B. LA RÉFORME DES ENSEIGNEMENTS ARTISTIQUES DANS L'IMPASSE

1. Des crédits de l'État maintenus, mais attribués de manière floue

Depuis 2016 , l'État s'est peu à peu réengagé dans le financement des conservatoires , après un mouvement de baisse continue des crédits à partir de 2013. Son soutien financier répond désormais à une logique nouvelle. Il n'a plus pour objet de soutenir le fonctionnement des établissements d'enseignement artistique. Il vise davantage à les inciter à contribuer aux objectifs de démocratisation culturelle, de diversité artistique et culturelle et d'irrigation culturelle des territoires . L'objectif est d'en faire des acteurs de la vie artistique et culturelle du territoire et de leur confier une responsabilité territoriale partagée avec l'ensemble des autres acteurs artistiques, culturels, éducatifs et sociaux locaux, tout en les encourageant à toucher un public plus large, y compris des adultes, et à diversifier les profils sociaux des élèves.

Pour pouvoir prétendre à un financement, chaque conservatoire doit désormais obligatoirement mettre en oeuvre une tarification sociale et développer, au sein de son projet d'établissement, deux axes parmi les trois suivants : le renouvellement des pratiques pédagogiques, la diversification de l'offre artistique ou le développement de réseaux et de partenariats avec les autres acteurs locaux. Cette évolution des critères a conduit les conservatoires à rayonnement communal (CRC) et les conservatoires à rayonnement intercommunal (CRI) à pouvoir désormais prétendre au soutien de l'État, au même titre que les conservatoires à rayonnement départemental (CRD) et les conservatoires à rayonnement régional (CRR).

Les établissements d'enseignement artistique semblent plutôt favorables à cette réforme, qui permet d'acter des évolutions déjà progressivement opérées en leur sein. Elle se traduit en revanche par de nouvelles dépenses, que le niveau actuel des crédits, largement inférieur aux 35 millions d'euros octroyés aux conservatoires en 2006 ou même des 27 millions d'euros inscrits en loi de finances initiale pour 2012, ne permet pas de compenser.

En 2020, les crédits des conservations sont reconduits au niveau de 2019, à savoir 21,17 millions d'euros répartis de la manière suivante :

- 4,4 millions d'euros destinés aux CRR et CRD adossés à des pôles d'enseignement supérieur du spectacle vivant ;

- 1,6 million d'euros d'aides individuelles pour les élèves de ces CRR et CRD ;

- 15,17 millions d'euros destinés à l'ensemble des conservatoires classés pour accompagner leur évolution en faveur de la jeunesse et de la diversité, dont 3 millions d'euros consacrés à la mise en oeuvre du plan chorales dans les écoles.

Au-delà même de la question du niveau des crédits, les modalités de leur attribution manquent aujourd'hui de clarté et apparaissent très disparates d'une DRAC à l'autre. Dans plusieurs régions, les crédits continueraient d'être attribués sur les mêmes bases que par le passé, sans prise en compte des efforts fournis par les différents établissements pour se conformer aux nouvelles conditions édictées par le ministère de la culture, ce qui a pour effet d'empêcher de nouveaux établissements, en particulier les CRC et CRI, d'accéder à ces crédits. Une clarification se révèle nécessaire pour permettre une application uniforme de la réforme sur le territoire et inciter l'ensemble des acteurs à la mettre en oeuvre. Faute de quoi, certains conservatoires « historiques » pourraient manquer d'intérêt à s'inscrire dans ce nouveau schéma, tandis que d'autres établissements pourraient se sentir découragés. Il serait opportun que de nouvelles instructions soient transmises aux DRAC avant le démarrage de l'exécution du budget pour 2020.

2. Une relance très molle de la réforme des enseignements artistiques

Une réforme des critères de classement des conservatoires a été annoncée en 2016 pour tenir compte des modifications introduites par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine en matière d'enseignements artistiques, de l'évolution du rôle et des missions des conservatoires au sein des régions élargies, et de la mutation des attentes de la population à l'égard de ces établissements.

Le classement actuel des conservatoires

Le système actuel de classement date de 2006 et comporte trois degrés : les conservatoires à rayonnement communal ou intercommunal (CRC - CRI), les conservatoires à rayonnement départemental (CRD) et les conservatoires à rayonnement régional (CRR).

Le bénéfice du classement a été fixé à sept années, au terme desquels les collectivités territoriales sont invitées à formuler une demande de renouvellement.

Pour développer l'enseignement de la danse et du théâtre, l'obligation d'offrir une filière de formation dans chacune des trois spécialités principales du spectacle vivant a été faite aux CRR. Les CRD doivent proposer deux spécialités, chacune de ces filières devant proposer plusieurs disciplines ou esthétiques.

Source : Ministère de la culture

Alors qu'aucune évolution n'avait véritablement été enregistrée sur ce dossier ces dernières années, le principe d'une étude d'impact concernant la révision de la procédure et des critères de classement des conservatoires a enfin été acté en juin 2019 par le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC), afin de mesurer les effets et la cohérence des nouveaux critères avec les grandes orientations des politiques publiques dans les conservatoires classés. Huit territoires correspondant à différentes typologies (la région Normandie, La Réunion, les départements de l'Aveyron, du Jura et des Landes et les villes de Toulon, Saint-Omer et Strasbourg) ont été sélectionnés pour y participer.

Le questionnaire qui leur a été adressé permet de tester les principales évolutions envisagées à ce stade par les services de la direction générale de la création artistique :

- le principe d'une appellation unique , celle de conservatoire, avec mention explicite des spécialités pour lesquelles l'établissement est certifié. L'objectif est de simplifier le système actuel, jugé peu lisible, ce qui peut constituer un frein pour l'accès du plus grand nombre aux conservatoires ;

- la possibilité d'être habilité à délivrer un diplôme national d'études musicales, chorégraphiques ou théâtrales . Cette évolution serait destinée à faciliter la mobilité des élèves entre différents lieux d'enseignement au cours de leurs apprentissages ;

- une obligation d'offrir au moins deux spécialités pour favoriser l'égalité d'accès aux trois spécialités du spectacle vivant, même si chaque conservatoire devrait rester libre, soit d'offrir directement cette seconde spécialité, soit de la garantir en concluant des conventions avec d'autres structures d'enseignement du territoire. Il est envisagé, dans certaines conditions, que la seconde spécialité puisse porter sur les arts plastiques ou les arts du cirque ;

- le développement de trois types d'offres : des parcours d'études, des parcours pluridisciplinaires pour permettre une offre plus personnalisée et différenciée, et une offre d'enseignements ciblés sur des besoins spécifiques sous la forme d'ateliers, de stages ou de laboratoires pour permettre de diversifier les pratiques artistiques ;

- une réforme de la philosophie des apprentissages et de la pédagogie fondée sur un suivi personnalisé et une évaluation conjointe (enseignants, auto-évaluation de l'élève) avec des formats d'apprentissages se démarquant du modèle scolaire de progression dans les acquisitions ;

- le remplacement du classement par une certification désormais attribuée sans limitation de durée , à moins que le conservatoire ne respecte plus les conditions qui président à son obtention. Il est également envisagé que la certification puisse être attribuée à un ensemble d'établissements afin de reconnaître et d'encourager les dynamiques de mise en réseau.

Lors d'une table-ronde organisée par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication le 13 février 2019 sur la question des conservatoires, la directrice générale de la création artistique, Sylvie Tarsot-Gillery, avait résumé l'esprit de la réforme en ces termes : « L'idée serait de créer un système s'appuyant sur une logique nouvelle, fondée sur la confiance et la co-construction avec les collectivités territoriales. Nous abandonnerions le principe d'un contrôle a priori au profit d'une procédure de suivi, s'appuyant sur un dialogue régulier avec les collectivités afin de nous assurer que le cahier des charges des établissements est respecté et que la qualité des enseignements est garantie. »

Les résultats de l'étude, attendus au printemps 2020, devraient servir de base pour la rédaction de propositions par l'administration, qui feront ensuite l'objet d'une concertation avec les acteurs. D'après les informations communiquées à votre rapporteure pour avis, l'objectif serait de finaliser les textes avant l'été 2020 pour une mise en oeuvre progressive à travers des mesures transitoires jusqu'en décembre 2022.

Votre rapporteure pour avis a constaté combien les lenteurs enregistrées jusqu'à présent dans ce dossier avaient généré des inquiétudes , au point de faire craindre à certains une démobilisation de l'administration centrale dans l'éventuelle perspective d'une décentralisation accrue du fonctionnement des conservatoires. Cette situation est d'autant plus regrettable que la réforme du classement des conservatoires est attendue, à la fois par les établissements et par leurs publics, comme l'ont montré les interventions prononcées lors de la table-ronde du 13 février 2019 susmentionnée.

Or, les propositions sur la table sont aujourd'hui jugées peu abouties. Surtout, elles ne paraissent pas toujours correspondre à la réalité du fonctionnement des conservatoires et aux évolutions qu'ils ont engagées ces dernières années. Ainsi, les missions des conservatoires en matière d'éducation artistique et culturelle ne paraissent pas figurer à ce stade dans les critères de certification, alors qu'elles prennent une place croissante de leur action au quotidien. Le passage à la certification, qui pourrait désormais relever des services déconcentrés, suscite également des appréhensions compte tenu de la capacité de l'État à assurer le contrôle pédagogique des établissements et des inégalités territoriales qui pourraient en découler. Il est important que des discussions plus poussées soient engagées au plus vite avec l'ensemble des acteurs concernés par les enseignements artistiques.

Page mise à jour le

Partager cette page