B. LA SITUATION DES ARTISTES : DES RÉFORMES À MENER

La situation particulière de la bande dessinée concentre et amplifie les difficultés liées à une prise en compte insuffisante des artistes et des auteurs par les systèmes sociaux et fiscaux.

1. Le statut particulier des auteurs
a) Un statut dérogatoire et complexe

Votre Rapporteure pour avis avait analysé dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2019 le statut dérogatoire et complexe des artistes-auteurs.

Ces derniers disposent d'un statut particulier, qui n'est en particulier pas comparable à celui des intermittents du spectacle, ni a fortiori des salariés, mais proche de celui des professions libérales .

Il est en général reconnu que le cadre légal ne tient pas suffisamment compte des spécificités de leur profession, caractérisée par l'incertitude sur le niveau de revenus d'une année sur l'autre et un rythme de travail très différent de celui d'un salarié.

La rémunération des auteurs s'effectue sur la base du contrat passé avec l'éditeur , qui prévoit un pourcentage compris entre 6 et 10 % du prix du livre.

Le régime de sécurité sociale des auteurs fait partie du régime général des salariés. À ce titre, les auteurs acquittent les cotisations sociales sur les revenus issus de leurs contrats d'édition , quel qu'en soit le montant.

Deux associations agréées ont longtemps fait le lien entre les auteurs et la sécurité sociale : l 'AGESSA (Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs) pour les auteurs, illustrateurs et auteurs-compositeurs, la Maison des Artistes pour les arts plastiques.

En fonction des revenus tirés de leur activité artistique, les auteurs sont :

- soit assujettis , en dessous de 900 fois la valeur horaire moyenne du SMIC (8 784 € pour 2017). Les assujettis sont prélevés au titre des cotisations sociales, pour 10,45 % de l'assiette des revenus.

L'assujettissement ne permet pas l'accès à la sécurité sociale des auteurs , les assujettis étant réputés exercer une autre activité qui leur assure la protection sociale. Ils représentent entre 80 000 et 100 000 personnes en 2013 . Cette catégorie regroupe notamment des personnes pour lesquelles l'écriture est un « prolongement » de leur activité principale, comme les enseignants, les chercheurs ou les journalistes ;

- soit affiliés , au-dessus du plafond de 900 fois la valeur horaire du SMIC. Ils sont prélevés au titre des cotisations sociales pour 17,45 %, comprenant, à la différence des assujettis, une cotisation retraite de 6,75 %.

Dans ce cas, les auteurs bénéficient des prestations maladie, maternité, invalidité et décès, des prestations familiales et d'une retraite de base, mais pas de l'assurance chômage , accidents du travail, ni de congés payés . 5 400 auteurs sont affiliés en 2013, soit moins de 5 % des effectifs.

Les revenus des auteurs sont, en résumé :

- très faibles chez les assujettis , la moitié percevant moins de 900 euros nets, soit dans la très grande majorité des auteurs ;

- plus significatifs chez les affilié s, un sur deux percevant plus de 15 500 €. Cependant, 40 % gagnent moins que le SMIC.

b) Des réformes qui impactent et inquiètent les auteurs

Plusieurs réformes se sont avérées problématiques et ont lourdement impacté le niveau de vie des auteurs. Il convient d'en citer quatre en particulier.

• La hausse de la TVA sur les droits d'auteur

Le taux de TVA appliqué aux droits d'auteur est passé de 5,5 % à 7 % au 1 er janvier 2012, puis à 10 % au 1 er janvier 2014. La mesure ne visait pas spécifiquement les auteurs, mais a profondément impacté leurs revenus, constitués en totalité de gains soumis à la TVA.

• La hausse de la CSG

Les auteurs subissent la hausse de la CSG (passée de 7,5 % à 9,2 %) , qui a entraîné une perte de leur pouvoir d'achat (même si cette hausse de la CSG a été en partie compensée par la suppression de la cotisation d'assurance-maladie). En effet, comme les auteurs ne cotisent pas au titre de l'assurance chômage, ils ont été « oubliés » et ont subi une perte nette de revenus, à la différence du reste de la population.

• Le transfert des missions de l'AGESSA à l'ACOSS au 1 er janvier 2019, et de la Maison des Artistes, qui suivra au 1 er janvier 2020

Le recouvrement de la cotisation à la retraite de base par précompte, pour l'ensemble des artistes auteurs déclarant fiscalement leurs revenus en traitements et salaires, est effectif depuis le 1 er janvier 2019, ainsi que l'a prévu la disposition adoptée dans la loi de financement de la sécurité sociale fin 2015. Cette mesure vise à assurer, auprès de l'ensemble des artistes auteurs, le recouvrement des cotisations retraite de base, qui ne sont aujourd'hui recouvrées qu'auprès des seuls affiliés. En particulier, on estime que 7 000 auteurs supplémentaires ne se sont pas déclarés, et à ce titre ne constituent pas de droit pour leur retraite . Le prélèvement « au premier euro » leur serait donc favorable, mais constitue une perte en particulier pour deux catégories :

- les auteurs actuellement simplement assujettis, en raison de la faiblesse de leurs revenus artistiques, subiraient une hausse de 6,75 % des prélèvements. Les mêmes règles que pour les salariés s'appliqueront alors : un trimestre de retraite sera acquis si l'assiette atteint 150 fois le salaire minimum de croissance (SMIC) horaire. Dans le cas contraire, les auteurs qui ne pourront pas parvenir à ce seuil seront prélevés, mais sans acquérir de droits ;

- les auteurs retraités, avec une baisse de revenus de 6,90 % car ils paieront désormais la cotisation vieillesse sans voir leur retraite revalorisée. En ce qui concerne les auteurs qui n'ont pas été affiliés durant leur carrière, ils subiraient la hausse de cotisations sans que leur retraite ne soit revalorisée.

À ce stade, aucune mesure n'a été prise pour ces deux catégories de population.

• Le prélèvement à la source

La question de l'imposition de revenus par nature très fluctuants constitue un véritable « serpent de mer », aucune solution pleinement satisfaisante n'ayant été trouvée.

Actuellement, l'auteur peut demander un étalement du règlement de l'impôt sur trois ou cinq ans. Avec le prélèvement à la source, l'acompte calculé par l'administration fiscale est prélevé par douzième au plus tard le 15 de chaque mois de l'année. Sur option du contribuable, l'acompte peut être versé par quart au plus tard les 15 février, 15 mai, 15 août et 15 novembre.

Compte tenu du caractère particulièrement irrégulier de ces revenus, le contribuable peut demander le report de paiement d'au maximum trois échéances sur l'échéance suivante, en cas de paiement mensuel, ou d'une échéance sur la suivante, en cas d'option pour le paiement trimestriel.

2. Des avancées et des promesses

Quelques progrès ont été enregistrés cette année et devront être confortés en 2020 .

a) Des évolutions à prévoir pour le régime des artistes

Dans le prolongement de la mission conjointe menée en 2013 par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et sur le fondement des préconisations formulées par leur rapport ( L'unification des organismes de sécurité sociale des artistes auteurs et la consolidation du régime, juin 2013 ), les ministères chargés de la culture, des solidarités et de la santé, de l'action et des comptes publics, ont relancé en juin 2018 la concertation sur le régime social et fiscal des artistes auteurs autour de différentes mesures de simplification, de modernisation et de consolidation de leur régime . Cette concertation associe l'ensemble des organisations professionnelles représentant les intérêts des artistes et auteurs des secteurs de l'écrit, de l'audiovisuel, de la presse, de la musique et des arts visuels et graphiques, mais aussi des diffuseurs, ainsi que les organismes de gestion collective.

La concertation, qui se poursuit en 2019, vise également à adapter aux spécificités de l'activité des artistes-auteurs les grandes réformes fiscales et sociales (réforme des retraites, prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, neutralisation de la hausse de la Contribution sociale généralisée) afin de maintenir leur pouvoir d'achat . La mission conjointe de l'IGAC et de l'IGAS de décembre 2018 relative à la consolidation et aux perspectives d'amélioration du régime social des artistes-auteurs a proposé des pistes pour développer son financement, actualiser son périmètre et revoir sa gouvernance. Sa mise en oeuvre fait actuellement l'objet d'arbitrages entre les ministères concernés, qui seront suivis avec une grande attention par votre Rapporteure pour avis .

b) Une compensation de la hausse de la CSG enfin pérennisée en 2020

La Présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly, et notre collègue Sylvie Robert, avaient attiré l'attention du Gouvernement sur ce sujet dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 au mois de novembre 2017. Finalement non retenu dans le texte final, l'amendement adopté au Sénat avait eu le mérite de pousser le ministère de la culture à traiter cette question.

Ainsi, il avait été annoncé que cette hausse serait compensée, suite à la parution du décret du 15 mai 2018 relatif à l'augmentation non compensée de la CSG pour les auteurs, par le biais d'une aide financière pour la seule année 2018 .

La situation n'avait pas évolué l'année dernière , avec une compensation de la hausse de la CSG qui n'était alors pas inscrite dans le projet de loi de finances ni de financement.

Dans l'attente d'une solution pérenne, votre Rapporteure pour avis, avec la Présidente de la commission et plusieurs Sénateurs, avait fait adopter un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoyant une compensation, amendement une nouvelle fois non retenu dans le texte final . La Ministre avait indiqué que les versements auraient lieu avant la fin de l'année 2019, et qu'une solution pérenne serait trouvée pour les années suivantes. Il aura donc fallu deux années et une mobilisation renouvelée de la commission pour que cette question de simple justice fiscale et sociale se trouve réglée .

Le dispositif de compensation de la hausse de la CSG pour les artistes-auteurs pour l'année 2019 est finalement prévu à l'article 2 du décret n° 2019-422 du 7 mai 2019 instituant des mesures de soutien au pouvoir d'achat des artistes-auteurs. Il s'agit d'une reconduction du dispositif prévu en 2018 par le décret n° 2018-356 du 15 mai 2018, dont les conditions ont été aménagées afin de bénéficier à l'ensemble des artistes-auteurs et de permettre un rattrapage de ceux qui n'ont pas bénéficié de la mesure en 2018 (ex-assujettis).

À compter du 1 er janvier 2020, une mesure pérenne de compensation sera mise en oeuvre conformément au dispositif prévu à l'article 3 du décret du 7 mai 2019 .

Elle consistera en la prise en charge par l'État d'une fraction des cotisations vieillesse de base des artistes-auteurs, répartie comme suit :

- l'intégralité de la cotisation vieillesse assise sur la totalité de leurs revenus artistiques ;

- 0,75 point du taux de la cotisation vieillesse assise sur leurs revenus artistiques inférieurs au plafond prévu au premier alinéa de l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale.

Cette mesure, qui permet une compensation individuelle, opérée lors de l'acquittement des prélèvements sociaux, sera gérée directement par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) dans le cadre du transfert du recouvrement des cotisations sociales des artistes-auteurs.

c) Des règles particulières pour une profession particulière

L e statut des auteurs est suivi par le ministère de la culture, mais dépend des affaires sociales pour les aspects financiers les plus critiques . Or, les auteurs constituent une population qui, en dépit des efforts réels du ministère de la culture, peine à trouver son modèle de financement de la protection sociale et à se faire entendre des pouvoirs publics. Ils ne disposent pas de la même écoute auprès des pouvoirs publics et des médias que les intermittents du spectacle et sont en général peu intéressés par l'action collective. Dernièrement cependant, la profession a tenté d'alerter sur son sort par des tribunes dans la presse, pour appeler à une vraie réflexion sur son statut.

Une mission de réflexion plus prospective sur l'auteur et l'acte de création a été confiée en 2019 à Bruno Racine afin d'adapter les politiques publiques en faveur des créateurs. Les auditions sont en cours et les conclusions du rapport sont attendues à la fin de l'année .

Votre Rapporteure pour avis ne peut que souligner que, en dépit de leur faible nombre et d'enjeux financiers modestes, qui donc ne poussent pas le ministère des affaires sociales à s'intéresser par priorité aux auteurs, l'enjeu de leur offrir un statut adapté est d'une importance vitale pour la vitalité de la création française . À côté d'auteurs connus et reconnus qui peuvent percevoir des droits très importants, un trop grand nombre de professionnels est encore astreint à devoir simplement « survivre » de ce qui n'est pas assez considéré comme un métier, mais encore trop souvent comme un « passe-temps » ou une « distraction » .

Sans sous-estimer la difficulté de la réforme, on ne peut que formuler le souhait qu'elle soit enfin abordée résolument par les deux ministères concernés .

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