D. LA STRATÉGIE DE PRÉVENTION ET DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ MOBILISE LES DÉPARTEMENTS

1. Les éléments de la stratégie

La stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes , lancée par le Président de la République le 13 septembre 2018, porte une double ambition :

- la prévention, afin que les enfants pauvres d'aujourd'hui ne soient pas les adultes pauvres de demain ;

- l'émancipation sociale par l'activité et le travail.

Elle s'articule autour de cinq engagements :

- l'égalité des chances dès les premiers pas pour rompre la reproduction de la pauvreté ;

- garantir au quotidien les droits fondamentaux de tous les enfants ;

- un parcours de formation garanti pour tous les jeunes ;

- assurer l'émancipation sociale par l'activité ;

- rendre les minima sociaux plus simples, plus lisibles et plus incitatifs à l'activité.

La traduction budgétaire de ces engagements dépasse largement les stricts contours de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et s'inscrit dans une vision résolument interministérielle 71 ( * ) . Au sein du programme 304, l'action n° 19 a toutefois été dédiée à la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté.

Coordonnée par un délégué interministériel, elle est mise en oeuvre dans les territoires sous l'égide des préfets de région , auprès desquels sont nommés, depuis le 2 septembre 2019, dix-huit hauts-commissaires, dans le cadre de conférences régionales nourries par les travaux de quinze groupes de travail par région, et d'une contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales chefs de file, en particulier les départements .

2. La mise en oeuvre de la stratégie en 2019
a) La concrétisation du processus de contractualisation avec les départements

La contractualisation d'appui à la lutte contre la pauvreté et d'accès à l'emploi s'établit avec les départements, chefs de file en matière d'action sociale, et certaines métropoles. La collectivité cofinance, à hauteur d'un minimum de 50 %, chacune des actions de la convention.

L'action 19 du programme 304 finance ainsi cette démarche à hauteur de 135 millions d'euros en 2019 , comprenant les crédits liés au fonds d'appui aux politiques d'insertion (FAPI). Créé par la loi de finances pour 2017 72 ( * ) , ce dernier vise à apporter un soutien financier aux départements qui s'engagent à renforcer leurs politiques d'insertion dans un cadre contractuel.

Les mesures qui en constituent le socle sont les suivantes :

- prévenir toute « sortie sèche » pour les jeunes sortant de l'ASE ;

- mettre l'accent sur l' insertion des bénéficiaires du RSA ;

- généraliser les démarches de premier accueil social inconditionnel de proximité et de référent de parcours .

Dans certains territoires, sont également financés la création ou le renforcement de maraudes mixtes associant les compétences de l'État en matière de logement, d'hébergement et de scolarisation et les compétences d'action sociale et de protection de l'enfance des départements, ainsi que le renforcement ou la création d'actions de terrain relevant de la prévention spécialisée.

Des actions, venant s'ajouter aux objectifs cités précédemment, sont également consacrées à des initiatives portées par les départements.

La quasi-totalité des départements (à l'exception des Yvelines et des Hauts-de-Seine, ainsi que de la collectivité d'outre-mer de Saint-Barthélémy) et certaines métropoles (Nantes et Toulouse) sont signataires d'une convention d'appui à la lutte contre la pauvreté et l'accès à l'emploi. Les conventions sont signées pour une durée de trois ans et feront l'objet d'un avenant annuel destiné à fixer le montant.

b) Quelques mesures d'investissement social

Outre la contractualisation, la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté porte des mesures d'investissement social à hauteur de 16 millions d'euros .

La mise en place des petits-déjeuners gratuits à l'école a bénéficié à plus de 100 000 élèves dès septembre 2019. À cette fin, un transfert de crédits d'un montant de 3 millions d'euros a été effectué à destination du programme 230 (« Vie de l'élève »), sous la responsabilité du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse. Cette mesure fera l'objet d'un complément de crédits par voie de transfert d'un montant de 2 millions d'euros.

En outre, les communes de moins de 10 000 habitants sont incitées à mettre en place une tarification sociale pour l'accès à la cantine : l'Agence de services et de paiement (ASP) verse une aide de deux euros par repas facturé à un tarif inférieur ou égal à un euros au sein d'un barème qui doit contenir au moins trois tarifs distincts. Le soutien de l'État bénéficie aussi aux communes et intercommunalités éligibles qui ont déjà mis en place une tarification sociale. À terme, la mesure a pour objectif de financer 140 repas par an pour 70 000 élèves dans les collectivités éligibles.

On peut également mentionner la généralisation des points conseil budget (PCB) avec, à terme, le déploiement de 400 structures dotées d'un forfait financier de 15 000 euros par an.

Il convient enfin d'ajouter 4 millions d'euros par an (2019-2022) pour le financement des points d'accueil écoute jeunes, portés par l'action 17 (« Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables ») du programme 304.

3. En 2020, une montée en charge de la contractualisation

En 2020, une enveloppe de 171 millions d'euros sera consacrée à la deuxième année de la contractualisation avec les collectivités territoriales chefs de file. Celle-ci inclut les crédits issus de la suppression du FAPI , représentant une enveloppe de 50 millions d'euros.

Considérant que le partenariat rénové entre l'État et les départements rend obsolète le cadre déterminé par l'article 89 de la loi de finances pour 2017, un amendement adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement a en effet abrogé ces dispositions ( article 78 vicies du PLF ).

Par ailleurs, des mesures d'investissement social continuent à être financées en dehors du cadre contractuel à hauteur de 44 millions d'euros .

Au total, 215 millions d'euros seront ainsi consacrés à l'action 19 en 2020, après 151 millions d'euros en 2019.

Votre rapporteur estime que l'accent mis sur l'enfance de cet ensemble de mesures doit être salué car il marque l'ambition de cette stratégie de prendre le problème de la pauvreté à la racine. Le caractère épars de ces mesures peut toutefois susciter des doutes quant à leur impact réel. En outre, l'action 19 comportant peu de mesures monétaires mais principalement des mesures structurelles de long terme, elle n'a pas d'incidence directe sur le taux de pauvreté.

La volonté d'établir un rapport de confiance , en portant avec les acteurs territoriaux des objectifs dont les modalités de mise en oeuvre font l'objet d'une contractualisation, doit également être relevée. La création et l'animation par la délégation interministérielle d'un espace numérique de travail partagé avec les territoires peut à cet égard être mentionnée.

Toutefois, comme le rapporte l'ADF, plusieurs départements ont vu leurs relations avec l'État se durcir depuis le début du processus de contractualisation dans la mesure où des indicateurs nouveaux construits sans concertation, portant notamment sur les sorties de l'ASE, leur auraient été imposés. Plus généralement, la tendance à la contractualisation des politiques sociales est considérée avec inquiétude par les collectivités, lesquelles y voient le signe d'une volonté de recentralisation de la part du Gouvernement.

Il convient également de souligner l'effort considérable qui reste à la charge des départements , l'ADF avançant un montant total de 11 milliards d'euros pour 2019. Les dépenses supplémentaires exposées par les départements au titre de la stratégie pauvreté dans le cadre de la contractualisation ne sont exclues des dépenses réelles de fonctionnement prises en compte au titre du « Pacte de Cahors » 73 ( * ) que dans la limite du financement apporté par l'État.

Enfin, certains acteurs de terrain s'interrogent sur la cohérence de ces mesures avec l'ensemble de l'action gouvernementale, du gel des APL à la réforme de l'assurance chômage. Cette dernière représente également un point d'inquiétude majeur pour les départements, qui craignent qu'elle se traduise par une entrée beaucoup plus rapide des chômeurs dans le RSA et, in fine , par un transfert de l'assurance chômage vers des dépenses d'aide sociale.

Les contours du service public de l'insertion

La réforme annoncée du service public de l'insertion (SPI) illustre la volonté du Gouvernement de supprimer les cloisons et de fluidifier les parcours entre les politiques de lutte contre la pauvreté, l'accompagnement des bénéficiaires de minima sociaux et les politiques de l'emploi.

Cinq lignes directrices constituent le cadre de la concertation lancée le 9 septembre 2019, menée sous l'égide du ministère du travail et du ministère des solidarités et de la santé :

1. « L'activité d'abord » : priorité au retour à l'activité pour tous et sur l'ensemble du territoire.

2. « Universalité » : il s'agit de construire un dispositif dépassant les logiques statutaires.

3. « Efficacité » : priorité à des solutions d'accompagnement qui ont fait leur preuve dans un cadre d'évaluation partagé.

4. « Proximité » : chaque personne ayant besoin d'un accompagnement pourra identifier son SPI, qui devra concilier les dimensions « emploi » et « social ».

5. « Adaptabilité » : le SPI devra répondre aux particularités et aux choix de chaque allocataire, mais aussi proposer des services adaptés aux entreprises.

Comme l'a annoncé le Président de la République lors de la présentation de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, la création du SPI marquerait un réinvestissement par l'État du champ de l'insertion.

Avec le revenu universel d'activité, le SPI devrait constituer le second pilier d'une réforme annoncée pour 2020.

4. Le lancement de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance

Le 14 octobre 2019, soit après le dépôt du PLF, Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, a présenté une stratégie de prévention et de protection de l'enfance pour la période 2020-2022 .

Là encore, le Gouvernement a choisi, pour déployer cette stratégie, une méthode de contractualisation pluriannuelle entre l'État et les départements. Cette contractualisation reposera sur quatre engagements assortis d'objectifs précis et d'indicateurs de résultats :

- « agir le plus précocement possible pour répondre aux besoins des enfants et de leurs familles » ;

- « sécuriser les parcours des enfants protégés et prévenir les ruptures » ;

- « donner aux enfants les moyens d'agir et garantir leurs droits » ;

- « préparer leur avenir et sécuriser leur vie d'adulte ».

Pour permettre la mise en oeuvre de ce processus, 30 millions d'euros supplémentaires ont été crédités, par un amendement adopté à l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, au titre de l'action 17 (« Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables ») du programme 304.

Cette ouverture de crédits appelle deux commentaires de votre rapporteur pour avis :

- d'une part, le montant inscrit au titre de la mission ne permet pas de retracer les 80 millions d'euros annoncés pour 2020 lors du lancement de la stratégie. En effet, selon les annonces du ministère des solidarités et de la santé, 30 millions d'euros inscrits dans le PLFSS doivent compléter 50 millions d'euros financés par le budget de l'État. Or, l'organisation d'un bilan de santé obligatoire pour chaque enfant entrant dans le dispositif de protection de l'enfance, prévue à l'article 35 du PLFSS pour 2020, sera financée par l'assurance maladie mais son impact sur les finances de la sécurité sociale serait nul la première année 74 ( * ) ;

- d'autre part, la méthode choisie semble corroborer les inquiétudes des départements quant à la généralisation de la méthode contractuelle, qui se veut fondée sur la confiance et le dialogue mais pourrait se traduire par une nouvelle forme de tutelle de l'État.

S'agissant du contenu de la stratégie, les associations regrettent l'absence de mesures d'ambition en faveur des jeunes majeurs sortant des dispositifs de protection de l'enfance : seules trois actions sont destinées à ces jeunes, qui reposent principalement sur l'accès au logement.


* 71 Cf. document de politique transversale « Inclusion sociale ».

* 72 Loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 - Article 89.

* 73 Pour les collectivités concernées, la croissance des dépenses de fonctionnement ne doit pas dépasser 1,2 %.

* 74 Cf. rapport n° 98 (2019-2020) de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

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