B. ARTE FRANCE : UNE STABILISATION DES MOYENS SANS GARANTIE POUR L'AVENIR

Les crédits inscrits au programme 842 consacré à ARTE devraient baisser de -2,2 M€ en 2020 pour atteindre 275,3 M€. Cette baisse de la ressource publique de -0,8 % serait cependant neutralisée par une réduction d'un montant équivalent de la taxe payée par la chaîne franco-allemande au CNC (TST-E). Cette stabilité était essentielle au moment où les Allemands définissaient leur propre financement quadriennal d'Arte Deutschland.

1. Le succès confirmé de la stratégie de diffusion multilingue et multi-supports

Depuis plusieurs années, les résultats d'ARTE sont particulièrement satisfaisants et de nombreux projets sont lancés qui devraient permettre à la chaîne de conquérir de nouveaux publics, en France et en Allemagne, mais également dans plusieurs autres pays européens qui représentent maintenant 18 % de l'audience d'ARTE.

L'audience en France reste élevée avec 2,6 % de point d'audience environ. Par ailleurs, ce sont maintenant 70 % des Européens qui peuvent regarder des programmes sur ARTE dans leurs propres langues.

L'audience est aujourd'hui tirée par le site Internet qui peut représenter 50 % de l'audience de certaines fictions. Le numérique est privilégié par les jeunes. Les usages poursuivent leur évolution puisque le « preview » domine maintenant la « catch up ».

ARTE se positionne toujours comme « la championne de l'actualité réfléchie » grâce à sa séquence d'information du soir qui associe une tranche info - le 19h45 - avec une émission de débats - « 28 minutes » dont l'audience est passée de 0,8 % à sa création en 2012 à 3,2 % aujourd'hui.

Les reportages sont également appréciés, de même que les soirées consacrées à la fiction et au cinéma d'auteur. Ces résultats sont d'autant plus appréciables qu'Arte doit désormais faire face à une concurrence nouvelle de la part de France 5 dont la programmation apparaît souvent plus concurrente que complémentaire.

ARTE ambitionne également de devenir la chaîne des cinéphiles européens à travers le développement d'ARTE Kino, un festival qui propose 10 films dans 10 langues dans 45 pays.

Sur Internet, Arte a multiplié les initiatives en lançant des plateformes comme Arte Concert, Arte Creative, Arte info... La distinction entre linéaire et délinéaire s'estompe avec une explosion des consultations de contenus en ligne. Arte est la seule chaîne à préparer l'inversion de son modèle, la part des contenus consommés de manière délinéarisée devant dans les prochaines années prendre le pas sur l'audience de la chaîne linéaire.

2. Une stabilisation des moyens indispensable à la poursuite de la coopération franco-allemande

La tutelle a accepté de limiter les efforts demandés à ARTE en 2020 pour tenir compte du fait qu'il s'agissait d'une année référence en Allemagne pour déterminer les moyens d'ARTE Deutschland pour les quatre années à venir. Toute baisse supplémentaire de la ressource publique attribuée à ARTE France aurait eu pour effet de limiter d'autant les moyens de la partie allemande.

Cette stabilisation des moyens fait suite à une baisse de 2 M€ des crédits issus de la CAP en 2019 qui avait été amortie par une hausse des ressources propres et un prélèvement sur le fond de roulement.

Source : réponse au questionnaire budgétaire

La direction d'ARTE indique qu'elle préservera les ressources consacrées aux programmes et qu'elle poursuivra la recherche d'économies de structures. La présidente d'ARTE France estime ainsi qu'il existe des marges pour réaliser des économies sur les dépenses de personnel du groupement européen d'intérêt économique (GEIE) à Strasbourg 12 ( * ) .

Elle indique également que l'évolution des effectifs d'ARTE France a pu être maîtrisée d'une part du fait des départs à la retraite non remplacés et de la priorité donnée à la formation des équipes aux nouvelles techniques du numérique par rapport à l'embauche de salariés disposant de ces compétences nouvelles.

Évolution des ressources d'ARTE France depuis 2016

Source : réponse au questionnaire budgétaire

3. Une relation toujours perfectible avec France Télévisions

L'audition 13 ( * ) de Véronique Cayla, la présidente du directoire d'ARTE France le 10 avril dernier, ainsi que de Peter Boudgoust, le président du groupe ARTE a été l'occasion de mesurer la distance (pour ne pas dire la défiance) qui existe entre la chaîne franco-allemande et le groupe public de télévisions. Ce manque de confiance entre les deux groupes publics ne pouvait manquer d'interpeller alors même que la réforme de l'audiovisuel public était en gestation et qu'un scénario de rapprochement entre ARTE et la future holding publique avait été mis à l'étude.

Votre rapporteur pour avis rappelle qu'il n'avait pas proposé en 2015 d'inclure la chaîne franco-allemande dans le périmètre de la gouvernance commune. Ce choix s'expliquait d'abord par la nécessité de ne pas compliquer davantage un projet déjà complexe et délicat. L'audition des dirigeants d'ARTE a démontré que le problème était sans doute encore plus profond et qu'il existait une différence de culture entre les deux sociétés qui limitait structurellement leurs coopérations.

Pour le président de la chaîne franco-allemande : « ARTE, avec ses coproductions de renommée internationale et son programme cosmopolite, est le symbole même de la télévision créative, et a conquis une place solide dans le paysage médiatique européen, dans les secteurs linéaire et non-linéaire. Ceci a été rendu possible grâce à l'indépendance des trois pôles d'ARTE, raison pour laquelle nous attachons une grande importance à cette notion et au fait de considérer ARTE comme un groupe européen uni ».

Véronique Cayla explique que : « l'indépendance se juge sur plusieurs critères : indépendance éditoriale, indépendance financière, mais aussi indépendance statutaire. C'est pourquoi aucune partie d'ARTE n'est sous la domination d'un pays quelconque sur le plan capitalistique » .

Pour la directrice générale d'ARTE France, Régine Hatchondo, « le fait d'ajouter la part des actionnaires dans le capital d'ARTE France, qui permettrait effectivement de constituer une majorité de 75 %, contredit totalement l'esprit du traité interétatique. En Allemagne, ARTE France dispose de deux actionnaires à parts égales, l'ARD pour 50 %, la ZDF pour 50 %, afin qu'il n'y ait pas d'actionnaire majoritaire. Sur le plan juridique et politique, c'est un point extrêmement sensible. C'est pour cela, à l'origine, que la répartition des parts a été faite de façon que personne ne soit majoritaire » .

Le ministre de la culture semble avoir entendu ces arguments puisque le projet de holding public ne devrait pas intégrer ARTE dans le périmètre de la gouvernance commune. Si votre rapporteur pour avis approuve ce choix de préserver la spécificité de la chaîne franco-allemande, il regrette que les coopérations avec France Télévisions soient anecdotiques contrairement aux liens qui unissent ARTE Deutschland avec la ZDF et l'ARD.

Deux exemples récents viennent de rappeler la persistance d'obstacles sur la mise en oeuvre de projets communs.

En avril dernier, Véronique Cayla déclarait en effet lors de son audition par notre commission : « nous travaillons avec France Télévisions à la création d'une offre éducative commune qui accueillera je l'espère prochainement sous une même marque ombrelle l'offre à destination du grand public de France Télévisions - Francetv Éducation -, et l'offre à destination des élèves et des enseignants d'ARTE - Educ'ARTE -, qui sera présente dans 1 000 établissements de France et d'Europe d'ici la fin de cette année » . Or l'offre éducative Lumni que vient de lancer France Télévisions au mois de novembre n'a pas intégré la plateforme Educ Arte comme cela était évoqué au printemps. Le service public maintiendra donc deux offres en partie concurrentes, ce qui constitue un mauvais emploi des crédits publics mais également un mauvais service rendu aux enfants et à leurs enseignants puisqu'ils devront accéder à deux offres différentes pour obtenir une offre complète.

Le second exemple de coopération perfectible concerne les projets de plateforme SVOD. Alors que France Télévisions a privilégié une alliance avec deux chaînes commerciales - chacune en retard dans leur développement numérique - pour bâtir une plateforme qui disposera de peu de programmes propres, ARTE avance lentement de son côté sur un projet de plateforme européenne qui associerait des partenaires publics de plusieurs pays dont France Télévisions, l'ARD et la ZDF.

N'aurait-il pas été possible d'avancer plus vite si les talents et les moyens des deux sociétés publiques françaises avaient été mieux conjugués ? Votre rapporteur pour avis déplore que les moyens financiers importants de France Télévisions n'aient pas été mobilisés plus tôt pour conduire un projet de plateforme associant le savoir-faire éditorial et la compétence technique d'ARTE. Les difficultés de ces deux entreprises à s'entendre ont eu pour effet de priver jusqu'à présent - 5 ans après l'arrivée de Netflix en France - les téléspectateurs d'une véritable alternative aux grandes plateformes américaines.

Il faudra donc attendre 2020/2021 pour que devienne disponible une plateforme en 4 puis 6 langues qui pourrait dès 2022/2023 comporter une partie payante consacrée au cinéma et à la création.


* 12 Le GEIE d'ARTE emploie 450 personnes dans son siège à Strasbourg.

* 13 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20190408/cult.html#toc7

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