II. L'ANALYSE DES CRÉDITS PAR OPÉRATEURS

La loi de finances pour 2018 avait prévu des baisses de crédits pour France Télévisions, Radio France, TV5 Monde et l'INA tandis qu'Arte France et France Médias Monde voyaient leurs dotations progresser par rapport au PLF 2017 mais moins que l'objectif inscrit dans le contrat d'objectifs et de moyens (COM).

La loi de finances pour 2019 a mis un terme à ce distinguo puisque ce sont l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public - ainsi que l'INA - qui ont connu une baisse de leurs moyens sans prise en compte de leurs projets ou de leurs moyens. Comme votre rapporteur pour avis le précisait dans son rapport de l'année dernière, c'est la technique du rabot qui a été appliquée.

Le PLF 2020 sera l'occasion d'un nouveau « coup de rabot » plus appuyé encore , en particulier pour France Télévisions. Les crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » baisseront en effet de -69,2 M€ dans le PLF 2020 ce qui représente une diminution des moyens de -1,8 %.

Évolution des ressources publiques figurant dans les contrats d'objectifs
et de moyens (COM) des sociétés de l'audiovisuel public,
en loi de finances initiales et effectivement consommées de 2015 à 2020

* inclut +0,5 M€ de dotation complémentaire (non prévue au COM) attribuée pour compenser la perte de recettes publicitaires sur le numérique liée au lancement, le 1 er septembre 2016, de l'offre publique d'information en continu (sans publicité) franceinfo.

** Le projet stratégique pluriannuel de TV5 Monde (qui n'est pas un COM) ne prévoit pas l'évolution des ressources publiques des Gouvernements bailleurs de fonds.

*** Concernant Radio France et l'Institut national de l'audiovisuel (INA), les COM couvrent la période 2015-2019, ce qui explique qu'aucun montant ne soit inscrit pour l'année 2020.

A. FRANCE TÉLÉVISIONS : UNE FEUILLE DE ROUTE MARQUÉE PAR LA POURSUITE DE LA RÉDUCTION DES MOYENS PUBLICS

Les moyens de France Télévisions inscrits au programme 841 connaissent une baisse de 60 M€. Le groupe ne bénéficiant plus de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE) depuis la loi de finances pour 2019, cette baisse correspond intégralement à une réduction des crédits attribués dans le cadre de la répartition du produit de la contribution à l'audiovisuel public (CAP).

1. Une transformation de l'entreprise engagée à la demande de l'actionnaire

Le mandat de la présidente de France Télévisions s'achèvera à l'été 2020. Au cours des cinq années passées à la tête du groupe public, Delphine Ernotte aura engagé une transformation de l'entreprise qui s'est accélérée après 2017 à la demande de l'actionnaire. Les priorités de la fin du mandat ne sont donc pas nécessairement celles qui figuraient dans le projet initial de la candidate choisie par le CSA en 2015.

L'urgence numérique, la nécessité de renforcer les mutualisations et la réduction des ressources publiques ont quelque peu changé l'ordre des priorités du groupe public de télévision.

L'enjeu des ressources humaines est ainsi devenu prioritaire alors que le sujet était peu évoqué en 2015. Trois grandes orientations ont été définies et mises en oeuvre :

- afin de doter l'entreprise des profils et compétences dont elle a besoin et engager l'évolution des métiers à l'heure du numérique, un chantier a été ouvert pour organiser le renouvellement générationnel , améliorer l'attractivité des emplois, organiser une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), créer de nouveaux métiers, favoriser la mobilité et améliorer la formation ;

- la recherche de l'optimisation du fonctionnement interne de l'entreprise a eu pour conséquence la mise en place d'un plan de départ, le recours à des expérimentations, la recherche d'une amélioration de la qualité de vie au travail ;

- la transformation de la fonction RH a été également mise en oeuvre en privilégiant l'innovation et la modernisation des process RH. La culture de résultats est devenue primordiale et le lien entre gestion RH et ligne managériale a été renforcé.

L'accord signé le 9 mai 2019 avec la CGT, FO et la CFDT a permis de mettre en oeuvre ce nouveau projet d'entreprise. Il prévoit en particulier un dispositif incitatif de mobilité externe sécurisée pour 2 000 salariés volontaires sur 4 ans dans le cadre d'un départ à la retraite ou de développement d'un projet personnel. Selon la direction de France Télévisions, la moitié des salariés de l'entreprise a plus de 50 ans et un tiers dépasse les 55 ans. La recomposition des effectifs doit ainsi permettre de favoriser la mixité des générations. C'est ainsi que le plan prévoit de procéder à des embauches ciblées afin d'aboutir à un solde net d'économie de 900 équivalents temps plein (ETP) sur la période 2019-2022.

Source : France Télévisions

Début octobre, dans le cadre de ce plan de rupture conventionnelle collective (RCC) 10 ( * ) , 566 demandes de départs à la retraite avaient été instruites et 30 demandes de départs pour projets personnels, 100 dossiers étaient encore en cours d'examen. Auditionnés par votre rapporteur pour avis, les syndicats de France Télévisions sont mitigés sur la mise en oeuvre de ce plan de départs. Le syndicat national des journalistes (SNJ) évoque le fait que les départs pourraient être remplacés par des CDD tandis que FO considère que la direction n'a pas suffisamment identifié les métiers nécessaires. Pour FO, la RCC préoccupe les salariés d'autant plus que les départs ne concerneraient pas les hauts salaires contrairement à l'objectif 11 ( * ) . Pour la CFDT, le départ de 400 salariés d'ici la fin de 2019 crée une crise de sens pour les salariés et on assiste à une multiplication des alertes concernant la souffrance au travail.

Une des difficultés rencontrées tient à la place accordée aux expérimentations dans le processus de transformation. Certains salariés s'inquièteraient de ne pas savoir la suite qui sera donnée à ces expérimentations. La direction en a fait un principe méthodologique afin de moderniser les processus de production sur le modèle en vigueur au sein du média d'information France Info. Selon le directeur général délégué en charge des ressources humaines et de l'organisation, Arnaud Lesaunier : « on corrige au fil de l'eau, il y a une évolution constante qui permet d'étendre certains projets à d'autres régions » . Ce recours aux expérimentations s'accompagne du passage à une logique d'attention et d'accompagnement des personnels.

Votre rapporteur pour avis comprend l'intérêt de recourir à des expérimentations pour faire évoluer l'organisation de l'entreprise mais il ne sous-estime pas la difficulté d'appliquer à un groupe de taille importante un mode de gestion propre aux structures légères. Le trouble ressenti par les salariés est d'autant plus compréhensible que la recherche d'optimisation concerne concomitamment les rédactions nationales, le réseau régional de France 3, les moyens internes de fabrication, les fonctions support... Cette profusion de chantiers peut légitimement donner un sentiment de « tournis », ceci d'autant plus qu'ils ont en commun la prise en compte du numérique qui constitue une nouvelle frontière technologique au sein de l'entreprise qui peut être déstabilisante.

2. Des marges de manoeuvre financières limitées jusqu'à 2022

Alors que le groupe public a connu une situation plutôt « confortable » de 2015 à 2017 (avec une hausse des moyens de 38,7 M€ cette année-là), il doit faire face depuis lors à une baisse de ses moyens qui l'a obligé à repenser son modèle économique pour réduire ses coûts de fonctionnement.

C'est un véritable changement de cap qui a dû être opéré par rapport à un COM 2016-2022 qui prévoyait une hausse continue des ressources avec des efforts limités en termes de réorganisations et de mutualisations. Aux premières diminutions de ressources de 2017 et 2018 opérées sans véritable visibilité de moyen terme, a succédé la définition d'une trajectoire pluriannuelle sur la période 2019-2022 visant à réduire de 160 M€ le montant des ressources publiques attribuées au groupe public.

Votre rapporteur pour avis a déjà eu l'occasion d'indiquer qu'il ne contestait pas le bienfondé de la réduction des moyens de France Télévisions mais qu'il était plus réservé sur la méthode employée comme sur le calendrier des annonces. La trajectoire pluriannuelle a, en effet, été annoncée et mise en oeuvre avant le vote de la loi portant réforme de l'audiovisuel public. Elle a été conçue en dehors de toute réflexion sur les missions du service public de l'audiovisuel. Cette baisse des moyens est ensuite mise en oeuvre préalablement à la réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), ce qui prive l'entreprise de toute stabilité dans la durée quant à ses ressources.

La principale conséquence de ce « management par le stress budgétaire » est d'installer au sein de l'entreprise une « gouvernance par à-coups » qui évolue au gré des annonces gouvernementales sans véritable vision stratégique. Les personnels ont ainsi peu de visibilité sur la conduite de l'entreprise et son projet de moyen terme apparaît peu partagé par le corps social.

Votre rapporteur pour avis observe que cette gestion chaotique de France Télévisions par les tutelles ne facilite pas le travail du Parlement qui ne peut se prononcer sur une stratégie globale. La direction de l'entreprise évoque maintenant une « transformation de l'entreprise » qui exige un effort compris entre 370 et 400 M€ correspondant à la baisse des ressources à hauteur de 160 M€, à l'évolution des charges de l'entreprises (glissement des rémunérations, indexation des contrats) et aux investissements prévus dans le numérique.

En 2019, France Télévisions a fait face à une baisse de la ressource publique de -26 M€ par rapport à 2018 et de -57 M€ par rapport à 2017. Malgré ce contexte défavorable, l'entreprise a réussi à préserver son équilibre d'exploitation pour la quatrième année consécutive.

La baisse des concours publics a été compensée en 2019 par une hausse du chiffre d'affaires de la publicité et du parrainage qui devrait atteindre 348,8 M€ à la fin de 2019 en reprévision (+3,1 M€). Par ailleurs, des économies ont également été réalisées en cours d'année sur le sport (-4,7 M€ par rapport à 2018) et le programme national (-26,3 M€). A contrario , certains postes de dépenses se sont accrus de 2018 à 2019 comme le programme régional métropolitain (+7,8 M€), le programme régional ultramarin (+4,1 M€) et le numérique (+5,8 M€).

Au terme de la reprévision 2019, le résultat d'exploitation apparaît donc à l'équilibre et un résultat net bénéficiaire de 14,5 M€ a pu être obtenu.

Évolution des charges de personnel

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Les enjeux du PLF 2020 pour France Télévisions seront complexes. La ressource publique diminuera de -60 M€ tandis que la contribution de l'entreprise au titre de la taxe sur les services de télévision (TST-E) due au CNC baissera de 20 M€. La mise en oeuvre du plan d'économies du CNC aura également pour conséquence de priver les productions soutenues par France Télévisions d'une quinzaine de millions d'euros.

Le groupe France Télévisions recevra par ailleurs en 2020 un soutien de l'État au financement de sa transformation sous la forme d'une dotation en capital de 34 M€ correspondant à 2/3 des coûts effectivement engagés par l'entreprise. Ce soutien devrait représenter 115 M€ au total sur l'ensemble de la période, soit également les 2/3 des 172,5 M€ nécessaires.

Il convient également d'indiquer que le groupe France Télévisions devrait bénéficier d'une avance de trésorerie de 70 M€ en 2020 de la part de l'Agence France Trésor rendue nécessaire par le statut d'organisme divers d'administration centrale (ODAC) de l'entreprise.

Équation économique de France Télévisions pour 2018-2022

Baisse des ressources

Gains de ressources

• Concours publics

160 M€

• Développement des recettes commerciales et résultat des filiales

21 M€

• Autres recettes (principalement publicitaires)

34 M€

• Réduction des taxes et commissions basées sur le CA

25 M€

Économies sur les coûts de grille

Glissements tendanciel des charges

• Diminution des programmes de flux et des achats

110 M€

• Masse salariale

53 M€

• Redéploiements de budgets de programmes linéaires vers le numérique

50 M€

• Charges opérationnelles (contrats, baux, ...)

20 M€

• Autres réductions/optimisations des coûts, de grille

20 M€

Économies sur les charges de structure

Priorité numérique

• Doublement des budgets numériques

103 M€

• Coûts de diffusion, volumes et coûts de prestations, autres achats hors programmes

44 M€

Économies masse salariale

100 M€

Montant à financer par économies, redéploiements et nouvelles ressources

370 M€

Total

370 M€

Les efforts prévus en 2020 devront être poursuivis au moins jusqu'à 2022 pour atteindre les objectifs de la trajectoire pluriannuelle. L'équation économique implique pour l'entreprise France Télévisions de faire face à un besoin de financement à hauteur de 370 M€ qui correspond notamment à la baisse des concours publics à hauteur de 160 M€, à la hausse de la masse salariale pour 53 M€, à l'augmentation des contrats et des baux pour 20 M€ et au doublement des budgets numériques pour 103 M€.

Parmi les sources d'économies mobilisables pour couvrir ce besoin de financement, il convient de citer une baisse de la masse salariale à hauteur de 100 M€, des économies sur les charges de structure (coûts de diffusion, prestations) pour 44 M€, une diminution des programmes de flux et des achats pour 110 M€. A ces économies devraient s'ajouter des recettes commerciales supplémentaires à hauteur de 21 M€ et des réductions de taxes pour 25 M€. La présidente de France Télévisions reconnaît que cette équation économique est fragile et que les marges de manoeuvre sont ténues.

Interrogé sur les points de vigilance à surveiller concernant cette équation économique, le directeur général des médias et des industries culturelles a estimé lors de son audition que la hausse des recettes commerciales était peut-être optimiste même si France Télévisions peut compter sur une stabilité de ses audiences et de ses recettes publicitaires compte tenu notamment de la réussite du feuilleton quotidien et des bons résultats de la grille de l'après-midi. Votre rapporteur pour avis s'interroge par ailleurs sur les conséquences sur les recettes publicitaires du groupe des évolutions de grille rendues nécessaires par la suppression de France 4 afin d'offrir de nouveaux créneaux aux émissions jeunesse. Ces dernières étant heureusement dispensées de publicité, un impact sur les recettes commerciales sera inévitable.

Pour le ministère de la culture, des efforts seront également nécessaires pour dégager des recettes en matière de production, de distribution et de commercialisation du signal. Si l'arrêt de France 4 et de France Ô devrait permettre une économie de près de 30 M€ sur les coûts de grille, le groupe devra également poursuivre la renégociation des droits et les efforts déjà engagés pour baisser le coût unitaire de ses programmes. Des gains de productivité sont par ailleurs sans doute possibles sur les programmes quotidiens de France 3.

Compte tenu de cette équation économique très contraignante, la feuille de route de la direction de l'entreprise semble déjà écrite d'ici 2022 et le renouvellement de la présidence de France Télévisions qui doit intervenir au printemps 2020 ne devrait pas avoir d'impact sur ces objectifs . L'enjeu consistera donc pour le candidat retenu ou renouvelé par le CSA à préparer les évolutions possibles au-delà de 2022 dans le cadre de la définition de la nouvelle stratégie qui devra être établie au niveau de la holding « France Médias ».

3. L'éclosion d'un nouveau modèle éditorial

Les changements intervenus à la direction des antennes de France Télévisions comme les arbitrages réalisés sur le périmètre du groupe ont eu pour conséquence de lancer un processus de remise à plat de l'offre de programmes. La présidente de France Télévisions revendique l'adoption d'un « pacte citoyen » fondé sur un triptyque constitué par trois principes directeurs :

- l'engagement (le renforcement de la confiance dans l'information, l'augmentation de l'ancrage dans les territoires, l'accent mis sur l'égalité et la diversité) ;

- l'innovation (le recours à l'innovation technologique, la priorité donnée à une création audacieuse avec une fiction événementielle par mois, et une offre destinée aux nouvelles générations avec Okoo et Lumni ;

- le plaisir (renouvellement du divertissement, partage des cultures avec Culture Prime, lancement d'une chaîne olympique en 2020 pour faire de Paris 2024 un projet sportif et culturel global).

Ce nouveau projet éditorial s'appuiera sur un bouquet de chaînes resserré compte tenu de l'arrêt programmé de France 4 et France Ô en septembre 2020. Votre rapporteur pour avis observe que cette réduction du périmètre devrait mécaniquement rétrograder le groupe France Télévisions derrière le groupe TF1 en termes d'audience. Elle devrait également poser des problèmes pour exposer certains programmes. Les matinales communes entre France 3 et France Bleu devraient ainsi ne pas être diffusées le week-end et pendant les vacances scolaires sur la chaîne régionale, sans doute au bénéfice des programmes jeunesse, avec le risque de limiter l'attractivité de ce programme de proximité et de nuire à la fidélisation.

Concernant précisément l'offre jeunesse, votre rapporteur pour avis regrette à nouveau la disparition sur la télévision linéaire d'une offre de confiance sans publicité pour les familles qui ont besoin d'occuper leurs enfants. L'utilisation d'une plateforme sur Internet est par définition plus difficile et moins maitrisable par les parents. France Télévisions prévoit cependant de maintenir son niveau d'investissement dans le secteur de l'animation à hauteur de 32 M€ par an jusqu'en 2022. La nouvelle offre Okoo sera lancée le 5 décembre sur Internet.

L'offre d'information a évolué en 2019 avec le « basculement » du Soir 3 sur Franceinfo. Si la chaîne d'information a augmenté son audience sur ce créneau, elle est cependant loin d'avoir réussi à fidéliser l'audience du Soir 3 selon des syndicats de France Télévisions. Ces derniers regrettent par ailleurs que la chaîne d'information ne se distingue pas davantage de ses concurrentes dans la rigueur de l'information comme l'a montré le traitement peu différent de l'arrestation supposée de Xavier Dupont de Ligonnès le 11 octobre 2019, preuve que le service public n'était pas vacciné contre les « fakenews ».

4. La généralisation des coopérations entre France 3 et France Bleu

Votre rapporteur avait consacré dans son avis sur le PLF 2019 un large focus au rapprochement engagé entre le réseau France Bleu et celui de France 3. Un an après le début des expérimentations, il était important d'assurer le suivi de ce projet essentiel pour les territoires.

La phase d'expérimentation a duré 6 mois à partir du 7 janvier 2019. Elle a concerné deux territoires autour de Nice et Toulouse avec des modèles de matinales très différents. L'objectif était dans chacun des cas d'enrichir le son radio en éditant une « couche visuelle » constituée de contenus complémentaires (images d'actualité tournées par les rédactions de France 3 et Franceinfo, photos, archives, illustrations, synthés, cartes météo ou trafic, éléments d'habillage...). Ces matinales ont été diffusées cinq jours par semaine de 7 heures à 8 h 40, la diffusion étant cependant suspendue pendant les périodes de congés scolaires, les jours fériés et les week-ends.

Des différences éditoriales ont caractérisé ces deux expérimentations. En Côte d'Azur, la matinale est présentée par un animateur et un journaliste. Les journaux d'information sont courts (4'30) et le rythme rapide. En Occitanie, la matinale est organisée selon un mode plus classique. Animée par un animateur seul, la matinale fait appel à davantage d'interactivité avec l'auditeur avec des jeux. Les journaux d'information sont également plus longs (7'30) et les chroniques enregistrées et/ou en direct sont plus nombreuses.

L'expérimentation conduite en Occitanie a permis de faire progresser la part d'audience de France 3 de 3,3 % en février 2019 à 4,6 % en juin 2019.

Les matinales communes sont construites sur une coopération éditoriale avec une répartition stricte des rôles. France Bleu reste responsable de son conducteur d'antenne et des contenus radio tandis que France 3 développe l'ensemble des illustrations et la mise en images (habillages, choix des images d'actualité, d'illustration ou d'archives, photos, tirages...) en coordination avec l'équipe éditoriale de France Bleu. Selon les directions des deux réseaux : « le conducteur radio n'est aucunement modifié. La retransmission TV n'a aucun impact sur les contenus habituels proposés aux auditeurs » .

L'édition TV est assurée quant à elle par un journaliste appelé « éditeur visuel » qui participe aux conférences de rédaction de la radio et reste en relation constante avec l'équipe éditoriale de France Bleu, ce qui lui permet d'estimer les besoins en images de la matinale du lendemain. L'éditeur éditorial écrit les synthés qui accompagnent le programme et diffuse les images, les photos et les autres éléments visuels.

Selon les directions des deux réseaux : « les pages de publicité de la radio sont masquées à la télévision par des séquences de belles images de la région (images de drones). Mais les brèves annonces relevant du partenariat ne sont pas couvertes (sponsor météo par exemple) et l'auto-promotion » . Votre rapporteur pour avis s'étonne des difficultés rencontrées par France 3 pour diffuser des messages publicitaires concomitamment à ceux de France Bleu alors que d'autres médias maitrisent ce type de diffusions simultanées. Outre le fait que cette situation réduit les recettes commerciales de France 3 de manière inutile, elle illustre aussi l'expertise technologique limitée de France Télévisions qui était déjà apparue concernant la maîtrise des plateformes SVOD.

La direction de France 3 reconnaît par ailleurs avoir rencontré des difficultés plus générales pour la mise en oeuvre des matinales filmées car « aucun dispositif technique n'existait sur le marché » . Des développements spécifiques ont ainsi été conduits pour effectuer une mise en image automatique qui cadre automatiquement et commute les caméras à la voix, générer les synthés, masquer les écrans publicitaires et diffuser des photos et des vidéos ou autres éléments visuels.

Les organisations syndicales auditionnées par votre rapporteur pour avis sont très sceptiques sur le bilan de ces expérimentations. Alors que les directions de France 3 et de France Bleu insistent sur le meilleur maillage et la satisfaction du public, les syndicats considèrent que la valeur ajoutée éditoriale est très limitée et que la « qualité à l'écran » n'est pas au rendez-vous. Les réunions entre les équipes ne se passeraient pas si bien selon ces responsables et les techniciens de France 3 s'interrogeraient sur leur rôle.

Votre rapporteur pour avis considère que c'est le propre des expérimentations que de permettre d'identifier des difficultés d'application. Il remarque par ailleurs que les moyens humains et financiers consacrés par les deux entreprises à ce projet sont importants et illustrent son caractère prioritaire. Ces problèmes, à ce stade, ne remettent donc pas en cause l'intérêt de ce rapprochement. Ils appellent cependant une grande attention et un souci constant d'amélioration de cette offre commune. Le succès de l'opération dépendra sans doute à plus long terme de la capacité des équipes à créer un média global de proximité à travers une offre numérique commune. Votre rapporteur pour avis avait indiqué l'année dernière que l'offre numérique aurait même pu précéder les matinales afin de créer une dynamique positive dans le cadre d'une offre véritablement nouvelle.

L'extension des matinales communes à l'ensemble du territoire a été décidée avec pour horizon 2022. Ce sont ainsi 44 matinales communes qui seront mises en place sur des zones de diffusion TV homogénéisées avec les zones de diffusion radio. Dans l'immédiat, le lancement à Guéret a eu lieu le 30 septembre et à Lille le 8 octobre. Quimper est prévu en novembre et Aix-en-Provence en décembre. Enfin Saint-Etienne et Paris devraient suivre en janvier 2020. D'ici février 2020, une dizaine de matinales communes devraient ainsi voir le jour. Les études préparatoires ont montré qu'une vingtaine de zones de couvertures des locales France Bleu correspond bien à celles de France 3, et que 8 zones devraient pouvoir faire l'objet d'adaptations. Toutefois, 16 zones semblent présenter des difficultés sérieuses.

Un problème plus structurel concerne l'absence de géolocalisation sur les boxes qui prive les téléspectateurs d'accès aux matinales communes. Ce problème sur lequel l'attention de votre rapporteur pour avis a déjà été alertée pourrait trouver une solution dans le cadre du débat sur la future loi audiovisuelle.

À noter enfin que France Télévisions et Radio France mènent une réflexion sur leurs besoins respectifs notamment en termes immobiliers. Des regroupements sont ainsi prévus notamment à Rennes en 2021, à Clermont-Ferrand, à Lyon en 2025 et à Strasbourg en 2026. Votre rapporteur pour avis ne peut que soutenir cette démarche visant à créer des maisons communes de l'audiovisuel public dans les territoires et appelle de ses voeux une accélération du calendrier afin de faire que le regroupement devienne rapidement la norme à atteindre. Les avancées envisagées dans des villes comme Vesoul, Mulhouse, Laval, Guéret, Toulon, Aubenas, Angoulême, Châteauroux et Tours illustrent la pertinence de ces rapprochements. L'accueil de France Bleu au sein des locaux de France 3 Grenoble, suite au sinistre ayant affecté leur station, doit être salué.

Les principales conclusions de votre rapporteur pour avis
sur le rapprochement entre France 3 et France Bleu

1- Le rapprochement entre France 3 et France Bleu pour créer un « média global » local est à la fois possible et nécessaire . Il doit s'appuyer sur l'expérience du réseau ultramarin qui propose déjà une offre « trimédias » ainsi que sur la réussite des expériences belge et canadienne. Cette nouvelle offre implique une évolution des méthodes de travail afin de produire davantage de programmes pour tous les supports.

2- Le développement d'une offre d'information commune à France 3 et France Bleu doit être articulé avec l'inversion du modèle de France 3 afin d'accorder plus de place à l'information locale , l'information nationale gardant toute son importance sur France 2 et Franceinfo.

3- La priorité accordée aux programmes locaux de France 3 doit être conciliée avec le respect des engagements en termes de création audiovisuelle . La suppression de la diffusion hertzienne de France 4 pose, en outre, la question de l'accès à l'animation sur les chaînes publiques.

4- La création d'un véritable « média global » nécessite la mise en place de plateformes régionales communes à France 3 et France Bleu bénéficiant d'une marque unique et ayant pour objectif de devenir le média de référence de chaque territoire.

5- La priorité à accorder au numérique justifie une certaine prudence dans le développement des chaînes locales de plein exercice . Un bilan du projet NoA en Nouvelle-Aquitaine devra être réalisé pour déterminer les évolutions possibles pour les déclinaisons de France 3 et les nouvelles chaînes en régions (NoA) en évitant les doublons.

6- Le développement d'une nouvelle offre de service public doit privilégier la qualité éditoriale et la proximité . La recherche d'économies à travers des gains de productivité et des mutualisations doit permettre de financer l'accroissement des programmes.

7- La régionalisation de France 3 pourrait s'accompagner d'une politique volontariste pour développer les écosystèmes locaux de production audiovisuelle , en particulier dans le documentaire.

8- Le maillage de France Bleu doit être préservé et complété là où cela est possible pour favoriser la proximité et satisfaire le principe d'égalité d'accès à l'audiovisuel public.

9- Le regroupement des structures immobilières des deux réseaux doit être engagé dès lors qu'il permet de faire des économies . Un plan de regroupement progressif tenant compte des spécificités des implantations (échéance des baux et obsolescence des équipements techniques) est nécessaire.

10- La réussite du rapprochement entre France 3 et France Bleu serait facilitée par l'établissement de gouvernances régionale et locale communes associant les responsables des deux réseaux . La création d'un cadre commun devra permettre de concilier l'agilité de l'organisation, la maîtrise des coûts et la capacité opérationnelle des équipes à travailler ensemble.

11- La régionalisation de France 3 implique de prévoir dans la loi que toutes les locales de France 3 soient accessibles sur les boxes et que les boxes des opérateurs de télécommunications soient géolocalisées afin de permettre à chaque téléspectateur d'accéder par défaut sur la touche 3 à son programme régional et local.

12- Le bilan de l'expérimentation des coopérations entre France 3 et France Bleu devra faire l'objet en 2019 d'un débat devant le Sénat , assemblée représentant les territoires.

Source : avis sur le PLF 2019 de votre rapporteur pour avis


* 10 Dans le cadre fixé par le code du travail modifié par les ordonnances n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, un accord collectif peut prévoir une rupture conventionnelle collective conduisant à une rupture du contrat de travail d'un commun accord entre l'employeur et le salarié. Cet accord collectif, qui doit faire l'objet d'une validation par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), détermine notamment le nombre maximal de départs envisagés, les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier, les modalités de calcul des indemnités de rupture garanties au salarié, celles-ci ne pouvant être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement pour motif économique ainsi que les mesures visant à faciliter l'accompagnement et le reclassement des salariés. Ce mode de rupture du contrat de travail, exclusif du licenciement ou de la démission, ne peut être imposé par l'employeur ou par le salarié.

* 11 FO estime que 80 % des départs concernent les personnels techniques et administratifs et 20 % les journalistes.

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