B. UN NOUVEAU RETARD POTENTIELLEMENT DANGEREUX

La crise sanitaire a retardé l'adoption du projet de loi, déjà inscrit tardivement à l'ordre du jour, ce que la commission avait d'ailleurs regretté.

La crise a cependant encore renforcé l'urgence qui s'attache à la transposition, à deux égards :

- l'usage des plateformes de partage de vidéos s'est encore renforcé auprès du grand public, rendant d'autant plus nécessaire leur régulation aux fins de protection des publics, notamment les plus jeunes ;

- la part de marché des services de médias audiovisuels ciblant la France s'est accrue pendant cette période, justifiant d'autant plus que le financement de la création repose sur ceux qui en profitent .

Le 8 juillet 2020, le Sénat a accepté, ce qui constituait au demeurant une entorse à sa vision très réticente envers les ordonnances, un amendement gouvernemental au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DADDUE), habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi permettant de transposer la directive SMA et de procéder aux mesures d'adaptation qui en découlent. L'échec de la commission mixte paritaire a cependant retardé encore une fois l'adoption de ces mesures.

Le projet d'ordonnance et les dispositions règlementaires qui en découlent sont actuellement rédigés par le Gouvernement, en cas d'adoption du projet de loi d'habilitation, en temps utile pour une entrée en vigueur au début de l'année 2021 .

Dans le cadre de ce nouveau dispositif, le principe d'obligations séparées pour le cinéma et l'audiovisuel serait maintenu. Face à la diminution massive (- 20 % en 6 ans) des investissements des diffuseurs, un tel dispositif est en effet indispensable pour garantir l'équilibre, notamment, entre soutien au cinéma et aux séries . Un « couloir » spécifique au cinéma est donc prévu pour les chaînes comme pour les plateformes. Cette règle permettra de réduire le risque d'un effet d'éviction, dans les investissements des diffuseurs, au détriment du cinéma et au profit des seules séries.

C. LA SITUATION DIFFÉRENCIÉE DES PLATEFORMES

Les négociations sont actuellement en cours avec la profession sur le projet de décret-cadre. Le rapporteur pour avis n'en sous-estime pas la difficulté, tant les acteurs ont des intérêts divergents à faire valoir.

Il convient à ce propos de distinguer les différentes plateformes, qui présentent toutes des modèles économiques différents.

D'un côté, les plateformes comme Netflix sont des acteurs à part entière de la production. Si on peut estimer que les relations qu'ils entretiennent avec les producteurs peuvent évoluer, marquées par le modèle anglo-saxon du « forfait », la base de calcul de leurs obligations est relativement simple à établir, et elles peuvent trouver un intérêt à diversifier leur catalogue. Au passage, le rapporteur pour avis note que Netflix a rendu possible la diffusion à l'échelle mondiale d'oeuvres du monde entier, avec les succès par exemple de séries espagnoles ou brésiliennes.

D'un autre côté, les plateformes comme Amazon Prime ou Apple reposent sur des modèles très différents. Dans le premier cas, l'abonnement est offert aux clients « Prime », et n'est donc qu'un produit d'appel, destiné, selon les mots mêmes du propriétaire, « à vendre des chaussures ». Apple, pour sa part, lie l'abonnement à l'achat d'un appareil de la marque. Disney + se retrouve dans une position intermédiaire, comme part d'une entreprise entièrement vouée au divertissement, mais qui ne diffuse que ses oeuvres sur sa plateforme.

Il faut enfin tenir compte des intérêts parfois divergents des financeurs du cinéma et de l'audiovisuel français , comme Canal Plus, qui ne souhaite pas que sa position relative se dégrade et estime que ses obligations de financement sont dorénavant trop importantes. Tel est le sens de la modification obtenue par le Sénat sur l'amendement portant habilitation à légiférer par ordonnance en juillet, qui souhaitait que les différents acteurs soient traités avec « équité ».

Les mois à venir seront donc cruciaux dans l'établissement d'un nouveau modèle de financement de la création française et européenne . La commission, qui a déjà abordé ce sujet à de multiples reprises 2 ( * ) , suivra ce sujet avec une grande attention et souhaite être associée à la définition d'un équilibre auquel elle n'a pu participer faute de débat en séance publique sur le projet de loi audiovisuel.


* 2 Par exemple, dans le rapport de Catherine Morin-Desailly en 2017 consacré à la chronologie des médias - https://www.senat.fr/rap/r16-688/r16-6881.pdf , ainsi que dans les rapports pour avis successifs de Françoise Laborde.

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