E. FRANCE MÉDIAS MONDE : DES ARBITRAGES BUDGÉTAIRES CONTRADICTOIRES AVEC LES ENJEUX GÉOPOLITIQUES

L'entreprise France Médias Monde est issue de la fusion de l'AEF, de France 24 et de RFI et de sa filiale Monte Carlo Doualiya (MCD) intervenue sur le plan juridique le 13 février 2012 dans des conditions difficiles après plusieurs années de débats sur la relance de l'audiovisuel extérieur. La nomination de sa présidente, Marie-Christine Saragosse, le 7 octobre 2012, reconduite depuis dans ses fonctions, est intervenue dans un contexte marqué par la décision du Gouvernement d'arrêter le rapprochement des rédactions de France 24 et de RFI pour préserver l'identité de chaque entité.

L'audiovisuel extérieur de la France se caractérise donc aujourd'hui par :

- une structure unique concernant l'information - France Médias Monde - composée d'entités qui conservent une identité propre et visent à toucher des publics différents, dans une logique de complémentarité ;

- une notoriété inégale entre RFI qui maintient ses positions de leader, en Afrique notamment, et France 24 encore en phase de développement et qui s'emploie à trouver et consolider ses publics ;

- des moyens sensiblement inférieurs à ceux de ses concurrents (BBC, DW) même si les effectifs apparaissent comparables à ceux de BBC World Service.

1. Une réflexion stratégique encore inaboutie

L'avenir du pôle extérieur de l'audiovisuel public était inscrit à l'ordre du jour de la réflexion gouvernementale en 2019. Une réflexion interministérielle a ainsi été lancée en février 2018 au moyen d'un groupe de travail animé par le secrétaire général du Quai d'Orsay, M. Maurice Gourdault-Montagne. Lors de son audition par votre commission 17 ( * ) le 20 février 2019, le secrétaire général du Quai d'Orsay a présenté les trois grandes priorités de l'audiovisuel extérieur :

- l'Afrique est la première priorité . La diffusion de programmes en haoussa, en swahili et en mandingue représente un enjeu stratégique, de même que le projet de diffusion de programmes en peul, ces deux dernières langues étant pratiquées au Sahel, territoire travaillé par la menace terroriste ;

- la deuxième priorité est la stabilisation des zones de tensions . Elle demeure particulièrement d'actualité au Moyen-Orient. Un caractère prioritaire a aussi été donné aux thématiques du développement durable et de l'égalité homme/femme. La francophonie aussi reste un enjeu important. Enfin, le développement numérique est une nécessité afin de mieux s'adresser à la jeunesse ;

- la troisième priorité concerne la lutte contre les modes de pensées radicalisées, la manipulation de l'information ainsi que l'accompagnement du projet européen . À cet égard, le renforcement de la coopération entre acteurs audiovisuels européens doit être encouragé.

Votre rapporteur pour avis ne peut que partager ces trois grandes catégories de priorités mais il considère que leur ampleur est encore considérable compte tenu de la raréfaction des moyens. Si tout est prioritaire, le risque est qu'aucune priorité ne soit véritablement établie .

Quel pourrait être cette dominante pour notre audiovisuel extérieur ? Votre rapporteur pour avis ne prétend pas être le plus qualifié pour identifier cette priorité stratégique mais il note que le Secrétaire général du Quai d'Orsay a déclaré au cours de son audition que « notre politique d'influence doit prioritairement s'exercer à travers la francophonie et en direction des jeunes » . Un tel principe pourrait aisément constituer cette véritable priorité stratégique qui doit guider notre action audiovisuelle extérieure. Mais, dans ce cas, il conviendrait de déployer un ensemble d'initiatives pour lui donner force et vigueur.

Or, comment d'une part revendiquer le développement de la francophonie et d'autre part accepter le retrait de France 24 d'Amérique du Nord et de TV5 Monde du Brésil et d'une large partie de l'Europe ? Il demeure un hiatus entre les ambitions affichées et les décisions prises qui ne sont pas cohérentes avec celles-ci. Il en est de même de la jeunesse pour laquelle TV5 Monde déploie des initiatives innovantes et audacieuses en Afrique sans que celles-ci soient particulièrement soutenues par des moyens nouveaux ou une mobilisation de la filière française de l'animation à la hauteur de l'enjeu.

« Choisir c'est renoncer » aurait dit André Gide. L'avenir de l'audiovisuel extérieur justifie pleinement que des choix difficiles soient réalisés entre zones géographiques, entre types de médias, entre francophonie et multilinguisme, entre publics cible... Plus d'un an après le lancement des travaux sur les évolutions nécessaires, le sentiment qui domine est celui du statu quo .

Or, comme l'expliquent les syndicats de France Médias Monde que votre rapporteur pour avis a auditionnés, il n'est plus possible de « faire mieux avec moins de moyens » . Les personnels mesurent l'écart qui se creuse avec les médias d'État qui disposent de moyens considérables accordés par les gouvernements russe, chinois, qatari etc. Les salariés de France Médias Monde estiment que l'entreprise n'a plus de stratégie numérique depuis la fin du partenariat avec Mashable. Ils mettent en garde face à la montée de concurrents locaux en Afrique et à l'érosion des audiences de RFI. Ils regrettent, à l'image de la CFTC, que l'État demande de s'adresser davantage à la jeunesse sans pour autant dégager des moyens suffisants sur le numérique. Les syndicats de FMM partagent le constat de votre rapporteur pour avis de l'existence d'un « décalage croissant entre les paroles et les actes » de l'actionnaire.

Votre rapporteur pour avis constate que les interrogations sur les objectifs et les moyens ont un impact négatif sur le moral et la motivation des personnels qui sont inquiets de ne plus pouvoir jouer « en première division » .

Dans ce contexte, notre pays doit faire un choix décisif pour l'avenir de son influence : soit accepter de mobiliser plus de moyens pour tenter de rester dans le peloton de tête des puissances à dimension mondiale, soit mesurer ses efforts et se limiter à un rôle régional de plus en plus disputé, y compris dans ses zones d'influence historiques.

RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya émettent à destination des cinq continents en 15 langues. Ces trois médias rassemblent 129,8 millions d'auditeurs et de téléspectateurs hebdomadaires (mesure dans moins du tiers des pays d'émission) et 46,3 millions d'abonnés actifs sur les réseaux sociaux chaque semaine.

Chiffres clés France 24

79,8 millions de téléspectateurs regardent France 24 chaque semaine ce qui correspond à une augmentation de l'audience de +45 % en cinq ans.

Ce sont aujourd'hui 385 millions de foyers qui reçoivent au moins l'une des quatre versions de France 24 (français, anglais, arabe, espagnol). Le nombre de foyers raccordés est en hausse de +72 % en cinq ans.

France 24 est aujourd'hui la première chaîne d'information internationale en Tunisie, en Algérie et au Maroc où la chaîne en arabe enregistre des records d'audience. Elle est également la première chaîne d'information internationale en Afrique francophone (avec de très bons scores chez les cadres et les dirigeants). Au Proche et Moyen-Orient, plus d'un décideur sur cinq regardent la chaîne en arabe chaque semaine. L'audience a fortement augmenté en Arabie Saoudite (+86 %) et dans les Émirats arabes unis.

L'âge moyen des téléspectateurs de France 24 est de 34 ans en Afrique et de 37 ans au Maghreb.

Chiffres clés RFI

RFI émet en français ainsi qu'en 13 autres langues (anglais, chinois, espagnol, haoussa, khmer, kiswahili, mandingue, persan, portugais, brésilien, roumain, russe, vietnamien).

Les différentes antennes de RFI réunissent 40,8 millions d'auditeurs chaque semaine (mesure sur 33 des 150 pays où la radio est diffusée) ce qui correspond à une hausse de l'audience de +18 % en cinq ans. Les programmes de RFI sont repris par plus de 1 500 radios partenaires.

RFI se classe en tête des radios à Abidjan, Brazzaville, Libreville et Niamey et dans les cinq premières radios de la quasi-totalité des autres capitales en Afrique francophone. Elle obtient entre 60 et 100 % d'audience hebdomadaire chez les cadres et dirigeants en Afrique francophone.

Parmi les chiffres significatifs, on peut noter que RFI réunit 7 millions d'auditeurs en haoussa chaque semaine, principalement au Nigéria, et que le renforcement de l'offre khmer a permis de multiplier par 9 le nombre d'auditeurs au Cambodge. Enfin, les sites de RFI en vietnamien et en mandarin reçoivent plus de 1 million de visites chaque mois.

L'âge moyen des auditeurs de RFI en Afrique est de 36 ans.

Chiffres clés MCD

MCD, la radio française en langue arabe diffusée au Proche et Moyen-Orient, réunit 9,2 millions de contacts chaque semaine sur la radio et le numérique soit une audience en hausse de +9 % en quatre ans.

Elle est la première radio internationale en Arabie Saoudite et a multiplié par quatre son nombre d'auditeurs en Jordanie depuis 2014. Elle est également la 3 e radio la plus écoutée en Mauritanie. Depuis 2015, MCD émet sur une nouvelle fréquence à Oman, le service a été rétabli en Libye et il a été amélioré dans les territoires palestiniens et aux Émirats arabes unis. En 2017, l'audience hebdomadaire a été multipliée par trois à Oman et le service a été rétabli à Mossoul en Irak (MCD compte 4 millions d'auditeurs dans ce pays).

Source : France Médias Monde

2. Une réduction des moyens qui menace la réalisation des missions de FMM

Votre rapporteur pour avis a déjà eu l'occasion de regretter le non-respect du COM 2016-2020 signé par le Gouvernement et l'entreprise le 14 avril 2017. En 2020 France Médias Monde devrait bénéficier du produit de la CAP à hauteur de 255,2 M€. Pour la troisième année consécutive, cette dotation s'éloignera du montant prévu par le COM qui s'établit pour 2020 à 265,1 M€. Cet écart entre le PLF 2020 et le COM d'une dizaine de millions d'euros est bien moindre que celui qui affecte certaines autres entreprises publiques. France Télévisions doit gérer en 2020 un écart de près de 142 M€ avec le COM tandis que Radio France connaissait en 2019 un écart de 37 M€.

La baisse de la ressource programmée a beau avoir été plus forte proportionnellement pour France Télévisions et Radio France que pour France Médias Monde, il ne faut pas sous-estimer les difficultés pour le pôle de l'audiovisuel extérieur à se priver de ces crédits. Son modèle est en effet différent. Sa capacité à augmenter ses ressources propres est beaucoup plus limitée 18 ( * ) , les charges de diffusion sont assez rigides et le lancement de nouveaux projets (France 24 en espagnol, RFI dans plusieurs langues africaines) génère inévitablement des coûts nouveaux.

En réalité, le modèle de fonctionnement de France Médias Monde reste fondé sur le développement et la hausse de la ressource publique ; il s'accommode mal d'une réduction des moyens. Alors que la part de CAP avait atteint 257,8 M€ en 2018, elle est revenue à 256,2 M€ en 2019 et connaîtra donc une nouvelle baisse en 2020 de 1 M€ à 255,2 M€.

La direction de France Médias Monde a déjà actionné plusieurs leviers pour réaliser des économies. Les dépenses de marketing ont été stabilisées, la diffusion de France 24 en TNT en Outre-mer a été arrêtée ainsi que la diffusion de MCD en modulation de fréquence aux Émirats arabes unis.

Comme l'ont rappelé les syndicats de France Médias Monde à votre rapporteur pour avis, l'entreprise produit l'ensemble de ses programmes ce qui explique que la masse salariale représente 55% de son bilan. Le glissement mécanique des dépenses de personnel estimé à 5 M€ sur la période 2016-2019 a eu pour effet de réduire d'autant les marges de manoeuvre de l'entreprise. La diminution des effectifs depuis 2018 (1 744 ETP permanents et non permanents) n'a ainsi pas eu d'effet sur la masse salariale qui devrait selon notre commission des finances progresser à 145,4 M€ en 2020 contre 143,6 M€ en 2019.

La direction de France Médias Monde a prévu de poursuivre les économies en mettant un terme à la distribution de France 24 des États-Unis sur les réseaux câblés (le tarif pouvait atteindre 1 M$ par ville) et en supprimant l'émetteur de Chypre qui diffuse MCD en ondes moyennes. Le renoncement au passage à la HD pour France 24 est également acté et la diffusion sur la TNT en Afrique est également menacée si le coût devait être trop important.

Des mesures de gestion ont permis également d'obtenir des résultats à l'image de la renégociation du loyer du siège du groupe qui a permis d'économiser 1,5 M€ par an.

Une négociation a été engagée avec les tutelles pour la période 2020-2022. De nouveaux arbitrages ne sont pas à exclure dans la mesure où le déficit du groupe pourrait atteindre 11,5 M€ en 2022 selon notre commission des finances. La suppression de la diffusion hertzienne de MCD comme l'arrêt de France 24 en espagnol ont été évoqués.

Outre ces perspectives peu favorables votre rapporteur pour avis estime qu'un risque pèse également sur d'autres orientations prioritaires comme le développement des décrochages en langues africaines (haoussa, peul). Les projets menés en commun avec la Deutsche Welle pourraient également être impactés.

Votre rapporteur pour avis rappelle que le passage au numérique ne saurait dans la plupart des cas compenser l'arrêt d'une diffusion broadcast. C'est vrai sur le territoire national avec l'arrêt de la diffusion de France 4 mais plus encore en Afrique où la TNT par exemple est très dynamique.

3. Un rôle de France Médias Monde à préserver dans le cadre de la future holding publique

Votre rapporteur pour avis a toujours estimé que France Médias Monde avait pleinement sa place dans la holding publique qu'il appelait de ses voeux depuis 2015. La proposition qu'il a faite de dénommer la holding commune « France Médias » constituait à cet égard une forme d'hommage à la capacité des équipes de RFI et de France 24 de travailler ensemble pour proposer une offre nouvelle trimédias.

Cette intégration dans une gouvernance commune doit permettre de développer des synergies, de faciliter la création de filiales communes et de permettre, dans la durée, une convergence des statuts des personnels. Elle doit aussi ancrer la légitimité pour France Médias Monde à bénéficier du produit de la contribution à l'audiovisuel public.

L'appartenance de FMM à la holding France Médias devra permettre de renforcer la puissance de l'audiovisuel extérieur. Au-delà des synergies relatives à la gestion et des coopérations éditoriales qui pourront être développées sur l'information internationale, France Médias Monde pourra bénéficier d'une expertise technologique renforcée grâce à la mise en commun des savoir-faire et une capacité à investir dans la recherche. Le groupe France Médias aura les moyens de devenir un leader dans les plateformes de contenus, dans la lutte contre le piratage mais aussi dans la formation continue de ses salariés.


* 17 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20190218/cult.html

* 1819 Le chiffre d'affaires de la publicité n'était que de 3,81 M€ en 2018 et le budget 2019 prévoit une augmentation à 4,2 M€ qui s'explique en particulier par le fait que FMM a confié à Canal + le soin de commercialiser ses espaces publicitaires.

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