EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 25 novembre 2020, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de M. Olivier Henno sur le projet de loi de finances pour 2021 (programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »).

M. Olivier Henno , rapporteur pour avis de la mission « Cohésion des territoires », programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » . - Permettez-moi tout d'abord d'avoir une pensée amicale pour le sénateur Morisset, qui m'a précédé pour présenter le programme 177.

Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires » a été profondément marqué cette année par la crise sanitaire, pour mettre à l'abri les personnes vulnérables. En effet, ce programme finance principalement des structures d'hébergement d'urgence et des dispositifs de logement adapté, afin de répondre aux demandes d'hébergement des personnes en détresse et d'accompagner les plus précaires vers l'accès au logement.

La crise sanitaire est intervenue dans un contexte de sous-budgétisation chronique de la politique de l'hébergement d'urgence malgré la progression continue des moyens qui lui sont alloués. Les crédits du programme ont augmenté de 45 % en cinq ans et ont atteint 2,1 milliards d'euros en 2019. Ils permettent de financer un parc d'hébergement dont les capacités ont doublé en six ans pour atteindre 157 000 places fin 2019.

C'est dans ce contexte de tension sur l'offre d'accueil que le Gouvernement a décidé, face à la crise, d'accroître significativement les capacités d'hébergement d'urgence, afin de limiter au maximum le nombre de personnes à la rue à partir du premier confinement et de réduire la densité d'occupation des centres d'hébergement, pour respecter les distanciations sociales.

Ainsi, 35 000 places supplémentaires en hébergement d'urgence ont été ouvertes au plus fort de la crise, au printemps dernier, portant les capacités d'accueil à un total de 180 000 places, parmi lesquelles 14 000 places temporaires ouvertes pour l'hiver qui ont été prolongées. S'y sont ajoutées 17 000 places à l'hôtel ou dans des locaux mis à disposition à titre exceptionnel et 3 600 places dans des centres d'hébergement spécialisés pour accueillir les malades de la covid-19. Ces centres spécialisés ont permis de prendre en charge, avec un suivi médical, les personnes sans domicile qui avaient développé une forme peu grave de la maladie lorsqu'elles ne pouvaient être isolées dans un centre d'hébergement. Le taux d'occupation de ces places spécialisées a finalement été assez faible, de 10 % en moyenne de mi-mars à mi-août, même si quelques situations de saturation se sont présentées ponctuellement. Les capacités de ces centres spécialisés ont été réduites à 757 places à la fin du mois d'août.

En matière de veille sociale, deux dispositifs exceptionnels ont été mis en place pour accompagner les plus vulnérables. D'une part, des équipes mobiles sanitaires ont été déployées dans chaque département par les agences régionales de santé (ARS). Elles ont permis d'assurer un suivi des malades en ambulatoire dans les centres d'hébergement, d'aller vers le public à la rue et de sensibiliser le personnel aux consignes sanitaires.

En rapprochant les secteurs sanitaire et social, ces équipes se sont révélées d'une grande utilité dans le champ de l'hébergement d'urgence, qui accueille un public très vulnérable. C'est la raison pour laquelle il est prévu, dans le cadre des mesures issues du Ségur de la santé, de mettre en place des équipes mobiles « santé précarité » coordonnées par les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), qui gèrent les demandes et les orientations en matière d'hébergement, et financées par l'assurance maladie.

En outre, l'État a procédé à la distribution de chèques services par l'intermédiaire d'associations, afin que les plus vulnérables puissent acheter des produits alimentaires et de première nécessité. D'une valeur unitaire de 3,50 euros, ces chèques ont bénéficié à 90 000 personnes grâce à cinq vagues de distribution depuis le début du premier confinement, ce qui a représenté une dépense de 27,3 millions d'euros.

Cette situation de crise a bouleversé les acteurs du secteur de l'hébergement. Ils ont dû faire face à l'arrivée de nouveaux types de publics tels que des jeunes, des indépendants, des artisans ou encore des familles monoparentales en difficulté. Les associations ont constaté une hausse croissante de la demande d'aide alimentaire, car le confinement ne permettait plus la mendicité ou les dons informels de repas, notamment des restaurants. Néanmoins, les demandes d'hébergement formulées au 115 ont été considérablement réduites, de 50 % à 70 % en moyenne grâce à la hausse du nombre de places et à l'arrêt de la rotation du public pour respecter les consignes sanitaires.

Par ailleurs, les conditions de travail des acteurs de l'hébergement ont été fragilisées par le manque de matériel de protection individuelle pendant plusieurs semaines avant que ne s'organisent des commandes groupées en liaison avec l'État. Ceux-ci ont aussi dû faire face à la baisse significative du nombre de bénévoles qui participent aux activités de veille sociale. L'État a ainsi décidé de financer les surcoûts liés à la crise pour les structures d'hébergement s'agissant de l'acquisition d'équipements de protection et des dépenses supplémentaires de personnel. L'État compense également, par des crédits du programme 177 à hauteur de 20 millions d'euros pour 2020, le versement d'une prime de 1 000 euros au personnel du secteur de l'hébergement.

Ces mesures exceptionnelles ont conduit à un besoin de financement inédit pour les dispositifs d'hébergement d'urgence et d'insertion. Alors que la loi de finances initiale (LFI) avait ouvert des crédits à hauteur de 1,99 milliard d'euros pour 2020, nous pouvons estimer que l'exécution budgétaire avoisinera les 2,44 milliards d'euros cette année. Deux des quatre lois de finances rectificatives (LFR) pour 2020 ont autorisé l'ouverture de crédits supplémentaires pour un montant cumulé de 449 millions d'euros, afin de faire face à ces besoins de financement.

Pour 2021, il est prévu d'ouvrir 2,2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) pour le programme, soit une hausse de 10,5 % par rapport à la loi de finances pour 2020. Cette enveloppe, en hausse significative, risque toutefois d'être de nouveau insuffisante, étant bien inférieure au montant de crédits ouverts pour cette année.

En outre, la mission « Plan de relance » du PLF prévoit de consacrer 100 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) aux dispositifs d'hébergement. Ce soutien est bienvenu, même si nous pouvons regretter que ces moyens ne figurent pas au sein même du programme 177, alors qu'ils ne relèvent pas vraiment de dispositifs de relance économique et qu'ils pourront être redéployés à la faveur des besoins de financement d'autres programmes du plan de relance.

La budgétisation pour 2021 est relativement incertaine, car les besoins de financement des dispositifs d'hébergement dépendront largement de l'évolution de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales. Je souhaiterais m'arrêter sur trois principaux enjeux auxquels devra faire face le secteur de l'hébergement dans les mois à venir.

Le premier est celui de la réponse à apporter aux demandes d'hébergement, qui pourraient continuer de croître face à la recrudescence attendue des situations de précarité. Le Gouvernement a déjà décidé de pérenniser 14 000 des 35 000 places temporaires ouvertes depuis le début de la crise à l'horizon de 2021, dont 10 000 places en hébergement généraliste, 1 000 places pour l'hébergement de femmes victimes de violences et 3 000 places en intermédiation locative. En outre, la ministre chargée du logement a décidé d'avancer la campagne hivernale au 18 octobre, au lieu du 1 er novembre, afin de relancer l'ouverture de places temporaires. Ces mesures auront un coût dont le montant dépendra de l'ampleur de la crise.

Le deuxième enjeu est celui de la poursuite du développement du logement adapté, qui a été fortement ralenti par la crise sanitaire. Dans le cadre du plan gouvernemental pour le « Logement d'abord », il est prévu de créer, entre 2017 et 2022, 10 000 places supplémentaires en pensions de famille et 40 000 places en intermédiation locative, afin d'améliorer l'insertion vers le logement et de mieux cantonner les places d'hébergement aux besoins de l'urgence.

Si cette dynamique a bien été enclenchée, les objectifs fixés risquent de ne pas être atteints. Pour les pensions de famille, 3 770 places ont été ouvertes entre 2017 et 2019. Alors que l'objectif était d'en ouvrir 2 000 supplémentaires en 2020, seulement 82 places ont pu être ouvertes sur les six premiers mois de cette année du fait de la crise sanitaire. Il faut donc que le développement de ces places soit relancé en 2021. L'augmentation de plus de 22 % des crédits qui y sont consacrés, ainsi que la hausse du forfait à la place pour les pensions de famille, qui passera de 16 à 18 euros par jour, devrait y contribuer.

Le troisième point d'attention concerne le pilotage et le financement des structures d'hébergement d'urgence. D'importants chantiers sont engagés afin de rationaliser le parc, mais ils ont été ralentis cette année par la crise. Ils portent, pour les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, sur la conclusion obligatoire de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) à l'horizon de 2022 et sur la convergence tarifaire de ces établissements pour harmoniser leur financement. Cette démarche, qui devait permettre de réaliser 5,1 millions d'euros d'économies en 2020, a été suspendue et les conclusions des contrats souvent reportées. La transformation de places d'urgence du statut de la déclaration, sous subventions, au statut de l'autorisation, sous dotations, doit aussi être poursuivie pour améliorer leur pilotage.

Enfin, les outils mis à la disposition des SIAO pour coordonner l'offre et la demande d'hébergement sont en cours d'évolution. Un nouveau système d'information leur a été livré en septembre par l'État, mais celui-ci a connu de graves dysfonctionnements qui ont perturbé le fonctionnement des acteurs de l'hébergement pendant plusieurs semaines. Il est impératif que ces acteurs bénéficient d'une meilleure connaissance des publics, notamment de ceux qui sont en situation administrative précaire, et puissent renforcer leur capacité d'orientation vers le logement social. Ces travaux sont en cours et ils doivent, selon moi, être mis en oeuvre rapidement pour améliorer l'accompagnement et l'insertion du public.

La poursuite de ces chantiers sera bien entendu soumise à l'évolution de la crise et ce contexte complique la budgétisation de ce programme qui, par nature, répond à des situations d'urgence. Il est néanmoins essentiel de poursuivre, malgré la crise, ces travaux de transformation du secteur de l'hébergement. Ils sont la condition d'une meilleure insertion vers le logement et d'un pilotage plus efficient de l'hébergement d'urgence afin de limiter sa progression constante et pour qu'il réponde effectivement aux situations de détresse.

Au regard des efforts considérables déployés par les acteurs de l'hébergement et des moyens engagés par l'État pour répondre aux besoins depuis le début de la crise et pour l'année à venir, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits qui sont soumis à votre examen.

M. Philippe Mouiller . - Je félicite tout d'abord le rapporteur pour la présentation de son premier rapport ; la continuité est assurée.

Les créations de places qui sont évoquées peuvent faire l'objet d'une triple lecture : d'abord, les places annoncées, puis les places ouvertes et enfin les places réellement créées. Parmi les 35 000 places temporaires, combien ont été réellement ouvertes ?

Par ailleurs, la Cour des comptes a souvent rappelé l'importance des coûts dans le domaine de l'hôtellerie, dans le cadre de l'hébergement d'urgence. Des programmes de construction et de réhabilitation ont été mis en place en parallèle. Où en sommes-nous des préconisations évoquées par la Cour des comptes visant à proposer des hébergements plus pérennes ?

Concernant les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, la convergence tarifaire a certes vocation à améliorer la gestion et la lisibilité, mais elle crée aussi un certain nombre de perturbations, notamment au regard des territoires - le coût de l'immobilier n'est pas le même en région parisienne qu'en province.

S'agissant de la mise en place de ces CPOM, et malgré la crise sanitaire, avez-vous eu un retour sur leur impact direct sur les structures ? De mon côté, j'ai des informations sur des fragilisations, voire des fermetures de structures.

M. Daniel Chasseing . - Je voudrais également féliciter le rapporteur pour son rapport complet, qui montre combien l'occupation des places spécialisées a été très faible. Il démontre aussi pourquoi nous n'avons pas pu isoler les cas contacts, les personnes éventuellement contaminées n'ayant pas accepté d'être hébergées.

Mme Élisabeth Doineau . - Je m'associe aux remerciements de mes collègues, j'ai lu avec beaucoup d'attention ce rapport, très en prise avec la situation que nous traversons.

En Mayenne, les réponses ont été assez rapides en matière de volume de propositions d'hébergement, pour les personnes en difficulté et l'accompagnement a été relativement important.

Nous devons maintenant nous interroger sur la suite : comment pouvons-nous mettre en adéquation le besoin et l'offre dans nos départements, en temps normal ? La crise sanitaire a démontré, malheureusement, qu'il était possible d'héberger les personnes en difficulté. Mais l'accompagnement de ces publics reste la grande difficulté. Comment les accompagner vers la sortie de l'hébergement d'urgence ? Il me semble que les associations manquent de moyens en termes de ressources humaines pour accompagner pleinement ces publics.

Je salue donc l'effort réalisé en matière d'hébergement, mais nous devons aussi penser à financer les associations qui accompagnent ces publics, afin qu'ils ne soient, demain, pas plus nombreux.

M. Olivier Henno , rapporteur pour avis . - S'agissant des 35 000 places annoncées, elles ont bien été ouvertes.

Le recours aux nuitées d'hôtel est effectivement le point noir de ce programme et de nombreuses personnes sont hébergées dans des hôtels et des hébergements d'urgence pour de longues durées.

Je pense cependant que les élections municipales, auxquelles s'est ajoutée la crise sanitaire, ont ralenti la mise en oeuvre de certains projets.

Concernant les CPOM, nous n'avons pas suffisamment de recul car leur généralisation, prévu par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN), est en cours de mise en oeuvre.

Par ailleurs, il est très juste de dire que nous avons éprouvé des difficultés à isoler, dans des centres spécialisés covid-19, des sans-abri contaminés. Cela peut-il expliquer en partie la seconde vague ? Difficile à dire, mais force est de reconnaître que peu de places ouvertes ont été occupées.

Enfin, l'État a effectivement mis les moyens qu'il fallait dans l'hébergement d'urgence durant la crise. Mais les associations ont toutes évoqué le manque d'accompagnement. D'autant que la crise sanitaire a entraîné une crise du bénévolat, un certain nombre de personnes âgées n'ayant pas pu s'engager de façon aussi forte que d'habitude. Le point positif de cette crise, c'est qu'elle a mis en exergue l'engagement de nouveaux bénévoles, notamment pour la distribution de denrées alimentaires.

Mme Monique Lubin . - Je note une certaine dichotomie entre ce qui est indiqué publiquement et ce qui est effectué. Une des deux plus grosses communes de mon département a divisé par deux une subvention versée à la Maison du logement, qui a vocation à accueillir les personnes vivant dans la rue, les jeunes en difficulté, les femmes victimes de violence, sous prétexte que l'association disposait de quatre mois de fonds propres.

Ce n'est peut-être qu'un exemple, mais je suis sûre qu'en cherchant un peu nous allons en trouver d'autres. Les discours sont là, mais accueillir ces personnes chez soi, finalement ce n'est pas très joli, et nous préférons balayer la poussière sous le tapis.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».

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