INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La mission « Administration générale et territoriale de l'État » regroupe les crédits affectés au ministère de l'intérieur dans trois domaines :

- les moyens des préfectures, sous-préfectures et représentations de l'État dans les collectivités d'outre-mer ainsi que les moyens mutualisés des administrations déconcentrées, rassemblés au sein du programme 354 « Administration territoriale de l'État » ;

- l'exercice des droits des citoyens dans le domaine des élections, de la vie associative et de la liberté religieuse, dans le cadre du programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative » ;

- les moyens du pilotage des fonctions support et de la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère, rattachés au programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ».

Pour l'administration territoriale, les années se suivent et les réformes se succèdent : les services doivent faire mieux avec de moins en moins de moyens. Au global, ce sont 2 945 équivalents temps plein (ETP) qui ont été supprimés entre 2013 et 2019.

L'année 2020 s'inscrira dans cette tendance, seule la modification des périmètres permettant au Gouvernement d'afficher une hausse faciale des crédits du programme 354, rendant l'évolution budgétaire pluriannuelle illisible. La création des secrétariats généraux communs (SGG) aux services préfectoraux et aux services déconcentrés se traduit en effet au plan budgétaire par une augmentation mécanique des crédits, qui cache en réalité une baisse des moyens humains et budgétaires, comme le montre ce rapport.

Si les difficultés causées par la dématérialisation à marche forcée prévue par le plan « Préfectures nouvelles générations » sont en passe d'être résolues, il n'en demeure pas moins que l'État entend poursuivre son dégagement dans les territoires. Cela est parfaitement visible dans le domaine de l'ingénierie territoriale, de plus en plus atrophiée, malgré les objectifs ambitieux affichés. Ainsi, la future Agence nationale de la cohésion des territoires, qui n'apportera pas de nouveaux financements aux collectivités, ne sera ni plus ni moins qu'une « auberge espagnole » sans apport nouveau de l'État.

Au-delà des moyens de l'administration territoriale de l'État - qui constitue le volet le plus important de la mission AGTE - votre rapporteur a souhaité s'intéresser à deux mesures qui relèvent du périmètre des programmes 232 et 216 :

- l'état du déploiement du répertoire électoral unique après les élections européennes et avant les élections municipales, dont les premiers résultats sont encourageants même s'il convient d'améliorer la coordination entre l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), les communes et les éditeurs de logiciel de gestion de listes ;

- le rattachement annoncé de la MIVILUDES au ministère de l'intérieur, auquel votre rapporteur s'oppose fermement. Assimiler la lutte contre les dérives sectaires pluridimensionnelle à la lutte contre la radicalisation serait signer l'arrêt de mort d'une mission unanimement reconnue comme indispensable.

I. L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT : UNE RÉFORME QUI MASQUE LE DÉSENGAGEMENT TERRITORIAL DE L'ÉTAT

Le plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG), qui s'est développé sur la période 2016-2020, a profondément modifié l'organisation de l'administration territoriale. Il s'agissait pour l'essentiel de réformer les modalités de délivrance des titres en dématérialisant les demandes et en regroupant l'instruction au sein de plateformes spécialisées. 1 300 emplois ont ainsi été supprimés et 700 réaffectés, en principe, à quatre missions prioritaires : sécurité et ordre public, coordination des politiques publiques, contrôle de la légalité et lutte contre la fraude documentaire. À l'usage, on constate que si les fraudes ont été ainsi réduites et l'accessibilité pour une partie de la population améliorée, les besoins techniques et la complexité des relations avec les usagers ont été largement sous-évalués , d'où les dysfonctionnements majeurs du départ, en passe d'être résolus grâce à un effort notable des responsables du dispositif.

Avant même que ces difficultés ne soient totalement réglées et que soit vérifiée l'effectivité du renforcement des missions prioritaires, l'administration déconcentrée se voit cependant imposer un nouveau train de réformes par la circulaire du Premier ministre du 24 juillet 2018 relative à l'organisation territoriale des services publics . La mesure phare de l'année 2020, c'est la création de secrétariats généraux communs aux services préfectoraux et aux services déconcentrés. Au plan budgétaire, cela se traduit par une fusion de deux programmes (307 2 ( * ) et 333 3 ( * ) ) au sein du nouveau programme 354 « Administration territoriale de l'État » qui permet d'afficher une hausse faciale des crédits sans augmenter, comme on va le voir, les moyens que l'État consacre réellement à son administration territoriale.

A. UNE HAUSSE DES CRÉDITS ET DES MOYENS EN TROMPE L'oeIL

À s'en tenir au projet de loi de finances (PLF) pour 2020, les moyens financiers et en personnels réservés à la fonction publique de l'État dans les territoires augmentent substantiellement :

Récapitulatif de l'évolution des crédits du programme
« Administration territoriale de l'État »

Projet de loi de finances pour 2019

Projet de loi de finances pour 2020

Variation 2020/2019

Programme 307

Programme 333

Total

Programme 354

Autorisations d'engagement (en millions d'euros)

1 657

654

2 311

2 460

+ 6,4 %

Crédits de paiement (en millions d'euros)

1 657

540

2 197

2 328

+ 6 %

Plafond d'emplois (en équivalents temps plein travaillé)

25 317

2 005

27 322

28 418

+ 4 %

Source : projets annuels de performance 2019 et 2020

C'est, en fait, l'effet du transfert de moyens jusque-là comptabilisés au titre de missions interministérielles qui relevaient de divers ministères, soit 1803 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Comprendre la ventilation exacte des crédits n'est pas à la portée du commun des mortels et l'on se demande même si le ministère de l'intérieur est capable de le faire, les chiffres avancés ne se recoupant pas.

Pour faire bonne mesure, il faut en plus prendre en compte l'élargissement du périmètre du nouveau programme 354 aux départements et aux régions d'outre-mer.

Ce qu'on peut dire, c'est que par rapport à 2019, les moyens en personnels prévus au PLF pour 2020 ne sont augmentés que de 1 096 ETPT, ce qui signifierait qu'à périmètre constant, les moyens globalement dévolus à la fonction publique territoriale de l'État baisseraient de 707 ETPT.

Quant aux moyens financiers, ce sont 104,45 milliards d'euros qui ont été transférés des autres ministères au ministère de l'intérieur, d'où la forte augmentation des crédits du programme, alors même que les moyens mobilisés par l'État, au global, restent eux inchangés. Pire encore, l'Assemblée nationale a adopté en seconde délibération un amendement 4 ( * ) présenté par le Gouvernement qui diminue les crédits de la mission de plus de 6 millions d'euros au nom de la « solidarité budgétaire », afin d'équilibrer la hausse des crédits entérinée pour d'autres programmes. Cette diminution affecte tous les programmes de la mission selon la répartition suivante :

Programme

Évolution des crédits (en euros)

Administration territoriale de l'État (354)

- 2 402 082

Vie politique, cultuelle et associative (232)

- 1 033 943

Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur (216)

- 6 491 637

Source : Site de l'Assemblée nationale

Ainsi les restrictions budgétaires associées à une loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui interdit toute vision globale des politiques gouvernementales ont-elles progressivement transformé le PLF en un exercice de camouflage annuel.

Pour les seuls emplois rattachés au périmètre de l'ancien programme 333, le schéma d'emplois prévoit pour 2020 une baisse totale des effectifs de l'ordre de 329 équivalents temps plein (ETP) qui inclut le transfert de 129 ETP des services centraux du ministère de l'intérieur auprès du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » ainsi que la suppression de 200 ETP. Cette baisse s'inscrit dans la continuité du plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG) qui s'est déjà traduit par la suppression de 1 300 ETP sur la période 2016-2018.

Si on ne peut qu'être favorable à la fusion de programmes concourant à l'exécution d'une même mission, constatons que ce n'est pas l'objectif mais le résultat d'une réforme visant d'abord à faire des économies, ce qu'avoue d'ailleurs clairement la réforme « Action publique 2022 », laquelle prévoit la suppression 50 000 postes .

Si permettre la mutualisation des moyens de l'administration territoriale de l'État, indispensable au maintien de sa présence dans les territoires les moins denses, avait été l'objectif du train de réformes, celui-ci se serait accompagné d'une harmonisation des statuts des fonctionnaires affectés dans les services préfectoraux quel que soit leur ministère d'origine. Nous avons pu constater notamment que ces différences de statuts rendaient encore plus difficile la mutualisation des moyens là où elle s'impose le plus, c'est-à-dire dans les petites sous-préfectures.

La gestion du corps préfectoral

Les critiques récurrentes sur le nombre important de préfets hors cadre et/ou aux activités manquant de consistance avaient conduit à une modification du statut des préfets, supprimant notamment la position « hors cadre » et la remplaçant par celle de « conseiller du Gouvernement ». Comme votre rapporteur l'avait déjà souligné dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2019, la modification est restée sémantique même si la position est encadrée de conditions de nomination un peu plus strictes.

Constatons, une fois encore, que quasiment la moitié des préfets (122 sur 248) n'occupe pas de poste territorial. Par ailleurs, en 2018, 75 % des primo-nominations ont concerné des sous-préfets ou des hauts fonctionnaires appartenant à des corps analogues du ministère de l'intérieur. Si ce chiffre est en forte augmentation par rapport à l'année précédente (60 %), il reste cependant faible en comparaison de la proportion observée en 2016 (11 sur 12 primo-nominations).


* 2 « Administration de l'État », qui recouvre l'ensemble des moyens des préfectures, des sous-préfectures et des représentations de l'État dans les collectivités d'outre-mer.

* 3 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées », qui recouvre les crédits de fonctionnement des directions départementales interministérielles (DDI), des directions et délégations régionales placées sous l'autorité des préfets de région, des secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) et des emplois déconcentrés gérés par les services du Premier ministre.

* 4 http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2272D/AN/4

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