III. TRAVAIL ET PROMOTION DE LA SANTÉ, DEUX LEVIERS POUR LA RÉINSERTION DES PERSONNES CONDAMNÉES

Dans la dernière partie de cet avis, votre rapporteur souhaite attirer l'attention sur deux initiatives prises par le ministère de la justice qui paraissent de nature à favoriser la réinsertion des détenus : la création d'une agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP) et l'annonce d'une feuille de route « santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022 ».

A. FAVORISER LA RÉINSERTION PROFESSIONNELLE PAR LE TRAVAIL ET LA FORMATION

La création de l'ATIGIP intervient dans un contexte préoccupant marqué par le déclin de l'emploi pénitentiaire, par un faible recours au travail d'intérêt général (TIG) et par une réduction de l'effort de formation.

1. Une situation dégradée

Les personnes placées sous main de justice ont en moyenne un niveau de qualification plus faible que celui de la population générale et sont souvent très éloignées de l'emploi. Plus de 60 % des détenus ont par exemple un niveau de diplôme inférieur au niveau 5 (CAP ou brevet des collèges).

Or, loin de favoriser leur réinsertion en misant sur la formation et sur l'acquisition d'une expérience professionnelle, l'administration pénitentiaire a eu tendance à négliger depuis plusieurs années ces deux leviers d'action.

En 2018, 19 284 personnes détenues ont travaillé en moyenne mensuelle, ce qui correspond à 28,2 % de la population carcérale . Sur les six premiers mois de 2019, ce taux s'est encore légèrement affaissé pour s'établir à 28 %. À titre de comparaison, ce taux atteignait 48,7 % en 2000. Au cours des deux dernières décennies, le nombre de détenus au travail n'a donc pas suivi l'augmentation de la population carcérale.

En ce qui concerne la formation des détenus, le transfert de cette compétence aux régions par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014, relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, a entraîné pendant plusieurs années un effondrement du nombre d'heures de formation dispensées, en raison du délai nécessaire à la mise en place des formations en détention. En 2013, le nombre d'heures stagiaires de la formation professionnelle bénéficiant aux détenus s'élevait à 3 270 161 ; il n'était plus que de 2 157 568 en 2018, soit un recul de 34 % en cinq ans . En 2019, le nombre d'heures devrait être de l'ordre 3 420 000, ce qui atteste d'un retour à la normale.

Enfin, le travail d'intérêt général (TIG) demeure une peine assez peu prononcée (aux alentours de 37 000 peines de TIG prononcées chaque année à l'encontre de personnes majeures, soit moins de 7% du total des peines) et leur nombre a connu un léger tassement au cours des trois derniers exercices.

2. La création d'une agence

Un rapport conjoint de l'inspection générale des finances (IGF), de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des services judiciaires (IGSJ) de 2016, consacré à l'évaluation des politiques interministérielles d'insertion des personnes confiées à l'administration pénitentiaire par l'autorité judiciaire, a fait le constat d'un manque de coordination de ces politiques et a recommandé la création d'un opérateur en charge des politiques d'insertion. Dans le cadre des chantiers de la justice, le député Didier Paris et David Layani, président de Onepoint 15 ( * ) ont remis en mars 2018 un rapport qui préconisait la création d'une agence du TIG, capable de définir une stratégie de développement du TIG et de bénéficier du mécénat d'entreprises.

S'appuyant sur ces travaux, le Gouvernement a créé l'AGITIP à compter du 10 décembre 2018. Après une courte phase de préfiguration, l'agence a connu une période de montée en puissance jusqu'à l'été 2019 et les recrutements vont se poursuivre jusqu'en mars 2020.

Service à compétence nationale placé sous l'autorité du ministre de la justice et rattaché, sur le plan administratif et financier, à la direction de l'administration pénitentiaire, l'agence dispose d'un comité d'orientation stratégique qui se réunira, pour la première fois, en décembre 2019 afin de définir les lignes directrices de son action. L'objectif est de pouvoir établir un plan d'action pour les trois ans à venir, soumis à la garde des sceaux au premier trimestre 2020. Il est sans doute regrettable qu'une année se soit écoulée avant que le comité d'orientation se réunisse : une réunion plus précoce aurait certainement permis d'accélérer le déploiement des activités de l'agence.

L'agence s'est vu assigner trois missions : développer les peines de TIG, dynamiser la formation professionnelle des personnes détenues et favoriser l'emploi pénitentiaire, l'insertion par l'activité économique et l'accompagnement vers l'emploi.

3. Les premières réalisations

S'il est trop tôt pour dresser un bilan des activités de l'agence, il est en revanche possible de procéder à un point d'étape des différents chantiers ouverts depuis un an.

Concernant les TIG, le nombre de postes a cru de 10 % au cours de l'année écoulée pour s'établir à environ 20 000. L'objectif est de porter ce chiffre à 30 000 dans les trois années qui viennent, afin que les tribunaux puissent prononcer un plus grand nombre de peines de TIG en ayant l'assurance qu'elles seront rapidement exécutées.

À cette fin, le ministère cherche à nouer des partenariats nationaux avec les employeurs disposant d'un réseau important sur le territoire. Le 12 novembre dernier, une vingtaine de conventions ont été signées par la garde des sceaux avec des ministères, des entreprises publiques ou chargées d'un service public (La Poste, la SNCF, Enedis, Sodexo...), des représentants des collectivités territoriales et des organismes de logement social, des associations (Emmaüs, les Restaurants du coeur, la Croix-Rouge, la SPA...). Il n'existait auparavant que neuf conventions de ce type, dont six n'étaient pas véritablement actives.

Au sein des SPIP, des référents territoriaux, dont le nombre va passer de trente-cinq en 2019 à soixante-et-un en 2020, ont été nommés pour prospecter les structures d'accueil potentielles. Un outil numérique, la plateforme TIG 360°, est en cours de développement pour offrir à tous les acteurs une vision en temps réel de l'offre de postes et une gestion simplifiée des mesures de TIG.

Enfin, un décret, pris en application de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, va être soumis au Conseil d'État pour permettre l'expérimentation du recours au TIG dans les entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS) 16 ( * ) .

Sur le volet formation professionnelle, l'agence a entrepris d'améliorer la remontée d'informations pour suivre plus finement les actions conduites dans ce domaine. Elle prévoit de définir, avec la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), une stratégie de mobilisation du plan d'investissement dans les compétences (PIC) autour de trois axes : développement durable, numérique et services à la personne. En début d'année 2020, une réunion est prévue avec l'association des régions de France (ARF) pour valider des méthodes d'expérimentation et de diffusion des bonnes pratiques. Comme avec les référents territoriaux pour les TIG, l'agence prévoit enfin de dynamiser son réseau de collaborateurs en charge de la formation professionnelle.

En matière d'emploi pénitentiaire, l'agence a engagé un état des lieux des ateliers présents dans les établissements et elle réfléchit à une stratégie de mobilisation des crédits du programme personnalisé d'accompagnement à l'insertion professionnelle (PPAIP) qui n'ont été consommés qu'à hauteur de 60 % en 2018. Elle travaille également à un projet de relance de l'action commerciale du service de l'emploi pénitentiaire (SEP). L'agence participera enfin au projet de créer deux prisons expérimentales de réinsertion par le travail intégrant des entreprises partenaires.

Outre son intérêt dans une perspective de réinsertion, l'exercice d'une activité professionnelle en prison peut aussi aider les détenus à bénéficier d'un petit salaire, dans un contexte où ils ne bénéficient, sauf exception, d'aucun revenu de transfert.

Droit à l'assurance et au revenu de solidarité active (RSA)
pendant la détention

S'agissant du droit à l'assurance chômage, il est fermé aux personnes détenues puisque le versement de l'ARE (aide au retour à l'emploi) et de l'ASS (allocation de solidarité spécifique) est conditionné à la recherche effective et permanente d'un emploi . L'incarcération empêchant la réalisation de cette condition, ces allocations sont suspendues après quinze jours de détention .

S'agissant du RSA, les réponses sont différenciées en fonction de la composition du foyer :

- si la personne détenue est bénéficiaire du RSA seule, la prestation est suspendue à l'issue d'un délai de soixante jours après l'incarcération ;

- si le bénéficiaire du RSA est membre d'un foyer, les droits sont réexaminés à l'issue du même délai de soixante jours après l'incarcération sans tenir compte du bénéficiaire incarcéré ;

- si le bénéficiaire du RSA conserve un enfant à charge en détention, hypothèse peu fréquente qui concerne un petit nombre de femmes détenues, la prestation est maintenue.

À l'issue de l'incarcération, le droit commun s'applique à nouveau dès le premier jour du mois suivant lequel la personne n'est plus détenue.


* 15 Onepoint est une entreprise française spécialisée dans la transformation numérique des entreprises et des organisations.

* 16 Le secteur de l'économie sociale et solidaire regroupe des acteurs variés tels que des associations, des coopératives, des mutuelles ou des fondations.

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