II. UN SECTEUR DU LIVRE SOUTENU MAIS PLEIN D'INQUIÉTUDES

Le secteur du livre a bénéficié du soutien des pouvoirs publics, mais également des lecteurs qui, nombreux, ont tenu dès la réouverture des librairies au mois de juin à manifester leur attachement à ces commerces. Le deuxième confinement suscite cependant pour l'ensemble de la profession de vives inquiétudes .

A. UN NOUVEAU CONFINEMENT TRÈS DIFFICILE À VIVRE

1. Un premier confinement conclu sur une note positive
a) Une crise systémique

Toute l'industrie du livre a été lourdement touchée par le premier confinement, qui s'est répercuté sur l'ensemble de l'industrie du livre.

ü Les auteurs

Les auteurs - dont les traducteurs - ont été rapidement touchés via la fermeture :

- des bibliothèques et l'annulation de manifestations littéraires ou d'événements au cours desquels ils auraient pu percevoir des rémunérations, par exemple pour des rencontres et des lectures ;

- des établissements scolaires, entraînant l'amoindrissement des revenus liés aux actions d'éducation artistique et culturelle comme les ateliers d'écriture ;

- des points de vente de livres entraînant une baisse des ventes des ouvrages et le recul des cessions de droits auprès de maisons d'édition étrangères, ce qui entraîne de moindres rémunérations pour les auteurs.

En raison des délais pour le paiement des droits, les auteurs seront le plus lourdement affectés en début d'année 2021 , pour des montants qui restent encore à déterminer précisément.

ü Les éditeurs

L'interdiction d'accueil du public pendant deux mois a causé une forte réduction du chiffre d'affaires des éditeurs. Dans certains segments éditoriaux tels que la poésie, ou pour de petites maisons confrontées aux difficultés d'accéder au réseau de points de vente, les annulations de manifestations littéraires ainsi que les ralentissements momentanés du transport postal se sont traduits par de moindres ventes directes des éditeurs aux lecteurs.

Le moindre chiffre d'affaires réalisé par les éditeurs a mis sous tension leur trésorerie pour faire face à leurs créances à court terme - auteurs, imprimeurs, diffuseurs-distributeurs, divers prestataires tels que les correcteurs, attachés de presse, etc. Ces entreprises se sont donc endettées vis-à-vis des banques, notamment par des prêts garantis par l'État (PGE), ou ont reçu le soutien de leurs actionnaires, pour sécuriser leur financement.

ü Les libraires

La crise sanitaire a commencé à affecter les librairies établies dans des foyers de contamination dès début mars 2020 . Pour certains territoires, notamment les librairies parisiennes, la pandémie a succédé à deux mouvements sociaux d'ampleur qui avaient déjà ralenti leur activité.

Les librairies ont principalement subi l'interdiction d'accueillir le public, à compter du 15 mars jusqu'au 11 mai 2020 . De manière très large, la profession n'avait pas souhaité militer pour une réouverture un temps envisagé, faute de capacité à mettre en place un protocole sanitaire alors encore vague. Cependant, et dès le 16 mars, les libraires ont eu la possibilité de mettre en place des systèmes de livraison ou de retrait de commandes en magasin (« click and collect »). Environ 400 libraires ont usé de cette faculté, qui ne leur a cependant permis de réaliser qu'un chiffre d'affaires de l'ordre de 10 % .

D'après les données du baromètre mensuel Livres Hebdo/Xerfi-I+C, le marché du livre a ainsi reculé de 33 % en mars , 56 % en avril et 20 % en mai 2020 par rapport aux mois de 2019.

b) La sortie « presque miraculeuse » du confinement

Les dernières estimations du ministère de la culture faisaient état, en juillet, d'une perte d'environ 23 % des recettes pour le secteur du livre.

Cependant, d'après les données de l'Observatoire de la librairie, les librairies ont réalisé, entre le 11 mai et le 14 juin 2020, des ventes en croissance de 16,5 % par rapport à la même période en 2019. Cette « surperformance » recouvre des tendances contrastées : les plus grandes librairies ont connu une reprise des ventes proche du niveau ordinaire, tandis que les librairies de petite et moyenne dimension enregistrent des ventes plus importantes.

Les chiffres définitifs pour le mois de juin, en hausse de 22 % par rapport à 2019, ont été jugés par tous comme spectaculaires, et ont conforté les libraires dans la conscience de leur rôle essentiel dans notre pays.

Ce premier confinement s'est donc achevé sur une note « positive », avec l'espoir d'un retour à la normale pour les fêtes de fin d'année. Suivant les interlocuteurs du rapporteur pour avis, les pertes pour l'année se situaient alors autour de 10 %.

2. Un deuxième confinement potentiellement dévastateur

Les conséquences du deuxième confinement, qui prend fin le 28 novembre, pourraient être bien plus importantes que celles du premier, et ce pour deux raisons :

- d'une part, la diminution de trésorerie des libraires et des éditeurs, qui n'ont pour la plupart pas complètement rattrapé les pertes du printemps ;

- d'autre part, la période novembre-décembre représente entre 25 et 30 % du chiffre d'affaires annuel . En effet, et en plus des « prix littéraires », les libraires profitent souvent de ces mois pour proposer des « assortiments » destinés à être offerts.

Le « click and collect » ne peut constituer qu'une réponse partielle. En effet, s'il permet dorénavant de réaliser entre 20 % et 30 % des ventes habituelles - avec de forts écarts entre librairies -, il nécessite pour sa mise en place le fonctionnement quasi normal de l'entreprise, avec l'intégralité des charges afférentes .

Sans l'annonce de la réouverture le 28 novembr e, les établissements n'auraient pas été en capacité de constituer une trésorerie importante qui leur permet habituellement de supporter les mois suivants. Prolongé jusqu'à Noël, le confinement aurait en effet conduit, selon les estimations, à une perte de chiffre d'affaires sur l'année comprise entre 20 % à 40 % .

Il est cependant encore trop tôt pour tirer toutes les conséquences du deuxième confinement. Elles pourraient ne se faire ressentir qu'au premier trimestre de l'année 2021, avec des établissements contraints de fermer face à une trésorerie insuffisamment reconstituée, y compris les éditeurs.

3. Les libraires médiatiquement en première ligne

Le rapporteur pour avis remarque que les libraires ont été placés médiatiquement en « première ligne » de la contestation contre la fermeture des établissements, arguant du caractère « essentiel » de leurs produits. Leur situation se rapproche de celle des commerces « saisonniers », comme les marchands de jouets, qui réalisent une part importante de leur chiffre d'affaires en fin d'année.

Sans revenir sur les raisons sanitaires légitimes qui ont présidé à cette décision , le rapporteur pour avis attire l'attention sur les conséquences durables pour le secteur du livre d'un second confinement qui est intervenu à un moment particulièrement critique.

Page mise à jour le

Partager cette page