EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 25 novembre 2020, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 152 - Gendarmerie nationale - de la mission « Sécurités ».

M. Philippe Paul, co-rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, si on additionne la loi de finances rectificative, le présent PLF et le plan de relance, la gendarmerie va pouvoir acquérir au total près de 6 000 véhicules, dont 48 véhicules blindés, ainsi que dix hélicoptères H-160. C'est donc un renouvellement sans précédent des moyens mobiles des gendarmes.

L'immobilier est un sujet plus important encore. Il constitue peut-être la première préoccupation des gendarmes aujourd'hui. En 2021, le PLF prévoit seulement 95 millions d'euros pour les investissements, contre 95 millions d'euros en 2020.

Toutefois, ces crédits devraient être complétés par ceux du plan de relance à hauteur de 440 millions d'euros pour la rénovation énergétique des bâtiments, par le biais d'appels à projets France relance. Environ 500 projets ont ainsi été proposés par la DGGN.

Toutefois, je voudrais faire trois remarques.

À ce stade, nous ne savons pas quel sera le nombre de projets effectivement retenus ni la somme totale qui sera engagée. Les projets doivent en principe être livrés dans les deux ans, ce qui sera trop court pour certains projets complexes.

Surtout, cette opération et ponctuelle : comme les années précédentes, il n'y a pas de visibilité à moyen et long terme pour l'immobilier de la gendarmerie. Le nouveau Livre blanc sur la sécurité intérieure, publié le 16 novembre 2020, ne fait que reprendre le constat habituel en indiquant qu'il est nécessaire de mettre à niveau les crédits consacrés à l'entretien du parc, très inférieurs aux niveaux nécessaires pour éviter la dégradation des bâtiments.

Ce serait en effet une somme d'environ 300 millions d'euros qu'il serait nécessaire de dégager chaque année. Sans une programmation financière pluriannuelle réalisée à partir d'un état des lieux de l'ensemble des besoins, il est à craindre que l'ambition de remettre à niveau le parc reste donc lettre morte.

Or le futur projet de loi sur la sécurité intérieure, qui pourrait comporter une telle programmation, n'est annoncé que pour 2022.

Au total, 2021 sera donc une bonne année pour l'immobilier de la gendarmerie, mais rien n'est encore acquis pour le retour à une situation normale à moyen et long termes.

En second lieu, la réserve opérationnelle est devenue essentielle à la gendarmerie nationale, que ce soit durant la période estivale dans les zones d'influences saisonnières, lors de certains grands événements nationaux - tour de France cycliste, Euro 2016, etc. -, mais aussi dans la lutte contre l'immigration illégale.

Or il y a une constante contradiction entre les priorités affichées et les données budgétaires : d'un côté, l'importance du rôle de la réserve est reconnue par tous. On évoque le passage de 30 000 à 40 000 voire 50 000 réservistes dans la perspective de l'empilement des missions à l'horizon 2024 : coupe du monde de rugby en 2023 et Jeux olympiques de 2024. D'un autre côté, les crédits stagnent à 70 millions d'euros, alors qu'ils étaient de près de 100 millions d'euros il y a deux ans.

Le manque de crédits retarde l'emploi des réservistes déjà recrutés, et certains ne sont plus disponibles lorsqu'il est fait appel à eux. Dès lors, il est impératif d'assurer une remontée en puissance des crédits de la réserve opérationnelle et d'offrir à celle-ci une visibilité à moyen-long terme. Pour cela, il est nécessaire de sanctuariser son financement au sein de la future loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure.

Sous réserve de ces remarques, et compte tenu de l'important effort d'investissement accompli cette année, notamment pour les véhicules, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits du programme « Gendarmerie nationale ».

Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - Je partage à la fois la satisfaction de mon collègue Philippe Paul sur l'augmentation des effectifs et des crédits d'investissement de la gendarmerie, mais aussi toute son inquiétude sur l'absence de visibilité pour les prochaines années. Nous voyons bien que nous restons dans une logique de remise à niveau ponctuelle qui n'est pas soutenable à long terme.

Je voudrais pour ma part d'abord évoquer la question du maillage territorial de la gendarmerie nationale. Le ministre de l'intérieur a déclaré, le 16 novembre dernier, à l'occasion de la publication du Livre blanc sur la sécurité, qu'il était nécessaire de revoir la répartition géographique police-gendarmerie. Le Livre blanc précise qu'il s'agit essentiellement d'adapter la répartition des forces en zone périurbaine en fonction de la nature des problèmes rencontrés et non plus seulement en fonction des seules données quantitatives que sont la population et les statistiques de la délinquance.

Par ailleurs, les départements ruraux qui ne comptent aucune agglomération importante pourraient passer intégralement en zone gendarmerie. Même si le directeur général de la gendarmerie nationale nous a assurés la semaine dernière qu'il n'y avait pas de projet de fermeture systématique de brigades, je pense qu'il est nécessaire d'observer la plus grande prudence vis-à-vis de ce genre de réforme.

Premièrement, elle supposerait la consultation préalable des élus locaux concernés afin de bénéficier de leur connaissance des caractéristiques de la délinquance sur leur territoire et des besoins de sa population.

Deuxièmement, il faut se rappeler que l'implantation territoriale de la gendarmerie a déjà évolué au cours des dernières années, notamment dans le cadre de la révision générale des politiques publiques entre 2008 et 2012, avec la fermeture de nombreuses casernes.

Or ces évolutions ont parfois remis en cause une adaptation fine aux réalités de la délinquance, obtenue grâce à un travail accompli sur de longues années. C'est notamment le cas lorsque des brigades de gendarmerie ont laissé la place à la police dans des zones périurbaines.

Au total, je crois qu'il faut donc que nous fassions preuve d'une grande vigilance pour éviter toute future dégradation du service rendu en matière de sécurité.

Le deuxième sujet que je voudrais aborder concerne les problèmes d'à-coups budgétaires, particulièrement dommageables dans la gendarmerie.

C'est le cas pour la réserve opérationnelle, déjà évoquée par Philippe Paul. Les crédits de la réserve constituent trop souvent une variable d'ajustement en cas de tensions sur la masse salariale, au risque de décourager les réservistes et de se priver de la cible que constituent les jeunes étudiants, seulement libres en période de vacances scolaires. Lorsque les crédits sont débloqués, ces étudiants ont trouvé un travail dans des hypermarchés ou des supermarchés faute d'avoir pu être recrutés à la période voulue.

Surtout, chaque année, la mise en réserve de 4 % des crédits du hors titre et le surgel ministériel de 1 % perturbent gravement l'exécution budgétaire.

En 2020, et de manière exceptionnelle, la réserve a certes été dégelée pour faire face aux conséquences de la crise du coronavirus. Celle-ci y a engendré un surcoût de 30 millions d'euros, dont 21 millions d'euros pour les équipements.

Toutefois, en temps normal, ce gel des crédits a de graves conséquences. En effet près de deux tiers des dépenses de la gendarmerie sont obligatoires, avec notamment un montant massif de loyer. Dès lors, le taux de mise en réserve sur les dépenses manoeuvrables est en réalité de 11 %.

À l'issue de sa rencontre avec le conseil de formation militaire de la gendarmerie nationale, le ministre de l'intérieur a annoncé qu'il s'engageait à solliciter à ce sujet le ministre délégué aux comptes publics.

À ce jour, nous n'avons pas d'écho sur les éventuels résultats de cette démarche, mais il serait souhaitable que cette situation évolue enfin.

Je m'associe à la conclusion de Philippe Paul. Je suis, sous réserve et avec vigilance, favorable à l'adoption de ces crédits, sachant que nous n'avons pas la visibilité voulue. À mon sens, nous nous devons donc d'être prudents pour les années à venir.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 152 « Gendarmerie nationale » de la missions « sécurités ».

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