II. FAIRE DU PATRIMOINE UNE CAUSE NATIONALE

A. UNE ANNÉE 2019 MARQUÉE PAR LE DRAME DE NOTRE-DAME

1. La restauration de Notre-Dame de Paris
a) Une restauration financée par le produit de la souscription nationale

Aucun crédit n'est inscrit au titre de l'année 2020 en faveur de la restauration de Notre-Dame de Paris. La loi n° 2019-803 du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris a en effet ouvert une souscription nationale pour recueillir des dons en faveur du chantier de restauration de la cathédrale. Quatre organismes ont été habilités pour les collecter : la Fondation du patrimoine, la Fondation de France, la Fondation Notre-Dame et le Centre des monuments nationaux. Comme le ministre de la culture, Franck Riester, l'a indiqué à votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication lors de son audition, le montant des promesses de dons s'élève à 922 millions d'euros. Seuls 110 millions d'euros auraient été récoltés à ce stade et 69 millions d'euros d'ores et déjà reversés par les organismes collecteurs à l'État.

Ce premier versement a permis de combler le coût des opérations d'urgence, dans un premier temps prises en charge par le ministère de la culture par redéploiements de crédits sur le programme 175, pour un montant de plus de 30 millions d'euros en AE et de 16 millions d'euros en CP. La phase de mise en sécurité et de consolidation de la cathédrale devrait se poursuivre jusqu'en juin 2020 et s'achever avec la pose d'un parapluie « définitif » sur la cathédrale, qui nécessite le retrait de l'échafaudage et des gravats sur les voûtes au préalable. Les études et les diagnostics devraient être réalisés dans le courant de l'année 2020, avant le lancement de la phase de restauration proprement dite. Le coût de cette première phase est évalué à 87 millions d'euros.

L'établissement public créé par la loi du 29 juillet 2019 précité sera en charge de la conduite du chantier à compter de son installation, attendue début décembre. Un décret fixant ses statuts, les effectifs de ses personnels, la composition de son conseil d'administration et de ses équipes dirigeante est encore attendu. La DRAC Ile-de-France conservera en revanche la maitrise d'ouvrage pour la conservation et la restauration du patrimoine mobilier de la cathédrale.

Votre rapporteur pour avis regrette qu'aucun emploi ne soit prévu dans le présent projet de loi en faveur de l'établissement public de Notre-Dame. Le Sénat avait clairement manifesté son refus que les dons soient utilisés pour financer les charges de fonctionnement courant de l'établissement, en particulier ses dépenses de personnel. Il serait important d'un point de vue symbolique que l'État s'engage, aux côtés des donateurs privés , dans la réalisation de ce chantier.

b) Une occasion de valoriser les métiers du patrimoine et de soutenir les entreprises spécialisées dans la restauration du patrimoine

En dépit de l'ampleur du chantier de restauration de Notre-Dame de Paris, la France dispose à la fois des compétences et des matériaux nécessaires à la bonne réalisation de ce chantier.

Les métiers de la restauration du patrimoine souffrent néanmoins aujourd'hui d'un manque de visibilité et d'attractivité auprès des jeunes, qui laisse planer le risque d'une pénurie d'artisans qualifiés d'ici quelques années. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Gouvernement a annoncé, le 18 avril dernier, le lancement d'un « chantier de France » , destiné à faire connaître les métiers du patrimoine et d'inciter les jeunes à s'engager dans ces métiers. Il devrait comprendre à la fois des actions de promotion des métiers, des actions de formation des apprentis et stagiaires, ainsi que la mise en place de chantiers-école.

La loi du 29 juillet 2019 précitée a permis que les fonds recueillis au titre de la souscription nationale puissent financer la formation initiale et continue de professionnels disposant des compétences particulières requises pour les travaux de restauration de la cathédrale.

Il serait également souhaitable que le chantier de Notre-Dame permette de soutenir les entreprises spécialisées dans la restauration du patrimoine , dont l'équilibre économique est souvent fragile. C'est pourquoi il conviendrait que l'établissement public en charge des travaux allotisse au maximum le chantier, ce qui profiterait à davantage d'entreprises, plutôt que de prévoir des lots trop importants.

C'est l'une des raisons pour lesquelles votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication s'était inquiétée du délai de cinq ans fixé pour la restauration de Notre-Dame, lors des discussions autour du projet de loi au printemps. Si ce délai présente la vertu de mobiliser, il pourrait également favoriser la passation de marchés globaux, priver les entreprises d'une activité durable, et laisser un temps trop court pour former correctement de nouveaux artisans. L'une des clés de la réussite du « chantier de France » sera de garantir des perspectives d'emploi pour les jeunes ainsi formés, ce qui suppose le maintien d'un niveau de crédits suffisant pour poursuivre les chantiers de restauration du patrimoine : il serait vain d'encourager des jeunes à embrasser une carrière qui n'offre pas suffisamment de débouchés .

2. Des conséquences directes dans le projet de loi de finances pour 2020
a) L'octroi de crédits supplémentaires pour la sécurité des cathédrales

L'État est propriétaire de 89 édifices cultuels : 87 cathédrales, auxquelles s'ajoute la basilique de Saint-Nazaire de Carcassonne et l'église Saint-Julien de Tours. Il consacre chaque année quelque 40 millions d'euros aux travaux d'entretien et de restauration de ces édifices, consommés en fonction des priorités sanitaires identifiées. Il est essentiel que ce montant soit, à tout le moins, maintenu à long terme, alors qu'il se révèle déjà insuffisant face à l'ampleur des besoins . Le dernier bilan sanitaire du patrimoine protégé au titre des monuments historiques a révélé que l'une des cathédrales était en situation de péril : celle de Clermont-Ferrand et celles jugées en bon état sont minoritaires. La majorité d'entre elles sont dans un état moyen.

L'incendie de Notre-Dame a également mis en lumière les menaces sur la sécurité des cathédrales , elles aussi en « chantier permanent ». Tous les cinq ans, les cathédrales font l'objet d'une visite des services du ministère de la culture destinée à évaluer le niveau de protection du public par rapport au risque d'incendie et de panique, la réalisation de cahiers des charges d'exploitation et la réalisation des plans de sauvegarde des biens culturels. 29 cathédrales ont été analysées en 2018. L'ouverture d'une dizaine de cathédrales ferait aujourd'hui l'objet d'avis négatifs des commissions de sécurité. De 2007 à 2018, 28 millions d'euros ont été consacrés à la sécurité des cathédrales, soit une moyenne de 2,3 millions d'euros par an. Les travaux d'amélioration de la sécurité des cathédrales de Nîmes et d'Albi ont ainsi été lancés en 2015 et 2017, chacune de ces opérations représentant un montant d'1,3 million d'euros.

Suite au sinistre du 15 avril, le ministre de la culture a décidé de mettre en place un plan relatif à la sécurité des cathédrales, doté en 2020 de 2 millions d'euros , pour garantir que l'ensemble des édifices respecte les obligations réglementaires en matière de sécurité incendie, tout en prenant en compte leurs spécificités architecturales. Des plans de sauvetage du patrimoine mobilier devraient être élaborés, après l'expérience réussie lors de l'incendie de Notre-Dame de Paris.

b) Des effets négatifs sur les recettes du Centre des monuments nationaux

L'incendie de Notre-Dame a eu un impact sur les recettes du Centre des monuments nationaux (CMN) en charge de l'exploitation de ses tours, avec une perte de 380 000 visiteurs environ au titre de l'année 2019. Cette baisse de fréquentation s'ajoute à celle concernant l'Arc de Triomphe du fait des manifestations organisées par le mouvement des « gilets jaunes », que ne permettent pas de combler l'augmentation du nombre de visiteurs du Panthéon et de l'abbaye du Mont-Saint-Michel.

Pour compenser ces pertes de recettes, le présent projet de loi prévoit d' accroître de 3 millions d'euros la subvention d'investissement du CMN, qui lui sert à financer les travaux de restauration des monuments dont il a la charge. Cette subvention serait portée à 20,93 millions d'euros en 2020. Si ce montant de dotation devait être pérennisé dans les années à venir, il permettrait de se rapprocher progressivement du montant nécessaire aux besoins du CMN, évalué à 30 millions d'euros. À l'heure actuelle, le CMN est contraint d'étaler ses chantiers et de repousser le démarrage de certains d'entre eux, à l'image du Palais du Tau à Reims, faute de moyens suffisants. Il faut dire qu'il est chargé de plusieurs projets d'ampleur, dont certains sont en cours de finalisation, tels l'Hôtel de la Marine et la Colonne de Juillet à Paris ou le musée archéologique de Montmaurin à Toulouse, qui devraient tous trois rouvrir au public dans les prochains mois, et d'autres en phase de lancement, comme le château de Villers-Cotterêts.

Aussi bienvenue soit-elle, cette revalorisation de la subvention d'investissement du CMN n e compense pas véritablement la perte financière liée à la fermeture à la visite des tours de Notre-Dame, puisque les recettes de billetterie générées par l'établissement permettent traditionnellement de financer son budget de fonctionnement et non les investissements sur les monuments. Aussi le CMN craint-il un début d'année 2020 difficile, dans un contexte de dépenses accrues avec le lancement du projet de restauration de Villers-Cotterêts, ainsi que le recrutement de personnels et la passation de divers marchés avant l'ouverture à la visite de l'Hôtel de la Marine, prévue en juillet 2020.

La perspective de la création, à compter du 1 er janvier 2020, d'un établissement public national à caractère industriel et commercial pour le Mont-Saint-Michel devrait également avoir un impact négatif sur les finances du CMN. Celui-ci devra contribuer au fonctionnement du nouvel établissement public, chargé de coordonner la gestion du site et son développement, à la fois touristique, culturel et territorial.

Une telle évolution fragilise le mécanisme de péréquation sur lequel est fondé le fonctionnement du CMN. Depuis sa création, les recettes générées par ses monuments sont versées au budget de l'établissement qui répartit l'ensemble des crédits aux différents monuments du réseau selon leurs besoins. Le président du CMN, Philippe Bélaval, a indiqué à votre rapporteur pour avis que les bénéfices réalisés grâce à l'exploitation de l'abbaye du Mont-Saint-Michel correspondent au budget de fonctionnement des vingt-sept plus petits monuments qu'il gère ou de ses cinq monuments les plus déficitaires.

Les résultats de l'établissement en 2020 seront décisifs pour déterminer si le CMN peut faire face à ces évolutions et continuer de remplir son rôle essentiel en faveur du développement des territoires grâce à son action en matière de patrimoine.

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