre prédécesseur, Franck Riester, assurait que la réforme de la CAP, indispensable pour boucler le financement de la réforme de l'audiovisuel, aurait lieu au plus tard dans le cadre du PLF 21. Après le report de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel, l'examen de la réforme de la CAP sera-t-il à son tour renvoyé à une date ultérieure ? Pourquoi une vraie concertation avec le Parlement et le Sénat notamment, ne serait pas entamée, avec un partenariat possible entre majorité et opposition ?

L'existence de la chaîne jeunesse de France Télévisions, France 4, a été prolongée d'un an seulement, alors qu'elle a toute sa place au sein d'une télévision publique comme le montre le succès en Afrique de la chaîne francophone Tivi5 Monde créée par TV5 Monde. Le montant de l'économie réalisée par la suppression de France 4 apparaît, par ailleurs, très limité. Une contradiction importante semble exister entre la légitime volonté du gouvernement de promouvoir les valeurs de la République dans les quartiers prioritaires, où les familles n'ont pas les moyens d'accéder à une offre culturelle et audiovisuelle large, et celle de supprimer cette chaîne qui pourrait constituer cet outil pédagogique indispensable. À l'aune des crises que nous connaissons, le gouvernement pourrait-il réévaluer cette question, quitte à demander à l'audiovisuel public de réaliser des économies sur d'autres postes ?

M. Michel Laugier , rapporteur pour avis sur les crédits de la presse . - La presse joue un rôle important lors d'une crise sanitaire et doit être maintenue à un haut niveau. Ses difficultés ont souvent été évoquées, notamment la chute du groupe de distribution Presstalis qui a eu lieu au plus mauvais moment, en plein confinement. Une partie de la France a ainsi été privée de journaux pendant plusieurs mois. Peut-on chiffrer précisément la dépense engagée par l'État ces dernières années pour le maintien à flot de cette société ? Comment s'assurer d'un sort plus favorable à France Messagerie qui a remplacé Presstalis ? Qui va assumer la dette de cette grande maison ?

Concernant les droits voisins, des annonces contradictoires récentes suggéraient un accord, puis sa mise en doute. Quelle est la volonté de Google et Facebook de s'inscrire dans le cadre légal tracé par la proposition de David Assouline ? Avez-vous des échanges avec d'autres pays qui tardent à lancer leur transposition ?

M. Julien Bargeton , rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles . - Le pass Culture suscite beaucoup d'interrogations, notamment sur son évolution et son avenir, qui appellent des précisions. Le choc de la crise sur le secteur culturel est très fort et il faut reconnaître les efforts de soutien déployés par le gouvernement, malgré l'existence de demandes encore en suspens. Cette démultiplication des fonds est d'ailleurs soulignée par les différents acteurs que nous rencontrons.

Quel sera l'avenir et le fonctionnement du CNM, suite à l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 8 septembre 2020 sur les crédits dits « irrépartissables » qui prive de 25 millions d'euros par an les organismes de gestion collective (OGC) ? Une compensation par le CNM a été évoquée, est-elle selon vous envisageable ? Que va faire la France ? Des négociations européennes auront-elles lieu pour essayer de corriger cet arrêt dans un règlement ?

M. Pierre Ouzoulias , au nom de M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis sur les crédits du cinéma . - Concernant la transposition de la directive services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), quelles seront l'architecture et la philosophie générale des projets d'ordonnance et de décret ? Quelles sont les premières réactions des plateformes ? Sur le domaine du cinéma, la difficulté est de ne pas connaître aujourd'hui le montant des pertes de l'industrie cinématographique pour l'année prochaine. Y aura-t-il un aspect dynamique dans l'aide que vous pourriez lui apporter et des moyens d'ajustement d'un budget supplémentaire à ses pertes ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - À propos de la réforme de la contribution à l'audiovisuel, deux clans s'affrontent, les tenants de la budgétisation et ceux qui souhaitent le maintien de la redevance, avec des propositions intéressantes mais qui arrivent à ne pas « familialiser » cette contribution. Compte tenu du report à 2023 de la suppression de la taxe d'habitation sur la résidence principale, cette réforme n'est pas urgente, d'autant que le rendement de cette contribution continue de croître permettant un maintien du tarif, ce qui est important pour les ménages modestes. Des pistes de référence ont été identifiées par le gouvernement, et un travail d'analyse technique approfondi aura lieu d'ici 2022 avec les parlementaires et ceux qui voudront s'y associer. Le principe est de permettre à l'audiovisuel de bénéficier d'un financement pérenne, gage de son indépendance, sans créer de nouvel impôt, en cohérence avec la politique fiscale conduite par le gouvernement depuis 2017 pour améliorer le pouvoir d'achat des Français.

Concernant l'arrêt de France 4, il est nécessaire de s'interroger sur les moyens d'accompagner l'offre éducative des Français. Si l'action de France 4 pendant le confinement mérite d'être saluée, on ne peut pas bâtir une télévision-confinement. La réflexion doit porter sur les besoins exacts de nos enfants et non sur le maintien ou non d'une chaîne, quelle que soit l'affection qu'on lui porte. Comment les enfants évoluent-ils ? Quels outils utilisent-ils ? Faut-il avoir une chaîne éducative, de divertissement ou culturelle ? Dix millions d'euros sont dégagés pour permettre cette réflexion par rapport à la trajectoire arbitrée en 2018. Comment coordonner cette réflexion avec l'utilisation des nouveaux outils numériques utilisés par les jeunes dont la consommation augmente ? Comment les programmes des chaînes comme Okoo s'articulent avec les programmes de l'Éducation nationale ? Face à un public de 6 à 18 ans, comment imaginer des programmes éducatifs structurants ? Quel est l'apport des autres chaînes de l'audiovisuel public ? Toutes ces questions alimenteront la réflexion pour définir l'outil correspondant aux réels besoins de nos enfants.

Concernant Presstalis, la situation est particulièrement compliquée, avec la filière de la vente au numéro, indispensable au pluralisme de la presse, en forte baisse et des acteurs aux difficultés récurrentes. L'État a accompagné les discussions autour de la restructuration de Presstalis qui ont conduit à la création de France Messagerie, nouvelle structure en charge de la distribution de la presse quotidienne nationale, le 1 er juillet 2020. L'engagement de l'État s'élève, dans la restructuration de Presstalis, à 76 millions d'euros et, dans les besoins de France Messagerie, à 80 millions d'euros dont 68 de subventions et 12 de prêt. Le soutien public à la filière ne se dément pas mais s'appuie sur la responsabilité des éditeurs pour assurer la pérennité du système de distribution. France Messagerie représente aujourd'hui 55 % de parts de marché, les Messageries lyonnaises de presse (MLP) 45 %, et l'État verse chaque année aux dix quotidiens d'information politique et générale (IPG) une aide à la distribution de la presse quotidienne de 18 millions d'euros. Dans le cadre du protocole de conciliation de 2018, les crédits de la section A de cette aide sont portés à 27 millions d'euros par an pour 2018-2021 par redéploiement des crédits en provenance du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP). L'État est toujours fortement engagé dans les messageries historiques, d'une part, en prenant en charge le décalage de la procédure de collecte à hauteur de 17 millions d'euros et les chèques de qualification dus aux marchands de presse, qui représentent 16,2 millions d'euros ; d'autre part, dans les besoins de financement de la nouvelle société avec une subvention de 68 millions d'euros et un prêt du Fonds de développement économique et social (FDES) de 12 millions d'euros. Des aides exceptionnelles aux petits éditeurs de 8 millions d'euros et aux diffuseurs spécialisés de 19 millions d'euros ont par ailleurs été octroyées.

Au sujet des droits voisins des éditeurs et agences de presse, un investissement exemplaire dans la négociation des deux directives d'avril 2018 relatives aux droits d'auteur, a abouti à des éléments décisifs sur la rémunération des créateurs et les titulaires de droits. La première directive vise à sécuriser la rémunération des oeuvres diffusées à la télévision par technique dite de « l'injection directe », la seconde consacre des dispositions visant à garantir un meilleur partage de la valeur créée par la diffusion des oeuvres sur internet. Les démarches de Google visent à un seul but : contourner l'application de ce droit, notamment par l'octroi de licences à titre gratuit. Le 9 avril 2020, l'autorité de la concurrence, saisie par des éditeurs de presse, a enjoint Google à négocier « de bonne foi » sur ces droits voisins et la Cour d'appel de Paris a rejeté le pourvoi contestant cette décision. Si certains acteurs du système sont prêts à céder aux sirènes de Google, je veux saluer ceux qui y résistent.

À propos du pass Culture, les objectifs sont connus : favoriser l'autonomie culturelle chez les jeunes, avec un crédit de 500 euros pour chaque jeune de 18 ans, à utiliser dans les biens et services culturels référencés sur le pass. La gestion du dispositif est confiée à la Société du Pass culture, avec une hausse de ses crédits de 20 millions d'euros en 2021 soit 59 millions d'euros au total. La question de sa généralisation est en cours, ainsi que celle d'une meilleure articulation avec les parcours d'éducation artistique pour les 16-17 ans. Il faut par ailleurs noter que le pass a contribué à relancer le secteur culturel suite au confinement, la barre des 100 000 inscrits ayant été franchie mi-septembre. Quatorze départements sont aujourd'hui concernés par l'expérimentation. Au 2 novembre, on compte un taux d'inscription de 85 %, 115 000 comptes sur les 135 000 éligibles et un taux d'utilisation de 81,5 %, contrairement aux craintes escomptées. 130,70 euros sont dépensés en moyenne sur une période de 9 mois et 4 300 lieux culturels sont actifs pour près de 2 500 000 offres disponibles. Les catégories les plus réservées sont à 58 % les livres, à 15 % la musique, à 10,1 % l'audiovisuel, à 4,1 % le cinéma. Les biens physiques représentent 65,1 % des biens réservés, les biens numériques 25,4 %, les événements 9,4 %, ce dernier chiffre étant le plus décevant et sans doute le domaine sur lequel les offres doivent être mieux mises en avant.

Concernant l'arrêt de la Cour de justice, ce sont plus les OGC qui vont être impactés que le financement du CNM. Par le biais des OGC, des activités seront financées mais vous êtes modeste sur la perte estimée à 25 millions d'euros alors que je tablerai plutôt sur 30 actuellement. Cet arrêt de la Cour de justice permet de ne pas reverser les sommes perçues aux artistes et aux producteurs non européens en raison de l'absence de réciprocité, aussi appelé droits « irrépartissables ». L'arrêt dit par ailleurs que la législation européenne aurait dû prévoir la liste exhaustive des pays concernés. Je suis ces travaux au plus près avec la commission européenne. Je ne me lancerai pas dans la description du projet de décret « SMAD », qui est complexe et se trouve disponible en ligne. Cette 3 e consultation des acteurs du secteur, avec, d'un côté, producteurs et créateurs français et, de l'autre, les plateformes, se termine le 12 novembre. À votre demande sur la réaction de ces dernières, évidemment mesurée, je vous répondrai par notre volonté d'un décret ambitieux, et en même temps prudent : on peut aspirer à obtenir 35 ou 40 % mais il s'agit aussi de respecter l'équité et de ne pas s'exposer à des contentieux dommageables qui anéantiraient tous les efforts. Pour exemple, cela représente pour une plateforme comme Netflix environ 190 millions d'euros.

M. David Assouline . - Je partage avec vous une réflexion au sujet de l'ouverture des librairies. Une idée est en train de faire son chemin et vous devez la porter haut et fort, c'est le fait que la culture est un ciment de notre société et une réponse en temps de crise sanitaire et sociale, quand il y a un attentat contre un professeur et la liberté d'expression. Il faut la considérer comme un bien essentiel, dans la mise en place des nouvelles mesures. Je vous demande de plaider en ce sens.

Concernant la contribution à l'audiovisuel public, vous indiquez qu'elle restera stable, ce qui est un euphémisme, car une décision consensuelle de longue date voulait qu'une stabilité impliquait une augmentation de 1 % au minimum pour tenir compte de l'augmentation du coût de la vie. Il s'agit donc d'une baisse du budget de l'audiovisuel public et notamment de celui de France Télévisions, puisque sur les 70 millions d'euros de la trajectoire budgétaire de baisse, 60 millions concernent France Télévisions. Avec 65 millions d'euros d'impact estimés de la covid-19, cette baisse est conséquente, compensée par seulement 45 millions d'euros de dotations exceptionnelles dans le plan de relance. Chacun mesure les efforts faits pour passer ce moment difficile dans toutes les filières. La présence à la maison imposée par le confinement augmente le temps passé à regarder la télévision et Netflix. Nous avons tous intérêt à ce que le service public propose, dans ce contexte, une offre de qualité. C'est là que se pose la question de France 4 qui, par erreur de langage, serait qualifiée de chaîne du confinement, alors qu'elle est une chaîne du service public nécessaire pour les enfants, preuve en est que le secteur privé, dont M6, se l'approprie et que la BBC, qui avait arrêté, en est revenue. Le service public a besoin de s'adresser aux enfants, livrés à des plateformes et à des programmes avec peu de considération pour la qualité et l'éducation, notamment civique, surtout après l'attentat contre M. Paty. On ne peut pas considérer qu'à chaque nouveau ministre, on recommence à zéro. Nous avons réfléchi avec le gouvernement, avec France Télévisions et même Mme Ernotte, pour remporter sa candidature au CSA, a mis en avant son projet de maintien de France 4.

Sur le sujet de la presse et des droits d'auteurs, la majorité sénatoriale et mon groupe, par principe opposés au jeu des ordonnances, avons accepté de négocier avec Franck Riester dans un souci de rapidité, avec l'assurance d'une écriture conjointe. Or nous n'avons jamais été contactés pour en discuter concrètement et être associés à cette rédaction. Le contrat de confiance passé avec le gouvernement était que nous allions, jusqu'au bout, établir ce texte ensemble. Depuis, nous n'avons jamais été contactés pour en discuter concrètement et être associés à l'écriture de ces ordonnances. Il serait bien de tenir cette parole car nous avons fait un effort politique d'ouverture en acceptant en juillet de faire les choses vite, pour les auteurs et pour la création française. En retour, nous nous sentons un peu lésés quant à l'association et la considération du Parlement.

M. Jean-Raymond Hugonet , au nom de Michel Savin . - Michel Savin a dû prendre le train qui reste pour rejoindre les cimes de l'Isère. Il m'a donc demandé de poser cette question pour lui. Madame la ministre, vous avez annoncé courant septembre différentes mesures de soutien à la filière cinématographique durement touchée par la crise sanitaire. Un fonds exceptionnel de compensation des pertes de recettes des salles de cinéma doté de 50 millions d'euros a été créé et confié au Centre national du cinéma et de l'image animée. Or, de par la nature même du CNC, ce fonds ne peut s'adresser aux cinémas de gestion publique. Vous avez également annoncé, le 22 octobre, de nouvelles aides et notamment une enveloppe supplémentaire de 30 millions d'euros pour les acteurs de la filière cinématographique. Une partie de ces aides est-elle destinée aux cinémas exploités en régie directe par les collectivités jusqu'ici ignorés par les plans de soutien du gouvernement ? En effet, de nombreuses collectivités gèrent en direct des cinémas publics. Leur fermeture imposée par le gouvernement pour freiner l'épidémie entraîne de lourdes pertes d'exploitation alors même que leurs finances se trouvent déjà fragilisées par la crise sanitaire. Ces cinémas publics remplissent un rôle important de diffusion culturelle notamment dans les territoires interurbains et ruraux, mal dotés en cinémas privés. Aussi semble-t-il important que l'État fasse preuve de solidarité en accordant aux cinémas publics les mêmes aides qu'aux privés.

Mme Sabine Van Heghe . - Je souhaite poser une question sur la presse et particulièrement la presse quotidienne régionale frappée de plein fouet par la crise sanitaire, avec notamment la fermeture de nombreux points de vente et la forte diminution de son chiffre d'affaires. La situation était déjà très difficile du fait de changements structurels des modes de consommation de l'information. Nous sommes tous d'accord pour veiller à l'indépendance de la presse, au respect du pluralisme et à liberté d'expression. Au moment où de fausses informations circulent abondamment sur les réseaux sociaux, le soutien à la presse et à la presse quotidienne régionale est indispensable. Il en va de la bonne santé de notre démocratie. Par rapport à l'augmentation des aides à la presse dans le plan de relance, pouvant être jugée insuffisante du fait des précédentes baisses observées depuis 2018, des inquiétudes s'expriment quant au soutien apporté à la presse locale, en particulier dans la transformation de son offre numérique. Je vous remercie, madame la ministre, des précisions que vous voudrez bien m'apporter sur ce sujet.

Mme Claudine Lepage . - Madame la ministre, j'aimerais vous poser une question sur l'audiovisuel extérieur, qui occupe une place en marge de l'audiovisuel public, même si France Médias Monde est associée à France Info. France Médias Monde et TV5 Monde, chacun dans leur spécificité, jouent un rôle de premier plan dans la diplomatie culturelle de la France et donnent une belle image, engagée, de l'information. Vous avez fait mention du projet de loi « resserré » sur l'audiovisuel. Quelle sera la place réservée à l'audiovisuel extérieur dans le cas où il verrait le jour ? Il est important de conserver les spécificités et les missions de celui-ci.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - J'ai réalisé, monsieur le président, que je n'avais pas répondu à votre question sur les COM, mais elle reboucle finalement avec les dernières questions sur le plan de transformation de l'audiovisuel public énoncée en juillet 2018 et qui conditionne les COM 2020-2022. Cinq axes sont prioritaires : renforcer l'offre audiovisuelle de proximité, conforter le statut d'offre de référence de l'information, sanctuariser son rôle central dans la culture et la création - je me réjouis que France Télévisions ait décidé de consacrer une soirée à un spectacle en ce moment en répétition dans nos lieux de culture fermés, Hippolyte et Aricie, l'opéra de Jean-Philippe Rameau répété à l'Opéra-Comique, que l'on pourra voir sur France 3 ainsi que d'autres spectacles édités par l'audiovisuel public. Ceci permettra peut-être à certains de découvrir l'opéra, développer l'offre éducative et les contenus destinés à la jeunesse et contribuer au rayonnement international de la France. Ces objectifs sont tout à fait essentiels. Le report du projet de création d'une holding ne signifie en rien le renoncement à poursuivre la transformation de l'audiovisuel public et favoriser les coopérations entre les entreprises qui le composent. Pour autant, les synergies doivent être multipliées, le gouvernement a invité l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public, couvertes par un COM, à le renégocier et j'ai écrit aux dirigeants de l'audiovisuel public, cet été, dans cette perspective. L'ensemble du secteur va donc être couvert par des COM, alignés dans le temps sur l'horizon budgétaire de 2022. Ces contrats comprendront un volet commun à ces entreprises, dédié à leurs missions communes, ainsi qu'à leur engagement conjoint à progresser davantage en matière de coopérations multiples, éditoriales et non éditoriales. Les textes de ces COM sont en cours de finalisation et seront transmis au CSA et aux commissions parlementaires dans les prochaines semaines. Vous allez donc pouvoir vous en emparer.

Je veux dire à M. Assouline qu'on continue à vendre des livres et à les acheter dans notre pays et dans des librairies indépendantes. Je passe, pour venir au bureau, devant deux librairies indépendantes et peux vous dire que le « cliquez-emportez » marche ! Nous soutenons nos librairies par des mesures transversales considérablement majorées comme le fonds de solidarité porté à 10 000 euros, le chômage partiel, les prêts garantis par l'État qui sont poursuivis. Nous avons, par ailleurs, décidé que tous les livres vendus en « cliquez-emportez » ou envoyés par la poste ne rentreraient pas en ligne de compte dans le calcul du chiffre d'affaires permettant d'accéder au fonds de solidarité. Toutes ces aides sont considérables. En accord avec le ministre de l'économie et de la relance, nous avons mis en place la prise en charge des frais postaux qui permet de placer les librairies indépendantes au niveau des grandes plateformes à 1 centime l'envoi. De même, La Poste a fait une ouverture considérable, en divisant pratiquement par 3 le prix de ses portages de colis dans une agglomération. On peut situer cet effort pour l'État, entre 10 et 20 millions d'euros sur cette prise en charge de la quasi-gratuité du tarif. Certaines librairies témoignent même de la présence de beaucoup de clients et de difficultés à organiser les commandes. Les librairies sont pour la plupart ouvertes, il est possible de téléphoner, sans être obligé de passer par internet, de passer et préparer des commandes, de demander des conseils à son libraire. Comme vous, je souhaite la réouverture des librairies le plus tôt possible, bien entendu, et nous réfléchissons aux actions par rapport au contexte sanitaire. Une librairie, comme le disait excellemment mon ami Alain Duault dans un éditorial paru récemment, ça n'est pas comme acheter un paquet de nouilles dans un supermarché ! Ce qu'on aime, c'est feuilleter les livres, discuter avec les gens, c'est un lieu de convivialité et dans l'état actuel, tout cela est évidemment compliqué. On pourrait imaginer, si la situation sanitaire se desserre, évoquer la question des jauges, en discussion avec les acteurs du secteur, libraires et éditeurs, à hauteur de 4 m², voire même de 8 m² par personne, les libraires y sont disposés, un accueil sur rendez-vous, mais on ne peut pas transiger sur le fait de ne pas feuilleter les livres, même avec masques et gel hydroalcoolique. Développer des moyens logistiques n'est pas si simple. Nous travaillons avec Bruno Le Maire sur ces adaptations.

J'ai déjà répondu aux questions concernant la contribution à l'audiovisuel public. Les efforts de gestion étaient tout à fait soutenables par rapport au travail accompli en 2018. Concernant le décret SMAD et l'écriture des ordonnances, je ne sais pas où on est sur le travail de collaboration avec l'assemblée sénatoriale, je vais me renseigner sur cette consultation et revenir vers vous à ce sujet sans chercher de fausses excuses.

Concernant la filière cinématographique et la gestion publique, il est vrai que sur les 6 000 salles de cinéma de notre pays, 400 sont en gestion publique. Leur modèle économique n'est pas comparable à celui des salles commerciales. Néanmoins, j'ai demandé que le CNC regarde la situation au cas par cas et que, si elle se révélait très difficile et bien que ne relevant pas de la mission du CNC, il puisse aider ces salles. Je tiens vraiment à ce que le maillage si important des salles de cinéma soit préservé pendant la crise.

L'audiovisuel extérieur et France Médias Monde sont engagés, comme l'ensemble des entreprises du secteur public, dans les négociations des COM. Une élaboration est en cours avec une signature prévue début 2021, comportant les objectifs communs et spécifiques qui traduisent les missions confiées. Dans un projet « resserré », l'audiovisuel extérieur ne sera pas concerné. J'ai bien indiqué les contours de ce texte législatif, qui sont le piratage et l'autorité de régulation, soit la fusion du CNC et de l'Hadopi pour former l'ARCOM. Nous rencontrons beaucoup de difficultés, d'ailleurs, à trouver un créneau législatif, mais cela n'empêche pas ma résolution dans ce domaine. Il y aura peut-être des idées d'initiatives parlementaires, on verra.

Mme Sylvie Robert . - Merci beaucoup, madame la ministre, pour la présentation de ces programmes 131 sur la création et 361 sur la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture. Je mesure l'ampleur des efforts réalisés par l'État pour sauver la création artistique et culturelle dans un moment que vous avez justement qualifié de critique. Le secteur culturel, dans son intégralité, est en train de payer un lourd tribut du fait de la crise. Sans revenir sur les analyses chiffrées, je voudrais vous questionner sur plusieurs points. On sait que les acteurs culturels ont subi différentes phases, un confinement total, un déconfinement avec une reprise d'activités, puis, brutalement, un reconfinement que je ne qualifierai pas de partiel, car les lieux sont fermés. Beaucoup souffrent encore, comme les festivals, d'un manque d'anticipation, de visibilité. Ils ont besoin qu'on les aide à anticiper, notamment à trois mois car leur modèle économique ne leur permet souvent pas de stopper leurs activités. Avez-vous des éléments de calendrier ou une méthode de travail qui permettrait d'y répondre, avec cette incertitude qui pèse sur la durée ? Je sais la difficulté de répondre à ma question. Pour pouvoir continuer, beaucoup demandent la prolongation de l'activité partielle exceptionnelle qui s'arrête au 31 décembre, devenant ensuite activité partielle de longue durée, ce qui diminue considérablement le remboursement. Dans leur situation, une telle décision serait très importante.

Les collectivités territoriales jouent, vous le savez, un rôle majeur. Avec les mesures du PLF pour 2021, du plan de relance, du PLFR4, des sous-préfets ont été nommés pour prendre en charge la relance dans les territoires. J'aimerais savoir comment vos annonces seront traduites concrètement dans les territoires. La coordination qui sera mise en place n'est pas très claire avec le rôle qui sera confié aux sous-préfets en charge de la relance. Comment trouver une bonne coordination entre sous-préfets, directions régionales des affaires culturelles (DRAC), collectivités territoriales, pour que l'organisation territoriale, qui va permettre à la fois sur la relance et, sur ce que j'appelle de mes voeux, un printemps culturel, puisse être bien accompagnée ? Nous avons besoin d'une clarification sur la méthodologie pour pouvoir, au sein des collectivités territoriales, fluidifier et simplifier les aides. Beaucoup d'interrogations demeurent.

Les écoles supérieures d'art me tiennent à coeur, ainsi que les écoles supérieures d'architecture qui souffrent beaucoup. On nous a annoncé la remise rapide d'un rapport sur leur situation. Quand doit-il être publié ? Nous aimerions en disposer car, derrière ces écoles, se pose la question de la recherche, de l'intégration de ces écoles dans le système licence master doctorat (LMD), et des vacataires. Je vous remercie pour l'enveloppe pour la rénovation énergétique, très importante pour ces écoles. La question du fonctionnement de ces écoles et de l'enseignement de l'architecture dans notre pays est fondamentale en ce moment de transition écologique. On vit finalement sociologiquement, philosophiquement et même intellectuellement des mouvements qui pourraient faire déplacer des populations au-delà des zones urbaines vers les zones rurales, et ces questions d'environnement et d'habitat sont très importantes.

Enfin, car je sais que mes collègues compléteront mes propos, je voudrais vous dire qu'en plus des lieux subventionnés et privés existent également de très nombreuses associations culturelles qui diffusent la culture dans les territoires, enseignent les pratiques artistiques, gèrent des lieux non conventionnés, non labellisés. Beaucoup rencontrent aujourd'hui des difficultés majeures et sont peu soutenues, éligibles un peu aux dispositifs culture, un peu aux dispositifs vie associative, un peu aux dispositifs destinés à l'économie sociale et solidaire (ESS). Elles constituent des acteurs importants de l'éducation artistique et culturelle, aujourd'hui à l'arrêt car ces lieux sont fermés. C'est pourquoi je plaide pour un printemps culturel très important qui s'appuierait sur les projets exceptionnels menés par ces associations dans les écoles, collèges, lycées. Il y a de l'argent : c'est un moyen de l'utiliser. La volonté existe mais une vraie organisation et des méthodes de travail sont à mettre en place.

Vous prolongez le fonds festival. Je tenais à vous dire que l'organisation des États généraux des festivals avait été très bien reçue par les organisateurs de festivals. Ils attendent maintenant un calendrier, des critères et, là aussi, l'association des collectivités territoriales sera précieuse. Nous, parlementaires et élus, sommes prêts à vous accompagner car il y a urgence. La relance n'est pas encore complètement là. J'espère qu'elle sera rapide, visible et lisible dans les territoires de notre pays.

Mme Céline Boulay-Espéronnier , pour Philippe Nachbar . - Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme patrimoine, m'a laissé ses questions. La première concerne la situation très préoccupante des opérateurs, singulièrement ceux dont le niveau des ressources propres est le plus élevé. Après l'audition des présidents du musée du Louvre et du château de Versailles, la semaine dernière, nous nous demandons si les crédits inscrits permettront aux opérateurs de surmonter les conséquences de la crise, dans la mesure où leur montant a été déterminé avant la mise en place du nouveau confinement. Quelle est votre position ?

Deuxièmement, nous sommes préoccupés par la faiblesse des crédits accordés aux monuments historiques appartenant aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés, qui représentent pourtant la majorité de ces monuments et fournissent du travail aux entreprises de restauration sur l'ensemble du territoire. Ces crédits sont globalement stables dans le PLF pour 2021 et leur niveau reste modeste au titre du plan de relance puisqu'ils représentent seulement 6,5 % en autorisations d'engagement (AE) et 3 % en crédits de paiement (CP) du volet patrimonial de ce plan. Dans la mesure où les collectivités territoriales, comme les propriétaires privés, devraient voir leur capacité financière se contracter en 2021 sous l'effet de la crise - repli des collectivités sur leurs dépenses obligatoires, pertes financières enregistrées par l'absence d'ouverture de leurs monuments - comment justifier que l'effort de l'État ne soit pas plus conséquent ? Enfin, afin de les inciter davantage à engager des travaux dans les mois à venir, certains suggèrent que l'État relève temporairement le taux de sa subvention aux travaux, même pour les opérations non éligibles au fonds incitatif et partenarial pour les petites communes. Quel regard portez-vous sur ces propositions ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je vais répondre à Mme Van Heghe sur le soutien à la presse quotidienne régionale et vais compléter mon propos. Les questions sont très nombreuses et tout le monde connaît l'importance de la presse quotidienne régionale (PQR) dans l'accès des citoyens à l'information. Le soutien de l'État à son égard est très fort, avec 2,9 millions d'euros d'aides au pluralisme pour la presse locale ainsi que l'aide au portage et le fonds stratégie qui lui profite largement. S'ajoute, dans le cadre du plan filière presse, un soutien exceptionnel de 50 millions d'euros sur 2 ans, pour le fonds stratégie et 36 millions d'euros pour la restructuration des imprimeries de la presse en région. C'est donc une aide plus que substantielle.

En réponse à Mme Sylvie Robert, la territorialisation du plan de relance est un enjeu qui m'a habitée pendant toute son élaboration. Sur le 1,6 milliard d'euros, hors 4 e programme d'investissements d'avenir (PIA4) dont on ne connaît pas encore les projets, 460 millions d'euros sont territorialisés, c'est-à-dire programmés région par région. Les crédits alloués aux filières qui se diffuseront sur l'ensemble du territoire - presse, cinéma, livres notamment - seront également suivis. Hors opérateur, on peut estimer que plus de 1 milliard d'euros sur les 1,6 bénéficieront directement aux territoires. Il ne suffit pas d'affecter de l'argent aux territoires, il faut que ce soit coordonné avec eux et qu'on ait des effets de levier des politiques de l'État, de concertations et parfois de codécisions. J'ai voulu que les collectivités territoriales soient pleinement associées à ces politiques de plan de relance, en réunissant le Conseil des territoires pour la culture (CTC) le 27 octobre dernier. Des CTC locaux seront réunis très prochainement. J'ai exigé que le rôle des DRAC, souvent mises de côté dans ces réunions globales, soit pris en compte. À chaque séance, le plan de relance sera évoqué comme la gestion de crise et ses conséquences sur la culture. Un suivi très fin de tout cela est nécessaire.

Vous m'avez posé une question, à laquelle je ne peux pas répondre, sur la date de sortie de la crise. Vous-même avez bien voulu en convenir. Je m'inscris résolument dans la préparation de la sortie de crise. Souvenez-vous, pendant le premier confinement, comme les répétitions n'avaient pas pu avoir lieu, lorsque la crise s'est desserrée, les spectacles n'étaient pas prêts - cela a considérablement affecté les festivals d'été. En autorisant les tournages et les répétitions, outre que j'alimente l'audiovisuel public et, pourquoi pas, d'autres types de médias pour leur diffusion, les spectacles seront prêts dès la fin du confinement et permettront la reprise du spectacle vivant. Il est important de réduire au maximum le délai de reprise des activités et de s'y préparer.

Vous pointez l'approche en silo du ministère de la culture, j'en conviens volontiers, c'est un diagnostic que je partage. C'est pourquoi j'ai voulu créer au ministère une nouvelle délégation générale aux territoires et à la transmission des politiques culturelles, avec la vocation de décloisonner les politiques et d'être un interlocuteur unique pour les acteurs des territoires, ce qui est souvent compliqué. L'objectif est aussi de décloisonner les pratiques patrimoniales ou traditionnelles et les cultures numériques nouvelles.

Les États généraux des festivals, dont vous avez souligné le succès, correspondaient aux besoins des acteurs de ces festivals de décompresser, de dire à quel point ils avaient souffert. Il fallait échanger dans ce domaine. Mon prédécesseur a, dès le 6 avril, mis en place une cellule d'accompagnement aux festivals et 10 millions d'euros de crédits complémentaires ont été ouverts dès juillet en soutien aux éditions annulées. On estime aujourd'hui que 300 organisateurs vont être soutenus dans tous les domaines. 5 millions d'euros supplémentaires alimenteront ce fonds d'urgence en 2021 dans le cadre du plan de relance. La crise a réinterrogé la façon dont l'État devait accompagner ces festivals et les ateliers tenus à Avignon ont abordé des thèmes nouveaux : la diversité, l'égalité hommes-femmes, le bénévolat, outre les questions classiques sur la territorialisation, les partenariats avec les collectivités territoriales, le mécénat... Tout a été envisagé, au cours de cette première période de diagnostic. Une nouvelle réunion avec les chefs des sept ateliers de ces États généraux envisagera des solutions concrètes. Rendez-vous est donné, en croisant les doigts, au printemps de Bourges, pour avancer des solutions concrètes et nous nous reverrons régulièrement car ce pilotage est à mener finement et de façon évolutive.

Les enjeux des écoles d'architecture sont tout à fait considérables. D'abord, en urgence, il fallait veiller à leur équipement numérique pour l'enseignement à distance et le besoin pour les vingt écoles sera couvert. À moyen terme, avec la bonne mise en oeuvre de la réforme de 2018, ces écoles doivent occuper une place centrale dans la définition et la diffusion des solutions pour la transition écologique et sociale des bâtiments. Cette réforme doit aller à son terme et accompagner les écoles en moyens financiers. Elles vont bénéficier des crédits importants que vous avez soulignés. La réunion de restitution du rapport que vous avez mentionné aura lieu prochainement et le rapport sera livré avant Noël.

L'impact de la crise sur les opérateurs est évidemment massif et nous y avons répondu amplement en nous adaptant à chaque situation. Le deuxième confinement crée une situation nouvelle dont nous sommes en train d'évaluer les conséquences. Les modèles d'aides déployés lors du premier confinement, comme les 115 millions d'euros consacrés à accompagner les pertes de billetteries liées au couvre-feu à partir de 21 heures, vont être remodelés pour aider les opérateurs de façon conforme aux exigences du confinement. Sans préjuger de ce qui se passera, le gouvernement est décidé à prolonger les mesures si le confinement se prolongeait, aussi bien en ce qui concerne l'intermittence ou le chômage partiel, autant que de besoin. Le ministre de l'économie et de la relance s'est plusieurs fois exprimé sur ce sujet.

Est-ce que les crédits seront suffisants ? Que coûte aux établissements cette prolongation du confinement, de l'interdiction de mener des spectacles à l'Opéra de Paris, de recevoir des visiteurs au musée du Louvre ou à Versailles ? Cela coûte 30 millions d'euros par mois pour l'ensemble des grands opérateurs, « vaisseaux amiraux » de notre culture. Ils seront accompagnés de la meilleure façon. Nous avons déjà donné des enveloppes extrêmement substantielles dont vous avez la liste, avec une palme au château de Versailles qui le mérite. Des efforts de gestion peuvent aussi sans doute être consentis par les opérateurs, avec une réflexion à mener, dossier par dossier.

Il me tient à coeur de revenir sur une sorte de débat récurrent qui oppose les financements engagés sur les grands opérateurs et les territoires. Je ne vois pas comment justifier cette opposition. Les grands opérateurs sont la marque de notre pays, reflets de notre histoire. Il est vrai que l'Opéra de Paris n'est pas à Montauban et le Louvre pas à Lengelsheim. Situés dans la capitale, ces grands opérateurs doivent être entretenus, valorisés, ils sont des produits d'appel considérables. Espérons que lorsque le tourisme aura repris, ils seront en bon état. Pour autant, ils ont un rôle d'animation des territoires colossal, avec, par exemple, le prêt d'oeuvres par le Louvre aux établissements territoriaux. Il faut sortir de ce débat stérile car, si on délaisse l'entretien du patrimoine et ne procède pas aux grandes réparations, les états de déshérence consécutifs coûteront beaucoup plus cher in fine .

Il y a un soutien significatif aux monuments historiques ne relevant pas de la responsabilité de l'État. Je voudrais là aussi sortir de l'idée reçue suivante : l'État croulerait sous l'argent et les collectivités territoriales seraient en difficulté. Pardon, tout le monde est à la peine dans ce domaine. Chacun fait un effort et essaie de gérer le mieux possible ses responsabilités. Le soutien de l'État à des opérations qui ne sont pas de sa responsabilité dans le cadre de la loi de décentralisation est massif. D'ailleurs, les collectivités territoriales nous accompagnent aussi dans un certain nombre d'opérations qui sont de notre ressort. Il faut parler de concertation dans une situation difficile. Plus de 170 millions d'euros ont été prévus pour les monuments historiques non-État, soit 70 % des crédits monuments historiques déconcentrés. Un effet de levier considérable est engendré qui multiplierait au moins par deux voire par trois les fonds. Dans le plan de relance, 40 millions d'euros en faveur des monuments historiques non-État pourraient générer 120 millions d'euros de travaux. J'espère qu'on les dépensera, ce qui n'est pas gagné car ces subventions ont souvent du mal à être consommées et engager des travaux pour un propriétaire privé ou une collectivité territoriale reste difficile à entreprendre, même avec un niveau de subvention important. Nous le suivrons ensemble.

Mme Sonia de la Provôté . - Merci, madame la ministre, de ce temps passé et de la qualité de vos réponses. Concernant le patrimoine, je veux rebondir sur ce que vous venez de dire. Pour les opérateurs de l'État, il s'agit d'un rebasage ou d'une sécurisation des budgets avec une vraie volonté de maintenir ou accompagner le mieux possible. Globalement, de l'avis de tous sur le terrain, ce sont plutôt les gros chantiers avec de gros budgets qui vont être accompagnés dans le plan de relance, car les petits chantiers sont plus difficilement identifiables. Ils ont cet avantage pourtant d'être diffus sur tout le territoire et surtout de concerner des entreprises locales. Cette remarque faite, pourrait-on imaginer, dans le cadre d'une loi de finances rectificative pour 2021, qu'une partie des crédits finance ce type de petites opérations de restauration et d'entretien tant elles sont nécessaires pour le patrimoine dans les territoires ?

Sur le fonds incitatif à destination des petites communes rurales, je souhaiterais une plus grande transparence sur l'usage des crédits, car j'ai le sentiment que certaines régions accompagnent mieux que d'autres et comme le montant des crédits reste modeste, très peu de chantiers sont accompagnés au final. Les pertes de recettes de mécénat vont avoir un impact important sur le secteur des patrimoines. Beaucoup de mécènes se réorientent vers d'autres priorités que le patrimoine et la culture. Nous devons anticiper une diminution au cours des deux prochaines années au moins. Est-ce que votre ministère a prévu des dispositions particulières pour favoriser le mécénat ou le flécher - plus particulièrement vers le patrimoine ? S'il fait défaut, beaucoup de monuments, petits et grands, vont en souffrir.

Je veux redire que l'assistance à maîtrise d'ouvrage qui n'est plus exercée par l'État est identifiée, par tous les acteurs, comme une des sources principales des difficultés pour mobiliser les crédits. En effet, les chantiers sont complexes, et le maire d'une petite commune ne peut pas trouver les moyens de mener à bien son projet. Le ministère de la culture est attendu à ce sujet. Je souhaite enfin réagir : je m'attendais à ce que le patrimoine non protégé ou vernaculaire, qui constitue une grande part du patrimoine de la France et de son identité, soit davantage pris en considération après le Loto du patrimoine. L'État ne devrait-il pas créer un fonds dédié, aider à son recensement et à sa restauration par le biais de programmations annuelles ? La feuille est mince entre le classement et le non-classement et, quelquefois, on ne classe pas pour ne pas avoir les contraintes du classement.

Sur la culture, je voulais intervenir sur la question des intermittents, que vous n'avez pas abordée. Est-ce que l'année blanche sera également prolongée et pour quelle durée ?

Les arts visuels ne sont pas la partie du programme « Création » la plus mise en avant. Ses artistes sont essentiellement accompagnés par le RSA en temps de crise, ils sont pourtant extrêmement présents et contribuent à l'accès à la culture dans tous les territoires. Je souhaiterais que le ministère fasse un effort particulier pour accompagner massivement la structuration de cette discipline, distincte du spectacle vivant : les parcours des artistes et les fonctionnements ne sont pas identiques. J'aimerais que les spécificités de cette filière soient mieux prises en compte dans le budget et le détail de ses mesures. J'insiste sur la nécessité de réévaluer peut-être les schémas d'orientation pour les arts visuels (SODAVI) qui, pour l'instant, n'ont pas réussi à la structurer.

Je me réjouis que les crédits d'impôts soient étendus à l'art dramatique, mais constate une discrimination peu compréhensible. En effet, il n'y a pas de hiérarchie entre les disciplines, nous en sommes d'accord, que sont l'art dramatique, les marionnettes, le cirque et la danse, par exemple. Aussi, je souhaiterais voir ce crédit étendu à toutes les disciplines, puisqu'aucune n'est prééminente sur l'autre, sauf à trouver une justification que je n'ai pas.

Au sujet du chômage partiel, je vous demande qu'il accompagne toutes les structures quel que soit leur statut, suivant l'objectif des PLFR de ne pas perdre ni structure ni lieu. Les structures publiques dont les employés ont pourtant des contrats de travail de droit privé se trouvent défavorisées, alors qu'elles sont essentielles pour prendre en charge les politiques culturelles.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je voudrais attirer votre attention sur trois points particuliers du budget : les crédits sur les études et travaux sur les sites patrimoniaux remarquables dont la stagnation est préoccupante depuis 4 ans, la situation des crédits destinés à l'enrichissement des collections, en stagnation pour la 2 e année consécutive, et enfin l'archéologie, très impactée, avec des chantiers arrêtés au printemps et peu de budget dans le plan de relance. Je me réjouis du plan Musées et des moyens accordés à ce dispositif en faveur l'accès à la culture dans les territoires. Je reste néanmoins prudente car cela concerne des établissements disparates en moyens et en capacités de mobilisation autour de projets. Je souhaite que vous nous assuriez que, dans le cadre de ce plan Musées, ce seront prioritairement les musées qui en ont le plus besoin et non ceux qui, forts de leurs budgets disponibles, ont, déjà ou rapidement, des projets prêts à servir. Par rapport aux monuments historiques des collectivités, le fonds incitatif et partenarial en faveur des collectivités à faibles ressources est abondé de 5 millions d'euros supplémentaires et peut aussi bénéficier de 40 millions d'euros sur 2 ans au titre du plan de relance. Cependant, compte tenu des besoins en restauration et en entretien de ces monuments, je crains que cela soit insuffisant. Afin d'éviter des choix difficiles entre monuments, tous plus importants les uns que les autres, serait-il possible de pérenniser ce fonds à un niveau de 30 à 35 milliards d'euros à l'issue du plan de relance ?

M. Lucien Stanzione . - Ma question va dans le sens de l'intervention de notre collègue Sylvie Robert. Madame la ministre, vous êtes venue mi-octobre, en Avignon, pour ouvrir et animer les États généraux des Festivals. Vous avez annoncé un certain nombre de mesures financières pour soutenir le spectacle vivant dans le cadre du plan de relance. Avec la deuxième vague de la covid, allez-vous augmenter les aides au bénéfice de ce secteur en perdition ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre . - Effectivement, ce sont des questions très complètes, je réalise, à travers la catastrophe que nous traversons, que ce n'est jamais assez, sur tous les sujets. L'État a décidé de faire sauter toutes les limites habituelles et d'accompagner à la fois les opérateurs publics, privés, les collectivités territoriales et les personnes elles-mêmes dans leur parcours de vie d'une manière totalement inédite, en particulier pour la culture. Je comprends, partage souvent les interrogations et aimerais avoir le pouvoir d'augmenter les crédits à ma disposition. Nous avons, je crois, de mémoire, 44 000 monuments protégés dans notre pays, soit le patrimoine le plus conséquent du monde, avec des exigences budgétaires colossales. On n'en fera jamais assez, mais on en fait vraiment beaucoup.

Vous avez évoqué, à juste titre, le retrait du mécénat. Comment pourrait-il en être autrement ? Dans un contexte économique difficile, c'est la variable d'ajustement rêvée, malgré les aides fiscales massives données à ce mécénat. Le mécène n'est jamais couvert à 100 % par ces aides fiscales. Aucune mesure incitative ne pourra faire en sorte que cette variable d'ajustement ne soit pas réalisée par le mécénat, j'en conviens volontiers. Un certain nombre de maquettes financières, comme la réalisation de la salle modulable de l'Opéra de Paris avec 10 millions d'euros de mécénat, ne seront jamais réalisées. Ces maquettes financières doivent être revisitées à l'aune de ce que vous pointez avec acuité et dont je partage le diagnostic.

Concernant l'aide à la maîtrise d'ouvrage, il est important de préciser qu'elle est gratuite pour les propriétaires privés et les communes qui ne peuvent l'assumer, payante sinon, en tant que service. Pour rappel, ces dépenses peuvent être comptabilisées dans leurs demandes de subvention, ce qu'ignorent certains propriétaires. Les DRAC sont très attentives à l'enjeu d'accompagnement des maîtres d'ouvrage dans ce domaine.

Sur la très importante question sociale de l'intermittence et du chômage partiel, nous reverrons bien entendu les situations, autant que de besoin et si, au 31 décembre, la crise persiste, nous continuerons le chômage partiel. J'ajoute que certaines structures, dont des établissements subventionnés, qui auraient pu y avoir accès, ont choisi, sous pression salariale, de ne pas faire appel au chômage partiel, rémunéré à 84 %. Certains salariés ne voulaient pas de chômage partiel. On l'oublie quelquefois. J'aurais bien aimé, pour mon budget qu'ils fassent appel au chômage partiel, cela aurait permis de réaliser certaines économies sur les crédits du ministère. Ceci étant, d'autres établissements n'y ont pas droit par leur structure juridique. Peut-on le changer demain ? Je n'y verrai que des avantages pour les arguments que je viens de vous donner : certes, c'est toujours l'État qui paye mais on déporte la dépense du ministère de la culture vers le ministère du travail, restant, pour le contribuable, identique.

La problématique des arts visuels n'avait pas la même acuité que celle du spectacle vivant. Il y a des effets de stockages et de flux dans les arts visuels. Ils bénéficieront d'aides dans le cadre du soutien aux festivals, que ce soit pour les grands événements de la photographie et les petits événements.

J'avais déjà abordé l'archéologie dans mon intervention liminaire. Vous avez salué le plan Musées. Les crédits d'enrichissement des collections sont stables, c'est vrai : dans cette politique, nous avons stabilisé plusieurs lignes ne relevant pas de l'urgence. Quand nous serons dans une meilleure fortune, nous pourrons reprendre cette politique plus dynamique ensuite. Nos crédits sont actuellement fléchés sur tout ce qui concernait la survie, comme dans une famille en grande difficulté qui, plutôt que de changer de voiture, essaie de maintenir ce qui doit être maintenu.

Monsieur Stanzione, vous me demandez d'augmenter les aides au maximum : je mets toutes mes forces dans les négociations budgétaires pour obtenir le maximum et témoigne devant vous que ce combat a été entendu.

Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Au sujet de la réorientation du projet de restauration du Grand Palais à partir de la fin septembre, j'ai été rassurée partiellement uniquement, car j'aimerais savoir ce que signifie le terme de réorientation. J'ai bien noté, dans le PLF, la référence à l'importance de poursuivre les chantiers stratégiques déjà engagés et l'abondement de 10 millions d'euros sur le schéma directeur du Grand Palais. Mme Nyssen, ministre de la culture à l'époque, parlait de projet d'exception donnant au Grand Palais l'opportunité de s'inscrire de plain-pied dans le XXI e siècle. J'ai par ailleurs noté que M. Chatillon, architecte en chef des monuments historiques, a dit que l'époque des grands projets était peut-être révolue et il me semble, madame la ministre, avoir lu dans la presse que vous disiez que la pandémie remet en question l'idée même des grandes expositions. Les grands projets renforcent l'attractivité de notre pays, il ne faut pas en faire le deuil. Est-ce qu'il s'agit d'une restauration ou d'une transformation ? Le coût initial était de 466 millions d'euros, ce qui n'est pas rien, et j'ai lu que le nouveau projet aurait un coût identique avec un dédommagement du cabinet d'architectes qui a beaucoup travaillé sur le projet. Le Grand Palais sera-t-il prêt pour les Jeux Olympiques de 2024 comme prévu ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je ne souhaite absolument pas supprimer les grandes expositions qui sont constitutives de l'ADN du Grand Palais ! J'ai dit que le projet initial avec travaux d'excavation massive paraissait pharaonique. Le fait que le plan d'économie soit au même prix interpelle, mais la réactualisation des travaux portait le budget entre 550 et 580 millions d'euros. Par ailleurs, les façades et la statuaire du Grand Palais sont dégradées, sous filet, or ces travaux n'étaient pas compris dans le projet initial. Les 466 millions d'euros ont, par ailleurs, une réserve de précaution de 30 millions d'euros, soit 436 millions d'euros en réalité pour pouvoir être garantis dans la bonne marche du projet. Plus sobre, plus sûre, cette restauration profonde respectera ce qui était voulu, sous l'égide d'André Malraux par l'architecte Pierre Vivien, abandonnant les opérations lourdes tout en conservant des éléments d'origine. La maîtrise d'oeuvre sera confiée à l'architecte en chef des monuments historiques pour les missions de restauration des espaces d'origine. Le Grand Palais, qui contient Universcience, est plus grand que Versailles et constitue un élément structurant du paysage parisien, mais il est considérablement dégradé et présente des problèmes de sécurité importants. Pour assurer la sécurité financière, pendant sa fermeture de janvier 2021 à septembre 2024, les manifestations habituelles seront accueillies dans un Grand Palais éphémère, dont la structure est en cours d'installation sur le Champ de Mars, cofinancée par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP) et le comité d'organisation des Jeux Olympiques (COJO). Le cheminement sera conservé, l'entrée gratuite et les services ouverts dans la rue centrale, une entrée à l'aspect végétalisé se trouvant sur le côté de la scène. Les crédits budgétaires s'élèvent à 123 millions d'euros, la subvention PIA3 à 160 millions d'euros, l'emprunt bancaire souscrit par la Rmn-GP à 150 millions d'euros, remboursés sur 25 ans, le mécénat Chanel à 25 millions d'euros ainsi que des partenariats et ressources propres à Universcience à hauteur de 8 millions d'euros. Je veux dire publiquement que l'abandon de la maîtrise d'oeuvre du cabinet d'architectes LAN ne constitue pas un acte de défiance ou de remise en cause des capacités de ce cabinet. Un appel à projet aura lieu pour ce nouveau projet. Le dédit à payer au cabinet ne majore pas la maquette financière et le cabinet LAN sera appelé à soumissionner s'il le souhaite. J'espère avoir été assez complète.

M. Laurent Lafon , président . - Je vous remercie, madame la ministre, pour les réponses précises que vous avez apportées à chacun des intervenants.


* 1 Voir le rapport de Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour la commission de la culture : https://www.senat.fr/rap/l18-611/l18-611.html

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