B. LA MODERNISATION DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE : ALLER AU-DELÀ DE LA CRISE

1. Un système à bout de souffle

a) La loi « Bichet » du 2 avril 1947

Issue des travaux du Conseil national de la Résistance , la loi « Bichet » du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques organise depuis plus de 70 ans la distribution de la presse en France.

Cette loi a permis la mise en place d'un système unique au monde de distribution des journaux sur l'ensemble du territoire, qui marque la place éminente de la presse dans la vitalité démocratique de notre pays.

b) Une organisation en trois niveaux complémentaires

La distribution de la presse nationale en France est divisée en trois niveaux, des deux messageries Presstalis et les MLP aux plus de 23 000 diffuseurs. La presse régionale, pour sa part, a fait le choix dès l'origine d'être diffusée par ses propres canaux.

Pour bénéficier des services des messageries, les éditeurs sont tenus de se regrouper : c'est le système coopératif . La loi garantit que les messageries, par le biais des coopératives, sont contrôlées par les éditeurs.

c) Un secteur autorégulé

Avec la liberté de diffusion et la solidarité entre éditeurs, le principe coopératif constitue l'un des trois piliers de la distribution de la presse.

Le respect de ces principes est assuré par une régulation bicéphale, composée du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), qui représente la profession, et de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), chargée de valider les décisions prises par le CSM.

d) Une réforme annoncée depuis longtemps

La crise qui secoue le secteur depuis plus de 10 ans, une gestion peu efficace et un manque de confiance global avaient sapé les fondements du système. Dès lors, et en dépit des révisions de 2011 et 2015, votre Rapporteur pour avis milite depuis deux ans, à travers ses différents rapports, mais également les nombreuses auditions en commission, pour une évolution radicale du schéma de la distribution de la presse en France.

Attendu depuis la fin d'une année 2017 qui a vu le principal opérateur de la distribution de la presse, Presstalis, sur le point de déposer le bilan, le projet de loi de modernisation de la distribution de la presse a finalement été déposé en premier lieu sur le Bureau du Sénat le 10 avril 2019. Votre Rapporteur pour avis, également Rapporteur du projet de loi, a eu l'opportunité de travailler de manière très approfondie sur ce texte. Il a tenu, dans le cadre de ses travaux, à adopter une approche pragmatique mais respectueuse des acquis incontestables de la loi de 1947 .

2. La loi de modernisation de la presse du 18 octobre 2019

La loi de modernisation de la distribution promulguée le 18 octobre, propose une réécriture presque complète de la loi de 1947.

a) Les objectifs assignés l'année dernière par le Sénat à la réforme

Votre Rapporteur pour avis avait fixé l'année dernière dans son rapport pour avis quatre objectifs à cette réforme :

• premièrement, préserver une diffusion sur l'ensemble du territoire des titres d'information politique et générale , qui est garantie par le Conseil constitutionnel ;

• deuxièmement, créer les conditions d'un équilibre économique durable du secteur ;

• troisièmement, redonner une place centrale aux diffuseurs de presse , qui ont été oubliés ces dernières années ;

• enfin, prendre en compte l'évolution de la presse avec la place grandissante du numérique .

La loi finalement adoptée, modifiée par le Sénat, respecte globalement ce cadre.

b) Les principales dispositions de la loi

Les apports de la loi peuvent être synthétisés suivant cinq axes .

• Le principe coopératif est maintenu

Les entreprises de presse qui souhaiteraient bénéficier d'une distribution groupée ont l'obligation de se regrouper en coopérative, ce qui permet de maintenir la solidarité entre éditeurs. Ce maintien a en particulier permis de rassurer certains grands acteurs du secteur, très attaché à cet acquis qui constitue une garantie pour les petits éditeurs.

• La distribution serait désormais assurée par des sociétés agréées

Ces sociétés ne doivent plus être la propriété des coopératives, mais passeront des contrats avec les entreprises de presse. Cela permettra d'envisager l'entrée sur ce marché de nouveaux acteurs.

• Les familles de presse seront traitées de manière différenciée

Trois catégories de presse sont distinguées :

ü la presse d'information politique et générale , qui aura accès à l'ensemble des diffuseurs ;

ü la presse « Commission paritaire », qui fera l'objet d'un assortiment déterminé par les organisations professionnelles et tiendrait compte des caractéristiques du point de vente ;

ü la presse « non Commission paritaire », qui fera l'objet d'accord entre les éditeurs et les diffuseurs.

• La régulation serait entièrement confiée à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

La nouvelle ARCEP aura pour mission d'agréer les sociétés candidates pour assurer la distribution de la presse, sur la base d'un cahier des charges précisant leurs obligations.

L'ARCEP exercera une fonction de régulation indépendante de l'ensemble du secteur, en appliquant des critères économiques destinés à garantir sa viabilité.

• La diffusion sur Internet entre dans le champ de la loi

Pour la première fois, les conditions de diffusion de la presse sur Internet rentrent dans le champ de la loi. En particulier, les kiosques numériques 8 ( * ) généralistes auront l'obligation de distribuer la presse d'information politique et générale qui en fera la demande.

Les agrégateurs de contenus, comme Google News ou Facebook, devront être transparents sur leurs modalités de mise en avant des contenus.

c) Des apports du Sénat conservés dans la loi

La quasi-totalité des apports du Sénat ont été conservés dans la loi, dont la discussion s'est avérée particulièrement fluide tant avec le gouvernement qu'avec l'Assemblée nationale.

Votre Rapporteur pour avis a ainsi veillé en particulier à rendre la régulation plus efficace et transparente , en étendant les pouvoirs de l'ARCEP dans le domaine de l'accord interprofessionnel qui détermine l'assortiment des titres de presse « Commission paritaire ». Le Parlement aura de plus la possibilité de saisir l'ARCEP pour avis de toute question relative au secteur de la distribution de la presse.

Le Sénat a tenu à mieux affirmer la place des diffuseurs de presse au centre du système et à garantir leur présence sur le territoire. Ainsi, les éditeurs de presse « CPPAP » dont les publications n'auraient pas été retenues dans le cadre de l'accord interprofessionnel et tous les autres types de presse disposeront d'un droit de présentation auprès des diffuseurs. Ces derniers auront l'obligation de proposer à leurs clients les titres de presse CPPAP issus de l'assortiment.

Les organisations professionnelles des diffuseurs de presse seront consultées par l'ARCEP avant de fixer le cadre de leur rémunération, et le maire de la commune sera consulté par la commission du réseau avant toute décision d'implantation d'un diffuseur de presse.

Enfin, des garanties juridiques ont été apportées pour permettre au nouveau système d'être pleinement opérationnel. En particulier, l'agrément devra tenir compte des fonctions financières et logistiques que devront remplir les sociétés en charge de la distribution, et une meilleure visibilité sera donnée aux acteurs historiques que sont les dépositaires centraux sur le schéma territorial.

3. Préparer 2023

a) Donner des moyens à la régulation

Si la régulation de l'ARCEP s'appliquera dans les six mois qui suivent la promulgation de la loi, le nouveau schéma de la distribution n'entrera pas en vigueur avant 2023 .

Il est donc essentiel que l'ARCEP acquière rapidement la connaissance d'un secteur qui, économiquement, représente une faible surface par rapport à ses champs d'action habituels, mais se caractérise par une très grande complexité organisationnelle, politique et sociale .

Il serait dangereux de ne pas doter l'ARCEP de moyens suffisants. En 2020, les crédits de l'Autorité progressent de 1,88 %. Il a été indiqué à votre Rapporteur pour avis que ces crédits permettraient de créer les cinq emplois jugés nécessaires la première année , trois autres étant prévus pour 2021 . Même si les crédits de l'ARCEP ne sont pas positionnés sur le programme 180, votre Rapporteur pour avis suivra l'évolution des moyens comme de l'expertise de la nouvelle autorité de régulation, qui doit jouer un rôle essentiel dans la nouvelle organisation de la distribution afin de prévenir de nouveaux chocs.

b) Pour les acteurs historiques : anticiper les nouvelles exigences des éditeurs

Presstalis , compte tenu de sa situation décrite infra , est placée dans une position singulière.

Plus grande société, en situation de monopole pour la distribution, certes déclinante, des quotidiens nationaux, elle présente encore une situation extrêmement fragile. Les éditeurs pourraient être tentés de rejoindre les MLP ou d'adopter une attitude prudente en ne s'engageant que sur de courtes périodes, dans l'attente de l'arrivée de nouveaux opérateurs. Cette « fuite », que la nouvelle Autorité aurait du mal à juguler, pourrait définitivement compromettre le destin de Presstalis . Si l'adossement à un opérateur national appelé de ses voeux par votre Rapporteur pour avis n'est pour l'instant plus évoqué, elle serait cependant de nature à apaiser ces craintes .

Les MLP, en situation financière plus favorable, vont également devoir faire face au défi de la concurrence, pour lequel elles semblent peut-être mieux armées.

Les deux opérateurs devront cependant très rapidement se mettre en capacité d'appliquer les nouvelles conditions de l'assortiment et du plafonnement, d'ici six mois , première manifestation visible, mais essentielle, de la réforme. Cela implique un système informatique performant qui n'est toujours pas en place .

c) Pour les nouveaux entrants : se familiariser avec un secteur en plein bouleversement

Il est peu probable que la situation de la presse imprimée s'améliore de manière spectaculaire dans les années à venir. Dès lors, les nouveaux entrants devront s'engager sur un marché baissier, ce qui semble d'ores et déjà favoriser :

- soit les acteurs déjà en place - messageries, circuits de la presse quotidienne régionale, mais peut-être également dépositaires centraux qui pourraient être tentés de « monter » au niveau 1 ;

- soit les entreprises déjà spécialisées dans la logistique et qui pourront mutualiser les flux avec d'autres produits.

La réforme de la loi Bichet ne constitue qu'une première étape qui a été franchie cette année dans un relatif consensus dont se félicite votre Rapporteur pour avis. Il conviendra de suivre avec attention les futurs développements et la mise en place dans six mois des premiers éléments du nouveau système.


* 8 Voir à ce propos le rapport pour avis de Michel Laugier sur le projet de loi de finances pour 2019 : https://www.senat.fr/rap/a18-151-42/a18-151-42.html)

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