Avis n° 146 (2019-2020) de M. Alain MARC , fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 novembre 2019

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N° 146

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2019

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2020 ,

TOME VII

ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Par M. Alain MARC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas, président ; MM. François?Noël Buffet, Jean?Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre?Yves Collombat, Alain Marc, vice?présidents ; M. Christophe?André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier, secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François BonhoMme , Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc?Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache?Brinio, MM. Jean?Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie?Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean?Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 2272 , 2291 , 2292 , 2298 , 2301 à 2306 , 2365 , 2368 et T.A. 348

Sénat : 139 et 140 à 146 (2019-2020)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir entendu Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, le mardi 26 novembre 2019 1 ( * ) , la commission des lois, réunie le mercredi 27 novembre 2019 sous la présidence de Philippe Bas, président , a examiné, sur le rapport pour avis d' Alain Marc , les crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2020 2 ( * ) .

À périmètre constant, les crédits de paiement alloués à ce programme augmentent de 5,6 % en 2020, ce qui devrait permettre de financer la création d'un millier d'emplois et de poursuivre le programme de construction de 15 000 nouvelles places de prison, qui doivent être livrées d'ici à la fin de l'année 2027.

Cette augmentation reste cependant inférieure à celle qui aurait dû être constatée si la trajectoire budgétaire arrêtée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, en date du 23 mars 2019, avait été respectée. Cette incapacité du Gouvernement à se conformer, dès la première année, à la trajectoire qu'il avait lui-même proposée, alors que les besoins sont immenses, constitue pour votre rapporteur un signal politique tout-à-fait inopportun.

Les créations d'emplois vont d'abord servir à combler les nombreuses vacances de postes constatées chez les surveillants pénitentiaires. Elles permettront aussi de renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), de doter en personnel les nouveaux établissements pénitentiaires et d'achever la montée en puissance du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP).

Compte tenu du nombre élevé de personnes placées sous main de justice et de sous-effectifs chroniques, elles ne paraissent cependant pas suffisantes pour améliorer de façon déterminante les conditions de travail des personnels. La question de l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire reste également posée face à des besoins de recrutement qui s'inscrivent à un niveau élevé.

Les crédits consacrés au programme immobilier vont surtout servir à financer la construction de la première tranche de 7 000 places de prisons qui doit être livrée avant la fin de l'année 2022. L'objectif est de réduire la surpopulation carcérale dans les maisons d'arrêt et d'ouvrir seize nouvelles structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), destinées à favoriser la réinsertion des détenus. La plupart des chantiers sont confiés à l'agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), qui fait face à la difficulté de trouver les terrains et de recruter des professionnels qualifiés.

La commission porte un regard positif sur la décision de créer une agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP), considérant que le travail et la formation professionnelle sont des leviers essentiels pour la réinsertion des personnes qui ont connu un parcours de délinquance. De même, le lancement d'une feuille de route « santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022 » est une initiative intéressante qui pourrait apporter une réponse aux nombreux problèmes rencontrés sur le terrain, notamment dans le domaine de la santé mentale.

Malgré ces avancées, le projet de budget n'apparaît pas à la hauteur des enjeux et le volontarisme affiché se révèle souvent en trompe l'oeil, un grand nombre de places de prisons annoncées pour 2022 résultant en réalité de la mise en oeuvre de chantiers entamés il y a déjà plusieurs années.

Suivant la proposition de son rapporteur, la commission a donc émis un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » inscrits au projet de loi de finances pour 2020.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Dans un contexte budgétaire contraint, les crédits de la mission « Justice » devraient connaître, en 2020, une progression significative, de 2,7 %, à périmètre constant, pour s'établir à 9,388 milliards d'euros. À l'intérieur de la mission, le programme 107, relatif à l'administration pénitentiaire, qui réunit 42,1 % des crédits, devrait enregistrer une progression encore plus marquée puisque les crédits de paiement demandés dans le projet de loi de finances s'inscrivent, à périmètre constant, en hausse de 5,6 %.

Cette augmentation doit toutefois être analysée à la lumière du retard accumulé au fil des ans - en matière de recrutement, d'entretien du parc immobilier, de construction de nouvelles places de prison, etc. - et d'un niveau d'activité qui reste soutenu puisque le nombre de personnes détenues s'élevait encore à 70 818 au 1 er octobre 2019, soit un niveau proche de ses plus hauts historiques. Malgré le renforcement des moyens constaté depuis quelques années, la situation demeure donc difficile dans les établissements pénitentiaires, en raison de sous-effectifs chroniques et de l'état du parc immobilier qui demeure sous-dimensionné et mal entretenu.

Quoique significative, cette augmentation reste inférieure à celle prévue par la loi de programmation des finances publiques du 22 janvier 2018 et par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019. Il manque 153 millions d'euros par rapport au montant qui aurait dû revenir à la mission « Justice », cet écart s'expliquant, pour l'essentiel, par le retard pris dans la mise en oeuvre des programmes immobiliers de l'administration pénitentiaire.

La commission des lois avait déjà jugé insuffisante la progression des crédits votée dans les lois de programmation et elle avait déploré l'abandon par le président de la République de sa promesse de construire 15 000 nouvelles places de prison au cours de son mandat. Elle ne peut donc que s'inquiéter de ce nouvel ajustement à la baisse, qui traduit une difficulté à conduire les projets selon le calendrier qui avait été initialement envisagé.

Tout en prenant acte de l'augmentation de moyens alloués à l'administration pénitentiaire, votre commission les juge insuffisants pour répondre à la crise du monde pénitentiaire et a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » inscrits au projet de loi de finances pour 2020.

I. UNE NOUVELLE AUGMENTATION DES MOYENS POUR FAIRE FACE ÀU MANQUE DE PERSONNEL ET DE PLACES DE PRISONS

L'augmentation des crédits consacrés à l'administration pénitentiaire n'apparaît pas suffisante pour améliorer de manière significative l'efficacité de la prise en charge des personnes placées sous main de justice.

A. LA PROGRESSION DES MOYENS DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

1. Un rattrapage indispensable

Le projet de loi de finances initiale pour 2020 prévoit d'allouer l'an prochain 3,056 milliards d'euros à l'administration pénitentiaire, en crédits de paiement, hors contribution au compte d'affectation spéciale « pensions » 3 ( * ) , ce qui correspond à une hausse des crédits de 6,2 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2019.

Si l'on inclut la contribution au CAS « pension », les crédits atteignent un montant de 3,958 milliards d'euros , en hausse de 5,26 % par rapport à 2019, au format courant.

La comparaison se fait plus précise si l'on tient compte du changement de périmètre qui va intervenir en 2020 : la réorganisation du secrétariat du ministère de la justice conduit à transférer 30 équivalents temps plein travaillés (ETPT), et 1 822 700 euros de masse salariale, du programme 107 vers le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice ». Si l'on tient compte de ce changement de périmètre, qui a pour effet de minorer les crédits de l'administration pénitentiaire, l'augmentation des crédits s'établit à 5,6 % , comme cela a été indiqué en introduction.

Cette hausse des crédits prolonge plusieurs années d'augmentation du budget de l'administration pénitentiaire, qui peut s'analyser comme une politique de rattrapage visant à compenser les retards accumulés.

Évolution des crédits du programme « Administration pénitentiaire »

(en %)

Évolution entre 2017 et 2020 (année N/N-1)

à périmètre constant

LFI 2017

LFI 2018

PLF 2019

PLF 2020

+ 4,3 %

+ 2,2 %

+ 5,75 %

+ 5,6 %

Source : commission des lois du Sénat à partir des documents budgétaires

2. La répartition par actions

Les crédits sont répartis en trois actions correspondant aux grandes missions de l'administration pénitentiaire :

- l'action n° 1 « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice » regroupe les dépenses relevant de la garde des personnes détenues , y compris les dépenses liées à la sécurisation du parc immobilier, et du contrôle des personnes placées sous main de justice ;

- l'action n° 2 « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice » retrace certaines dépenses liées au fonctionnement des établissements pénitentiaires (entretien des bâtiments, hébergement et restauration des personnes détenues), mais aussi l'ensemble des crédits dédiés à la réinsertion des personnes placées sous main de justice, en milieu ouvert comme en milieu fermé ;

- enfin, l'action n° 4 rassemble les crédits de fonctionnement de l'administration centrale, des sièges des directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP) et des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), ainsi que les dépenses de formation du personnel.

L'action n° 1 apparaît comme le « coeur de métier » de l'administration pénitentiaire puisqu'elle absorbe, à elle seule, les deux tiers des crédits. En outre, les trois quarts des membres du personnel contribuent à la garde des détenus. Cette fonction est cependant indissociable de la mission de réinsertion, à laquelle les surveillants pénitentiaires contribuent grâce à leurs contacts quotidiens avec les détenus.

En 2019, l'action n° 1 n'avait absorbé que 61 % des crédits. L'évolution constatée semble corroborer le constat fait par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan, entendu par votre rapporteur, d'un accent mis sur la sécurité des établissements, en réaction à certaines évasions spectaculaires ou agressions de surveillants qui se sont produites ces dernières années 4 ( * ) .

La répartition par action des crédits du programme

Source : commission des lois du Sénat à partir des documents budgétaires

Si l'on examine la répartition des dépenses par nature, on constate que la hausse du budget servira principalement à financer deux priorités : l'augmentation des effectifs et la poursuite du programme immobilier visant à accroître le nombre de places de prison.

B. L'AUGMENTATION NÉCESSAIRE DES DÉPENSES DE PERSONNEL

Les crédits consacrés en 2020 aux dépenses de personnel (titre 2) s'élèvent à 2,63 milliards d'euros , en augmentation de près de 99 millions d'euros par rapport à 2019. Ils absorbent les deux tiers des crédits de la mission, le solde étant composé des dépenses de fonctionnement (23 % du total), de dépenses d'investissement (10 %) et, plus marginalement, de dépenses d'intervention.

1. L'accroissement des effectifs

Le plafond d'emplois du programme est fixé en 2020 à 42 461 ETPT , au lieu de 41 511 en 2019, ce qui correspond à une hausse de 2 %. Ce relèvement du plafond permettra la création de 1 000 emplois 5 ( * ) , occasionnant une dépense supplémentaire de 24,6 millions d'euros.

Les créations d'emplois seraient donc plus nombreuses qu'en 2019 (959 créations) et qu'en 2018 (832) ; il faut remonter à 2017 pour retrouver un niveau de création d'emplois supérieur (1 255 créations, en grande partie liées au plan de lutte anti-terroriste). En quatre ans, un peu plus de 4 000 emplois auront ainsi été créés, ce qui constitue un renfort significatif pour une administration de cette taille.

La majorité des créations d'emplois sont affectées à trois priorités, comme cela apparaît dans le tableau ci-dessous : combler les vacances de postes, renforcer les SPIP et accompagner l'ouverture de nouveaux établissements, dans le cadre du programme immobilier qui sera présenté dans la suite de ce rapport.

Répartition des créations d'emplois prévues pour 2020

Combler les vacances de postes des personnels de surveillance

+ 300

Renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation

+ 400

Ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires

+ 159

Déployer les équipes locales de sécurité pénitentiaire

+ 70

Continuer de mettre en place les extractions judiciaires de proximité

+ 50

Consolider les moyens humains du renseignement pénitentiaire

+ 35

Suppressions de postes liées au plan de transformation numérique

- 14

Total

+ 1 000

a) Combler les vacances de postes

Les créations d'emplois annoncées vont d'abord permettre de réduire le nombre de postes vacants, qui avait atteint un niveau élevé ces dernières années, notamment chez les surveillants.

Évolution du taux de vacance des personnels de surveillance

Effectif théorique

Effectif réel

Postes vacants

Taux de vacance

Déc. 2013

25 953

25 041

912

3,5 %

Déc. 2014

25 782

24 583

1 199

4,7 %

Déc. 2015

26 548

24 984

1 564

5,9 %

Déc. 2016

26 997

25 155

1 842

6,8 %

Déc. 2017

28 099

26 245

1 854

6,6 %

Déc. 2018

29 855

27 451

2 404

8,05 %

Sept. 2019

30 318

29 077

1 241

4,09 %

Source : statistiques de l'administration pénitentiaire

Le protocole d'accord conclu en janvier 2018 à la suite du mouvement social qu'a connu l'administration pénitentiaire a fait de la résorption de ces vacances de postes une priorité : une centaine d'embauches ont été effectuées en 2018, 400 en 2019, 300 sont prévues en 2020 et autant en 2021.

En dépit de ces recrutements, le taux de vacance reste supérieur en 2019 à celui constaté au début des années 2010, au détriment des conditions de travail et de la qualité du service rendu par les personnels de l'administration pénitentiaire.

Le taux de vacance particulièrement élevé constaté en fin d'année 2018 présente un caractère en partie conjoncturel : pour mieux gérer le recrutement d'un nombre élevé de surveillants, l'école nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP) a modifié en 2019 le calendrier de leur formation ; désormais, la formation ne dure que six mois (contre huit mois auparavant) et quatre promotions entrent chaque année à l'école (en février, mars, août et septembre).

Cette nouvelle organisation donne plus de régularité au rythme de sortie des élèves stagiaires, ce qui permet de combler plus rapidement les vacances de postes. Elle a cependant eu pour conséquence, pendant une période de transition, de retarder l'arrivée de certaines promotions, qui n'ont pris leurs fonctions qu'au premier semestre 2019, ce qui explique le pic du taux de vacances constaté fin 2018. Il restera à apprécier les conséquences de ce raccourcissement de la scolarité sur le niveau de formation des surveillants débutants.

L'école nationale de l'administration pénitentiaire

Établissement public national placé sous la tutelle du ministère de la justice, l'ENAP assure la formation initiale et continue de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire, répartis en cinq filières (personnels de direction, d'insertion et de probation, d'encadrement et de commandement, de surveillance, administratifs et techniques).

En 2020, elle devrait accueillir une promotion de directeurs des services pénitentiaires, une promotion de directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation, une promotion de lieutenants pénitentiaires, une promotion de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et quatre promotions de surveillants.

Afin d'accueillir dans de meilleures conditions les différentes promotions, un projet d'extension de l'école, basée à Agen, est conduit par l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) pour un coût estimé à soixante millions d'euros. Près de cinq cents chambres seront construites sur le site, d'ici la fin de l'année 2021, pour loger les élèves et des locaux pédagogiques et administratifs pérennes vont être bâtis. Dans l'attente, des locaux modulaires sont mis en service à partir de novembre 2019.

En 2020, l'école disposera d'un budget de 34,2 millions d'euros couvrant les dépenses de fonctionnement et de personnel, avec un plafond d'emplois de 264 ETPT. Le plafond augmente d'un ETPT, qui sera affecté au nouveau département de formation au renseignement pénitentiaire.

b) Renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation

Créés par décret du 13 avril 1999, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) agissent sur mandat de l'autorité judiciaire pour prévenir la récidive, favoriser l'insertion des personnes placées sous main de justice et s'assurer qu'elles se soumettent aux mesures de contrôle et aux obligations qui leur sont imposées.

Leurs méthodes de travail sont régies, depuis 2018, par un référentiel des pratiques opérationnelles énumérant les règles essentielles d'intervention auprès des personnes prises en charge.

Le suivi débute par une phase d'évaluation qui a pour but de déterminer les axes de travail les plus adaptés pour limiter le risque de récidive. Elle est suivie par l'élaboration d'un plan de prise en charge, impliquant plusieurs intervenants (outre les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, des psychologues et des assistantes sociales travaillant au sein des SPIP).

L'intervention du SPIP est enrichie par les partenaires de l'administration pénitentiaire mobilisés en fonction des besoins identifiés (prise en charge sanitaire, formation, recherche d'emploi...).

Le renforcement des moyens des SPIP apparaît d'abord nécessaire afin d'améliorer le suivi des personnes placées sous main de justice. En 2017, le nombre de personnes suivies par chaque CPIP était de 85 ; au 1 er juillet 2019, ce ratio était revenu à 67,1 ; l'objectif est de le ramener à 60 en 2022 6 ( * ) .

Ensuite, la mise en oeuvre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice du 23 mars 2019 devrait entraîner un surcroît de travail pour les SPIP, du fait de l'augmentation envisagée du nombre de personnes prises en charge en milieu ouvert (8 000 selon l'étude d'impact du projet de loi) et de la volonté de renforcer le rôle des SPIP au stade des évaluations présentencielles.

Votre rapporteur a déjà eu l'occasion de faire part de son scepticisme sur les effets attendus de la loi de programmation concernant le nombre de détenus. Il craint que la diminution attendue au profit d'une prise en charge en milieu ouvert ne se révèle optimiste.

L'ampleur des besoins des SPIP justifie cependant, quelle que soit l'évolution précise des effectifs pris en charge en milieu ouvert, une augmentation de leurs moyens. Votre rapporteur est donc favorable aux 400 créations d'emplois prévues en 2020, qui font suite à un effort de recrutement équivalent en 2019, et qui nécessiteront une mise à niveau des moyens immobiliers mis à la disposition des services.

Actuellement, les locaux occupés par les SPIP sont principalement en location, ce qui peut se justifier dans une période d'accroissement des effectifs qui nécessite de rechercher régulièrement des surfaces plus vastes. Une fois les effectifs stabilisés, votre rapporteur estime qu'il pourrait être intéressant d'étudier si l'acquisition de locaux , venant accroître le patrimoine de l'État, ne serait pas à long terme financièrement plus intéressante que l'actuelle politique de location.

2. Des mesures catégorielles destinées à rendre plus attractifs les métiers pénitentiaires

L'augmentation des crédits consacrés aux dépenses de personnel devrait permettre de continuer à financer diverses mesures tendant à améliorer la rémunération des personnels de l'administration pénitentiaire, pour un coût global de 11,7 millions d'euros en 2020.

Certaines mesures, d'un montant estimé à 3,4 millions d'euros l'an prochain, résultent du protocole d'accord conclu le 29 janvier 2018 entre le ministère et le syndicat UFAP-UNSA, qui est la principale organisation chez les surveillants pénitentiaires. La conclusion de cet accord avait permis de mettre un terme au mouvement de grève du début de l'année 2018.

En application de cet accord, l'indemnité pour charges pénitentiaires (ICP) a été revalorisée, de même que la prime de sujétion spéciale (PSS) et que la prime de dimanche et jours fériés.

Le décret n° 2018-1319 du 28 décembre 2018 a, de plus, ouvert aux membres des corps de commandement et des corps d'encadrement et d'application (CEA) de l'administration pénitentiaire le bénéfice de deux dispositifs : une prime de fidélisation, d'un montant de 1 000 euros, versée après trois ans d'exercice des fonctions au sein de l'un des vingt-huit établissements ou services, répertoriés dans une liste, dans lesquels les difficultés de recrutement sont particulièrement importantes ; une prime de fidélisation versée aux lauréats d'un concours national de surveillants à affectation locale, divisée en trois fractions (4 000 euros lors de l'affectation, 1 000 euros après trois années d'exercice des fonctions et 3 000 euros à l'issue de la cinquième année d'exercice).

D'autres mesures, pour un montant de 8,3 millions d'euros en 2020, découlent de la mise en oeuvre du protocole d'accord relatif aux parcours professionnels, aux carrières et aux rémunérations (PPCR) de 2016. Elles consistent en des mesures de revalorisation et de transformation de primes en points d'indice. Le décret n° 2017-1009 du 10 mai 2017 modifiant les statuts particuliers de divers corps de l'administration pénitentiaire a en outre rénové la grille indiciaire des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation, des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation ainsi que des personnels techniques des services déconcentrés.

Votre rapporteur se félicite du montant conséquent consacré à ces mesures catégorielles, sans être certain toutefois qu'elles suffisent à répondre à la crise des vocations que connaissent les métiers pénitentiaires. Les personnes entendues par votre rapporteur ont souligné que les jeunes recrutés dans les corps de direction tendent à les quitter pour se faire embaucher dans les services préfectoraux ou dans la magistrature. Concernant les surveillants, la faible rémunération, surtout au regard du coût du logement pour les fonctionnaires débutants affectés en Ile-de-France, et la difficulté du métier sont à l'origine de difficultés de recrutement qui conduisent à réduire le niveau d'exigence au moment du concours. Il est vraisemblable que des réformes plus structurelles sont requises pour remédier à ces problèmes d'attractivité des métiers.

C. DES CRÉDITS IMMOBILIERS EN FORTE PROGRESSION

Les crédits immobiliers de l'administration pénitentiaire s'inscrivent en forte hausse en 2020, en raison notamment de la mise en oeuvre du programme « 15 000 », qui vise à l'ouverture de 15 000 nouvelles places de prisons à l'horizon 2027. Ils atteignent, en crédits de paiement, un montant de 327,4 millions d'euros , en hausse de 34 % par rapport à 2019.

Au sein de cette enveloppe, 180,6 millions d'euros serviront à financer les opérations de construction confiées à l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ). Établissement public administratif sous tutelle du ministère de la justice et du ministère de l'action et des comptes publics , l'APIJ a pour mission de construire, rénover et réhabiliter les palais de justice, les établissements pénitentiaires, les bâtiments des services de la protection judiciaire de la jeunesse et les écoles de formation du ministère.

Les travaux de dimension plus modeste restent gérés par les services déconcentrés qui disposeront à cette fin d'une enveloppe de 146,8 millions d'euros, consacrée principalement à des opérations de rénovation, entretien et maintenance des établissements existants et à la poursuite de leur mise en accessibilité.

1. La poursuite du programme « 15 000 »

Le programme comprend deux tranches : la livraison de 7 000 places de prison d'ici à la fin de l'année 2022 ; pour les 8 000 autres places, le Gouvernement s'est engagé à ce que les procédures débutent avant la fin de 2022, afin que ces places soient livrées au plus tard fin 2027. Son objectif est principalement de réduire la surpopulation carcérale dans les maisons d'arrêt et de créer de nouvelles structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), destinées à accompagner les détenus pour faciliter leur réinsertion.

La capacité carcérale de la France, de 60 000 places en 2017, passerait ainsi à 75 000 places à la fin du programme , soit une augmentation de 25 % en dix ans.

En 2020, la plus grande partie (144,8 millions) des crédits alloués à l'APIJ sera, logiquement, affectée au financement de la première tranche des travaux : 117,8 millions pour la construction de nouveaux établissements pénitentiaires (Lutterbach, Bordeaux, Caen, Troyes, Baumettes 3, Baie-Mahaut, Basse-Terre, Lille-Loos et Nîmes) et 27 millions pour les SAS. En outre, 15 millions d'euros permettront d'acquérir les terrains nécessaires à la poursuite de la première vague de constructions.

Un budget plus modeste (1,4 million d'euros) financera les études préalables au lancement de la construction des premiers établissements prévus dans le cadre de la seconde tranche (Saint-Laurent du Maroni en Guyane, Toulouse-Muret, Avignon-Entraigues, Villepinte-Tremblay-en-France et Melun).

Le solde (19,4 millions d'euros) permettra à l'APIJ de financer des travaux à Fleury-Mérogis, de mener l'extension des locaux de l'ENAP et de réaliser les schémas directeurs pour la réhabilitation du centre pénitentiaire de Fresnes et de la maison centrale de Poissy.

Début octobre 2019, l'état d'avancement du programme des 7 000 places était le suivant : le lancement des travaux était effectif pour 28 % des places ; le marché a été notifié aux groupements de maîtrise d'oeuvre et d'entreprises pour 64 % ; et le programme spécifique à chaque établissement a été finalisé pour 79 % d'entre elles. En 2020, les travaux de construction de dix SAS, sur les seize annoncés, devraient démarrer.

La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) et l'APIJ estiment que ce déroulé permettra de tenir le délai de livraison prévu. L'APIJ a toutefois fait état auprès de votre rapporteur de difficultés de recrutement liées à l'ampleur des travaux en cours dans le cadre du Grand Paris. Dans un contexte de pénurie de professionnels qualifiés, les conditions salariales offertes par l'APIJ ne lui permettent pas toujours d'attirer ou de fidéliser des cadres expérimentés.

Si aucune ouverture de nouvel établissement n'est prévue en 2020, pourraient ouvrir, en 2021, le centre pénitentiaire de Lutterbach, permettant la création nette de 122 places (compte tenu de la fermeture des maisons d'arrêt de Mulhouse et Colmar) et celui de Koné, en Nouvelle-Calédonie, avec la création de 120 places nettes.

Carte des établissements pénitentiaires
au 1 er janvier 2022 (prévisions)

Source : ministère de la justice.

2. Une ambition en trompe l'oeil

Votre commission a déjà eu l'occasion de souligner, au moment de la discussion du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que l'objectif de créer 15 000 nouvelles places de prison à l'horizon 2027 marquait un recul par rapport à la promesse initiale du Président de la République, qui avait d'abord envisagé de les construire sur cinq ans. Il est vrai que la promesse initiale n'était sans doute guère réaliste compte tenu du temps nécessaire à la réalisation de ces projets complexes.

L'an dernier, votre rapporteur avait en outre montré que la quasi-intégralité (92,6 %) des places (hors SAS) annoncées pour 2022 relevait en réalité de la livraison d'autres programmes, principalement le programme « 63 500 » lancé en 2011 et le programme « 3 200 » lancé en 2014. Sont par exemple prises en compte dans les 7 000 places les 734 places mises en service, début 2019, avec la fin du chantier de réhabilitation de la maison d'arrêt Paris-La Santé, entamé quatre ans plus tôt, ainsi que les 740 places de Baumettes 3, projet lancé en 2013.

Le volontarisme du Gouvernement en matière d'immobilier pénitentiaire apparaît ainsi très relatif concernant cette première tranche de travaux. On peut surtout lui savoir gré de ne pas avoir interrompu les programmes lancés par ses prédécesseurs.

Le manque de volontarisme est manifeste également quand on considère l'écart de 153 millions d'euros entre les crédits inscrits dans le projet de loi de finances et ceux prévus par la loi de programmation 2018-2022. La DAP justifie cet écart par la difficulté de s'entendre avec les élus locaux dans certaines villes sur l'implantation des futurs établissements ; la proximité des élections municipales n'inciterait pas les équipes municipales à annoncer de futurs projets pénitentiaires, par crainte des réactions négatives qu'ils pourraient susciter dans la population. La difficulté de trouver des emplacements est particulièrement aiguë pour les SAS, qui ont vocation à être implantés en ville, près des réseaux de transports, des agences de Pôle emploi et des services sociaux, au coeur des bassins d'emplois. Il en a résulté des retards dans l'avancement de certains projets, notamment en Seine-Maritime, en Isère, à Rennes, à Strasbourg, en région parisienne, dans le Var et à Nice.

La date des élections municipales étant connue de longue date, le Gouvernement aurait toutefois pu anticiper cette difficulté. Surtout, l'ampleur des besoins de rénovation des prisons ou des locaux des SPIP aurait justifié d'inscrire la totalité des crédits prévus en loi de programmation afin de financer de petits travaux en cours d'année.

Enfin, votre rapporteur renouvelle ses interrogations sur le choix de limiter le programme de construction à de nouvelles maisons d'arrêt au détriment des établissements pour peine. Certes, c'est dans les maisons d'arrêt que le taux de surpopulation carcérale est le plus élevé. Cependant, ces établissements, conçus à l'origine pour les personnes en attente de jugement ou en attente d'un jugement définitif, accueillent aujourd'hui un grand nombre de détenus condamnés à des peines d'une durée qui peut parfois être égale à deux ans. Certains de ces détenus seraient peut-être mieux suivis dans des établissements conçus pour de longues peines où ils pourraient accéder plus facilement à des services orientés vers leur réinsertion.

II. UNE HAUSSE DES CRÉDITS QUI DOIT S'ANALYSER AU REGARD D'UNE ACTIVITÉ SOUTENUE ET D'UNE MENACE SÉCURITAIRE ELEVÉE

La hausse des crédits prévue dans le projet de budget ne peut être correctement appréciée si l'on ne prend pas en compte le niveau soutenu de l'activité de l'administration pénitentiaire et les défis qu'elle doit relever en matière de sécurité.

A. LE NOMBRE DE PERSONNES PRISES EN CHARGE SE MAINTIENT À UN NIVEAU ÉLEVÉ

1. Les personnes suivies en milieu ouvert

Depuis quatre ans, le nombre de personnes suivies en milieu ouvert au dernier jour de chaque trimestre oscille entre 159 000 et 161 000. Au 31 mars 2019, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) suivaient 161 427 personnes en milieu ouvert , soit un chiffre en légère augmentation (0,28 %) par rapport à la situation constatée un an auparavant.

Évolution du nombre de personnes suivies en milieu ouvert
au dernier jour de chaque trimestre

Source : commission des lois à partir des réponses au questionnaire budgétaire

Au 1 er janvier 2019, un total de 182 952 mesures de milieu ouvert étaient mises en oeuvre par les SPIP , soit un chiffre en légère hausse (0,6 %) par rapport à 2018.

L'essentiel des mesures suivies par les SPIP étaient des mesures postsentencielles : le sursis avec mise à l'épreuve, le sursis assorti d'une obligation d'accomplir un travail d'intérêt général (TIG), le travail d'intérêt général, ou encore la libération conditionnelle. S'agissant des mesures présentencielles, ce sont surtout les placements sous contrôle judiciaire qui occupent les SPIP (4 241 mesures au 1 er janvier).

Ce stock de mesures est régulièrement renouvelé d'environ 28 000 nouvelles mesures postsentencielles et de près de 1 800 nouvelles mesures présentencielles, à chaque trimestre.

Au 1 er trimestre 2019, ce sont 23 295 nouvelles personnes - c'est-à-dire n'ayant pas fait l'objet d'une prise en charge en milieu ouvert depuis au moins un an - qui étaient prises en charge en milieu ouvert par les SPIP, après 22 395 nouvelles personnes au dernier trimestre de 2018. Ce flux considérable appelle de la part des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) un investissement professionnel important pour évaluer les situations et définir une prise en charge pour chaque nouvel arrivant.

2. Les personnes placées sous écrou

Le nombre de personnes placées sous écrou continue de croître, quoiqu'à un rythme plus modéré. Au 1 er janvier 2019, 81 250 personnes étaient placées sous écrou , ce qui correspond à une augmentation de 3,1 % en deux ans. Significative, cette augmentation est toutefois moindre que celle constatée entre 2015 et 2017, en réaction aux attentats (+ 18%).

Au 1 er octobre 2019 , dernier chiffre connu, 82 708 personnes étaient sous écrou, chiffre en hausse de 1 % par rapport au 1 er octobre 2018. Sur ce total, 70 818 étaient détenues 7 ( * ) , soit un chiffre quasiment stable par rapport au 1 er octobre 2018 (+ 0,1 %).

Le nombre de personnes non détenues connaît une hausse significative de 6,4 %, ce qui paraît cohérent avec la volonté du Gouvernement de privilégier les alternatives à l'incarcération . La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit notamment la création, à partir de mars 2020, d'une peine autonome de détention à domicile sous surveillance électronique, alors que le placement sous surveillance électronique est aujourd'hui seulement possible comme mesure d'aménagement d'une peine d'emprisonnement.

Évolution du nombre de personnes placées sous écrou

1 er octobre 2019

1 er octobre 2018

Évolution en pourcentage

Personnes placées sous écrou

82 708

81 884

+ 1 %

dont personnes détenues

70 818

70 714

+ 0,1 %

dont personnes non détenues

11 890

11 170

+ 6,4%

Au 1 er octobre 2019, parmi les 70 818 personnes détenues, 20 959 étaient prévenues et 49 859 étaient condamnées.

La population masculine continue d'être extrêmement majoritaire : les hommes représentent 96,3 % des personnes incarcérées au 1 er octobre 2019.

Évolution de la population détenue
(sur trois ans)

Source : graphique réalisé à partir des statistiques mensuelles de l'administration pénitentiaire

3. Une surpopulation carcérale persistante

Avec 61 065 places de prison opérationnelles au 1 er octobre 2019 pour 70 818 détenus, les prisons françaises restent caractérisées par un état préoccupant de surpopulation carcérale. Cette situation, qui dure depuis plusieurs décennies, entraîne des conditions de détention indignes qui affectent très largement les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire .

L'accès des détenus aux services de santé, au travail, à une formation, ou tout simplement aux douches, devient plus difficile en raison de la saturation des équipements et de l'offre de services. Lors de son audition, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a insisté sur l'insécurité qui résulte pour les détenus de cette surpopulation : quand deux ou trois personnes partagent une cellule jusqu'à vingt heures par jour, des tensions ne manquent pas d'apparaître, pouvant déboucher sur des actes de violence.

Alors que le droit à l'encellulement individuel a été énoncé dès 1875, au 1 er octobre 2019, seules 42 % des personnes détenues bénéficiaient d'une cellule individuelle . A la même date, l'administration pénitentiaire recensait 1 497 matelas au sol, contre seulement 1 353 un an plus tôt.

Ce taux moyen masque des disparités importantes entre les établissements pour peine, où environ 80 % des détenus bénéficient d'un encellulement individuel, et les maisons d'arrêt surpeuplées, avec un taux d'occupation qui atteint 138 % en 2019.

Évolution du taux d'encellulement individuel

Date

Maisons

d'arrêt

Établissements

pour peines

Tous les

établissements

01/09/2016

20,5

73,2

40,1

01/09/2017

20,8

81,3

40,3

01/09/2018

20,1

83,1

40,5

01/09/2019

21,6

82,6

42,1

Source : statistiques de la direction de l'administration pénitentiaire

Depuis quatre ans, le taux d'encellulement individuellement n'a progressé que de deux points. Afin d'atteindre un taux de 80 % d'encellulement individuel, le rapport sur l'encellulement individuel 8 ( * ) transmis au Parlement par M. Jean-Jacques Urvoas, alors garde des sceaux, ministre de la justice, recommandait de construire entre 9 481 et 14 666 cellules individuelles d'ici à 2023. Le plan pénitentiaire du Gouvernement prévoyant, comme on l'a vu, de livrer 7 000 places d'ici à la fin de 2022, l'objectif de l'encellulement individuel demeure pour l'heure inaccessible. Pour 2020, le projet annuel de performance indique que le Gouvernement table sur une modeste amélioration du taux d'encellulement individuel qui atteindrait 41,5 % contre 41 %, en moyenne, sur l'ensemble de l'année 2019.

Il est encore trop tôt pour apprécier les effets que la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice pourrait avoir sur le nombre de personnes incarcérés, d'autant que plusieurs de ses dispositions n'entreront en vigueur que dans le courant de l'année 2020. Dans l'étude d'impact annexée au projet de loi, le Gouvernement avait estimé que l'application de ce texte pourrait faire diminuer de 8 000 personnes le nombre de détenus, évaluation que la commission avait jugée optimiste et peu étayée.

À ce jour, la DAP a seulement noté une augmentation de la part des libérations sous contrainte parmi les personnes condamnées, dont le taux est passé de 0,8 % à 1,2 %. Schématiquement, la loi de programmation a fait de la libération sous contrainte, aux deux tiers de la peine, la règle de principe alors qu'il s'agissait auparavant d'une faculté laissée à l'appréciation du juge de l'application des peines. L'impact de la mesure reste modeste puisque le nombre de libérations sous contrainte est passé de 478 en moyenne par mois en 2018 à 681 en moyenne par mois depuis l'entrée en vigueur de la loi en mars 2019.

4. L'achèvement de la reprise des extractions judiciaires

Depuis le 1 er novembre 2019, la totalité des extractions judiciaires 9 ( * ) relèvent de l'administration pénitentiaire , achevant ainsi un transfert de compétences décidé en 2010.

Traditionnellement, les extractions judiciaires étaient effectuées par les forces de police ou de gendarmerie. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, il a été décidé de transférer cette mission à l'administration pénitentiaire, avec une reprise échelonnée par régions. Le 1 er novembre, les deux dernières régions (Corse et Provence-Alpes-Côte d'Azur) sont entrées dans le dispositif.

Cette réforme s'est déroulée dans des conditions difficiles, et soulève toujours de nombreux problèmes sur le terrain, en raison du sous-dimensionnement initial des effectifs consacrés à cette mission . En 2010, un effectif de 800 ETPT avait été jugé suffisant pour assurer l'ensemble des extractions judiciaires ; en 2013, cet effectif a été réévalué à 1 200 postes ; la circulaire du 28 septembre 2017, signée par la garde des sceaux et par le ministre de l'intérieur, a ensuite indiqué que 1 650 ETPT seraient affectés à cette mission à compter du 1 er novembre 2019.

Les magistrats se heurtent à de fréquentes « impossibilités de faire » qui leur sont opposées par l'administration pénitentiaire lorsqu'elle n'a pas les moyens de répondre à leur demande. Cet état de fait a conduit les magistrats à introduire dans leurs dossiers la notion « d'enjeu procédural majeur » pour signaler les demandes devant être traitées par priorité.

Cette situation ralentit et complique les procédures et a pu aboutir parfois à des libérations non souhaitées de détenus, dont l'Union syndicale de la magistrature (USM) donne quelques exemples dans un Livre blanc intitulé « Urgence pour les extractions judiciaires », rendu public le 1 er octobre dernier. À Grenoble ou à Rouen, la chambre de l'instruction a par exemple ordonné la remise en liberté de détenus qui n'avaient pas pu être extraits pour assister à l'audience ou que le juge d'instruction n'avait pu entendre en dépit de demandes répétées.

Le projet de loi de finances prévoit d'affecter 50 ETPT supplémentaires à la réalisation des extractions judiciaires , ce qui devrait contribuer à réduire ces tensions. Votre rapporteur n'est pas certain cependant que ce renfort soit suffisant pour rétablir des conditions de fonctionnement normales pour les juridictions, ce qui constitue un constat préoccupant s'agissant d'un transfert de compétences qui s'est étalé sur une période de près de dix ans et qui a donc pu être largement anticipé et préparé.

B. DES RISQUES SÉCURITAIRES QUI DEMEURENT IMPORTANTS

En juillet 2018, l'évasion spectaculaire de Rédoine Faïd du centre pénitentiaire sud-francilien de Réau avait mis en lumière les défis que doit relever l'administration pénitentiaire en matière de sécurité de ses établissements. Comme les années précédentes, des moyens significatifs seront donc encore consacrés en 2020 à leur sécurisation. L'administration pénitentiaire doit en outre gérer la menace résultant de la radicalisation islamiste et du risque terroriste, ce qui l'a conduite à se doter d'un service national du renseignement pénitentiaire de plein exercice et à lancer un nouveau programme d'accueil individualisé et de réaffirmation sociale (PAIRS).

1. La sécurisation des établissements et l'équipement du personnel

Depuis plusieurs années, l'administration pénitentiaire investit dans l'installation de filets anti-projection, de glacis 10 ( * ) , de concertinas 11 ( * ) et de nouveaux dispositifs de vidéo-surveillance. Le projet de loi de finances prévoit de consacrer 14,5 millions d'euros en 2020 à la poursuite de cet effort de sécurisation.

Un autre chantier d'importance concerne le brouillage des téléphones mobiles . L'introduction de téléphones en détention facilite la poursuite d'activités délinquantes à distance, ce qui est un facteur d'insécurité majeur. Compte tenu de leur petite dimension et des matériaux dans lesquels ils sont fabriqués, ces appareils ne sont pas toujours aisés à détecter et les dispositifs de brouillage des communications actuellement installés sont parfois technologiquement dépassés : certains ne brouillent que les communications en 2 G, alors que les portables commercialisés émettent en 3 G ou en 4 G.

En décembre 2017, un marché a été notifié en vue d'une remise à niveau, sur une période de six ans, de ces dispositifs de brouillage. En 2020, 24,8 millions y seront consacrés ; 30,6 millions sont ensuite prévus en 2021 et 35,5 millions en 2022.

Une autre menace dont doit se préoccuper l'administration pénitentiaire est la lutte contre les drones malveillants , à laquelle une enveloppe de 3,6 millions d'euros sera consacrée l'an prochain. Un marché d'acquisition de solutions anti-drones malveillants, lancé en 2018 par le ministère de la justice, a permis de tester sur plusieurs établissements pilotes trois types de réponses technologiques : le brouillage des ondes de télépilotage, la prise de contrôle à distance et le canon anti-drone.

Enfin, pour accroître la sécurité des agents à l'ouverture de porte, l'expérimentation d'arrêtoirs de porte, comparables à ceux utilisés dans les établissements suisses, a débuté à compter de mi-septembre 2019. Pour ce faire, cinquante arrêtoirs de porte à crémaillère ont été acquis pour lancer une expérimentation dans cinq établissements pénitentiaires.

Concernant l'équipement du personnel, on peut retenir notamment l'acquisition de gilets pare-lames , distribués à 1 718 surveillants pénitentiaires affectés dans les quartiers sensibles et aux 376 agents des maisons centrales de Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil entre fin 2018 et le deuxième trimestre 2019. La dotation des autres personnels de surveillance va être échelonnée entre septembre 2019 et janvier 2020. Au total, l'administration a commandé, en 2019, 22 000 gilets pour un montant de 3,2 millions d'euros.

Des gants et des tenues d'intervention (de type maintien de l'ordre) ont été livrées dans les établissements en 2018 et 2019 et 36 000 paires de chaussures de travail adaptées ont été commandées fin juin 2019 et seront intégrées à la dotation en uniforme pour 2020.

2. La création du service national du renseignement pénitentiaire

Par arrêté de la garde des sceaux du 29 mai 2019, le bureau central du renseignement pénitentiaire est devenu le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), service à compétence nationale placé sous l'autorité directe du directeur de l'administration pénitentiaire, ayant autorité hiérarchique sur l'ensemble de ses agents. Cette transformation témoigne de la volonté du ministère de se doter d'un outil plus performant afin de surveiller efficacement l'univers carcéral où sont susceptibles de se produire des phénomènes de radicalisation et de constitution de réseaux criminels.

Le renseignement pénitentiaire a pour mission de prévenir les risques d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, ainsi que les risques d'atteinte à la sécurité des personnels pénitentiaires et des personnes détenues.

Le SNRP s'appuie sur dix cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP), sur des délégations locales 12 ( * ) du renseignement pénitentiaire en établissement (86 agents en 2019) et sur des correspondants locaux du renseignement pénitentiaire 13 ( * ) en établissement et en SPIP (143 agents en 2019).

Le SNRP est intégré à la communauté du renseignement et il peut mettre en oeuvre certaines techniques de recueil de renseignement prévues par le code de la sécurité intérieure. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice lui a donné de nouvelles possibilités d'emploi de techniques de recueil de renseignement, dont la mise en oeuvre n'est plus limitée aux seules personnes détenues mais concerne également les intervenants en détention.

Le SNRP est encore dans une phase de montée en puissance : alors qu'il comptait 294 agents en 2019, trente-cinq recrutements sont prévus l'année prochaine pour porter son effectif à 329 personnes fin 2020. Ces créations de postes vont bénéficier majoritairement aux CIRP, afin de renforcer les fonctions support mais aussi la capacité d'analyse, notamment à travers la prise en charge à l'échelon interrégional du traitement des sources humaines. Des créations de postes sont également dévolues à la mise en place du département de formation du renseignement pénitentiaire au sein de l'ÉNAP.

Hors masse salariale , le projet de loi de finances prévoit d'affecter 5,9 millions d'euros au renseignement pénitentiaire en 2020 , après 5,8 millions d'euros en 2019. Après une période surtout consacrée à l'acquisition d'équipements et à la mise en conformité de ses locaux, le SNRP va maintenant investir dans le déploiement d'un système d'information classifié, indispensable pour achever la structuration du service.

3. La prise en charge en milieu ouvert des individus radicalisés

L'année écoulée a également été marquée par le lancement du programme d'accueil individualisé et de réaffirmation sociale (PAIRS), qui s'est substitué au programme « Recherches et interventions sur les violences extrémistes » (RIVE).

a) Bilan du programme RIVE

À partir de décembre 2016, l'administration pénitentiaire a expérimenté en Île-de-France un dispositif de prise en charge, en milieu ouvert, des personnes placées sous main de justice, mises en examen ou condamnées pour des actes de terrorisme ou pour des faits de droit commun mais identifiées comme radicalisées.

Baptisé RIVE, ce dispositif avait pour finalité de favoriser le désengagement de la violence extrémiste et la réinsertion sociale , par la mise en place d'un suivi individualisé et pluridisciplinaire (travailleurs sociaux, psychologues, psychiatres, chercheurs et spécialistes de l'islam), complémentaire du suivi effectué par les SPIP.

Selon les informations communiquées par l'administration pénitentiaire, un bilan positif a été tiré de cette expérimentation : aucune personne suivie n'est retournée en détention, n'a vu son suivi interrompu pour faute ou n'a causé un incident lors de sa prise en charge ; la grande majorité des vingt-trois personnes qui ont été accompagnées dans ce cadre sont devenues proactives dans leur parcours. Ceci avait conduit la commission d'enquête sénatoriale sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État islamique à recommander, en juillet 2018, de « développer des programmes de prise en charge individuelle et collective de désengagement de la violence inspirés du dispositif expérimental RIVE » 14 ( * ) .

Il faut noter cependant que les effectifs suivis sont restés modestes : calibré pour cinquante prises en charge, le programme a peiné à trouver son public et n'a accueilli simultanément que douze personnes en moyenne. Compte tenu des coûts fixes inhérents à ce type de programme (personnel, locaux, conception...), le coût de la prise en charge s'est révélé élevé pour l'administration pénitentiaire (un million d'euros par an).

b) Les changements introduits par le programme PAIRS

Dans le cadre de son nouveau plan de lutte contre la radicalisation, lancé en février 2018, le Gouvernement a annoncé la pérennisation, l'extension et le renforcement du programme RIVE, finalement rebaptisé PAIRS.

À partir du dispositif expérimenté en Île de France, le Gouvernement a décidé d'ouvrir trois nouveaux centres basés à Lille, Lyon et Marseille. L'annonce de l'ouverture du centre de Lille avait suscité des interrogations de la part de notre collègue Marc-Philippe Daubresse, sénateur du Nord, ce qui a incité votre rapporteur pour avis à faire un point sur ce dispositif dans le présent rapport. La capacité d'accueil des différents centres est la suivante : trente-sept personnes à Paris, dix à Marseille, huit à Lyon et cinq à Lille.

PAIRS se distingue de RIVE par la possibilité de moduler l'intensité de la prise en charge (avec un accompagnement d'une durée comprise entre trois et vingt heures par semaine) mais aussi par la possibilité de proposer aux personnes suivies une solution d' hébergement dans des logements en ville. L'accompagnement sera partagé entre une phase de diagnostic et une phase de prise en charge. Le SPIP pourra orienter des personnes vers un centre même en l'absence d'obligation spécifique imposée par un juge sur ce point.

La commission d'enquête que le Sénat a décidé de mettre en place pour étudier les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre aura certainement l'occasion, au cours de ses travaux, de se pencher de manière plus approfondie sur la mise en oeuvre de ce programme, afin d'en évaluer les points forts et les limites.

III. TRAVAIL ET PROMOTION DE LA SANTÉ, DEUX LEVIERS POUR LA RÉINSERTION DES PERSONNES CONDAMNÉES

Dans la dernière partie de cet avis, votre rapporteur souhaite attirer l'attention sur deux initiatives prises par le ministère de la justice qui paraissent de nature à favoriser la réinsertion des détenus : la création d'une agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP) et l'annonce d'une feuille de route « santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022 ».

A. FAVORISER LA RÉINSERTION PROFESSIONNELLE PAR LE TRAVAIL ET LA FORMATION

La création de l'ATIGIP intervient dans un contexte préoccupant marqué par le déclin de l'emploi pénitentiaire, par un faible recours au travail d'intérêt général (TIG) et par une réduction de l'effort de formation.

1. Une situation dégradée

Les personnes placées sous main de justice ont en moyenne un niveau de qualification plus faible que celui de la population générale et sont souvent très éloignées de l'emploi. Plus de 60 % des détenus ont par exemple un niveau de diplôme inférieur au niveau 5 (CAP ou brevet des collèges).

Or, loin de favoriser leur réinsertion en misant sur la formation et sur l'acquisition d'une expérience professionnelle, l'administration pénitentiaire a eu tendance à négliger depuis plusieurs années ces deux leviers d'action.

En 2018, 19 284 personnes détenues ont travaillé en moyenne mensuelle, ce qui correspond à 28,2 % de la population carcérale . Sur les six premiers mois de 2019, ce taux s'est encore légèrement affaissé pour s'établir à 28 %. À titre de comparaison, ce taux atteignait 48,7 % en 2000. Au cours des deux dernières décennies, le nombre de détenus au travail n'a donc pas suivi l'augmentation de la population carcérale.

En ce qui concerne la formation des détenus, le transfert de cette compétence aux régions par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014, relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, a entraîné pendant plusieurs années un effondrement du nombre d'heures de formation dispensées, en raison du délai nécessaire à la mise en place des formations en détention. En 2013, le nombre d'heures stagiaires de la formation professionnelle bénéficiant aux détenus s'élevait à 3 270 161 ; il n'était plus que de 2 157 568 en 2018, soit un recul de 34 % en cinq ans . En 2019, le nombre d'heures devrait être de l'ordre 3 420 000, ce qui atteste d'un retour à la normale.

Enfin, le travail d'intérêt général (TIG) demeure une peine assez peu prononcée (aux alentours de 37 000 peines de TIG prononcées chaque année à l'encontre de personnes majeures, soit moins de 7% du total des peines) et leur nombre a connu un léger tassement au cours des trois derniers exercices.

2. La création d'une agence

Un rapport conjoint de l'inspection générale des finances (IGF), de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des services judiciaires (IGSJ) de 2016, consacré à l'évaluation des politiques interministérielles d'insertion des personnes confiées à l'administration pénitentiaire par l'autorité judiciaire, a fait le constat d'un manque de coordination de ces politiques et a recommandé la création d'un opérateur en charge des politiques d'insertion. Dans le cadre des chantiers de la justice, le député Didier Paris et David Layani, président de Onepoint 15 ( * ) ont remis en mars 2018 un rapport qui préconisait la création d'une agence du TIG, capable de définir une stratégie de développement du TIG et de bénéficier du mécénat d'entreprises.

S'appuyant sur ces travaux, le Gouvernement a créé l'AGITIP à compter du 10 décembre 2018. Après une courte phase de préfiguration, l'agence a connu une période de montée en puissance jusqu'à l'été 2019 et les recrutements vont se poursuivre jusqu'en mars 2020.

Service à compétence nationale placé sous l'autorité du ministre de la justice et rattaché, sur le plan administratif et financier, à la direction de l'administration pénitentiaire, l'agence dispose d'un comité d'orientation stratégique qui se réunira, pour la première fois, en décembre 2019 afin de définir les lignes directrices de son action. L'objectif est de pouvoir établir un plan d'action pour les trois ans à venir, soumis à la garde des sceaux au premier trimestre 2020. Il est sans doute regrettable qu'une année se soit écoulée avant que le comité d'orientation se réunisse : une réunion plus précoce aurait certainement permis d'accélérer le déploiement des activités de l'agence.

L'agence s'est vu assigner trois missions : développer les peines de TIG, dynamiser la formation professionnelle des personnes détenues et favoriser l'emploi pénitentiaire, l'insertion par l'activité économique et l'accompagnement vers l'emploi.

3. Les premières réalisations

S'il est trop tôt pour dresser un bilan des activités de l'agence, il est en revanche possible de procéder à un point d'étape des différents chantiers ouverts depuis un an.

Concernant les TIG, le nombre de postes a cru de 10 % au cours de l'année écoulée pour s'établir à environ 20 000. L'objectif est de porter ce chiffre à 30 000 dans les trois années qui viennent, afin que les tribunaux puissent prononcer un plus grand nombre de peines de TIG en ayant l'assurance qu'elles seront rapidement exécutées.

À cette fin, le ministère cherche à nouer des partenariats nationaux avec les employeurs disposant d'un réseau important sur le territoire. Le 12 novembre dernier, une vingtaine de conventions ont été signées par la garde des sceaux avec des ministères, des entreprises publiques ou chargées d'un service public (La Poste, la SNCF, Enedis, Sodexo...), des représentants des collectivités territoriales et des organismes de logement social, des associations (Emmaüs, les Restaurants du coeur, la Croix-Rouge, la SPA...). Il n'existait auparavant que neuf conventions de ce type, dont six n'étaient pas véritablement actives.

Au sein des SPIP, des référents territoriaux, dont le nombre va passer de trente-cinq en 2019 à soixante-et-un en 2020, ont été nommés pour prospecter les structures d'accueil potentielles. Un outil numérique, la plateforme TIG 360°, est en cours de développement pour offrir à tous les acteurs une vision en temps réel de l'offre de postes et une gestion simplifiée des mesures de TIG.

Enfin, un décret, pris en application de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, va être soumis au Conseil d'État pour permettre l'expérimentation du recours au TIG dans les entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS) 16 ( * ) .

Sur le volet formation professionnelle, l'agence a entrepris d'améliorer la remontée d'informations pour suivre plus finement les actions conduites dans ce domaine. Elle prévoit de définir, avec la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), une stratégie de mobilisation du plan d'investissement dans les compétences (PIC) autour de trois axes : développement durable, numérique et services à la personne. En début d'année 2020, une réunion est prévue avec l'association des régions de France (ARF) pour valider des méthodes d'expérimentation et de diffusion des bonnes pratiques. Comme avec les référents territoriaux pour les TIG, l'agence prévoit enfin de dynamiser son réseau de collaborateurs en charge de la formation professionnelle.

En matière d'emploi pénitentiaire, l'agence a engagé un état des lieux des ateliers présents dans les établissements et elle réfléchit à une stratégie de mobilisation des crédits du programme personnalisé d'accompagnement à l'insertion professionnelle (PPAIP) qui n'ont été consommés qu'à hauteur de 60 % en 2018. Elle travaille également à un projet de relance de l'action commerciale du service de l'emploi pénitentiaire (SEP). L'agence participera enfin au projet de créer deux prisons expérimentales de réinsertion par le travail intégrant des entreprises partenaires.

Outre son intérêt dans une perspective de réinsertion, l'exercice d'une activité professionnelle en prison peut aussi aider les détenus à bénéficier d'un petit salaire, dans un contexte où ils ne bénéficient, sauf exception, d'aucun revenu de transfert.

Droit à l'assurance et au revenu de solidarité active (RSA)
pendant la détention

S'agissant du droit à l'assurance chômage, il est fermé aux personnes détenues puisque le versement de l'ARE (aide au retour à l'emploi) et de l'ASS (allocation de solidarité spécifique) est conditionné à la recherche effective et permanente d'un emploi . L'incarcération empêchant la réalisation de cette condition, ces allocations sont suspendues après quinze jours de détention .

S'agissant du RSA, les réponses sont différenciées en fonction de la composition du foyer :

- si la personne détenue est bénéficiaire du RSA seule, la prestation est suspendue à l'issue d'un délai de soixante jours après l'incarcération ;

- si le bénéficiaire du RSA est membre d'un foyer, les droits sont réexaminés à l'issue du même délai de soixante jours après l'incarcération sans tenir compte du bénéficiaire incarcéré ;

- si le bénéficiaire du RSA conserve un enfant à charge en détention, hypothèse peu fréquente qui concerne un petit nombre de femmes détenues, la prestation est maintenue.

À l'issue de l'incarcération, le droit commun s'applique à nouveau dès le premier jour du mois suivant lequel la personne n'est plus détenue.

B. UNE FEUILLE DE ROUTE DANS LE DOMAINE DE LA SANTÉ

La prise en charge de la santé des personnes détenues conditionne la bonne exécution de la mesure privative de liberté et est déterminante dans leur parcours de réinsertion.

Notre collègue Nathalie Delattre a récemment attiré l'attention de la commission sur les problèmes posés par la présence en prison d'un grand nombre de personnes souffrant de troubles psychiatriques. Ces détenus sont difficiles à gérer par le personnel pénitentiaire et la peine d'emprisonnement n'a souvent guère de sens pour eux. Avec notre collègue Jean Sol, désigné par la commission des affaires sociales, elle a été nommée rapporteur d'un groupe de travail chargé d'étudier dans quelle mesure les conditions dans lesquelles se déroulent les expertises psychiatriques peuvent contribuer à expliquer cette situation.

Dans ce contexte, votre rapporteur se réjouit que le Gouvernement ait adopté la feuille de route « santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022 », signée par les ministres de la justice et des solidarités et de la santé. Cette feuille de route constitue la déclinaison opérationnelle de la stratégie santé des personnes placées sous main de justice lancée en 2017. Pendant deux ans, des groupes de travail interministériels se sont réunis afin de déterminer les mesures à mettre en oeuvre en priorité.

La feuille de route comprend vingt-huit actions réparties selon les six axes de la stratégie santé . Sans les présenter de manière exhaustive, il peut être intéressant de rappeler ces grands axes et de mentionner quelques mesures parmi les plus emblématiques.

La première orientation vise à mieux connaître l'état de santé des personnes placées sous main de justice afin de déterminer leurs besoins en matière de santé . Sur la santé mentale, deux études vont être menées, la première portant sur les sortants de vingt maisons d'arrêt, la seconde sur la prévalence des troubles mentaux chez les détenus et l'évolution de ces troubles au cours de la détention, avec un focus sur les radicalisés.

Le deuxième axe consiste à promouvoir la santé des personnes placées sous main de justice tout au long de leur parcours , en s'appuyant notamment sur l'intervention d'étudiants du service sanitaire 17 ( * ) . Une expérimentation sera menée dans les Hauts-de-France pour la prévention du suicide.

Le troisième axe porte sur le repérage et le dépistage des pathologies dont peuvent souffrir les personnes placées sous main de justice , avec une attention particulière portée au dépistage de l' hépatite C, très présente chez les personnes détenues, et un effort de formation au repérage des addictions pour les professionnels de santé et les personnels de l'administration pénitentiaire.

La quatrième axe tend à améliorer l'accès au soin des personnes détenues , notamment en exploitant les potentialités de la télémédecine, en engageant, avant la fin du quinquennat, les travaux pour la création de nouvelles places en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) 18 ( * ) , en organisant des stages pour les internes en médecine et en améliorant le repérage du handicap et de la perte d'autonomie.

Concernant les UHSA, il est regrettable que la feuille de route demeure vague sur le calendrier. Un programme de construction d'UHSA a été lancé en 2011 et l'unité la plus récente a ouvert à Marseille en 2018. Un deuxième vague de constructions d'unités était initialement prévue mais ce projet n'a guère avancé et les nouvelles places ne seront pas livrées avant encore de longues années, alors que les besoins en matière de soins psychiatriques sont immenses.

Le cinquième axe vise à organiser la continuité de la prise en charge lors des sorties de détention et des levées de mesures de justice. Dans ce cadre, des unités sanitaires dédiées aux structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) vont être créées et des partenariats développés entre les SPIP et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Le dernier axe tend à favoriser la coopération des acteurs impliqués dans la mise en oeuvre de la stratégie de santé des personnes placées sous main de justice. Des stages d'immersion, en milieu hospitalier pour le personnel pénitentiaire et en établissements pénitentiaires pour le personnel médical, vont être organisés afin de permettre une meilleure connaissance des missions, rôles et contraintes des différents acteurs. Les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) vont sensibiliser les personnels pénitentiaires aux conduites à tenir face à des personnes présentant des troubles psychiatriques. De nouveaux outils vont être proposés aux acteurs de terrain pour formaliser les échanges entre professionnels de santé et autorité judiciaire.

*

* *

Votre rapporteur constate , dans ce projet de loi de finances pour 2020, la poursuite de l'effort budgétaire engagé depuis 2017 en faveur du programme « Administration pénitentiaire ».

Il regrette néanmoins que cet effort demeure insuffisant pour faire face à l'ampleur des besoins. Rétablir des conditions de travail satisfaisantes pour les personnels et des conditions de détention dignes pour les condamnés suppose de dégager des moyens encore plus importants, dans la durée.

Il déplore également que la trajectoire budgétaire approuvée en 2019 dans la loi de programmation ne soit pas respectée dès 2020, ce qui conduit à douter du réel volontarisme du Gouvernement en la matière.

Pour ces raisons, votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » inscrits au projet de loi de finances pour 2020.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de la justice

Direction de l'administration pénitentiaire

M. Stéphane Bredin , directeur

M. Pierre Azzopardi , chef du service de l'administration

Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ)

Mme Marie-Luce Bousseton , directrice générale

M. Sébastien Faure , directeur

M. Paul-Luc Dinnequin , directeur adjoint

Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Mme Adeline Hazan , contrôleur général des lieux de privation de liberté

Syndicats des directeurs des services pénitentiaires

Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP-CFDT)

M. Jean-François Fogliarino , premier secrétaire adjoint

M. Jean-Michel Dejenne , référent interrégional (SPIP des Alpes-Maritimes)

Syndicat national pénitentiaire - Force ouvrière Direction (SNP-FO Direction)

M. Sébastien Nicolas, secrétaire général

Syndicats des personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP)

Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire - Fédération syndicale unitaire (SNEPAP-FSU)

Mme Laurence Richard , secrétaire générale

M. Vincent Le Dimeet , secrétaire national

Confédération générale du travail (CGT) Insertion - Probation

M. Julien Magnier , secrétaire national

Syndicats des surveillants pénitentiaires

Union fédérale autonome pénitentiaire - Union nationale des syndicats autonomes (UFAP-UNSa Justice)

M. Jean-François Forget , secrétaire général

M. Emmanuel Chambaud , secrétaire général adjoint

M. Fabrice Begon , secrétaire national

Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière (SNP-FO)

M. Emmanuel Baudin , secrétaire général

M. Jean-Philippe Cabal , secrétaire national corps de commandement

M. Dominique Gombert , secrétaire général adjoint

M. Emmanuel Guimaraes , trésorier général

M. Yoan Karar , secrétaire général adjoint


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html

* 2 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html .

* 3 Ce compte d'affectation spéciale (CAS) a été créé pour retracer plus clairement les crédits consacrés au financement des pensions versées par l'État.

* 4 On pense notamment à l'évasion de Redoine Faïd de la prison de Réau en 2018 et à l'agression au couteau de deux surveillants par un détenu radicalisé à la prison de Condé-sur-Sarthe en mars 2019.

* 5 Il s'agit bien de créations nettes d'emplois, 2 694 recrutements étant par ailleurs prévus pour compenser les départs.

* 6 À titre de comparaison, Pôle emploi s'est fixé comme objectif que chaque conseiller ne suive pas plus de 70 demandeurs d'emploi très éloignés de l'emploi. La plupart des personnes suivies par les CPIP sont particulièrement éloignées de l'emploi.

* 7 Les personnes sous écrou qui ne sont pas détenues font l'objet de mesures de placement sous surveillance électronique ou de placement extérieur.

* 8 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.justice.gouv.fr/publication/rap_jj_urvoas_encellulement_individuel.pdf

* 9 Les extractions judiciaires sont les déplacements de détenus ordonnés par l'autorité judiciaire.

* 10 Un glacis est un talus incliné destiné à rendre plus difficile d'accès l'enceinte de la prison.

* 11 Le concertina est un type de fil de fer barbelé.

* 12 Les délégués locaux sont des agents du SNRP exerçant leur mission de renseignement à temps complet.

* 13 Les correspondants locaux sont des agents pénitentiaires qui assurent pour partie de leur temps de travail des fonctions de renseignement. Ils sont hiérarchiquement rattachés à leur chef d'établissement ou de service.

* 14 Rapport de Mme Sylvie Goy-Chavent fait au nom de la commission d'enquête sénatoriale sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État islamique, déposé le 4 juillet 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr17-210.html

* 15 Onepoint est une entreprise française spécialisée dans la transformation numérique des entreprises et des organisations.

* 16 Le secteur de l'économie sociale et solidaire regroupe des acteurs variés tels que des associations, des coopératives, des mutuelles ou des fondations.

* 17 Depuis la rentrée 2018, tous les étudiants en santé doivent effectuer un service sanitaire, constitué de trois étapes réparties selon une durée totale de six semaines : un temps de formation théorique et pratique, un temps d'intervention concrète auprès de publics prédéfinis, un temps d'évaluation de l'action.

* 18 Ces unités ont vocation à prendre en charge des personnes incarcérées nécessitant des soins psychiatriques en hospitalisation complète.

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