INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des lois est appelée à examiner pour avis les crédits du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et les crédits du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières », au sein de la mission « Conseil et contrôle de l'État », dont le responsable est le Premier ministre.

Pour l'exercice 2020, les juridictions administratives bénéficient d'une hausse de leur budget de 4,6 % par rapport à l'exercice précédent, consacrée à la création de 77 équivalents temps plein travaillé (ETPT), soit 93 emplois temps plein (ETP) dont 59 sont destinés à la seule Cour nationale du droit d'asile, qui fait face, cette année encore, à une augmentation inédite de son activité.

Les juridictions financières voient également leurs crédits augmenter, mais plus modestement (+ 0,2 %), permettant la création de 5 ETP en 2020.

Votre rapporteur est en charge de ces programmes budgétaires pour la troisième année consécutive et ses constats se répètent :

- un effort budgétaire conséquent accordé à la Cour nationale du droit d'asile ;

- un manque de moyens alloués aux autres juridictions pour faire face dans des conditions satisfaisantes à leur volume d'activité, subi pour les juridictions administratives ou programmé pour les juridictions financières ;

- des performances qui sont maintenues tant bien que mal grâce à l'engagement et au sens du service public des personnels.

I. UN BUDGET A MINIMA AU REGARD DU CONTENTIEUX AUQUEL LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES DOIVENT FAIRE FACE

Le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État » regroupe les moyens affectés au Conseil d'État, aux huit cours administratives d'appel, aux quarante-deux tribunaux administratifs et, depuis 2009, à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

Présence du juge administratif sur le territoire national

Source : services du Conseil d'État

A. LA COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE : TOUJOURS LA PRINCIPALE PRIORITÉ DU PROGRAMME 165

1. Une augmentation des crédits nécessaire face aux quelque 90 000 recours attendus en 2020-2021

Avec 439,7 millions d'euros en crédits de paiement, le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » bénéficie d'une augmentation de 19,5 millions d'euros, soit une progression de 4,6 % de ses crédits par rapport à 2019. Cette augmentation est légèrement plus importante que celle observée l'année dernière (3,4 %).

Évolution des crédits par titre

Source : commission des lois à partir du projet annuel de performances pour 2020

Le plafond d'emplois pour 2020 est fixé à 4 224 équivalents temps plein travaillé (ETPT) contre 4 125 ETPT en 2019 (+ 2,4 %). Ce plafond intègre 77 ETPT prévus en schéma d'emploi pour 2020 (soit 93 emplois créés) et 22 ETPT correspondant à l'extension en année pleine du schéma d'emplois prévu l'année dernière.

Plafond d'emplois du programme 165

(en ETPT)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

PLF 2020

3 655

3 713

3 738

3 784

3 819

3 899

3 953

4 125

4 224

Source : projet annuel de performances pour 2020

Comme les années précédentes, l'augmentation des crédits est très inégalement répartie et presque entièrement consacrée aux moyens matériels et humains supplémentaires accordés à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) pour que celle-ci puisse faire face à la forte augmentation des recours. Tous titres confondus, la CNDA bénéficiera ainsi de 67,4 millions d'euros de crédits de paiement en 2020, contre 55,5 millions en 2019, soit une augmentation de 21,4 %.

Cet effort, qui n'a pas été prévu dans la programmation votée par le Parlement pour les années 2018-2022 3 ( * ) , est nécessaire pour que la Cour puisse respecter les délais prévus par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 portant réforme du droit d'asile qui fixe des objectifs en termes de délais (5 mois pour les procédures ordinaires et 5 semaines pour les nouvelles procédures accélérées 4 ( * ) ).

Ces délais n'ont encore jamais pu être tenus. La prévision actualisée de la performance prévoit même une dégradation des délais de jugement de la CNDA par rapport à la cible initiale de 2019. Ces délais seraient ainsi de 7 mois au lieu de 5 pour les procédures ordinaires, et de 10 semaines au lieu de 5 pour les procédures accélérées. Cette dégradation est la conséquence de la grève des avocats qui est intervenue pour protester contre la mise en oeuvre expérimentale, à compter du 1 er janvier 2019, des vidéo-audiences à Lyon et Nancy.

La vidéo-audience :
une reprise de l'expérimentation attendue en 2020

La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a ouvert la possibilité pour la CNDA d'organiser des « vidéo-audiences » sans l'accord du demandeur sur tout le territoire national , ce qui n'était jusqu'alors possible que pour les étrangers séjournant hors de France métropolitaine 5 ( * ) .

Une vidéo-audience se tient grâce à un moyen de communication audiovisuelle qui garantit la confidentialité et la qualité de la transmission entre la salle d'audience de la cour et la salle d'audience située « dans des locaux (...) plus aisément accessibles par le demandeur ». Celle salle est ouverte au public et le requérant y comparaît assisté de son avocat et de son interprète, le cas échéant 6 ( * ) .

Cette faculté de juger à distance a été validée par le Conseil constitutionnel 7 ( * ) : après avoir relevé que « le législateur a entendu contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics », il a estimé que les garanties procédurales offertes au demandeur 8 ( * ) écartaient toute atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, aux droits de la défense et au droit à un procès équitable.

Par décision du 17 décembre 2018, la présidente de la CNDA a lancé l'expérimentation de ce système sur deux sites, à chaque fois dans une salle d'audience de la cour administrative : à Lyon pour les demandeurs d'asile domiciliés dans les départements de l'Ain, de l'Ardèche, de la Loire et du Rhône, et à Nancy pour ceux qui résident en Meurthe-et-Moselle, en Moselle, dans la Meuse, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin.

Cette annonce a aussitôt créé une vive inquiétude des avocats qui se sont mobilisés contre une « déshumanisation de la justice », ce qui a entraîné de très nombreux renvois des affaires. Les négociations menées au printemps 2019 ayant échoué, une mission de médiation a été confiée à M. Alain Christnacht, conseiller d'État honoraire.

Selon la présidente de la CNDA entendue par votre rapporteur, une reprise de l'expérimentation pourrait être envisagée au printemps 2020 .

Elle a souligné les bienfaits de la vidéo-audience qui permet aux demandeurs d'être entendus plus près de chez eux, d'être assistés d'un avocat qu'ils auront pu rencontrer avant l'audience et de bénéficier du soutien des associations locales qui les accompagnent.

Par ailleurs, cette formule aurait l'avantage d' éviter de nombreux renvois - 23 % des dossiers 9 ( * ) - souvent dus à l'absence de l'avocat ou du demandeur.

La CNDA doit faire face à une hausse régulière et très importante des recours enregistrés devant elle. Après s'être élevée à 34 % en 2017 (53 581 recours) puis à 9,5 % en 2018 (58 671 recours), cette augmentation pourrait atteindre 53% sur la période 2019-2020 pour représenter, d'après les dernières estimations de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), de 80 000 à 90 000 recours en 2020-2021.

De tels chiffres n'ont jamais été atteints : les pics historiques que la Cour avait connus en 1990-1991 et 2004 étaient de l'ordre de 50 000 recours. La présidente de la CNDA s'attend toutefois à un ralentissement de la progression après 2021.

Évolution des recours contre les décisions de l'OFPRA

Source : extrait du rapport annuel 2018 de la CNDA

Sur les 93 nouveaux emplois créés en 2020, 59 sont destinés à la seule CNDA, dont 32 pour des postes de rapporteurs . Ces postes s'ajoutent aux précédentes créations : 102 en 2018, dont seules 51 avait été prévues en loi de finances initiale, et 122 en 2019.

Situation des effectifs permanents de la CNDA au 31 décembre

2015

2016

2017

2018

2019

EP*

ETP**

EP

ETP

EP

ETP

EP

ETP

EP

ETP

Rapporteurs

161

157.5

171

167.5

192

189.5

235

232.2

296

290.2

Autres

202

199.6

217

214.5

234

231.1

266

264.8

323

322.5

Total

363

357.1

388

382

426

420.6

501

497

619

612.7

*Effectif physique (agents en poste au 31/12) **Équivalent temps plein au 31/12.

Source : réponse au questionnaire budgétaire

2. Une croissance à marche forcée qui mobilise fortement la CNDA

La CNDA depuis sa création - et avant elle, la commission des recours des réfugiés - s'est toujours adaptée à l'évolution des demandes. La période de croissance actuelle est inédite et il est indispensable d'accompagner cette montée en charge observée depuis dix ans, période au cours de laquelle le nombre des recours a été multiplié par 2,7.

Toutefois, les efforts d'organisation que cet accroissement subit - et subi - implique sont particulièrement importants et requièrent, selon les mots de sa présidente, les « compétences cumulées de Pôle Emploi et d'une agence immobilière ». Une partie de la ressource interne doit en effet être mobilisée pour assurer le développement très rapide de la Cour, qui en trois ans seulement aura :

- créé plus de 260 postes (102 en 2018, 122 en 2019 et 59 en 2020) ;

- ouvert dix chambres (quatre en 2018, cinq en 2019 et une en 2020).

a) Une gestion des personnels rendue plus complexe

La CNDA fait appel à de nombreuses personnes sous des statuts variés et pour des interventions parfois ponctuelles.

Par exemple, parmi les juges, seuls les présidents de chambre sont des magistrats recrutés de manière permanente 10 ( * ) . Les autres, présidents d'audience 11 ( * ) et assesseurs 12 ( * ) , sont des vacataires qui assurent chacun un minimum de 13 audiences par an et représentent près de 400 personnes à coordonner pour assurer les audiences des vingt-deux - et bientôt vingt-trois - chambres de la juridiction.

L'intégration de nouveaux rapporteurs ou juges représente une charge de travail supplémentaire, à la fois pendant le processus de recrutement 13 ( * ) , mais également pour les former 14 ( * ) . La formation initiale, d'un mois pour les rapporteurs et de dix jours pour les juges, est assurée en interne, avec le soutien du Centre de formation de la juridiction administrative pour former les formateurs (CFJA - cf encadré infra ).

Ces créations de postes s'ajoutent au turn-over habituel parmi les nombreux agents contractuels de la CNDA (71,7 % des agents de catégorie A en 2018). Une stratégie de pérennisation des emplois de rapporteurs est menée pour, d'une part, assurer un meilleur équilibre entre contractuels et fonctionnaires et, d'autre part, éviter un renouvellement trop important des équipes, qui entraîne une perte d'expertise et d'expérience particulièrement préjudiciable pour la Cour. Depuis 2018, des recrutements en sortie d'instituts régionaux d'administration (IRA) ont ainsi été effectués. En 2019, un concours direct d'accès au corps d'attaché du Conseil d'Etat et de la CNDA a été organisé : 30 personnes ont été reçues à ce concours, dont 18 en interne.

b) Une extension immobilière difficile à réaliser

La Cour a créé neuf chambres en 2018 et 2019. Elle doit en créer une dixième en 2020.

Chaque chambre emploie une équipe de 23 personnes : un président permanent, un chef de chambre, un chef de pôle, 14 rapporteurs et 6 secrétaires. Outre les bureaux nécessaires à ces personnes, elle occupe quatre salles susceptibles de recevoir du public pour organiser ses audiences. À chaque création de chambre, les besoins immobiliers sont donc importants.

La Cour a réussi jusqu'à présent à s'étendre autour de son site de la rue Cuvier à Montreuil en louant des locaux alentour, notamment à FranceAgriMer, l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer voisin, où quatre chambres ont pu être installées en 2018. En 2019, des salles d'audience ont également été créées dans les locaux de l'ancien palais de justice de Paris sur l'île de la Cité, ce qui manque de praticité pour les membres des formations concernées qui viennent de Montreuil. Parallèlement, les plages d'audiences ont été élargies au maximum (coupure d'été réduite et amplitude horaire augmentée 15 ( * ) ).

Cette extension immobilière a ses limites : aujourd'hui, la CNDA ne sait pas où créer la 23 e chambre dont l'ouverture est prévue en 2020 . Si un déménagement global de la CNDA est bien prévu à l'horizon 2024 dans un site commun avec le tribunal administratif de Montreuil, ce projet, géré par l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), a pris du retard en raison de l'occupation des locaux choisis - ceux de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) - par des travailleurs sans papiers jusqu'en octobre 2019.


* 3 Hors contribution au compte d'affection spéciale « Pensions », les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État » dépassent de plus de 5 % le plafond de la programmation triennale de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 4 Article L. 731-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 5 La Cour organise des vidéo-audiences hebdomadaires avec la Guyane depuis 2014, avec Mayotte depuis juin 2015, ainsi que, depuis le premier semestre 2016, avec la Guadeloupe et la Martinique.

* 6 Article L. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 7 Décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018.

* 8 Notamment, présence physique de son avocat à ses côtés, copie de l'intégralité du dossier mise à la disposition de l'intéressé, établissement d'un procès-verbal de l'audience.

* 9 Chiffre 2018, hors mouvements sociaux des agents.

* 10 Il s'agit de magistrats de l'ordre administratif.

* 11 Magistrats des ordres judiciaire, administratif et financier.

* 12 Personnalités qualifiées de nationalité française nommées pour trois ans, respectivement par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés et par le vice-président du Conseil d'Etat, en raison de leurs compétences dans les domaines juridique ou géopolitique.

* 13 Les rapporteurs sont directement recrutés par la Cour, tandis que les assesseurs sont nommés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et par le vice-président du Conseil d'État.

* 14 Le recrutement des rapporteurs prend sept mois, entre la réception des curriculum vitae et la fin de la formation initiale.

* 15 Une journée d'audience dure de 9 heures à 20 heures et permet l'examen de 13 affaires (6 le matin et 7 l'après-midi).

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