Avis n° 143 (2020-2021) de M. Jérémy BACCHI , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 19 novembre 2020

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N° 143

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation
et de la communication (1)
sur le projet de loi de finances ,
adopté par l'Assemblée nationale, pour
2021 ,

TOME IV

Fascicule 3

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES :

Cinéma

Par M. Jérémy BACCHI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mme Sabine Drexler, MM. Fabien Genet, Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

AVANT-PROPOS

Le monde du cinéma dans son ensemble a été profondément fragilisé par l'ampleur d'une pandémie que l'on pensait il y a moins d'un an plus relever d'un film catastrophe que de la réalité.

Les pouvoirs publics n'ont pas ménagé leur soutien pour préserver l'ensemble du secteur, avec plus de 265 millions d'euros de crédits affectés à la compensation et à la relance.

Malheureusement, le schéma financier envisagé au moment de l'élaboration des documents budgétaires s'avère d'ores et déjà caduc , avec un deuxième confinement qui terrasse une reprise elle-même poussive. Le rapporteur pour avis tient donc tout particulièrement, d'une part, à saluer l'engagement de l'État au côté de la filière, mais d'autre part, à rappeler, au vu du contexte, son caractère encore insuffisant.

Le rapporteur pour avis tient à souligner l'impératif pour notre pays, au niveau « psychologique » , de préserver ses outils de création et de diffusion , singulièrement en cette période de crise. Il est évident que la réouverture des salles sera un marqueur d'un retour à la vie « normale » et que nos concitoyens iront alors rechercher au cinéma divertissement, évasion et réflexion.

La pandémie et ses conséquences ne doivent pas faire oublier les dossiers structurels pour la filière que sont la prochaine transposition de la directive « SMA » (Service des médias audiovisuels) et la lutte contre le piratage , auxquels le rapporteur a tenu à consacrer des développements dans son rapport pour avis.

Dans ces deux cas, il s'agit d'adapter un système de soutien né après la seconde guerre mondiale au monde contemporain , marqué par l'émergence du numérique. Si le cinéma français a fait par le passé la preuve de sa résilience, il doit aujourd'hui trouver la voie lui permettant de préserver sa force et son attractivité, alors même que la pandémie amplifie des tendances observées ces dernières années.

Dès lors, le rapporteur pour avis suivra avec attention aussi bien les mesures que l'urgence impose de prendre avec le deuxième confinement, que le bon déroulement des négociations autour de l'application de la directive SMA, et appelle de ses voeux, en dépit de l'encombrement de l'ordre du jour, le dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi visant à mettre à niveau l'arsenal de lutte contre le piratage .

I. DES MOYENS DU CINÉMA PRÉSERVÉS EN DÉPIT DE LA CRISE

A. LA CHUTE DES RESSOURCES DU CNC

La situation exceptionnelle de crise a justifié le renoncement en 2020 et 2021 au principe fondateur du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui est l'absence de financements publics. En effet, à rebours des autres industries culturelles, le soutien public apporté au cinéma ne repose pas sur le budget de l'État . Le marché de la diffusion, tous canaux confondus, contribue, par un système de redistribution de taxes affectées au CNC, au financement de la production , de la distribution , de l'exploitation , ainsi qu'à plusieurs dispositifs de promotion du cinéma .

Les ressources du CNC, d'un montant de 710 millions d'euros en 2019, sont ainsi composées à plus de 90 % de trois taxes :

ü la taxe sur les éditeurs et les distributeurs de services de télévision (TST) . Elle représente les trois quarts des ressources et est recouvrée et contrôlée directement par l'établissement. Son montant estimé en 2020 était de 462 millions d'euros ;

ü la taxe sur les entrées en salles (TSA) . Elle est assise sur les recettes de la billetterie des salles de cinéma et est également recouvrée et contrôlée directement par le CNC. Son montant était estimé avant la pandémie à 146 millions d'euros ;

ü la taxe sur la vidéo (TSV), dont le montant devrait en 2020 s'établir à environ 70 millions d'euros.

La crise liée à la pandémie a entraîné une forte baisse du produit des taxes, comme synthétisé dans le tableau suivant.

Produit de la fiscalité affectée au CNC en 2020 et 2021

(en millions d'euros)

2020 - prévision initiale

2020 - nouvelle prévision

2021

TSA

146,7

59,8

146,9

TST

462,7

456,9

444,1

TSV

66

72,2

76,8

Total

675,5

588,9

667,9

La baisse est essentiellement liée à la chute des entrées en salles de cinéma, qui occasionne un manque à gagner de 87 millions d'euros en 2020 par rapport au budget prévisionnel. La progression de plus de six millions d'euros de la taxe sur la vidéo ne suffit pas à combler cet écart.

B. UN FORT SOUTIEN IMMÉDIATEMENT APPORTÉ À LA FILIÈRE

Dès le mois d'avril, le CNC a pris conscience de l'ampleur de la crise et de son caractère systémique et durable. En plus des mesures transversales qui ont été appliquées à l'ensemble de l'économie, il a mis en place des dispositifs spécifiques.

ü Tout d'abord, un fonds pour garantir les tournages

Dans le contexte du printemps dernier, les tournages ont été brutalement interrompus, et auraient pu ne pas reprendre faute de possibilité pour les producteurs de s'assurer contre les risques liés à la pandémie. Cela aurait conduit à terme à un « assèchement » de la production de films et de séries.

Le CNC a mis en place un fonds doté de 50 millions d'euros, porté à 100 millions d'euros par un pool d'assureurs, pour permettre aux tournages de reprendre, et donc à l'ensemble de la chaîne (scénaristes, acteurs, industries techniques) de retrouver une activité. Cette initiative, alors unique au monde et reproduite par la suite dans plusieurs pays, doit selon le rapporteur pour avis être saluée tant dans son ampleur que dans son calibrage et sa mise en oeuvre . 400 tournages sont actuellement ou ont été assurés par ce fonds, pour 30 sinistres constatés, ce qui est inférieur aux prévisions.

ü Ensuite, des mesures en faveur des salles de cinéma

Ces mesures se sont structurées autour de deux axes.

Premier axe , dès le mois d'avril, le CNC a pris la décision de renoncer au montant de TSA que les salles devaient verser pour les mois de février et mars. Si cette solution ne peut être que transitoire, la TSA étant une forme « d'épargne forcée » qui revient au secteur via le Centre, elle a permis de soulager la trésorerie des salles de 17 millions d'euros .

Second axe, créé en septembre, un fonds doté de 50 millions d'euros pour compenser la différence entre les recettes « normales », en prenant pour référence l'année précédente, et les recettes liées aux conditions particulières de jauge dégradée de l'année 2020 . La compensation est de 50 % pour les salles indépendantes et de 40 % pour les diffuseurs les plus importants.

ü Enfin, des mesures de relance

Le projet de lois de finances prévoit une enveloppe de 165 millions d'euros . 60 millions d'euros sont destinés (voir infra ) à soutenir un budget du CNC extrêmement fragilisé, 105 millions à permettre aux industries techniques de se relancer, suivant des modalités qui seront définitivement actées d'ici la fin de l'année 2020.

C. LA FIN POUR UN TEMPS DU DOGME DE L'INDÉPENDANCE

Entre la diminution de ses ressources et la forte hausse de ses dépenses, le CNC a dû renoncer pour un temps à son mode de financement sans intervention du budget général.

Équilibre budgétaire du CNC en 2020 et 2021

(en millions d'euros)

2020
budget initial

2020
nouvelle prévision

2021

Ressources nettes du CNC

694,4

603,1

692,1

Dont taxes affectées

675,5

588,9

667,9

Dotation « covid »

-

100

165

Total des ressources

694,4

703,1

857,2

Dépenses de soutien

694,4

649,3

694,4

Dépenses liées à la crise

-

165,5

51,1

Total des dépenses

694,4

814,8

745,5

Équilibre

0

- 111,7

+ 111,7

Source : commission de la culture

Le CNC envisageait initialement un retour à l'équilibre budgétaire en 2020, après un exercice déficitaire de 13,5 millions d'euros en 2019 1 ( * ) . Finalement, l'État a dû abonder le CNC de 100 millions d'euros dès 2020 dans le cadre de la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020. Cette somme a cependant juste couvert les crédits destinés au fonds de garantie des tournages (50 millions d'euros) et de compensation des pertes de recettes des salles (50 millions également). Le CNC a dû sur cette année financer 62,9 millions d'euros au titre de la relance et 2,6 millions d'euros de mesures d'urgence, portant son déficit à 111,7 millions d'euros .

En 2021, le Centre devait bénéficier, d'une part, d'un « retour à la normal » du niveau de fiscalité affecté, d'autre part, d'une enveloppe supplémentaire de 165 millions d'euros du plan de relance, ce qui lui aurait permis de compenser les pertes du précédent exercice, avec un excédent de 111,7 millions d'euros.

D. UN DEUXIÈME CONFINEMENT DE TOUS LES DANGERS

En plus de conséquences dramatiques pour les salles (voir infra ), le deuxième confinement acté par le Gouvernement, et dont la fin a été annoncée par le Président de la République pour le 15 décembre, n'est pas intégré dans les projections financières du CNC .

En conséquence, il est d'ores et déjà certain que les prévisions de ressources pour 2020, voire 2021, sont caduques. De même, il est probable que les mesures de soutien proposées pour 2021 seront insuffisantes pour préserver le cinéma français.

Le calendrier de prise de décision budgétaire est cependant incertain . Des crédits ont été ouverts pour le cinéma, et pourraient suffire à « passer le cap » de 2020 s'ils sont utilisés non pour la relance, mais dans un objectif de compensation. La question se posera cependant rapidement en 2021.

II. L'AVENIR DES SALLES DE CINÉMA EN JEU

A. AVANT LA PANDÉMIE : UN SECTEUR PROMETTEUR ET EN CROISSANCE

La France est le pays d'Europe disposant du plus grand nombre d'écrans et où les entrées sont les plus importantes. En moyenne, chaque Français va 3,3 fois au cinéma dans l'année, contre 2,2 en Espagne et 1,6 en Suède. L'Allemagne, à population supérieure, enregistre près de 100 millions d'entrées en moins.

La France se singularise également par la part de la production nationale, qui représente en moyenne 35 % de la fréquentation, contre 10 % en Angleterre et 22 % en Allemagne.

Ces deux éléments soulignent la place du cinéma dans le patrimoine et dans l'histoire .

En 2019, le parc cinématographique comptait 2 045 établissements et 6 114 écrans actifs, soit 131 de plus qu'en 2018. Sur les dix dernières années, le parc s'est ainsi enrichi de 65 écrans chaque année en moyenne.

Cette même année, 213,1 millions d'entrées ont été enregistrées dans les salles de cinéma, soit la 6 ème année consécutive au-dessus de 200 millions . Les entrées totales ont progressé de 3,8 % entre 2015 et 2019 .

En 2019, selon le bilan annuel du CNC, 43,3 millions de personnes, soit près de 70 % de la population , ont fréquenté une salle de cinéma, en progression de 5,6 %. Signe de l'avenir de ce média, 83,8 % des moins de 25 ans sont allés au cinéma au moins une fois.

Les établissements cinématographiques ont généré 1,4 milliard d'euros de recettes en 2019, soit une progression de 8,6 % entre 2014 et 2019 .

B. UNE PANDÉMIE QUI MET EN JEU L'AVENIR DES SALLES

1. Les conséquences du premier confinement

Les salles de cinéma ont été contraintes de fermer entre le 14 mars et le 22 juin. À compter de cette date, elles ont pu ouvrir, ce qui n'a pas empêché la fréquentation de chuter de plus de 70 % durant l'été. Cela s'explique par la conjonction de deux facteurs :

- les cinémas ont été contraints de respecter un protocole sanitaire strict , qui prévoyait notamment une jauge extrêmement réduite et le port du masque durant la séance, ce qui a pu éloigner un public qui, entre temps, a visionné des oeuvres sur les plateformes en ligne ;

- la fermeture des salles en Amérique du Nord et en Asie a dissuadé les producteurs américains de sortir les « blockbusters » qui drainent normalement le public vers les salles, à l'exception notable du « Tenet » de Christopher Nolan, faute d'assurance d'amortir des coûts de production calibrés pour une sortie mondiale.

On peut cependant dans ce contexte saluer la capacité de résilience du cinéma français . Les productions nationales ont en effet pu suppléer l'absence sur les écrans d'oeuvres américaine, et les salles ont diffusé massivement des créations françaises de qualité, dont certaines ont rencontré un beau succès.

Avant même le second confinement, le chiffre d'affaires des salles était cependant attendu en diminution de près de 50 % pour l'année.

2. Un deuxième confinement aux conséquences potentiellement dramatiques

Le deuxième confinement a interrompu une activité qui repartait petit à petit, porté par les succès français qui ont pu occuper les écrans en l'absence des films américains.

Le cas du cinéma est semblable à celui du spectacle vivant : en l'absence de possibilités d'ouvrir, les recettes sont nulles , et l'ensemble de la filière menacé.

« Les films attendront-ils la réouverture ? »

A l'occasion d'une table ronde organisée par la commission le mardi 27 octobre 2020, M. Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des salles de cinéma (FNCF), a fait état des préoccupations pour le futur des exploitants :

« La problématique des cinémas tient également à l'offre de films. Les films attendront-ils la réouverture ? Combien de temps attendront-ils la réouverture ? Aujourd'hui, nous ne fonctionnons presque qu'avec des films français. Nous enregistrons le niveau habituel de fréquentation des films français en année normale, c'est-à-dire 50 % du marché. Ce résultat est extraordinaire. Nous sommes le seul pays en Europe qui enregistre un tel niveau de fréquentation. Partout ailleurs où les cinémas sont ouverts, le taux de fréquentation atteint 10 à 15 % du taux habituel. Nous avons ainsi la chance que l'écosystème financé année après année grâce au CNC et grâce à la contribution des pouvoirs publics et du Parlement fonctionne et nous permette de proposer du spectacle cinématographique à nos spectateurs. Demain, en revanche, les producteurs et les distributeurs pourront-ils résister, jusqu'à rouvrir dans des conditions plus favorables ? La question est posée . »

Interrogé par le rapporteur pour avis, il ajoutait :

« Les films américains ne sont plus distribués, de leur côté, parce que les cinémas sont fermés dans les grandes villes des côtes est et ouest des États-Unis. La diffusion sur les plateformes, quant à elle, reste une exception. La plupart des blockbusters américains seront distribués en salle après la crise. Seule l'exploitation en salle permet en effet d'amortir le coût de production de ces films .

« Les distributeurs français, pour leur part, se sont montrés extrêmement volontaristes grâce à l'appui des pouvoirs publics au cours des semaines écoulées. Ils retireront cependant évidemment leurs films si les salles referment. »

Dans les semaines qui viennent, les salles seront confrontées à trois défis.

Ø À très court terme , obtenir de l'État, avec le plein soutien du rapporteur pour avis, la prorogation du fonds de compensation géré par le CNC. Les 50 millions d'euros de ce dernier ne suffiront pas à compenser des entrées nulles, et il difficile de prévoir combien de temps les crédits affectés permettront de durer.

Ø À moyen terme , la réouverture des salles, annoncée pour le 15 décembre, risque de se traduire par une multiplication de sorties simultanées , dont les « blockbusters », qui n'offriront pas aux différentes productions les meilleures chances de trouver leur public. Cela serait particulièrement vrai pour le cinéma français. Il faut donc organiser au mieux le calendrier des sorties.

Ø À plus long terme , il faudra être attentif aux modifications de comportements des spectateurs, qui pour certains auront pris l'habitude de visionner les oeuvres, dans des conditions dégradées par rapport à une salle mais rendues satisfaisantes par la technologie. Les producteurs pourraient être tentés de « basculer » en numérique, sur le modèle de Disney qui a proposé aux abonnés de sa plateforme Disney + de voir son film « Mulan » moyennant un prix équivalent à celui d'une entrée en salle.

III. L'ÉQUATION À MULTIPLES INCONNUES DE LA SMA

A. UNE DIRECTIVE POUR SAUVER LA PRODUCTION EUROPÉENNE

La directive « services de médias audiovisuels » (« SMA ») a été adoptée le 14 novembre 2018. Sa transposition, initialement prévue dans le cadre du projet de loi « audiovisuel », devait être achevée avant le 19 septembre 2020.

Son article 13 retient le principe du pays ciblé pour les contributions au financement de la création exigées des fournisseurs de services de médias audiovisuels. Le même article prévoit également la possibilité d'exiger un quota de 30 % d'oeuvres européennes dans tous les catalogues des fournisseurs de services de médias audiovisuels à la demande, avec obligation de mise en avant des contenus concernés .

Pour préciser les exemptions aux obligations de contributions financières et la mise en oeuvre des quotas, la commission européenne a publié le 2 juillet 2020 des lignes directrices concernant le calcul de la part des oeuvres européennes dans les catalogues des services de médias audiovisuels à la demande et la définition d'une faible audience et d'un chiffre d'affaires peu élevé.

La transposition de la directive doit :

ü d'une part, permettre de structurer les investissements des grandes plateformes numériques en faveur de la création française. Il est en effet essentiel, dans un contexte de développement de nouveaux modèles de consommation des oeuvres, de permettre à la création française de bénéficier de ces nouveaux usages sans remise en cause de ses fondamentaux ;

ü d'autre part, la transposition doit garantir les deux piliers d'un système qui a déjà fait ses preuves : le préfinancement des oeuvres et le soutien de la production indépendante .

Ce modèle du préfinancement vise à impliquer en amont les diffuseurs et partager ainsi avec eux tant les risques que les bénéfices potentiels du développement et de la production des oeuvres. Il permet, par la sécurité qu'il implique pour les créateurs, de renforcer la diversité de la création . A l'occasion de la transposition de la directive SMA, ce modèle doit être rééquilibré de manière à inclure les plateformes étrangères de vidéo à la demande et permettre que celles-ci participent aussi, par des contributions financières, à la mise en production des oeuvres.

L'autre pilier est le soutien de la production indépendante . Les producteurs indépendants ont historiquement permis la diversité de la création et la structuration d'un tissu économique générateur de croissance et de profits pour l'ensemble de la filière. Le risque d'un changement de modèle émerge aujourd'hui , avec la préférence de certaines plateformes internationales pour un schéma de production intégrée impliquant la concentration de tous les actifs et la rémunération des auteurs au forfait . Un tel schéma risque de déstructurer l'industrie française et de la transformer en simple prestataire d'exécution . La transposition de la directive doit permettre d'écarter ce risque par le fléchage d'une partie des obligations de financement vers la production indépendante et la réaffirmation du caractère central de celle-ci.

B. UN NOUVEAU RETARD POTENTIELLEMENT DANGEREUX

La crise sanitaire a retardé l'adoption du projet de loi, déjà inscrit tardivement à l'ordre du jour, ce que la commission avait d'ailleurs regretté.

La crise a cependant encore renforcé l'urgence qui s'attache à la transposition, à deux égards :

- l'usage des plateformes de partage de vidéos s'est encore renforcé auprès du grand public, rendant d'autant plus nécessaire leur régulation aux fins de protection des publics, notamment les plus jeunes ;

- la part de marché des services de médias audiovisuels ciblant la France s'est accrue pendant cette période, justifiant d'autant plus que le financement de la création repose sur ceux qui en profitent .

Le 8 juillet 2020, le Sénat a accepté, ce qui constituait au demeurant une entorse à sa vision très réticente envers les ordonnances, un amendement gouvernemental au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DADDUE), habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi permettant de transposer la directive SMA et de procéder aux mesures d'adaptation qui en découlent. L'échec de la commission mixte paritaire a cependant retardé encore une fois l'adoption de ces mesures.

Le projet d'ordonnance et les dispositions règlementaires qui en découlent sont actuellement rédigés par le Gouvernement, en cas d'adoption du projet de loi d'habilitation, en temps utile pour une entrée en vigueur au début de l'année 2021 .

Dans le cadre de ce nouveau dispositif, le principe d'obligations séparées pour le cinéma et l'audiovisuel serait maintenu. Face à la diminution massive (- 20 % en 6 ans) des investissements des diffuseurs, un tel dispositif est en effet indispensable pour garantir l'équilibre, notamment, entre soutien au cinéma et aux séries . Un « couloir » spécifique au cinéma est donc prévu pour les chaînes comme pour les plateformes. Cette règle permettra de réduire le risque d'un effet d'éviction, dans les investissements des diffuseurs, au détriment du cinéma et au profit des seules séries.

C. LA SITUATION DIFFÉRENCIÉE DES PLATEFORMES

Les négociations sont actuellement en cours avec la profession sur le projet de décret-cadre. Le rapporteur pour avis n'en sous-estime pas la difficulté, tant les acteurs ont des intérêts divergents à faire valoir.

Il convient à ce propos de distinguer les différentes plateformes, qui présentent toutes des modèles économiques différents.

D'un côté, les plateformes comme Netflix sont des acteurs à part entière de la production. Si on peut estimer que les relations qu'ils entretiennent avec les producteurs peuvent évoluer, marquées par le modèle anglo-saxon du « forfait », la base de calcul de leurs obligations est relativement simple à établir, et elles peuvent trouver un intérêt à diversifier leur catalogue. Au passage, le rapporteur pour avis note que Netflix a rendu possible la diffusion à l'échelle mondiale d'oeuvres du monde entier, avec les succès par exemple de séries espagnoles ou brésiliennes.

D'un autre côté, les plateformes comme Amazon Prime ou Apple reposent sur des modèles très différents. Dans le premier cas, l'abonnement est offert aux clients « Prime », et n'est donc qu'un produit d'appel, destiné, selon les mots mêmes du propriétaire, « à vendre des chaussures ». Apple, pour sa part, lie l'abonnement à l'achat d'un appareil de la marque. Disney + se retrouve dans une position intermédiaire, comme part d'une entreprise entièrement vouée au divertissement, mais qui ne diffuse que ses oeuvres sur sa plateforme.

Il faut enfin tenir compte des intérêts parfois divergents des financeurs du cinéma et de l'audiovisuel français , comme Canal Plus, qui ne souhaite pas que sa position relative se dégrade et estime que ses obligations de financement sont dorénavant trop importantes. Tel est le sens de la modification obtenue par le Sénat sur l'amendement portant habilitation à légiférer par ordonnance en juillet, qui souhaitait que les différents acteurs soient traités avec « équité ».

Les mois à venir seront donc cruciaux dans l'établissement d'un nouveau modèle de financement de la création française et européenne . La commission, qui a déjà abordé ce sujet à de multiples reprises 2 ( * ) , suivra ce sujet avec une grande attention et souhaite être associée à la définition d'un équilibre auquel elle n'a pu participer faute de débat en séance publique sur le projet de loi audiovisuel.

IV. LE FLÉAU DU PIRATAGE

A. EN DÉPIT D'UNE BAISSE RÉCENTE, UN PHÉNOMÈNE TOUJOURS PRÉOCCUPANT

Le projet de loi audiovisuel comprenait un volet fondamental de lutte contre le piratage, avec la fusion entre le CSA et la Hadopi, et l'adoption de mesures attendues par la profession, comme des outils pour juguler les « sites miroirs » qui constituent un défi à l'autorité de la chose jugée.

Le téléchargement illégal des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles est en effet encore un phénomène de masse contribuant à la dévalorisation de la création cinématographique sur l'ensemble des modes d'exploitation (salles de cinéma, télévision, vidéo physique et à la demande, etc.), en dépit de l'émergence d'offres légales attractives. L'action des pouvoirs publics et des ayants droit a permis de significativement réduire la fréquentation des sites contrefaisants, mais les efforts doivent se poursuivre pour endiguer le phénomène dans toutes ses dimensions.

Selon une étude Ernst and Young publiée en juin 2018 et mentionnée dans le rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2020, le manque à gagner global lié à la consommation illégale de contenus audiovisuels en France s'élèverait au minimum à 1,2 milliard d'euros par an. La salle de cinéma resterait pour sa part relativement préservée, aidée par « l'expérience salle » et l'absence de contenus illégaux de qualité disponibles pendant l'exploitation des films en salle en première exclusivité. Le manque à gagner est estimé à « seulement » 35 millions d'euros.

Bien que le piratage demeure jusqu'à ce jour un phénomène massif, un recul significatif est engagé depuis trois ans . Selon l'étude CNC-Médiamétrie-ALPA sur la consommation illégale de vidéos sur Internet en France, l'audience des sites illicites est passée de 15,5 millions de visiteurs uniques en mai 2018, à moins de 10 millions en mai 2020 soit une baisse de 28 % en moyenne sur les deux dernières années. Ce nombre d'internautes avait progressé de façon constante entre 2009 et 2015 (+ 24 %), parallèlement à la progression de l'équipement des foyers en connexion Internet, avant de connaître une baisse depuis 2016. La proportion d'internautes « pirates », pour sa part, a baissé de 30 % en moyenne à 24 % désormais .

Ces résultats suivent le développement rapide d'une offre légale attractive, et valident la stratégie mise en place sur le terrain judiciaire privilégiant l'action contre les sites de streaming et de téléchargement direct. Ainsi, chaque décision de justice a un impact très fort et la disparition d'un site illégal permet à 31 % des internautes de cesser totalement la pratique du piratage.

B. UN COMBAT MONDIAL

À l'instar de la France, la plupart des économies développées ont renforcé, au cours des dernières années, leurs moyens de lutte contre la piraterie d'oeuvres cinématographiques en ligne. La Hadopi établit à cet égard chaque année un rapport de veille internationale sur les principaux modèles étrangers de lutte contre le piratage.

La lutte contre le pair-à-pair constitue toujours le premier axe de la lutte contre le piratage. Les mécanismes développés visent un double objectif :

• sensibiliser les internautes au droit d'auteur et à son importance pour la rémunération de la création, notamment à travers des notifications directement adressées aux contrevenants et, le cas échéant, des sanctions adaptées ;

• renforcer les moyens de sanction contre les personnes tirant une rémunération de la contrefaçon numérique.

De manière générale, le signalement des actes de contrefaçon relève de l'initiative des ayants droit , tandis que l'envoi de notifications aux internautes est le fait des fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Certains pays, comme la France, ont choisi d'encadrer le mécanisme de signalement et notification par la loi, tout comme la Suisse, le Canada ou la Nouvelle-Zélande. D'autres ont préféré favoriser la conclusion d'accords privés entre les ayants droit et les FAI (Royaume-Uni, Irlande, États-Unis, Australie).

Ces mécanismes peuvent constituer une première étape dans une procédure pouvant mener l'internaute devant les tribunaux. Aux États-Unis, des mesures restrictives comme le ralentissement du débit de la bande passante de l'internaute ou l'affichage de « pop-up » peuvent être ordonnées aux FAI sous le contrôle du juge.

Au-delà du « pair à pair », les stratégies se sont diversifiées et les ayants droit comme les pouvoirs publics s'attellent à mettre en oeuvre de nouvelles stratégies de lutte contre les sites illicites et les pratiques de piratage des oeuvres.

Il convient de signaler les dispositifs de type « follow the money » (« suivez l'argent »), qui visent à assécher les ressources financières des sites illégaux , en associant les ayants droit et les acteurs de la publicité (régies, annonceurs) et du paiement en ligne. Des initiatives ont été engagées en ce sens notamment en France, au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne et aux États-Unis. Des discussions sont également en cours en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Un protocole d'accord sur ce sujet a été signé à l'échelle européenne, sous l'impulsion de la Commission, le 25 juin 2018, par les acteurs du secteur publicitaire. Les ayants droit du cinéma et de l'audiovisuel n'ont pas souhaité signer en raison du caractère jugé insuffisamment contraignant des engagements inscrits à l'accord .

C. UNE RÉPONSE NATIONALE EN ATTENTE DE DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Les débats ne sont pas clos sur les procédures les plus efficaces pour prévenir ou faire cesser les atteintes au droit d'auteur, notamment pour aboutir au blocage, au déréférencement et à la fermeture des sites contrefaisants , dans le respect de la protection des données personnelles et sans coût disproportionné pour les intermédiaires techniques. L'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle (CPI) permet au juge, saisi par les ayants droit, de faire ordonner de telles mesures, notamment aux FAI et aux moteurs de recherche.

De manière récente, la jurisprudence a mis le coût des mesures techniques prononcées à la charge des intermédiaires . Depuis un jugement du TGI de Paris du 15 décembre 2017, afin de prévenir de nouvelles atteintes aux droits de la propriété intellectuelle, les mesures ordonnées aux moteurs de recherches en vue d'empêcher le référencement de sites contrefaisants portent sur l'intégralité de ces sites pris en tant que tels , indépendamment des chemins d'accès ou des pages spécifiques visés dans la demande (cf. également jugement du TGI de Paris du 25 mai 2018 et du 29 mai 2019). S'agissant des mesures concernant les FAI, depuis une ordonnance du TGI de Paris du 13 juillet 2018, l'actualisation des mesures de blocage déjà prononcées par jugement dans le cadre de l'article L. 336-2 du CPI peut être ordonnée en référé afin d'empêcher l'accès aux mêmes sites via de nouveaux chemins. Ces évolutions ouvrent la voie à un renforcement et à une plus grande efficacité de l'action des ayants droit sur le terrain judiciaire.

La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine (loi « LCAP ») a modifié l'article L. 336-2 du CPI, afin de permettre au CNC d'engager des actions en cessation devant le tribunal de grande instance, ou soutenir à titre principal les actions engagées par les organisations professionnelles, en cas d'atteinte au droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne. Depuis la fin de l'année 2017, le CNC s'associe ainsi systématiquement aux actions initiées par les ayants droit , ce que son directeur général a tenu à souligner devant le rapporteur pour avis , permettant, à la suite d'un arrêt de la Cour de cassation daté du 5 juillet 2017 dans l'affaire « Allostreaming », de faire ordonner le blocage de sites pirates par les fournisseurs d'accès à Internet, ainsi que leur déréférencement par les moteurs de recherche, aux frais de ces intermédiaires techniques.

Enfin, la lutte contre le piratage se porte également contre la présence d'oeuvres protégées sur des plateformes de partage de vidéos en ligne par les internautes, telles YouTube ou Dailymotion . Dans ce cas, l'accent est mis sur l'utilisation, par les ayants droit et les plateformes, de technologies de marquage et de reconnaissance de contenus, permettant d'identifier les contenus protégés avant leur mise en ligne, et d'empêcher celle-ci.

Une étude conjointe a été confiée par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, la Hadopi et le CNC à Jean-Philippe Mochon. Ce rapport, publié en janvier 2020, procède, sur la base de tests techniques détaillés, à une évaluation approfondie des technologies pertinentes et des outils de reconnaissance existants (principalement basés sur une technique de reconnaissance par empreintes numériques). Il conclut à leur réelle efficacité .

Le projet de loi audiovisuel comportait un ensemble de mesures, allant de la fusion du CSA et de la Hadopi à des dispositions techniques relatives aux sites « miroir ». La ministre de la culture, lors de son audition devant la commission le 10 novembre dernier, a souhaité pouvoir inscrire le plus rapidement possible une nouvelle version de ce texte, centrée sur cette problématique.

Le rapporteur pour avis ne peut qu'abonder dans ce sens, en rappelant que le niveau de piratage estimé en France représente l'équivalent de deux ans de soutien du CNC .

* * *

Votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2021 .

TRAVAUX EN COMMISSION

MERCREDI 25 NOVEMBRE 2020

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M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits du cinéma . - Monsieur le président, mes chers collègues, si vous me permettez cette image pour débuter cette présentation des crédits dédiés au cinéma, la situation que vit le secteur rappelle plus les films catastrophes que l'ambiance chaleureuse des oeuvres de Marcel Pagnol...

Il y a en effet une spécificité française du cinéma, que je peux résumer en une formule : le train parti en gare de La Ciotat en 1896 ne s'est jamais arrêté et a fait de la France un pays de cinéma !

Deux éléments pour illustrer mon propos. Premier point, les spectateurs.

La France est le pays d'Europe disposant du plus grand nombre d'écrans et où les entrées sont les plus importantes. En moyenne, chaque Français va 3,3 fois au cinéma dans l'année, contre 2,2 en Espagne. L'Allemagne, à population supérieure, enregistre près de 100 millions d'entrées en moins. En 2019, 213,1 millions d'entrées ont été enregistrées dans les salles, soit la 6ème année consécutive au-dessus de 200 millions.

Second point, la production. La France se singularise par la part de la production nationale, qui représente en moyenne 35 % de la fréquentation, contre 10 % en Angleterre et 22 % en Allemagne. Le système unique de monde de soutien mis en place après la seconde guerre mondiale via le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), s'il est d'une grande complexité, est redoutablement efficace pour révéler et accompagner les talents, soutenir la production et offrir au public français, mais également partout dans le monde, des oeuvres différentes, voire complémentaires, d'un cinéma américain souvent impérialiste.

Ce pays de cinéma a subi avec consternation le premier confinement, qui a malmené tous les acteurs du secteur.

Les salles ont ainsi été contraintes de fermer du 14 mars au 22 juin, date à partir de laquelle elles ont pu reprendre en suivant un protocole sanitaire strict. Conséquence de cette jauge « dégradée » et de l'absence de « blockbusters » sur les écrans, la fréquentation a chuté de 70 % durant l'été. Sur l'année, et sans le deuxième confinement, le chiffre d'affaires des salles aurait accusé une baisse de 50 %.

Pour autant, je veux saluer la remarquable capacité de résilience de notre cinéma, qui a été en mesure de proposer aux spectateurs des productions françaises de qualité qui ont supplée l'absence de films américains. Peu de pays peuvent se targuer d'une telle capacité, et nous pouvons je crois tous nous féliciter de la continuité dans les politiques publiques qui a permis depuis la seconde guerre mondiale de mettre en place ce formidable système.

C'est pourquoi, dans ce contexte si lourd, il me parait important de souligner le fort engagement des pouvoirs publics en faveur du cinéma, qui ont bien gardé en tête cette spécificité de notre cinéma.

Tout d'abord, le CNC a rapidement mis en place un fonds alors unique au monde pour garantir les tournages.

Au printemps dernier, les tournages ont été brutalement interrompus, et auraient pu ne pas reprendre faute de possibilité pour les producteurs de s'assurer contre les risques liés à la pandémie. Cela aurait conduit à terme à un « assèchement » de la production de films et de séries.

Le CNC a mis en place un fonds doté de 50 millions d'euros, porté à 100 millions d'euros par un pool d'assureurs, pour permettre aux tournages de reprendre, et donc à l'ensemble de la chaîne (scénaristes, acteurs, industries techniques) de retrouver une activité. 400 tournages sont actuellement ou ont été assurés par ce fonds, pour 30 sinistres constatés, ce qui est inférieur aux prévisions.

Ensuite, des mesures ont été prises en faveur des salles de cinéma.

D'une part, dès le mois d'avril, le CNC a pris la décision de renoncer au montant de la taxe que les salles devaient verser pour les mois de février et mars, ce qui a permis de soulager leur trésorerie de 17 millions d'euros.

D'autre part, le CNC a créé en septembre un fonds doté de 50 millions d'euros pour compenser partiellement la différence entre les recettes « normales » et celles de 2020.

Enfin, des mesures de relance sont proposées.

Le projet de lois de finances que nous examinons prévoit une enveloppe de 165 millions d'euros en 2020. 60 millions d'euros sont destinés à soutenir un budget du CNC extrêmement fragilisé et 105 millions à permettre aux industries techniques de se relancer, suivant des modalités qui seront définitivement actées d'ici la fin de l'année.

En 2021, le CNC devait bénéficier, d'une part, d'un « retour à la normal » du niveau de fiscalité affecté, d'autre part, d'une enveloppe supplémentaire de 165 millions d'euros du plan de relance, ce qui lui aurait permis de compenser les pertes du précédent exercice.

Dans l'ensemble donc, le CNC se trouvait « réarmé » avec 265 millions d'euros sur deux ans.

C'est alors qu'est intervenue l'annonce du deuxième confinement.

Comme mes autres collègues rapporteurs, je dois bien confesser que son impact est pour l'instant presque impossible à évaluer, même si l'annonce hier soir par le Président de la République de la réouverture des salles à compter du 15 décembre, suivant un protocole sanitaire strict, donne un peu d'espoir pour la toute fin de l'année.

Ce qui est certain, par contre, c'est qu'il n'est pas encore intégré aux projections financières du CNC.

En conséquence, il est d'ores et déjà certain que les prévisions de ressources pour 2020, voire 2021, sont caduques. De même, il est probable que les mesures de soutien proposées pour 2021 seront insuffisantes pour préserver le cinéma français.

Il ressort de mes auditions que les crédits actuellement disponibles devraient permettre de passer le cap de 2020, mais en aucun cas de conséquences qui pour la plupart interviendront en 2021.

Face à l'ampleur d'une crise qui frappe indistinctement tous les secteurs, il nous appartiendra de veiller à ce que le cinéma continue de recevoir toute l'attention à laquelle sa place privilégiée dans notre pays lui donne droit.

Je voudrais avant de conclure évoquer deux autres sujets liés au cinéma, la transposition de la directive « service médias audiovisuel » (SMA) du 14 novembre 2018, et le piratage.

L'histoire de la transposition de la directive SMA mériterait presque un film. Elle devait initialement être adoptée dans le cadre du projet de loi audiovisuel promis pour début 2019, puis mi 2019, puis fin 2019, bref, toujours repoussé par des sujets plus urgents... Finalement présenté à l'Assemblée nationale, le projet de loi n'a pas dépassé le stade de la commission en mars où son examen a d'ailleurs occasionné l'un des premiers « clusters » du pays. Une fois le projet de loi enterré, les dispositions de la directive ont été introduites péniblement par amendement en juillet à la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (loi « Daddue »). La commission avait alors accepté - mais je n'en étais pas encore membre ! - d'adoucir ses traditionnelles préventions contre les ordonnances. Finalement, a et à la surprise générale, la commission mixte paritaire (CMP) a échoué en octobre, ce qui a contraint à un nouvel examen au Sénat le 17 novembre dernier.

Si les conditions d'adoption sont rocambolesques, le propos de la directive ne l'est pas. Il s'agit de rien de moins que de faire participer les plateformes de vidéo en ligne à la création française, c'est-à-dire, et c'est un terme quel je sais que la commission est attachée, de rétablir une forme d'équité entre :

- des acteurs nationaux soumis à de contraintes d'investissement dans les oeuvres françaises, dans la production indépendante ;

- et des acteurs mondiaux qui ont imposé un modèle attractif, mais porteur de danger pour notre exception culturelle.

La question est devenue d'autant plus urgente que les confinements ont au premier chef bénéficié à ces services, en raison de la fermeture des salles.

Une approche nuancée de la réalité est cependant nécessaire, car il y a plateforme et plateforme.

D'un côté, Netflix et quelques autres qui sont des acteurs à part entière de la production. Le dialogue avec eux semble plus aisé, car la base qui servira à déterminer leur contribution est simple - l'abonnement. Si leur modèle doit évoluer, en particulier pour faire une place à la production indépendante, nous sommes, si je puis dire, avec des spécialistes qui ont fait la preuve de leur capacité à « projeter » les oeuvres dans différents pays - pensons au succès de séries espagnoles par exemple.

D'un autre côté, les plateformes comme Amazon Prime ou Apple reposent sur des modèles très différents, avec des modalités d'abonnement plus complexes.

Avec mes autres collègues rapporteurs, je pense en particulier à Jean-Raymond Hugonet et Julien Bargeton, il nous appartiendra d'être attentifs à la bonne entrée en application de la directive au 1 er janvier - si aucune autre catastrophe ne s'abat sur la transposition !

Dernier sujet que je souhaite évoquer, le piratage.

Il représente plus de 1,2 milliard d'euros en France, et concerne les oeuvres cinématographiques comme audiovisuelles. Le projet de loi audiovisuel proposait une fusion ambitieuse entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la Hadopi, ainsi que des dispositions destinées à mieux armer notre législation, je pense en particulier aux nouvelles formes de piratage ou aux « sites miroirs » qui ouvrent et ferment au gré des décisions judiciaires. La ministre n'a pas pu nous donner de calendrier pour un examen au Parlement qui est très attendu par toute la profession, et qui concerne d'ailleurs également le streaming de retransmissions sportives. Je formule donc le souhait très vif que nous puissions rapidement nous saisir de ce texte et apporter une nouvelle ligne de défense à notre création.

Pour résumer donc nos attentes en conclusion, il me semble important de formuler trois interrogations, dont je me ferai l'écho en séance publique :

Quid des nouveaux moyens pour le cinéma hélas rendus nécessaires par le deuxième confinement ?

Quid des négociations avec les plateformes ?

À quand un nouveau projet de loi sur la question spécifique du piratage ?

J'y ajoute une ultime réflexion sur la portée « psychologique » du soutien au cinéma. Dans quelques semaines ou mois, lorsque, nous l'espérons, la vie reviendra à la normale, nos concitoyens auront plus que jamais besoin de la capacité du cinéma à nous faire rire, rêver, réfléchir. Nous devons tout mettre en oeuvre et sans tarder pour assurer à nos concitoyens cette heureuse perspective.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma pour 2021.

Mme Alexandra Borchio Fontimp . - La crise a touché l'ensemble de l'industrie du cinéma. Comme l'a dit le rapporteur pour avis, de nouveaux moyens seront nécessaires pour faire face aux conséquences du deuxième confinement et poursuivre la modernisation de la production et des salles. J'attire votre attention sur l'importance pour mon département des Alpes-Maritimes de la tenue du Festival de Cannes. Pierre Lescure, son Président, a indiqué qu'il souhaitait vivement pouvoir l'organiser cette année et j'espère que les conditions sanitaires le permettent.

M. Pierre-Antoine Levi . - L'évolution des crédits telle que présentée par le rapporteur pour avis me paraît satisfaisante et je me félicite du caractère massif du plan de relance. Je m'interroge cependant sur la capacité des salles à supporter cette crise. Les conditions de reprise seront difficiles à mettre en oeuvre, avec les craintes des spectateurs et l'obligation de porter un masque. Si je salue la mise en place du fonds de compensation, je m'interroge sur son niveau, les pertes telles qu'estimées par la profession s'établissant à 500 millions d'euros. Dans ce contexte, le plan de relance peut paraître d'un montant insuffisant pour les salles, qui constituent le coeur du cinéma et doivent absolument être préservées.

Mme Sylvie Robert . - J'approuve pleinement le rapporteur pour avis quand il évoque la pertinence du modèle français de soutien au cinéma. Je ne suis pas certaine que l'annonce par le Président de la République d'une ouverture des salles le 15 décembre permette d'apporter à elle-seule une solution aux difficultés de la filière même si l'expérience de l'été nous montre que les spectateurs ont été au rendez-vous. Dans ma région, la Bretagne, les pertes d'exploitation des salles sont considérables et je souhaiterais pouvoir connaître les critères de l'aide accordée par le CNC.

M. Pierre Ouzoulias . - La mise en place de la plateforme Salto est un sujet qui doit attirer notre attention. La plateforme ne regroupe en effet pas tous les producteurs et me semble être loin de la taille critique nécessaire.

M. Julien Bargeton . - L'impact de la crise a été immense pour tout le secteur, qui n'a pu bénéficier que d'une reprise très progressive durant l'été. Il est de notre devoir de démontrer notre attachement au cinéma. Je note que, comme l'a indiqué le rapporteur pour avis, la mobilisation de l'État a été forte. De ce point de vue, l'annonce de la reprise le 15 décembre me semble être un compromis pertinent au regard de la pandémie.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je remercie le rapporteur pour avis pour la qualité de ses propos que je partage pleinement. Les salles de cinéma constituent un atout précieux pour nos territoires et il est primordial de préserver ce maillage avec le soutien, jamais démenti, du CNC. Il serait intéressant de disposer de données sur l'aide apportée par les collectivités territoriales. Les salles de cinéma sont en effet le support privilégié de la politique d'éducation à l'image à destination des jeunes publics. En ce qui concerne la création, je rappelle que nous avions donné notre accord au mois de juillet à la transposition de la directive SMA. Les décrets sont toujours en cours de discussion et j'insiste sur l'urgence absolue d'édicter rapidement des règles claires pour associer les plateformes à la création française, le confinement leur ayant exclusivement bénéficié. En parallèle, il est crucial de faire évoluer notre chronologie des médias et d'avancer sur le sujet du piratage.

Mme Sonia de La Provôté . - J'attire l'attention sur le rôle des salles associatives qui permettent de toucher tous les publics, notamment dans les territoires ruraux. Ces salles d'art et d'essai favorisent la diversité de la programmation.

M. Jérémy Bacchi . - Je partage la préoccupation de Mme Borchio Fontimp sur la nécessité d'articuler les mécanismes d'aide avec la modernisation du secteur, ce que devrait permettre le plan de relance. Il en va de notre souveraineté culturelle, tout comme le Festival de Cannes qui, je le souhaite, pourra se tenir si les conditions sanitaires sont réunies. Je suis en effet très sensible à son impact pour le département des Alpes-Maritimes dont il constitue une vitrine tout comme il est un moteur de l'industrie du cinéma en France.

Je partage également la préoccupation de Pierre-Antoine Levi sur la pérennité des salles de cinéma. Les crédits prévus jusqu'à présent sont incontestablement utiles, sans oublier la suspension de la taxe sur les billets aux mois de février et mars, soit un gain de 17 millions d'euros pour les salles, que l'Assemblée nationale a souhaité étendre au reste de l'année, soit 20 millions d'euros supplémentaires. Le compte n'y est probablement pas encore, mais ces aides permettent au secteur de surnager. En réponse à Sylvie Robert, je précise que la compensation est plus généreuse pour les petites que pour les grandes salles. Il y a une problématique particulière, liée aux salles municipales pour lesquelles aucun remboursement n'était prévu à l'origine. Le CNC semble cependant évoluer sur cette question.

Monsieur Ouzoulias, je suis pleinement en accord avec vos propos sur la plateforme Salto. Il nous faut réfléchir à sa taille critique, pour non pas concurrencer mais exister face aux plateformes américaines.

Je suis également très sensible à l'intervention de Mme Sonia de La Provôté sur l'intérêt des salles associatives qui permettent au cinéma de se développer dans les territoires, pour nos concitoyens qui n'auraient pas la possibilité de couvrir de longues distances pour se rendre dans un multiplex. Cette spécificité doit bien évidemment perdurer.

Enfin, sur la question des plateformes, il est essentiel de créer les conditions d'un juste équilibre pour l'ensemble de la profession, ce qui est l'objet des négociations relatives à la mise en oeuvre de la directive SMA.

M. Bernard Fialaire . - Je soutiens pleinement la défense du cinéma itinérant qui constitue une des meilleures initiatives pour faciliter la démocratisation de la culture. Il reste à réfléchir à la cohabitation, dans les villes moyennes, entre les multiplexes et les salles d'art et d'essai, qui n'est pas toujours aisée.

M. Jérémy Bacchi . - Sur cette question précise des multiplexes, je suis persuadé qu'il y a de la place pour tous. Il est important que les salles d'art et d'essai soient non pas « derrière », mais « à côté » des multiplex. Le public y trouvera son intérêt notamment, et je rebondis sur les propos de la présidente Catherine Morin-Desailly, pour la pratique de l'éducation à l'image et au cinéma. N'oublions pas en effet que les jeunes spectateurs continueront à fréquenter les salles une fois devenus adultes.

Mme Catherine Morin-Desailly . - J'apporte mon plein soutien à la plateforme Salto. Je tiens cependant à rappeler que ce sujet n'a jamais été traité par la tutelle et relève de la seule initiative de France Télévisions qui n'a pas la tâche aisée pour rassembler les chaînes et les producteurs. Cette carence de la puissance publique est regrettable et doit être dénoncée. Par ailleurs, des interrogations existent sur son modèle : la plateforme doit-elle être payante alors que les téléspectateurs acquittent déjà la contribution à l'audiovisuel public (CAP) ?

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 10 novembre 2020

- SACD : M. Pascal ROGARD , directeur général.

Jeudi 12 novembre 2020

- Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) : MM. Olivier HENRARD , directeur général délégué, et Maxime BOUTRON , directeur général adjoint.

Mardi 27 octobre 2020

- En réunion plénière de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat : Table ronde consacrée à la situation des salles de spectacle, de cinéma et de théâtre en France, dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire réunissant :

- la Fédération Nationale des Cinémas Français (FNCF) : M. Marc-Olivier SEBBAG , délégué général ;

- le Syndicat national des producteurs, diffuseurs, festivals et salles de spectacle musical et de variété (PRODISS) : M. Aurélien BINDER , vice-président du comité Salles, et Mme Malika SEGUINEAU , directrice générale ;

- le Syndicat national du théâtre privé (SNTP) : M. Bertrand THAMIN , président ;

- l' Union syndicale des employeurs du secteur public du spectacle vivant (USEP-SV) : Mme Aurélie FOUCHER , déléguée générale du Syndicat des producteurs, Festivals, Ensembles, Diffuseurs Indépendants de Musique.

ANNEXES

Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

MARDI 10 NOVEMBRE 2020

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M. Laurent Lafon, président . - Nous sommes très heureux de vous accueillir de nouveau parmi nous cette semaine afin que vous nous présentiez les grandes lignes du budget de la culture, un des secteurs les plus durement frappés par la crise sanitaire, un secteur en danger, avec la crainte de conséquences en cascade sur l'emploi, les artistes, l'accès à la culture, la diversité artistique ainsi que le dynamisme et le rayonnement des territoires.

Au-delà des menaces que fait peser cette crise, nous constatons qu'elle accélère et amplifie les changements déjà à l'oeuvre depuis plusieurs années, en particulier la question du numérique, d'où les fortes attentes vis-à-vis de l'État de la part de l'ensemble des acteurs culturels, soit pour les soutenir et les aider à passer ce cap qui pourrait se révéler fatidique, soit pour les accompagner face aux changements et mieux réguler ce nouveau monde culturel en pleine émergence, soit sur ces deux aspects à la fois.

Comme vous l'avez souligné, il s'agit, pour 2021, d'un budget d'une ampleur exceptionnelle : aux crédits de la mission culture s'ajoute le volet culture de la mission relance ainsi que les mesures générales et sectorielles mises en place au cours de l'année 2020.

Nous tenons à saluer votre détermination depuis votre arrivée à la tête de ce ministère pour que la culture ne passe en aucune manière par pertes et profits pendant cette période compliquée. Le nouveau confinement a, hélas, de nouveau suspendu depuis fin octobre les activités d'une majorité d'acteurs culturels, au moment même où un certain nombre d'entre eux constatait les premiers signes de reprise. Dans ce contexte, nous aimerions avoir des précisions sur l'impact de cet arrêt sur le budget de la culture en 2021. Pouvez-vous par ailleurs nous confirmer que les mesures de relance seront mobilisées à titre de soutien et pensez-vous que de nouvelles mesures pourraient être envisagées courant 2021 ? Quelles sont les réformes structurelles que vous identifiez comme prioritaires l'an prochain pour la sortie de crise ?

L'audiovisuel constitue l'autre grand volet budgétaire de votre ministère. Au sujet des ressources de l'audiovisuel public, nous attendons toujours le rapport au Parlement relatif à la réforme de la contribution à l'audiovisuel public. Comment expliquer ce retard alors que de nombreux rapports, notamment celui de notre commission de 2015, ont permis de baliser depuis longtemps le chemin à suivre, s'inspirant des taxes universelles mises en place par nos voisins allemands et suisses ? Pour en revenir à la crise sanitaire actuelle, le gouvernement a souhaité apporter un soutien aux entreprises de l'audiovisuel public dans le cadre du plan de relance, tout en maintenant la trajectoire budgétaire. Il prévoit de préciser la feuille de route dans le cadre des nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM) de 3 ans. Pouvez-vous nous en indiquer les priorités ? Que va-t-il advenir du projet d'examen au Parlement du nouveau projet de loi « ramassé » consacré à l'audiovisuel ?

Il me faut enfin mentionner les questions toujours sensibles de la presse - qui a doublement souffert de la pandémie et des soubresauts de l'entreprise Presstalis -, des industries culturelles, comme les librairies par exemple, et enfin du cinéma, menacé dans son existence même par le confinement, comme nous l'a montré notre table ronde du 27 octobre dernier.

À l'issue de votre intervention liminaire, nos rapporteurs pour avis vous poseront une série de questions sur la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Nous poursuivrons nos travaux dans un second temps avec la partie « création et patrimoine ».

Concernant la tension ressentie la semaine dernière à l'issue du texte de loi sur le retour des biens aux Républiques du Sénégal et du Bénin, nous avons exprimé notre déception d'apprendre, par voie de presse, la remise de la couronne du dais à Madagascar au moment même où nous débattions dans l'hémicycle. Vous savez notre attachement à ce sujet et comprenez notre réaction. Cette remarque, en avant-propos, ne vise pas à relancer le débat mais au contraire à clore cet épisode, et vous dire, madame la ministre, notre volonté de travailler avec vous dans les meilleures conditions.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je vous remercie pour votre accueil. Pour préciser votre préoccupation concernant le prêt à Madagascar de la couronne du dais de la Reine Ranavalona III, il ne s'agit pas d'une restitution, mais d'une convention de dépôt signée avec Madagascar. Seule une loi au Parlement peut en effet déroger au caractère inaliénable des collections publiques et cette procédure n'est absolument pas remise en cause. La demande du gouvernement malgache datait de plusieurs années durant lesquelles il lui a été clairement indiqué que seul un prêt était envisageable. Une concomitance de calendrier fait que cette acceptation du prêt a eu lieu au moment de notre discussion à ce sujet. Il ne s'agit de ma part d'aucune dissimulation. Ayant été parlementaire pendant un quart de siècle, je suis très attachée aux prérogatives du Parlement. Je tiens à exprimer aux sénateurs et aux sénatrices toute ma considération pour le travail accompli et les assurer que tout projet de restitution sera soumis à un vote, avec les procédures d'analyses, scientifiques et historiques, nécessaires.

Vous l'avez justement évoqué, monsieur le président, le secteur de la culture traverse une période extrêmement difficile. Dans ce contexte, les missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles » vont, en 2021, connaître une hausse exceptionnelle. L'augmentation de 4,8 % des crédits budgétaires du ministère de la culture témoigne de l'importance accordée par le gouvernement à la culture qui joue un rôle indispensable dans notre économie, ainsi que dans nos vies sociales, démocratiques et également intimes. L'effort budgétaire important consenti s'inscrit dans la continuité de la mobilisation totale dont l'État fait preuve depuis le début de la crise pour soutenir les acteurs culturels. Pour rappel, le monde de la culture dans son ensemble a déjà bénéficié de 5 milliards d'euros de mesures d'urgence dont 3,3 milliards d'euros dans le cadre des mesures transversales, ainsi que de plusieurs mesures d'accompagnement, la plus significative étant les 949 millions d'euros accordés aux intermittents du spectacle dans le cadre de « l'année blanche ». Pour pouvoir se projeter, j'ai obtenu que le volet culturel du plan France Relance mobilise une enveloppe exceptionnelle de 2 milliards d'euros en soutien à l'ensemble des acteurs culturels à partir de janvier 2021. D'autres mesures ont eu lieu : depuis la rentrée, 220 millions d'euros ont été mobilisés pour que les secteurs du spectacle vivant et du cinéma puissent faire face aux nouvelles contraintes de distanciation physique et au couvre-feu. Alors qu'a débuté une nouvelle période de confinement, je travaille avec les professionnels à adapter ces dispositifs à la réalité des besoins.

Au cours de la première année de mise en oeuvre sur les deux que compte le plan de relance, plus d'1,1 milliard d'euros de moyens exceptionnels viendront s'additionner aux crédits des missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles ». Ce budget complétera et amplifiera l'action menée pour réparer et refonder nos politiques culturelles. La crise sanitaire, véritable tournant pour le monde de la culture, n'en finit pas de bouleverser les conditions de vie et de création des acteurs culturels et révèle également les pratiques de nos concitoyens. Elle exacerbe des fragilités structurelles préexistantes, causées par des mutations profondes. Notre modèle culturel doit les prendre en compte. Les résultats de l'enquête sur les pratiques culturelles des Français, parue début juillet, mettent en lumière la nécessité de décloisonner et de réconcilier les cultures patrimoniale et numérique, afin d'atteindre l'objectif fixé par mon glorieux prédécesseur André Malraux. En effet, au-delà des mesures financées par les crédits budgétaires, c'est l'un des objectifs stratégiques pour nos industries culturelles et créatives, dotées de 400 millions d'euros sur 5 ans dans le cadre du 4 e programme d'investissement d'avenir. Les moyens inscrits dans les deux missions budgétaires nous permettront de relever ces défis en mettant les habitants et les territoires au coeur de nos politiques culturelles.

Par rapport à l'année 2020, la mission « Culture » connaît une forte hausse de 4,6 % à périmètre constant.

Le patrimoine bénéficie d'un budget de 1,015 milliard d'euros, en hausse de 4,4 %, auxquels s'ajoutent 345 millions d'euros issus du plan de relance. L'investissement prévu dans ce secteur a pour but de développer économiquement les territoires et de renforcer leur attractivité et leur cohésion. C'est l'objectif du plan de rénovation des musées territoriaux, doté de 52 millions d'euros sur deux ans, dont six provenant du plan de relance, et du soutien renforcé aux archives et à l'archéologie dont bénéficieront les équipements patrimoniaux dans les territoires. Dès l'année prochaine, un vaste plan « cathédrales » sera entrepris, en plus de son financement structurel annuel, doté de 50 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent 40 millions d'euros issus du plan de relance, en 2021 puis en 2022, soient au total 180 millions d'euros. Ce budget permettra, d'une part, de réaliser les travaux de mise en sécurité nécessaires et évoqués de longue date et d'accélérer les projets de restauration des cathédrales, parallèlement à ceux des monuments historiques, qu'ils appartiennent aux collectivités territoriales ou aux propriétaires privés. Par ailleurs, il a pour vocation de poursuivre les grands chantiers comme la Cité de la langue française et de la francophonie et la restauration du château de Villers-Cotterêts.

Nous devons, par ailleurs, veiller à l'entretien du patrimoine non protégé dans nos territoires et à sa valorisation, aux côtés des collectivités territoriales dont le rôle est central. Stéphane Bern et moi-même partageons la volonté d'une meilleure représentation de ces monuments au sein des projets de restauration soutenus par le « Loto du patrimoine » lors de sa prochaine édition.

En articulation avec le plan de relance, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit des financements visant à garantir la réalisation des programmes de travaux des grandes institutions culturelles patrimoniales comme de création : ainsi 15 millions d'euros de mesures nouvelles permettront de poursuivre le chantier de relogement du Centre national des arts plastiques à Pantin ou encore des investissements pour équiper les deux scènes de l'Opéra de Paris.

Nous avons choisi de réorienter le projet de restauration nécessaire du Grand Palais, dans une optique de maîtrise des coûts et des délais, compte tenu des dérives constatées et de l'échéance des Jeux Olympiques de 2024. Plus écologique, mieux maîtrisé, techniquement et financièrement, ce nouveau projet assurera la préservation du bâtiment et le réaménagement de ses espaces intérieurs, en rétablissant son unité et de meilleures conditions d'accueil à ses visiteurs.

En contrepartie du soutien important accordé à ces grandes institutions, je leur demande d'incarner encore davantage la responsabilité nationale qui est la leur, proches de l'ensemble de nos concitoyens et facteurs d'animation des territoires.

Le programme « Création » connaît, comme celui du patrimoine, une très forte augmentation de 4,5 % qui permettra d'assurer un soutien renforcé à la création, la diffusion et la production artistique dans les domaines du spectacle vivant et des arts visuels. À ces 37 millions d'euros de mesures nouvelles s'ajouteront 320 millions d'euros issus du plan de relance, ce qui est, là encore, totalement inédit. L'une des priorités est de mieux accompagner les établissements de création en régions : 15 millions d'euros seront consacrés à la restauration et à la consolidation des marges artistiques des labels, ainsi qu'au soutien des compagnies artistiques. Sur ce total, 3 millions d'euros iront aux arts visuels. Les mesures du plan de relance viendront, quant à elles, soutenir la programmation et financer des chantiers de rénovation de ces établissements.

Le spectacle vivant sera également fortement soutenu grâce au renforcement des moyens du Centre national de la musique, le CNM, avec 7,5 millions d'euros supplémentaires dans le PLF au programme 334, pour accompagner sa montée en puissance, et surtout la dotation exceptionnelle de 200 millions d'euros dans le cadre du plan de relance pour qu'il joue un rôle moteur dans la reprise de l'ensemble de la filière musicale, elle aussi gravement mise à mal par la pandémie. Les dispositifs fiscaux permettront de soutenir l'activité des salles de spectacle, avec une prorogation du crédit d'impôt pour le spectacle vivant aux critères assouplis et la création d'un crédit d'impôt théâtre. On peut noter que Bercy, habituellement défavorable aux crédits d'impôt, a clairement indiqué que ma demande était justifiée.

Une autre priorité est de renforcer le soutien aux artistes et aux créateurs, en particulier ceux qui n'entrent pas dans le champ des dispositifs transversaux. En plus du grand plan de commande artistique doté de 30 millions d'euros, le PLF 2021 prévoit 5 millions d'euros au titre du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps) pour diminuer la précarité des artistes et techniciens intermittents et 2 millions d'euros pour mettre en oeuvre les premières mesures à destination des artistes-auteurs avant la fin du 1 er trimestre 2021.

La mission « Culture » comporte également le nouveau programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », qui reprend les actions 1, 2 et 9 qui étaient auparavant inscrites au programme 224 concernant l'enseignement supérieur culturel, l'accès à la culture et la politique linguistique. À périmètre constant, il bénéficiera, en 2021, de 46 millions d'euros de crédits supplémentaires, soit une forte hausse de 8,5 %. Une nouvelle délégation générale, créée au sein du ministère de la culture au 1 er janvier prochain, aura la charge de ces moyens. Elle assurera un pilotage transversal de notre action en matière d'accès à la culture dans les territoires, d'éducation artistique et culturelle (EAC) et de formation en lien avec les ministères concernés dont, bien entendu, celui chargé de la cohésion des territoires et ceux de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. L'an prochain, nous amplifierons l'action menée pour atteindre notre objectif « 100 % EAC » en partenariat avec ces ministères et les collectivités territoriales.

La hausse des crédits du pass Culture permettra d'accompagner son développement. Partant du bilan de ses expérimentations, je souhaite le faire évoluer afin qu'il s'articule mieux avec la fin du parcours d'éducation artistique et culturelle pour enfin diversifier les pratiques culturelles de nos jeunes.

La politique d'accès à la culture dans les territoires bénéficie également de moyens supplémentaires, notamment pour accompagner un nouveau label, celui de « capitale française de la culture », dont le premier sera décerné en 2021. Tous les deux ans, ce label distinguera l'innovation artistique et l'activité d'une ville ou d'un groupement de collectivités.

Par ailleurs, les États généraux des festivals, à Avignon en octobre, ont permis de lancer, avec succès, une concertation entre les acteurs culturels et les collectivités locales, premiers partenaires de ces événements. Leurs travaux vont continuer et nous permettre de mieux accompagner ces manifestations qui jouent un rôle majeur dans l'attractivité de nos territoires, parallèlement à la prolongation du fonds festival en 2021.

L'enseignement supérieur dans le domaine de la culture fera l'objet d'une attention particulière l'an prochain, dans une volonté d'accompagnement des créateurs de demain. L'accroissement conséquent du budget de 3,3 % après des années de stagnation vise à améliorer les conditions de vie et d'études des élèves de ces écoles et leur insertion professionnelle. S'y ajoutera un plan exceptionnel de rénovation et de modernisation de leurs infrastructures s'élevant à 70 millions d'euros, financé par le plan de relance.

Concernant la mission « Médias, livre et industries culturelles », la hausse de 3,2 % exprime notre volonté de moderniser et consolider ces filières culturelles aux fragilités structurelles révélées par la crise. Le programme « Presse et médias » verra son budget progresser de 2,9 %. Ces nouveaux moyens de 483 millions d'euros pour la période 2020-2022 sont intégrés au plan « filière » pour la presse et ont été présentés par le Président de la République à la profession le 27 août dernier. Il s'agit d'un plan de modernisation massif qui accompagnera la transformation nécessaire de la filière.

Grâce au plan de relance, et au-delà des moyens inscrits dans la troisième loi de finances rectificative (LFR3), le fonds stratégique pour le développement de la presse sera abondé de 45 millions d'euros sur deux ans, le montant de l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse sera doublé et un fonds de transformation des imprimeries de la presse régionale doté de 31 millions d'euros.

Les enjeux environnementaux et sociaux occupent une place centrale dans ce plan de filières : un fonds pour la transition écologique est donc mis en place, de même qu'un fonds de lutte contre la précarité, doté de 18 millions d'euros par an en soutien aux acteurs les plus fragiles de la profession comme les pigistes, les photojournalistes ou les dessinateurs de presse. Des mesures nouvelles d'aide au pluralisme seront mises en place, l'une à destination des services de presse en ligne, d'informations politiques et générales, à hauteur de 4 millions d'euros par an, l'autre à destination de la presse ultramarine à hauteur de 2 millions d'euros par an.

Le programme « Livre et industries culturelles » connaîtra une hausse moyenne de 3,5 % l'année prochaine, soit plus de 10 millions d'euros. Au-delà des mesures concernant la filière musicale, déjà évoquées, ces nouveaux crédits permettront de financer l'achèvement du chantier de restauration du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (BnF). L'ouverture de 30 millions d'euros en autorisations d'engagement va également permettre à la BnF de lancer la construction d'un nouveau centre de stockage, opérationnel d'ici 2027. Plus de 80 candidatures ont d'ores et déjà été déposées. Le secteur du livre bénéficie en outre d'un plan total de 89 millions d'euros sur trois ans, financé par la LFR3 de 2020 et le plan de relance, avec l'objectif de soutenir les activités des libraires et des bibliothèques.

Concernant les filières cinématographiques et audiovisuelles, en plus des ressources habituelles du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) stables en 2021, un plan global de 165 millions d'euros inclus dans le plan de relance les accompagne pour permettre la reprise et moderniser l'ensemble de leurs acteurs.

Le financement de l'audiovisuel public respectera, en 2021, la trajectoire engagée en 2018. Le compte de concours financier pour l'audiovisuel public s'élèvera à 3,72 milliards d'euros et le montant de la contribution à l'audiovisuel public dont s'acquitteront nos concitoyens restera stable. L'effort d'économie de 80 millions d'euros demandé aux sociétés de l'audiovisuel public a été réduit de 10 millions d'euros, afin de tenir compte de la prolongation, jusqu'à l'été 2021, de la diffusion linéaire de France 4. Je souhaite engager une réelle réflexion participative et stratégique sur l'offre que nous voulons en matière de contenus éducatifs, sans urgence, qui s'appuie sur la créativité de la représentation nationale. Un soutien financier exceptionnel de 70 millions d'euros sera octroyé, dans le cadre du plan pour compenser les impacts de la crise sanitaire. La coïncidence entre les deux enveloppes de 70 millions d'euros ne représente pas un effet de balance, mais d'un côté, une aide conjoncturelle et, de l'autre, une trajectoire structurelle.

En parallèle, une vaste réflexion sur les ressources de l'audiovisuel public doit être menée, compte tenu de la suppression totale, à l'horizon 2023, de la taxe d'habitation à laquelle est adossée la contribution à l'audiovisuel public (CAP). Nous approfondirons le début de ce travail avec l'ensemble des parlementaires dont les sénateurs, très attentifs à ce sujet d'importance.

Je veux saluer les travaux en cours menés par le Sénat à l'occasion de la transposition de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) introduite dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Ddadue). Ils vont permettre, avec la révision du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande, d'intégrer les plateformes numériques ciblant le public français à notre système de contribution à la création. Il s'agit d'une première étape essentielle d'un système de rééquilibrage d'ensemble de notre système de financement de la création. Les actions et les ambitions de la France, en ce domaine, sont attendues pour fixer un modèle. Une révision du décret fixant la contribution et les obligations des chaînes historiques a lieu, avec des négociations professionnelles, dans ce cadre. Une adaptation de la chronologie des médias devra être mise en place dans les prochains mois, avec ouverture des concertations dans les prochains jours.

Concernant les autres mesures, certaines disposions prioritaires très attendues par le secteur doivent faire l'objet d'une traduction législative, dès que possible, en particulier la lutte contre piratage et l'évolution de la régulation. Un nouveau projet de loi « resserré », proposé au Premier ministre, tient compte des travaux déjà effectués lors de l'examen du projet loi initial. S'il est impossible de reprendre toutes les dispositions proposées, il est indispensable d'adapter les règles encadrant ce secteur à la transformation rapide, tant chez ses acteurs que dans les usages de nos concitoyens.

Telles sont les orientations qui guideront mon ministère, ce budget en étant le reflet, doté de moyens nouveaux, à la hauteur des attentes des professionnels de la culture et du grand public. Il prend en compte les défis urgents, conjoncturels et structurels. En complément du plan de relance, il a pour but de conforter le modèle culturel français, dont l'originalité fait notre fierté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel . - Il y a deux ans, votre prédécesseur, Franck Riester, assurait que la réforme de la CAP, indispensable pour boucler le financement de la réforme de l'audiovisuel, aurait lieu au plus tard dans le cadre du PLF 21. Après le report de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel, l'examen de la réforme de la CAP sera-t-il à son tour renvoyé à une date ultérieure ? Pourquoi une vraie concertation avec le Parlement et le Sénat notamment, ne serait pas entamée, avec un partenariat possible entre majorité et opposition ?

L'existence de la chaîne jeunesse de France Télévisions, France 4, a été prolongée d'un an seulement, alors qu'elle a toute sa place au sein d'une télévision publique comme le montre le succès en Afrique de la chaîne francophone Tivi5 Monde créée par TV5 Monde. Le montant de l'économie réalisée par la suppression de France 4 apparaît, par ailleurs, très limité. Une contradiction importante semble exister entre la légitime volonté du gouvernement de promouvoir les valeurs de la République dans les quartiers prioritaires, où les familles n'ont pas les moyens d'accéder à une offre culturelle et audiovisuelle large, et celle de supprimer cette chaîne qui pourrait constituer cet outil pédagogique indispensable. À l'aune des crises que nous connaissons, le gouvernement pourrait-il réévaluer cette question, quitte à demander à l'audiovisuel public de réaliser des économies sur d'autres postes ?

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis sur les crédits de la presse . - La presse joue un rôle important lors d'une crise sanitaire et doit être maintenue à un haut niveau. Ses difficultés ont souvent été évoquées, notamment la chute du groupe de distribution Presstalis qui a eu lieu au plus mauvais moment, en plein confinement. Une partie de la France a ainsi été privée de journaux pendant plusieurs mois. Peut-on chiffrer précisément la dépense engagée par l'État ces dernières années pour le maintien à flot de cette société ? Comment s'assurer d'un sort plus favorable à France Messagerie qui a remplacé Presstalis ? Qui va assumer la dette de cette grande maison ?

Concernant les droits voisins, des annonces contradictoires récentes suggéraient un accord, puis sa mise en doute. Quelle est la volonté de Google et Facebook de s'inscrire dans le cadre légal tracé par la proposition de David Assouline ? Avez-vous des échanges avec d'autres pays qui tardent à lancer leur transposition ?

M. Julien Bargeton, rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles . - Le pass Culture suscite beaucoup d'interrogations, notamment sur son évolution et son avenir, qui appellent des précisions. Le choc de la crise sur le secteur culturel est très fort et il faut reconnaître les efforts de soutien déployés par le gouvernement, malgré l'existence de demandes encore en suspens. Cette démultiplication des fonds est d'ailleurs soulignée par les différents acteurs que nous rencontrons.

Quel sera l'avenir et le fonctionnement du CNM, suite à l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 8 septembre 2020 sur les crédits dits « irrépartissables » qui prive de 25 millions d'euros par an les organismes de gestion collective (OGC) ? Une compensation par le CNM a été évoquée, est-elle selon vous envisageable ? Que va faire la France ? Des négociations européennes auront-elles lieu pour essayer de corriger cet arrêt dans un règlement ?

M. Pierre Ouzoulias, au nom de M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis sur les crédits du cinéma . - Concernant la transposition de la directive services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), quelles seront l'architecture et la philosophie générale des projets d'ordonnance et de décret ? Quelles sont les premières réactions des plateformes ? Sur le domaine du cinéma, la difficulté est de ne pas connaître aujourd'hui le montant des pertes de l'industrie cinématographique pour l'année prochaine. Y aura-t-il un aspect dynamique dans l'aide que vous pourriez lui apporter et des moyens d'ajustement d'un budget supplémentaire à ses pertes ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - À propos de la réforme de la contribution à l'audiovisuel, deux clans s'affrontent, les tenants de la budgétisation et ceux qui souhaitent le maintien de la redevance, avec des propositions intéressantes mais qui arrivent à ne pas « familialiser » cette contribution. Compte tenu du report à 2023 de la suppression de la taxe d'habitation sur la résidence principale, cette réforme n'est pas urgente, d'autant que le rendement de cette contribution continue de croître permettant un maintien du tarif, ce qui est important pour les ménages modestes. Des pistes de référence ont été identifiées par le gouvernement, et un travail d'analyse technique approfondi aura lieu d'ici 2022 avec les parlementaires et ceux qui voudront s'y associer. Le principe est de permettre à l'audiovisuel de bénéficier d'un financement pérenne, gage de son indépendance, sans créer de nouvel impôt, en cohérence avec la politique fiscale conduite par le gouvernement depuis 2017 pour améliorer le pouvoir d'achat des Français.

Concernant l'arrêt de France 4, il est nécessaire de s'interroger sur les moyens d'accompagner l'offre éducative des Français. Si l'action de France 4 pendant le confinement mérite d'être saluée, on ne peut pas bâtir une télévision-confinement. La réflexion doit porter sur les besoins exacts de nos enfants et non sur le maintien ou non d'une chaîne, quelle que soit l'affection qu'on lui porte. Comment les enfants évoluent-ils ? Quels outils utilisent-ils ? Faut-il avoir une chaîne éducative, de divertissement ou culturelle ? Dix millions d'euros sont dégagés pour permettre cette réflexion par rapport à la trajectoire arbitrée en 2018. Comment coordonner cette réflexion avec l'utilisation des nouveaux outils numériques utilisés par les jeunes dont la consommation augmente ? Comment les programmes des chaînes comme Okoo s'articulent avec les programmes de l'Éducation nationale ? Face à un public de 6 à 18 ans, comment imaginer des programmes éducatifs structurants ? Quel est l'apport des autres chaînes de l'audiovisuel public ? Toutes ces questions alimenteront la réflexion pour définir l'outil correspondant aux réels besoins de nos enfants.

Concernant Presstalis, la situation est particulièrement compliquée, avec la filière de la vente au numéro, indispensable au pluralisme de la presse, en forte baisse et des acteurs aux difficultés récurrentes. L'État a accompagné les discussions autour de la restructuration de Presstalis qui ont conduit à la création de France Messagerie, nouvelle structure en charge de la distribution de la presse quotidienne nationale, le 1 er juillet 2020. L'engagement de l'État s'élève, dans la restructuration de Presstalis, à 76 millions d'euros et, dans les besoins de France Messagerie, à 80 millions d'euros dont 68 de subventions et 12 de prêt. Le soutien public à la filière ne se dément pas mais s'appuie sur la responsabilité des éditeurs pour assurer la pérennité du système de distribution. France Messagerie représente aujourd'hui 55 % de parts de marché, les Messageries lyonnaises de presse (MLP) 45 %, et l'État verse chaque année aux dix quotidiens d'information politique et générale (IPG) une aide à la distribution de la presse quotidienne de 18 millions d'euros. Dans le cadre du protocole de conciliation de 2018, les crédits de la section A de cette aide sont portés à 27 millions d'euros par an pour 2018-2021 par redéploiement des crédits en provenance du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP). L'État est toujours fortement engagé dans les messageries historiques, d'une part, en prenant en charge le décalage de la procédure de collecte à hauteur de 17 millions d'euros et les chèques de qualification dus aux marchands de presse, qui représentent 16,2 millions d'euros ; d'autre part, dans les besoins de financement de la nouvelle société avec une subvention de 68 millions d'euros et un prêt du Fonds de développement économique et social (FDES) de 12 millions d'euros. Des aides exceptionnelles aux petits éditeurs de 8 millions d'euros et aux diffuseurs spécialisés de 19 millions d'euros ont par ailleurs été octroyées.

Au sujet des droits voisins des éditeurs et agences de presse, un investissement exemplaire dans la négociation des deux directives d'avril 2018 relatives aux droits d'auteur, a abouti à des éléments décisifs sur la rémunération des créateurs et les titulaires de droits. La première directive vise à sécuriser la rémunération des oeuvres diffusées à la télévision par technique dite de « l'injection directe », la seconde consacre des dispositions visant à garantir un meilleur partage de la valeur créée par la diffusion des oeuvres sur internet. Les démarches de Google visent à un seul but : contourner l'application de ce droit, notamment par l'octroi de licences à titre gratuit. Le 9 avril 2020, l'autorité de la concurrence, saisie par des éditeurs de presse, a enjoint Google à négocier « de bonne foi » sur ces droits voisins et la Cour d'appel de Paris a rejeté le pourvoi contestant cette décision. Si certains acteurs du système sont prêts à céder aux sirènes de Google, je veux saluer ceux qui y résistent.

À propos du pass Culture, les objectifs sont connus : favoriser l'autonomie culturelle chez les jeunes, avec un crédit de 500 euros pour chaque jeune de 18 ans, à utiliser dans les biens et services culturels référencés sur le pass. La gestion du dispositif est confiée à la Société du Pass culture, avec une hausse de ses crédits de 20 millions d'euros en 2021 soit 59 millions d'euros au total. La question de sa généralisation est en cours, ainsi que celle d'une meilleure articulation avec les parcours d'éducation artistique pour les 16-17 ans. Il faut par ailleurs noter que le pass a contribué à relancer le secteur culturel suite au confinement, la barre des 100 000 inscrits ayant été franchie mi-septembre. Quatorze départements sont aujourd'hui concernés par l'expérimentation. Au 2 novembre, on compte un taux d'inscription de 85 %, 115 000 comptes sur les 135 000 éligibles et un taux d'utilisation de 81,5 %, contrairement aux craintes escomptées. 130,70 euros sont dépensés en moyenne sur une période de 9 mois et 4 300 lieux culturels sont actifs pour près de 2 500 000 offres disponibles. Les catégories les plus réservées sont à 58 % les livres, à 15 % la musique, à 10,1 % l'audiovisuel, à 4,1 % le cinéma. Les biens physiques représentent 65,1 % des biens réservés, les biens numériques 25,4 %, les événements 9,4 %, ce dernier chiffre étant le plus décevant et sans doute le domaine sur lequel les offres doivent être mieux mises en avant.

Concernant l'arrêt de la Cour de justice, ce sont plus les OGC qui vont être impactés que le financement du CNM. Par le biais des OGC, des activités seront financées mais vous êtes modeste sur la perte estimée à 25 millions d'euros alors que je tablerai plutôt sur 30 actuellement. Cet arrêt de la Cour de justice permet de ne pas reverser les sommes perçues aux artistes et aux producteurs non européens en raison de l'absence de réciprocité, aussi appelé droits « irrépartissables ». L'arrêt dit par ailleurs que la législation européenne aurait dû prévoir la liste exhaustive des pays concernés. Je suis ces travaux au plus près avec la commission européenne. Je ne me lancerai pas dans la description du projet de décret « SMAD », qui est complexe et se trouve disponible en ligne. Cette 3 e consultation des acteurs du secteur, avec, d'un côté, producteurs et créateurs français et, de l'autre, les plateformes, se termine le 12 novembre. À votre demande sur la réaction de ces dernières, évidemment mesurée, je vous répondrai par notre volonté d'un décret ambitieux, et en même temps prudent : on peut aspirer à obtenir 35 ou 40 % mais il s'agit aussi de respecter l'équité et de ne pas s'exposer à des contentieux dommageables qui anéantiraient tous les efforts. Pour exemple, cela représente pour une plateforme comme Netflix environ 190 millions d'euros.

M. David Assouline . - Je partage avec vous une réflexion au sujet de l'ouverture des librairies. Une idée est en train de faire son chemin et vous devez la porter haut et fort, c'est le fait que la culture est un ciment de notre société et une réponse en temps de crise sanitaire et sociale, quand il y a un attentat contre un professeur et la liberté d'expression. Il faut la considérer comme un bien essentiel, dans la mise en place des nouvelles mesures. Je vous demande de plaider en ce sens.

Concernant la contribution à l'audiovisuel public, vous indiquez qu'elle restera stable, ce qui est un euphémisme, car une décision consensuelle de longue date voulait qu'une stabilité impliquait une augmentation de 1 % au minimum pour tenir compte de l'augmentation du coût de la vie. Il s'agit donc d'une baisse du budget de l'audiovisuel public et notamment de celui de France Télévisions, puisque sur les 70 millions d'euros de la trajectoire budgétaire de baisse, 60 millions concernent France Télévisions. Avec 65 millions d'euros d'impact estimés de la covid-19, cette baisse est conséquente, compensée par seulement 45 millions d'euros de dotations exceptionnelles dans le plan de relance. Chacun mesure les efforts faits pour passer ce moment difficile dans toutes les filières. La présence à la maison imposée par le confinement augmente le temps passé à regarder la télévision et Netflix. Nous avons tous intérêt à ce que le service public propose, dans ce contexte, une offre de qualité. C'est là que se pose la question de France 4 qui, par erreur de langage, serait qualifiée de chaîne du confinement, alors qu'elle est une chaîne du service public nécessaire pour les enfants, preuve en est que le secteur privé, dont M6, se l'approprie et que la BBC, qui avait arrêté, en est revenue. Le service public a besoin de s'adresser aux enfants, livrés à des plateformes et à des programmes avec peu de considération pour la qualité et l'éducation, notamment civique, surtout après l'attentat contre M. Paty. On ne peut pas considérer qu'à chaque nouveau ministre, on recommence à zéro. Nous avons réfléchi avec le gouvernement, avec France Télévisions et même Mme Ernotte, pour remporter sa candidature au CSA, a mis en avant son projet de maintien de France 4.

Sur le sujet de la presse et des droits d'auteurs, la majorité sénatoriale et mon groupe, par principe opposés au jeu des ordonnances, avons accepté de négocier avec Franck Riester dans un souci de rapidité, avec l'assurance d'une écriture conjointe. Or nous n'avons jamais été contactés pour en discuter concrètement et être associés à cette rédaction. Le contrat de confiance passé avec le gouvernement était que nous allions, jusqu'au bout, établir ce texte ensemble. Depuis, nous n'avons jamais été contactés pour en discuter concrètement et être associés à l'écriture de ces ordonnances. Il serait bien de tenir cette parole car nous avons fait un effort politique d'ouverture en acceptant en juillet de faire les choses vite, pour les auteurs et pour la création française. En retour, nous nous sentons un peu lésés quant à l'association et la considération du Parlement.

M. Jean-Raymond Hugonet, au nom de Michel Savin . - Michel Savin a dû prendre le train qui reste pour rejoindre les cimes de l'Isère. Il m'a donc demandé de poser cette question pour lui. Madame la ministre, vous avez annoncé courant septembre différentes mesures de soutien à la filière cinématographique durement touchée par la crise sanitaire. Un fonds exceptionnel de compensation des pertes de recettes des salles de cinéma doté de 50 millions d'euros a été créé et confié au Centre national du cinéma et de l'image animée. Or, de par la nature même du CNC, ce fonds ne peut s'adresser aux cinémas de gestion publique. Vous avez également annoncé, le 22 octobre, de nouvelles aides et notamment une enveloppe supplémentaire de 30 millions d'euros pour les acteurs de la filière cinématographique. Une partie de ces aides est-elle destinée aux cinémas exploités en régie directe par les collectivités jusqu'ici ignorés par les plans de soutien du gouvernement ? En effet, de nombreuses collectivités gèrent en direct des cinémas publics. Leur fermeture imposée par le gouvernement pour freiner l'épidémie entraîne de lourdes pertes d'exploitation alors même que leurs finances se trouvent déjà fragilisées par la crise sanitaire. Ces cinémas publics remplissent un rôle important de diffusion culturelle notamment dans les territoires interurbains et ruraux, mal dotés en cinémas privés. Aussi semble-t-il important que l'État fasse preuve de solidarité en accordant aux cinémas publics les mêmes aides qu'aux privés.

Mme Sabine Van Heghe . - Je souhaite poser une question sur la presse et particulièrement la presse quotidienne régionale frappée de plein fouet par la crise sanitaire, avec notamment la fermeture de nombreux points de vente et la forte diminution de son chiffre d'affaires. La situation était déjà très difficile du fait de changements structurels des modes de consommation de l'information. Nous sommes tous d'accord pour veiller à l'indépendance de la presse, au respect du pluralisme et à liberté d'expression. Au moment où de fausses informations circulent abondamment sur les réseaux sociaux, le soutien à la presse et à la presse quotidienne régionale est indispensable. Il en va de la bonne santé de notre démocratie. Par rapport à l'augmentation des aides à la presse dans le plan de relance, pouvant être jugée insuffisante du fait des précédentes baisses observées depuis 2018, des inquiétudes s'expriment quant au soutien apporté à la presse locale, en particulier dans la transformation de son offre numérique. Je vous remercie, madame la ministre, des précisions que vous voudrez bien m'apporter sur ce sujet.

Mme Claudine Lepage . - Madame la ministre, j'aimerais vous poser une question sur l'audiovisuel extérieur, qui occupe une place en marge de l'audiovisuel public, même si France Médias Monde est associée à France Info. France Médias Monde et TV5 Monde, chacun dans leur spécificité, jouent un rôle de premier plan dans la diplomatie culturelle de la France et donnent une belle image, engagée, de l'information. Vous avez fait mention du projet de loi « resserré » sur l'audiovisuel. Quelle sera la place réservée à l'audiovisuel extérieur dans le cas où il verrait le jour ? Il est important de conserver les spécificités et les missions de celui-ci.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - J'ai réalisé, monsieur le président, que je n'avais pas répondu à votre question sur les COM, mais elle reboucle finalement avec les dernières questions sur le plan de transformation de l'audiovisuel public énoncée en juillet 2018 et qui conditionne les COM 2020-2022. Cinq axes sont prioritaires : renforcer l'offre audiovisuelle de proximité, conforter le statut d'offre de référence de l'information, sanctuariser son rôle central dans la culture et la création - je me réjouis que France Télévisions ait décidé de consacrer une soirée à un spectacle en ce moment en répétition dans nos lieux de culture fermés, Hippolyte et Aricie, l'opéra de Jean-Philippe Rameau répété à l'Opéra-Comique, que l'on pourra voir sur France 3 ainsi que d'autres spectacles édités par l'audiovisuel public. Ceci permettra peut-être à certains de découvrir l'opéra, développer l'offre éducative et les contenus destinés à la jeunesse et contribuer au rayonnement international de la France. Ces objectifs sont tout à fait essentiels. Le report du projet de création d'une holding ne signifie en rien le renoncement à poursuivre la transformation de l'audiovisuel public et favoriser les coopérations entre les entreprises qui le composent. Pour autant, les synergies doivent être multipliées, le gouvernement a invité l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public, couvertes par un COM, à le renégocier et j'ai écrit aux dirigeants de l'audiovisuel public, cet été, dans cette perspective. L'ensemble du secteur va donc être couvert par des COM, alignés dans le temps sur l'horizon budgétaire de 2022. Ces contrats comprendront un volet commun à ces entreprises, dédié à leurs missions communes, ainsi qu'à leur engagement conjoint à progresser davantage en matière de coopérations multiples, éditoriales et non éditoriales. Les textes de ces COM sont en cours de finalisation et seront transmis au CSA et aux commissions parlementaires dans les prochaines semaines. Vous allez donc pouvoir vous en emparer.

Je veux dire à M. Assouline qu'on continue à vendre des livres et à les acheter dans notre pays et dans des librairies indépendantes. Je passe, pour venir au bureau, devant deux librairies indépendantes et peux vous dire que le « cliquez-emportez » marche ! Nous soutenons nos librairies par des mesures transversales considérablement majorées comme le fonds de solidarité porté à 10 000 euros, le chômage partiel, les prêts garantis par l'État qui sont poursuivis. Nous avons, par ailleurs, décidé que tous les livres vendus en « cliquez-emportez » ou envoyés par la poste ne rentreraient pas en ligne de compte dans le calcul du chiffre d'affaires permettant d'accéder au fonds de solidarité. Toutes ces aides sont considérables. En accord avec le ministre de l'économie et de la relance, nous avons mis en place la prise en charge des frais postaux qui permet de placer les librairies indépendantes au niveau des grandes plateformes à 1 centime l'envoi. De même, La Poste a fait une ouverture considérable, en divisant pratiquement par 3 le prix de ses portages de colis dans une agglomération. On peut situer cet effort pour l'État, entre 10 et 20 millions d'euros sur cette prise en charge de la quasi-gratuité du tarif. Certaines librairies témoignent même de la présence de beaucoup de clients et de difficultés à organiser les commandes. Les librairies sont pour la plupart ouvertes, il est possible de téléphoner, sans être obligé de passer par internet, de passer et préparer des commandes, de demander des conseils à son libraire. Comme vous, je souhaite la réouverture des librairies le plus tôt possible, bien entendu, et nous réfléchissons aux actions par rapport au contexte sanitaire. Une librairie, comme le disait excellemment mon ami Alain Duault dans un éditorial paru récemment, ça n'est pas comme acheter un paquet de nouilles dans un supermarché ! Ce qu'on aime, c'est feuilleter les livres, discuter avec les gens, c'est un lieu de convivialité et dans l'état actuel, tout cela est évidemment compliqué. On pourrait imaginer, si la situation sanitaire se desserre, évoquer la question des jauges, en discussion avec les acteurs du secteur, libraires et éditeurs, à hauteur de 4 m², voire même de 8 m² par personne, les libraires y sont disposés, un accueil sur rendez-vous, mais on ne peut pas transiger sur le fait de ne pas feuilleter les livres, même avec masques et gel hydroalcoolique. Développer des moyens logistiques n'est pas si simple. Nous travaillons avec Bruno Le Maire sur ces adaptations.

J'ai déjà répondu aux questions concernant la contribution à l'audiovisuel public. Les efforts de gestion étaient tout à fait soutenables par rapport au travail accompli en 2018. Concernant le décret SMAD et l'écriture des ordonnances, je ne sais pas où on est sur le travail de collaboration avec l'assemblée sénatoriale, je vais me renseigner sur cette consultation et revenir vers vous à ce sujet sans chercher de fausses excuses.

Concernant la filière cinématographique et la gestion publique, il est vrai que sur les 6 000 salles de cinéma de notre pays, 400 sont en gestion publique. Leur modèle économique n'est pas comparable à celui des salles commerciales. Néanmoins, j'ai demandé que le CNC regarde la situation au cas par cas et que, si elle se révélait très difficile et bien que ne relevant pas de la mission du CNC, il puisse aider ces salles. Je tiens vraiment à ce que le maillage si important des salles de cinéma soit préservé pendant la crise.

L'audiovisuel extérieur et France Médias Monde sont engagés, comme l'ensemble des entreprises du secteur public, dans les négociations des COM. Une élaboration est en cours avec une signature prévue début 2021, comportant les objectifs communs et spécifiques qui traduisent les missions confiées. Dans un projet « resserré », l'audiovisuel extérieur ne sera pas concerné. J'ai bien indiqué les contours de ce texte législatif, qui sont le piratage et l'autorité de régulation, soit la fusion du CNC et de l'Hadopi pour former l'ARCOM. Nous rencontrons beaucoup de difficultés, d'ailleurs, à trouver un créneau législatif, mais cela n'empêche pas ma résolution dans ce domaine. Il y aura peut-être des idées d'initiatives parlementaires, on verra.

Mme Sylvie Robert . - Merci beaucoup, madame la ministre, pour la présentation de ces programmes 131 sur la création et 361 sur la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture. Je mesure l'ampleur des efforts réalisés par l'État pour sauver la création artistique et culturelle dans un moment que vous avez justement qualifié de critique. Le secteur culturel, dans son intégralité, est en train de payer un lourd tribut du fait de la crise. Sans revenir sur les analyses chiffrées, je voudrais vous questionner sur plusieurs points. On sait que les acteurs culturels ont subi différentes phases, un confinement total, un déconfinement avec une reprise d'activités, puis, brutalement, un reconfinement que je ne qualifierai pas de partiel, car les lieux sont fermés. Beaucoup souffrent encore, comme les festivals, d'un manque d'anticipation, de visibilité. Ils ont besoin qu'on les aide à anticiper, notamment à trois mois car leur modèle économique ne leur permet souvent pas de stopper leurs activités. Avez-vous des éléments de calendrier ou une méthode de travail qui permettrait d'y répondre, avec cette incertitude qui pèse sur la durée ? Je sais la difficulté de répondre à ma question. Pour pouvoir continuer, beaucoup demandent la prolongation de l'activité partielle exceptionnelle qui s'arrête au 31 décembre, devenant ensuite activité partielle de longue durée, ce qui diminue considérablement le remboursement. Dans leur situation, une telle décision serait très importante.

Les collectivités territoriales jouent, vous le savez, un rôle majeur. Avec les mesures du PLF pour 2021, du plan de relance, du PLFR4, des sous-préfets ont été nommés pour prendre en charge la relance dans les territoires. J'aimerais savoir comment vos annonces seront traduites concrètement dans les territoires. La coordination qui sera mise en place n'est pas très claire avec le rôle qui sera confié aux sous-préfets en charge de la relance. Comment trouver une bonne coordination entre sous-préfets, directions régionales des affaires culturelles (DRAC), collectivités territoriales, pour que l'organisation territoriale, qui va permettre à la fois sur la relance et, sur ce que j'appelle de mes voeux, un printemps culturel, puisse être bien accompagnée ? Nous avons besoin d'une clarification sur la méthodologie pour pouvoir, au sein des collectivités territoriales, fluidifier et simplifier les aides. Beaucoup d'interrogations demeurent.

Les écoles supérieures d'art me tiennent à coeur, ainsi que les écoles supérieures d'architecture qui souffrent beaucoup. On nous a annoncé la remise rapide d'un rapport sur leur situation. Quand doit-il être publié ? Nous aimerions en disposer car, derrière ces écoles, se pose la question de la recherche, de l'intégration de ces écoles dans le système licence master doctorat (LMD), et des vacataires. Je vous remercie pour l'enveloppe pour la rénovation énergétique, très importante pour ces écoles. La question du fonctionnement de ces écoles et de l'enseignement de l'architecture dans notre pays est fondamentale en ce moment de transition écologique. On vit finalement sociologiquement, philosophiquement et même intellectuellement des mouvements qui pourraient faire déplacer des populations au-delà des zones urbaines vers les zones rurales, et ces questions d'environnement et d'habitat sont très importantes.

Enfin, car je sais que mes collègues compléteront mes propos, je voudrais vous dire qu'en plus des lieux subventionnés et privés existent également de très nombreuses associations culturelles qui diffusent la culture dans les territoires, enseignent les pratiques artistiques, gèrent des lieux non conventionnés, non labellisés. Beaucoup rencontrent aujourd'hui des difficultés majeures et sont peu soutenues, éligibles un peu aux dispositifs culture, un peu aux dispositifs vie associative, un peu aux dispositifs destinés à l'économie sociale et solidaire (ESS). Elles constituent des acteurs importants de l'éducation artistique et culturelle, aujourd'hui à l'arrêt car ces lieux sont fermés. C'est pourquoi je plaide pour un printemps culturel très important qui s'appuierait sur les projets exceptionnels menés par ces associations dans les écoles, collèges, lycées. Il y a de l'argent : c'est un moyen de l'utiliser. La volonté existe mais une vraie organisation et des méthodes de travail sont à mettre en place.

Vous prolongez le fonds festival. Je tenais à vous dire que l'organisation des États généraux des festivals avait été très bien reçue par les organisateurs de festivals. Ils attendent maintenant un calendrier, des critères et, là aussi, l'association des collectivités territoriales sera précieuse. Nous, parlementaires et élus, sommes prêts à vous accompagner car il y a urgence. La relance n'est pas encore complètement là. J'espère qu'elle sera rapide, visible et lisible dans les territoires de notre pays.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour Philippe Nachbar . - Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme patrimoine, m'a laissé ses questions. La première concerne la situation très préoccupante des opérateurs, singulièrement ceux dont le niveau des ressources propres est le plus élevé. Après l'audition des présidents du musée du Louvre et du château de Versailles, la semaine dernière, nous nous demandons si les crédits inscrits permettront aux opérateurs de surmonter les conséquences de la crise, dans la mesure où leur montant a été déterminé avant la mise en place du nouveau confinement. Quelle est votre position ?

Deuxièmement, nous sommes préoccupés par la faiblesse des crédits accordés aux monuments historiques appartenant aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés, qui représentent pourtant la majorité de ces monuments et fournissent du travail aux entreprises de restauration sur l'ensemble du territoire. Ces crédits sont globalement stables dans le PLF pour 2021 et leur niveau reste modeste au titre du plan de relance puisqu'ils représentent seulement 6,5 % en autorisations d'engagement (AE) et 3 % en crédits de paiement (CP) du volet patrimonial de ce plan. Dans la mesure où les collectivités territoriales, comme les propriétaires privés, devraient voir leur capacité financière se contracter en 2021 sous l'effet de la crise - repli des collectivités sur leurs dépenses obligatoires, pertes financières enregistrées par l'absence d'ouverture de leurs monuments - comment justifier que l'effort de l'État ne soit pas plus conséquent ? Enfin, afin de les inciter davantage à engager des travaux dans les mois à venir, certains suggèrent que l'État relève temporairement le taux de sa subvention aux travaux, même pour les opérations non éligibles au fonds incitatif et partenarial pour les petites communes. Quel regard portez-vous sur ces propositions ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je vais répondre à Mme Van Heghe sur le soutien à la presse quotidienne régionale et vais compléter mon propos. Les questions sont très nombreuses et tout le monde connaît l'importance de la presse quotidienne régionale (PQR) dans l'accès des citoyens à l'information. Le soutien de l'État à son égard est très fort, avec 2,9 millions d'euros d'aides au pluralisme pour la presse locale ainsi que l'aide au portage et le fonds stratégie qui lui profite largement. S'ajoute, dans le cadre du plan filière presse, un soutien exceptionnel de 50 millions d'euros sur 2 ans, pour le fonds stratégie et 36 millions d'euros pour la restructuration des imprimeries de la presse en région. C'est donc une aide plus que substantielle.

En réponse à Mme Sylvie Robert, la territorialisation du plan de relance est un enjeu qui m'a habitée pendant toute son élaboration. Sur le 1,6 milliard d'euros, hors 4 e programme d'investissements d'avenir (PIA4) dont on ne connaît pas encore les projets, 460 millions d'euros sont territorialisés, c'est-à-dire programmés région par région. Les crédits alloués aux filières qui se diffuseront sur l'ensemble du territoire - presse, cinéma, livres notamment - seront également suivis. Hors opérateur, on peut estimer que plus de 1 milliard d'euros sur les 1,6 bénéficieront directement aux territoires. Il ne suffit pas d'affecter de l'argent aux territoires, il faut que ce soit coordonné avec eux et qu'on ait des effets de levier des politiques de l'État, de concertations et parfois de codécisions. J'ai voulu que les collectivités territoriales soient pleinement associées à ces politiques de plan de relance, en réunissant le Conseil des territoires pour la culture (CTC) le 27 octobre dernier. Des CTC locaux seront réunis très prochainement. J'ai exigé que le rôle des DRAC, souvent mises de côté dans ces réunions globales, soit pris en compte. À chaque séance, le plan de relance sera évoqué comme la gestion de crise et ses conséquences sur la culture. Un suivi très fin de tout cela est nécessaire.

Vous m'avez posé une question, à laquelle je ne peux pas répondre, sur la date de sortie de la crise. Vous-même avez bien voulu en convenir. Je m'inscris résolument dans la préparation de la sortie de crise. Souvenez-vous, pendant le premier confinement, comme les répétitions n'avaient pas pu avoir lieu, lorsque la crise s'est desserrée, les spectacles n'étaient pas prêts - cela a considérablement affecté les festivals d'été. En autorisant les tournages et les répétitions, outre que j'alimente l'audiovisuel public et, pourquoi pas, d'autres types de médias pour leur diffusion, les spectacles seront prêts dès la fin du confinement et permettront la reprise du spectacle vivant. Il est important de réduire au maximum le délai de reprise des activités et de s'y préparer.

Vous pointez l'approche en silo du ministère de la culture, j'en conviens volontiers, c'est un diagnostic que je partage. C'est pourquoi j'ai voulu créer au ministère une nouvelle délégation générale aux territoires et à la transmission des politiques culturelles, avec la vocation de décloisonner les politiques et d'être un interlocuteur unique pour les acteurs des territoires, ce qui est souvent compliqué. L'objectif est aussi de décloisonner les pratiques patrimoniales ou traditionnelles et les cultures numériques nouvelles.

Les États généraux des festivals, dont vous avez souligné le succès, correspondaient aux besoins des acteurs de ces festivals de décompresser, de dire à quel point ils avaient souffert. Il fallait échanger dans ce domaine. Mon prédécesseur a, dès le 6 avril, mis en place une cellule d'accompagnement aux festivals et 10 millions d'euros de crédits complémentaires ont été ouverts dès juillet en soutien aux éditions annulées. On estime aujourd'hui que 300 organisateurs vont être soutenus dans tous les domaines. 5 millions d'euros supplémentaires alimenteront ce fonds d'urgence en 2021 dans le cadre du plan de relance. La crise a réinterrogé la façon dont l'État devait accompagner ces festivals et les ateliers tenus à Avignon ont abordé des thèmes nouveaux : la diversité, l'égalité hommes-femmes, le bénévolat, outre les questions classiques sur la territorialisation, les partenariats avec les collectivités territoriales, le mécénat... Tout a été envisagé, au cours de cette première période de diagnostic. Une nouvelle réunion avec les chefs des sept ateliers de ces États généraux envisagera des solutions concrètes. Rendez-vous est donné, en croisant les doigts, au printemps de Bourges, pour avancer des solutions concrètes et nous nous reverrons régulièrement car ce pilotage est à mener finement et de façon évolutive.

Les enjeux des écoles d'architecture sont tout à fait considérables. D'abord, en urgence, il fallait veiller à leur équipement numérique pour l'enseignement à distance et le besoin pour les vingt écoles sera couvert. À moyen terme, avec la bonne mise en oeuvre de la réforme de 2018, ces écoles doivent occuper une place centrale dans la définition et la diffusion des solutions pour la transition écologique et sociale des bâtiments. Cette réforme doit aller à son terme et accompagner les écoles en moyens financiers. Elles vont bénéficier des crédits importants que vous avez soulignés. La réunion de restitution du rapport que vous avez mentionné aura lieu prochainement et le rapport sera livré avant Noël.

L'impact de la crise sur les opérateurs est évidemment massif et nous y avons répondu amplement en nous adaptant à chaque situation. Le deuxième confinement crée une situation nouvelle dont nous sommes en train d'évaluer les conséquences. Les modèles d'aides déployés lors du premier confinement, comme les 115 millions d'euros consacrés à accompagner les pertes de billetteries liées au couvre-feu à partir de 21 heures, vont être remodelés pour aider les opérateurs de façon conforme aux exigences du confinement. Sans préjuger de ce qui se passera, le gouvernement est décidé à prolonger les mesures si le confinement se prolongeait, aussi bien en ce qui concerne l'intermittence ou le chômage partiel, autant que de besoin. Le ministre de l'économie et de la relance s'est plusieurs fois exprimé sur ce sujet.

Est-ce que les crédits seront suffisants ? Que coûte aux établissements cette prolongation du confinement, de l'interdiction de mener des spectacles à l'Opéra de Paris, de recevoir des visiteurs au musée du Louvre ou à Versailles ? Cela coûte 30 millions d'euros par mois pour l'ensemble des grands opérateurs, « vaisseaux amiraux » de notre culture. Ils seront accompagnés de la meilleure façon. Nous avons déjà donné des enveloppes extrêmement substantielles dont vous avez la liste, avec une palme au château de Versailles qui le mérite. Des efforts de gestion peuvent aussi sans doute être consentis par les opérateurs, avec une réflexion à mener, dossier par dossier.

Il me tient à coeur de revenir sur une sorte de débat récurrent qui oppose les financements engagés sur les grands opérateurs et les territoires. Je ne vois pas comment justifier cette opposition. Les grands opérateurs sont la marque de notre pays, reflets de notre histoire. Il est vrai que l'Opéra de Paris n'est pas à Montauban et le Louvre pas à Lengelsheim. Situés dans la capitale, ces grands opérateurs doivent être entretenus, valorisés, ils sont des produits d'appel considérables. Espérons que lorsque le tourisme aura repris, ils seront en bon état. Pour autant, ils ont un rôle d'animation des territoires colossal, avec, par exemple, le prêt d'oeuvres par le Louvre aux établissements territoriaux. Il faut sortir de ce débat stérile car, si on délaisse l'entretien du patrimoine et ne procède pas aux grandes réparations, les états de déshérence consécutifs coûteront beaucoup plus cher in fine .

Il y a un soutien significatif aux monuments historiques ne relevant pas de la responsabilité de l'État. Je voudrais là aussi sortir de l'idée reçue suivante : l'État croulerait sous l'argent et les collectivités territoriales seraient en difficulté. Pardon, tout le monde est à la peine dans ce domaine. Chacun fait un effort et essaie de gérer le mieux possible ses responsabilités. Le soutien de l'État à des opérations qui ne sont pas de sa responsabilité dans le cadre de la loi de décentralisation est massif. D'ailleurs, les collectivités territoriales nous accompagnent aussi dans un certain nombre d'opérations qui sont de notre ressort. Il faut parler de concertation dans une situation difficile. Plus de 170 millions d'euros ont été prévus pour les monuments historiques non-État, soit 70 % des crédits monuments historiques déconcentrés. Un effet de levier considérable est engendré qui multiplierait au moins par deux voire par trois les fonds. Dans le plan de relance, 40 millions d'euros en faveur des monuments historiques non-État pourraient générer 120 millions d'euros de travaux. J'espère qu'on les dépensera, ce qui n'est pas gagné car ces subventions ont souvent du mal à être consommées et engager des travaux pour un propriétaire privé ou une collectivité territoriale reste difficile à entreprendre, même avec un niveau de subvention important. Nous le suivrons ensemble.

Mme Sonia de la Provôté . - Merci, madame la ministre, de ce temps passé et de la qualité de vos réponses. Concernant le patrimoine, je veux rebondir sur ce que vous venez de dire. Pour les opérateurs de l'État, il s'agit d'un rebasage ou d'une sécurisation des budgets avec une vraie volonté de maintenir ou accompagner le mieux possible. Globalement, de l'avis de tous sur le terrain, ce sont plutôt les gros chantiers avec de gros budgets qui vont être accompagnés dans le plan de relance, car les petits chantiers sont plus difficilement identifiables. Ils ont cet avantage pourtant d'être diffus sur tout le territoire et surtout de concerner des entreprises locales. Cette remarque faite, pourrait-on imaginer, dans le cadre d'une loi de finances rectificative pour 2021, qu'une partie des crédits finance ce type de petites opérations de restauration et d'entretien tant elles sont nécessaires pour le patrimoine dans les territoires ?

Sur le fonds incitatif à destination des petites communes rurales, je souhaiterais une plus grande transparence sur l'usage des crédits, car j'ai le sentiment que certaines régions accompagnent mieux que d'autres et comme le montant des crédits reste modeste, très peu de chantiers sont accompagnés au final. Les pertes de recettes de mécénat vont avoir un impact important sur le secteur des patrimoines. Beaucoup de mécènes se réorientent vers d'autres priorités que le patrimoine et la culture. Nous devons anticiper une diminution au cours des deux prochaines années au moins. Est-ce que votre ministère a prévu des dispositions particulières pour favoriser le mécénat ou le flécher - plus particulièrement vers le patrimoine ? S'il fait défaut, beaucoup de monuments, petits et grands, vont en souffrir.

Je veux redire que l'assistance à maîtrise d'ouvrage qui n'est plus exercée par l'État est identifiée, par tous les acteurs, comme une des sources principales des difficultés pour mobiliser les crédits. En effet, les chantiers sont complexes, et le maire d'une petite commune ne peut pas trouver les moyens de mener à bien son projet. Le ministère de la culture est attendu à ce sujet. Je souhaite enfin réagir : je m'attendais à ce que le patrimoine non protégé ou vernaculaire, qui constitue une grande part du patrimoine de la France et de son identité, soit davantage pris en considération après le Loto du patrimoine. L'État ne devrait-il pas créer un fonds dédié, aider à son recensement et à sa restauration par le biais de programmations annuelles ? La feuille est mince entre le classement et le non-classement et, quelquefois, on ne classe pas pour ne pas avoir les contraintes du classement.

Sur la culture, je voulais intervenir sur la question des intermittents, que vous n'avez pas abordée. Est-ce que l'année blanche sera également prolongée et pour quelle durée ?

Les arts visuels ne sont pas la partie du programme « Création » la plus mise en avant. Ses artistes sont essentiellement accompagnés par le RSA en temps de crise, ils sont pourtant extrêmement présents et contribuent à l'accès à la culture dans tous les territoires. Je souhaiterais que le ministère fasse un effort particulier pour accompagner massivement la structuration de cette discipline, distincte du spectacle vivant : les parcours des artistes et les fonctionnements ne sont pas identiques. J'aimerais que les spécificités de cette filière soient mieux prises en compte dans le budget et le détail de ses mesures. J'insiste sur la nécessité de réévaluer peut-être les schémas d'orientation pour les arts visuels (SODAVI) qui, pour l'instant, n'ont pas réussi à la structurer.

Je me réjouis que les crédits d'impôts soient étendus à l'art dramatique, mais constate une discrimination peu compréhensible. En effet, il n'y a pas de hiérarchie entre les disciplines, nous en sommes d'accord, que sont l'art dramatique, les marionnettes, le cirque et la danse, par exemple. Aussi, je souhaiterais voir ce crédit étendu à toutes les disciplines, puisqu'aucune n'est prééminente sur l'autre, sauf à trouver une justification que je n'ai pas.

Au sujet du chômage partiel, je vous demande qu'il accompagne toutes les structures quel que soit leur statut, suivant l'objectif des PLFR de ne pas perdre ni structure ni lieu. Les structures publiques dont les employés ont pourtant des contrats de travail de droit privé se trouvent défavorisées, alors qu'elles sont essentielles pour prendre en charge les politiques culturelles.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je voudrais attirer votre attention sur trois points particuliers du budget : les crédits sur les études et travaux sur les sites patrimoniaux remarquables dont la stagnation est préoccupante depuis 4 ans, la situation des crédits destinés à l'enrichissement des collections, en stagnation pour la 2 e année consécutive, et enfin l'archéologie, très impactée, avec des chantiers arrêtés au printemps et peu de budget dans le plan de relance. Je me réjouis du plan Musées et des moyens accordés à ce dispositif en faveur l'accès à la culture dans les territoires. Je reste néanmoins prudente car cela concerne des établissements disparates en moyens et en capacités de mobilisation autour de projets. Je souhaite que vous nous assuriez que, dans le cadre de ce plan Musées, ce seront prioritairement les musées qui en ont le plus besoin et non ceux qui, forts de leurs budgets disponibles, ont, déjà ou rapidement, des projets prêts à servir. Par rapport aux monuments historiques des collectivités, le fonds incitatif et partenarial en faveur des collectivités à faibles ressources est abondé de 5 millions d'euros supplémentaires et peut aussi bénéficier de 40 millions d'euros sur 2 ans au titre du plan de relance. Cependant, compte tenu des besoins en restauration et en entretien de ces monuments, je crains que cela soit insuffisant. Afin d'éviter des choix difficiles entre monuments, tous plus importants les uns que les autres, serait-il possible de pérenniser ce fonds à un niveau de 30 à 35 milliards d'euros à l'issue du plan de relance ?

M. Lucien Stanzione . - Ma question va dans le sens de l'intervention de notre collègue Sylvie Robert. Madame la ministre, vous êtes venue mi-octobre, en Avignon, pour ouvrir et animer les États généraux des Festivals. Vous avez annoncé un certain nombre de mesures financières pour soutenir le spectacle vivant dans le cadre du plan de relance. Avec la deuxième vague de la covid, allez-vous augmenter les aides au bénéfice de ce secteur en perdition ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre . - Effectivement, ce sont des questions très complètes, je réalise, à travers la catastrophe que nous traversons, que ce n'est jamais assez, sur tous les sujets. L'État a décidé de faire sauter toutes les limites habituelles et d'accompagner à la fois les opérateurs publics, privés, les collectivités territoriales et les personnes elles-mêmes dans leur parcours de vie d'une manière totalement inédite, en particulier pour la culture. Je comprends, partage souvent les interrogations et aimerais avoir le pouvoir d'augmenter les crédits à ma disposition. Nous avons, je crois, de mémoire, 44 000 monuments protégés dans notre pays, soit le patrimoine le plus conséquent du monde, avec des exigences budgétaires colossales. On n'en fera jamais assez, mais on en fait vraiment beaucoup.

Vous avez évoqué, à juste titre, le retrait du mécénat. Comment pourrait-il en être autrement ? Dans un contexte économique difficile, c'est la variable d'ajustement rêvée, malgré les aides fiscales massives données à ce mécénat. Le mécène n'est jamais couvert à 100 % par ces aides fiscales. Aucune mesure incitative ne pourra faire en sorte que cette variable d'ajustement ne soit pas réalisée par le mécénat, j'en conviens volontiers. Un certain nombre de maquettes financières, comme la réalisation de la salle modulable de l'Opéra de Paris avec 10 millions d'euros de mécénat, ne seront jamais réalisées. Ces maquettes financières doivent être revisitées à l'aune de ce que vous pointez avec acuité et dont je partage le diagnostic.

Concernant l'aide à la maîtrise d'ouvrage, il est important de préciser qu'elle est gratuite pour les propriétaires privés et les communes qui ne peuvent l'assumer, payante sinon, en tant que service. Pour rappel, ces dépenses peuvent être comptabilisées dans leurs demandes de subvention, ce qu'ignorent certains propriétaires. Les DRAC sont très attentives à l'enjeu d'accompagnement des maîtres d'ouvrage dans ce domaine.

Sur la très importante question sociale de l'intermittence et du chômage partiel, nous reverrons bien entendu les situations, autant que de besoin et si, au 31 décembre, la crise persiste, nous continuerons le chômage partiel. J'ajoute que certaines structures, dont des établissements subventionnés, qui auraient pu y avoir accès, ont choisi, sous pression salariale, de ne pas faire appel au chômage partiel, rémunéré à 84 %. Certains salariés ne voulaient pas de chômage partiel. On l'oublie quelquefois. J'aurais bien aimé, pour mon budget qu'ils fassent appel au chômage partiel, cela aurait permis de réaliser certaines économies sur les crédits du ministère. Ceci étant, d'autres établissements n'y ont pas droit par leur structure juridique. Peut-on le changer demain ? Je n'y verrai que des avantages pour les arguments que je viens de vous donner : certes, c'est toujours l'État qui paye mais on déporte la dépense du ministère de la culture vers le ministère du travail, restant, pour le contribuable, identique.

La problématique des arts visuels n'avait pas la même acuité que celle du spectacle vivant. Il y a des effets de stockages et de flux dans les arts visuels. Ils bénéficieront d'aides dans le cadre du soutien aux festivals, que ce soit pour les grands événements de la photographie et les petits événements.

J'avais déjà abordé l'archéologie dans mon intervention liminaire. Vous avez salué le plan Musées. Les crédits d'enrichissement des collections sont stables, c'est vrai : dans cette politique, nous avons stabilisé plusieurs lignes ne relevant pas de l'urgence. Quand nous serons dans une meilleure fortune, nous pourrons reprendre cette politique plus dynamique ensuite. Nos crédits sont actuellement fléchés sur tout ce qui concernait la survie, comme dans une famille en grande difficulté qui, plutôt que de changer de voiture, essaie de maintenir ce qui doit être maintenu.

Monsieur Stanzione, vous me demandez d'augmenter les aides au maximum : je mets toutes mes forces dans les négociations budgétaires pour obtenir le maximum et témoigne devant vous que ce combat a été entendu.

Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Au sujet de la réorientation du projet de restauration du Grand Palais à partir de la fin septembre, j'ai été rassurée partiellement uniquement, car j'aimerais savoir ce que signifie le terme de réorientation. J'ai bien noté, dans le PLF, la référence à l'importance de poursuivre les chantiers stratégiques déjà engagés et l'abondement de 10 millions d'euros sur le schéma directeur du Grand Palais. Mme Nyssen, ministre de la culture à l'époque, parlait de projet d'exception donnant au Grand Palais l'opportunité de s'inscrire de plain-pied dans le XXI e siècle. J'ai par ailleurs noté que M. Chatillon, architecte en chef des monuments historiques, a dit que l'époque des grands projets était peut-être révolue et il me semble, madame la ministre, avoir lu dans la presse que vous disiez que la pandémie remet en question l'idée même des grandes expositions. Les grands projets renforcent l'attractivité de notre pays, il ne faut pas en faire le deuil. Est-ce qu'il s'agit d'une restauration ou d'une transformation ? Le coût initial était de 466 millions d'euros, ce qui n'est pas rien, et j'ai lu que le nouveau projet aurait un coût identique avec un dédommagement du cabinet d'architectes qui a beaucoup travaillé sur le projet. Le Grand Palais sera-t-il prêt pour les Jeux Olympiques de 2024 comme prévu ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je ne souhaite absolument pas supprimer les grandes expositions qui sont constitutives de l'ADN du Grand Palais ! J'ai dit que le projet initial avec travaux d'excavation massive paraissait pharaonique. Le fait que le plan d'économie soit au même prix interpelle, mais la réactualisation des travaux portait le budget entre 550 et 580 millions d'euros. Par ailleurs, les façades et la statuaire du Grand Palais sont dégradées, sous filet, or ces travaux n'étaient pas compris dans le projet initial. Les 466 millions d'euros ont, par ailleurs, une réserve de précaution de 30 millions d'euros, soit 436 millions d'euros en réalité pour pouvoir être garantis dans la bonne marche du projet. Plus sobre, plus sûre, cette restauration profonde respectera ce qui était voulu, sous l'égide d'André Malraux par l'architecte Pierre Vivien, abandonnant les opérations lourdes tout en conservant des éléments d'origine. La maîtrise d'oeuvre sera confiée à l'architecte en chef des monuments historiques pour les missions de restauration des espaces d'origine. Le Grand Palais, qui contient Universcience, est plus grand que Versailles et constitue un élément structurant du paysage parisien, mais il est considérablement dégradé et présente des problèmes de sécurité importants. Pour assurer la sécurité financière, pendant sa fermeture de janvier 2021 à septembre 2024, les manifestations habituelles seront accueillies dans un Grand Palais éphémère, dont la structure est en cours d'installation sur le Champ de Mars, cofinancée par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP) et le comité d'organisation des Jeux Olympiques (COJO). Le cheminement sera conservé, l'entrée gratuite et les services ouverts dans la rue centrale, une entrée à l'aspect végétalisé se trouvant sur le côté de la scène. Les crédits budgétaires s'élèvent à 123 millions d'euros, la subvention PIA3 à 160 millions d'euros, l'emprunt bancaire souscrit par la Rmn-GP à 150 millions d'euros, remboursés sur 25 ans, le mécénat Chanel à 25 millions d'euros ainsi que des partenariats et ressources propres à Universcience à hauteur de 8 millions d'euros. Je veux dire publiquement que l'abandon de la maîtrise d'oeuvre du cabinet d'architectes LAN ne constitue pas un acte de défiance ou de remise en cause des capacités de ce cabinet. Un appel à projet aura lieu pour ce nouveau projet. Le dédit à payer au cabinet ne majore pas la maquette financière et le cabinet LAN sera appelé à soumissionner s'il le souhaite. J'espère avoir été assez complète.

M. Laurent Lafon, président . - Je vous remercie, madame la ministre, pour les réponses précises que vous avez apportées à chacun des intervenants.

Extraits de la table ronde
consacrée à la situation des salles de spectacle, de cinéma et de théâtre
en France, dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire

MARDI 27 OCTOBRE 2020

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M. Laurent Lafon, président . - Il nous est apparu important d'organiser une table ronde sur la situation des salles de spectacle dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons. En effet, depuis longtemps, notre commission se montre très inquiète des dangers que fait peser la crise sanitaire sur l'avenir des activités culturelles en salle. Ces activités, au premier rang desquelles figurent le spectacle vivant et le cinéma, font partie de celles qui ont été le plus durement frappées. De nombreuses structures sont menacées, et avec elles l'emploi, les artistes, l'accès à la culture et peut-être même notre modèle culturel.

Deux de nos groupes de travail Covid-19, l'un sur la création, l'autre sur les industries culturelles, s'étaient penchés sur le sujet il y a plusieurs mois, au moment du confinement. Ils avaient formulé une série de recommandations. Depuis lors, les salles ont rouvert leurs portes, quoi qu'en mode dégradé. Les strictes conditions d'accueil du public auxquelles elles sont soumises génèrent à la fois des surcoûts et des pertes de recettes en raison de la réduction des jauges. La mise en place du couvre-feu à compter de 21 heures, qui touche désormais 54 départements, frappe quant à lui durement les salles vouées au divertissement culturel, dont l'essentiel de l'activité est réalisé en soirée. Ces constats nous ont incités à organiser aujourd'hui une table ronde consacrée à ce sujet, pour comprendre la situation des différents métiers touchés par la mise en place du couvre-feu. Nous y voyons en outre l'opportunité d'évaluer la pertinence du projet de loi de finances pour 2021. Nous entrerons en effet prochainement dans le cycle de préparation du projet de loi de finances, sur lequel nous devrons rendre un avis dans quelques semaines. La semaine dernière, déjà, la ministre de la culture a annoncé des mesures complémentaires pour compenser les pertes d'activité liées au couvre-feu.

Afin d'éclairer notre réflexion, nous avons le plaisir d'accueillir plusieurs intervenants qui représentent les salles de spectacle dans leur diversité. Je les remercie d'avoir accepté notre invitation et de s'être rendus disponibles. Nous sommes impatients de les entendre sur leur condition actuelle, sur leur vision de la situation et, pour autant que nous puissions nous projeter, sur les possibilités de sortie de la crise. Nous leur demanderons également si les mesures de soutien annoncées la semaine dernière leur paraissent suffisantes.

(...)

M. Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la FNCF . - La trajectoire de réouverture des cinémas est différente de celle de nos camarades du spectacle vivant. Nous sommes néanmoins confrontés aux mêmes enjeux, aux mêmes réglementations et aux mêmes murs qui se dressent devant nous régulièrement.

Nous avons rouvert les cinémas le 22 juin dernier, avec un grand élan et une grande mobilisation. Le cinéma en France, même s'il est présent dans de très nombreuses communes, fonctionne de façon nationale. Nous avons donc organisé une réouverture nationale, avec une communication nationale, en bénéficiant de l'aide de nombreux médias privés et publics. Nous avons souhaité une communication centralisée et présente. Elle nous a permis d'enregistrer une formidable fréquentation d'un million de spectateurs la semaine de réouverture. La difficulté que nous avons rencontrée tient au fait que ce million de spectateurs, qui représente 30 % d'une fréquentation normale, est resté stable tout l'été 2020. La raison en est simple : l'offre de films que nous espérions en rouvrant les salles s'est effilochée, tant du fait de la disparition des films américains (qui représentent entre 40 et 50 % des entrées en France), en lien avec la progression de la pandémie aux États-Unis, que du fait des retards de distribution des films français, qui ne sont arrivés que récemment sur les écrans. Depuis la fin du mois d'août dernier et la sortie du film américain Tenet , nous n'avons ainsi reçu que la moitié de nos spectateurs habituels.

Le public, y compris le public occasionnel (qui ne vient par exemple que pour visionner un film pour enfants), reste néanmoins toujours très réactif à l'offre de films proposée. Notre crainte était que le public ne revienne pas. Or nous avons constaté récemment que le public peut revenir si les conditions pour l'accueillir sont réunies. Les conditions étaient plus favorables jusqu'au couvre-feu. Elles se sont dégradées davantage encore depuis le couvre-feu. Bientôt, nous ne pourrons probablement même plus accueillir de spectateurs.

J'ai décrit précédemment l'aspect positif. L'aspect négatif tient au fait qu'avec de tels niveaux d'activité, nous nous situons sous les seuils de rentabilité. De leur côté, la question des loyers, qui est essentielle pour les cinémas, notamment dans les centres commerciaux, et la question future du remboursement des PGE représentent deux échéances majeures qui fragilisent considérablement les perspectives des cinémas. Le parc est extrêmement diversifié, avec des salles publiques, associatives, privées avec délégation de service public ou totalement privées, appartenant à de grands groupes ou animées par des mono-écrans associatifs. Dans toutes ces situations, la question des PGE et la question des loyers sont récurrentes.

Nous avons bénéficié des soutiens nationaux spécifiques aux secteurs de la culture, du sport, de l'événementiel et du tourisme. Nous avons également bénéficié de soutiens sectoriels importants pour nous sur deux grands axes, le fonds de soutien du Centre national du cinéma (CNC) et le fonds de perte d'exploitation, que nous partageons avec nos amis du spectacle vivant, dont le devenir nous préoccupe, puisqu'il a été calibré pour une relance, et non pas pour une nouvelle fermeture. Pour nous, en tout état de cause, l'ensemble des aides connues actuelles se transformeront en plan de sauvegarde et d'urgence pour tenir le temps nécessaire jusqu'à la réouverture. Nous sommes effectivement persuadés de la fermeture prochaine des salles de cinéma.

La problématique des cinémas tient également à l'offre de films. Les films attendront-ils la réouverture ? Combien de temps attendront-ils la réouverture ? Aujourd'hui, nous ne fonctionnons presque qu'avec des films français. Nous enregistrons le niveau habituel de fréquentation des films français en année normale, c'est-à-dire 50 % du marché. Ce résultat est extraordinaire. Nous sommes le seul pays en Europe qui enregistre un tel niveau de fréquentation. Partout ailleurs où les cinémas sont ouverts, le taux de fréquentation atteint 10 à 15 % du taux habituel. Nous avons ainsi la chance que l'écosystème financé année après année grâce au CNC et grâce à la contribution des pouvoirs publics et du Parlement fonctionne et nous permette de proposer du spectacle cinématographique à nos spectateurs. Demain, en revanche, les producteurs et les distributeurs pourront-ils résister, jusqu'à rouvrir dans des conditions plus favorables ? La question est posée.

Nous devons louer la ministre de la culture et le CNC qui se sont montrés solides, pragmatiques et rapides dans les dispositifs mis en place. Désormais, la question se pose de l'agilité dont nous devons faire preuve pour transformer ces dispositifs en dispositifs de sauvegarde et d'urgence.

Enfin, une question nous intéresse tous, relative à la cohérence des réglementations sanitaires et de sauvegarde. Par exemple, actuellement, nous sommes confrontés à des arrêtés préfectoraux peu lisibles, qui n'intègrent pas notamment les directives nationales dans les domaines de la jeunesse et des sports permettant aux centres de loisirs d'amener les enfants aux spectacles ou dans les salles de cinéma. Cette question préoccupe beaucoup nos adhérents sur le terrain.

M. Laurent Lafon, président . - Je donne à présent la parole à nos deux rapporteurs pour une série de questions.

Mme Sylvie Robert, rapporteure pour avis des crédits Création et transmission des savoirs et démocratisation des savoirs . -

(...)

Je souhaite vous poser quelques questions. Nous entrons dans la période budgétaire, où nous sommes amenés à examiner le projet de loi de finances, qui s'accompagne d'un plan de relance et de nouvelles mesures complémentaires annoncées la semaine dernière. Vous connaissant, puisque vous êtes en responsabilité, je pense que vous avez déjà réalisé des études d'impact si des mesures plus drastiques vous obligent demain à fermer vos lieux. Les mesures budgétaires prises, dès lors, seront-elles suffisantes ? C'est une information essentielle pour nous dans la perspective des débats en séance.

Vous avez parlé du public. Lorsque nous nous étions retrouvés après le confinement, la grande crainte était de savoir si le public reviendrait. Je souhaite que vous nous disiez si le public est revenu. Je le pense. Si les lieux ferment de nouveau, comment retravaillerez-vous sur la question du public ? Surtout, en termes de prévisibilité, combien de temps pourrez-vous résister ?

Enfin, je souhaiterais prendre le temps de la prospection. Avez-vous déjà réfléchi à des pistes pour faire évoluer les modèles économiques et les modèles organisationnels ? Je concède qu'il est très compliqué de répondre. Je pense cependant qu'un travail sur ce chantier est indispensable. La crise a en effet démontré certaines fragilités. En tant que parlementaires, nous nous tiendrons à vos côtés pour y réfléchir collectivement.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits du cinéma . - Je m'associe aux propos de ma collègue sur l'attachement des Françaises et des Français au monde de la culture. La culture est un élément structurant de leur vie, des relations humaines, mais également un divertissement qui les réunit dans les salles. À ce sujet, je vous remercie d'avoir résisté, en rouvrant les lieux de culture dès le mois de juin dernier pour les salles de cinéma, en août dernier pour les salles de théâtre et de spectacle, dans des conditions souvent difficiles, y compris du point de vue économique. Les ouvertures s'effectuaient en effet parfois à perte. J'ai rencontré des directeurs de théâtre de mon département, les Bouches-du-Rhône, qui m'expliquaient avoir rouvert leur salle parce qu'elle était leur raison de vivre, en sachant cependant que chaque nouvelle séance leur faisait perdre de l'argent. Ils espéraient également amorcer le retour des spectateurs dans les salles. Le contexte actuel et les annonces imminentes du Président de la République laissent malheureusement craindre la possibilité que cette amorce prenne déjà fin.

J'ai quelques questions à vous poser. Monsieur Sebbag, vous évoquiez une difficulté au niveau de l'offre de films au sein de l'industrie du cinéma liée aux distributeurs. Nous constatons en particulier que la sortie des grandes productions américaines est ralentie par crainte que les spectateurs ne soient pas au rendez-vous. Seul le film de Christopher Nolan est sorti à la fin du mois d'août dernier. Avez-vous des contacts avec les distributeurs ? Ont-ils un calendrier de reprise en tête ?

Par ailleurs, lors du confinement du printemps dernier, nous avons constaté une augmentation de la demande cinématographique sur les plateformes numériques, notamment Netflix. Comment l'analysez-vous ? Les Français ont-ils opté pour une offre de substitution ? Pensez-vous que des habitudes ont été prises jusqu'à créer désormais une concurrence ? Le marché permet-il au contraire aux deux formes de diffusion (cinémas et plateformes) de cohabiter ?

Enfin, dans le cadre de la transposition de la directive SMA, le Gouvernement souhaite relancer le chantier de la réforme de la chronologie des médias. Ne craignez-vous pas des négociations, notamment avec les plateformes, potentiellement au détriment des salles de cinémas ?

(...)

M. Marc-Olivier Sebbag . - Je confirme les propos précédents sur le bonheur du public de revenir dans les cinémas et sa confiance dans les mesures sanitaires mises en oeuvre. Aucun cluster n'a été observé ni dans les théâtres, ni dans les salles de concert, ni dans les cinémas.

Les pertes du secteur sont plus élevées que celles sur lesquelles les aides ont été calibrées, sur la base d'une perte de 50 % d'activité. Or l'activité a déjà régressé de 60 %. Le déficit de fréquentation, de surcroît, n'a pas fini de se creuser. Les pertes seront ainsi supérieures à 800 millions d'euros en termes de chiffre d'affaires.

Quant à l'accompagnement par les pouvoirs publics, nous avons la chance de disposer d'un CNC extrêmement structuré, avec des fonds extrêmement présents. En 2020, cet amortisseur nous a permis de résister à la crise. La question se pose cependant pour l'année 2021, puisque les recettes du CNC sont elles-mêmes en déficit en l'absence d'activité. Les aides, en tout état de cause, ne suffiront pas.

Les films américains ne sont plus distribués, de leur côté, parce que les cinémas sont fermés dans les grandes villes des côtes est et ouest des États-Unis. La diffusion sur les plateformes, quant à elle, reste une exception. La plupart des blockbusters américains seront distribués en salle après la crise. Seule l'exploitation en salle permet en effet d'amortir le coût de production de ces films.

Les distributeurs français, pour leur part, se sont montrés extrêmement volontaristes grâce à l'appui des pouvoirs publics au cours des semaines écoulées. Ils retireront cependant évidemment leurs films si les salles referment.

S'agissant de la chronologie des médias, les plateformes ont leur place dans l'écosystème. Les nouveaux modèles de diffusion se sont multipliés au cours des décennies écoulées. Pas un d'entre eux n'a tué le cinéma. En 2019, nous avons notamment retrouvé pour la première fois le niveau de fréquentation des années 1960, avant l'apparition de l'ensemble des nouveaux médias. Les plateformes ont donc toute leur place, sous réserve de prendre les mêmes engagements que les télévisions dans des créneaux de chronologie des médias identiques. La difficulté est de définir des assiettes d'obligations identifiables, contrôlables et qui ne soient pas déclaratives puisqu'aujourd'hui, nous ne connaissons rien du chiffre d'affaires de ces plateformes. Cet exercice de transparence est indispensable pour que les plateformes contribuent à la production.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je souscris aux propos des rapporteurs sur la forte préoccupation qui nous habite à la veille d'annonces dont nous espérons qu'elles ne seront pas fatidiques.

J'ai un regret. Quand notre commission a travaillé sur la crise sanitaire, elle avait formulé un certain nombre d'exigences en termes de prévisibilité à donner aux acteurs du secteur. Chaque mesure prise devait l'être avec anticipation pour permettre aux acteurs de s'organiser. La programmation dans le milieu du spectacle vivant, en particulier, est difficile à construire. Je note que d'autres pays ont mieux anticipé que la France. Nous avons peut-être pêché par optimisme à la rentrée.

Vos salles étaient pourtant sécurisées. Aucun cluster n'y a été détecté. Nous ne pouvons que vous féliciter pour votre réactivité au jour le jour et votre adaptabilité.

Ma préoccupation concerne la façon dont l'écosystème peut résister. Par exemple, les recettes du CNC s'effondreront rapidement. Le report et le décalage de la transposition des directives SMA sont encore plus préoccupants. L'argent pouvait rentrer. La perspective d'engranger ces montants est cependant reportée sine die . Je comprends par conséquent la forte préoccupation du secteur. Je rappelle que nous nous étions mobilisés pour accepter le principe des ordonnances pour autant que certaines mesures soient prises en compte. Je pense que, sur le sujet, nous devons remonter au créneau. Simultanément, en effet, les plateformes, de leur côté, bénéficient de la crise, s'enrichissent, ne paient toujours pas d'impôts et bafouent les règles de la concurrence, quand la directive n'est pas appliquée.

Je souhaite vous poser une question pour conclure. Les plans de relance s'opèrent avec les régions. Comment appréhendez-vous les actions mises en oeuvre par les régions ? Pensez-vous que l'articulation entre le ministère et les collectivités territoriales est efficace ?

M. Jean-Raymond Hugonet . - Nous partageons les constats des personnes auditionnées aujourd'hui. Nous sommes à vos côtés. Soyez-en persuadés. Je retrouve même aujourd'hui certains des sujets que nous avions abordés lors d'auditions qui se sont tenues au début de la crise. Par exemple, le Pass culture est une singerie coûteuse. Nous sommes donc parfaitement conscients, comme vous, de l'état de la situation.

Cela étant, avant la crise sanitaire, nous étions dans une situation financière critique. Aujourd'hui, l'État a dépensé 700 milliards d'euros supplémentaires. Nous avons le sentiment que l'argent coule à flots. Nous avons le sentiment d'un amateurisme catastrophique dans un secteur particulièrement professionnalisé.

À mon sens, comme indiqué précédemment, les deux thématiques parmi les plus préoccupantes concernent la diversité culturelle et les PGE. La France, avec les PGE, s'est certes montrée extrêmement réactive. En revanche, le remboursement des prêts sera à redouter si le Président de la République prend des décisions radicales dans les jours qui viennent. Des pans entiers de l'activité seront menacés.

La santé des Français est primordiale. Les Français doivent cependant vivre. Or ils ne peuvent pas vivre sans culture, terrés à leur domicile. Nous en sommes conscients. Simplement, la ligne de crête est extrêmement difficile à atteindre. En termes budgétaires, en particulier, nous sommes pris d'un vertige lorsque nous pensons aux centaines de milliards d'euros de dettes transmis à nos enfants et petits-enfants. Comptez sur nous cependant pour nous faire entendre.

Mme Laure Darcos . - Je souhaite évoquer, pour ma part, la décision de la Cour européenne de justice concernant les OGC, notamment l'ADAMI et la SPEDIDAM, dont le soutien financier aux spectacles sera amoindri. Comment agir vis-à-vis de ces partenaires historiques ?

(...)

M. Marc-Olivier Sebbag . - Sur la question des régions, les salles de cinéma ne font pas l'objet d'une politique continue sur l'ensemble du territoire. Dans certaines régions, des initiatives majeures sont prises ; dans d'autres régions, ce n'est pas le cas.

La question se pose en outre du rapport entre les banques et les reports de crédit. Les acteurs du cinéma investissent de façon continuelle dans la rénovation et la création de nouvelles salles. Ils sont généralement endettés. Pendant la période, les exploitants ont négocié des reports de crédits avec leurs banques. Or les taux d'intérêt intercalaires pour rémunérer ces reports sont extrêmement élevés. La poursuite du dispositif présente ainsi un coût exorbitant pour la plupart des entreprises. Nous prévoyons de saisir le médiateur du crédit. Nous avons tenu des réunions avec les acteurs financiers du secteur. Il nous semble cependant nécessaire de remettre à plat la situation.

Enfin, il est indispensable que les plateformes soient soumises à une contribution en faveur du cinéma et de la musique. Les plateformes doivent devenir des actrices du financement, et ne plus être seulement des profiteuses de notre richesse culturelle.


* 1 Voir à ce propos le rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2020 de Françoise Laborde : https://www.senat.fr/rap/a19-145-43/a19-145-43.html

* 2 Par exemple, dans le rapport de Catherine Morin-Desailly en 2017 consacré à la chronologie des médias - https://www.senat.fr/rap/r16-688/r16-6881.pdf , ainsi que dans les rapports pour avis successifs de Françoise Laborde.

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