II. DEUX AXES ESSENTIELS POUR LA FUTURE LOI D'ORIENTATION : LA PRIORITÉ « AFRIQUE » ET LE RENFORCEMENT DE L'ÉVALUATION

A. LA PRIORITÉ « AFRIQUE »

Le CICID de février 2018 a placé le développement de l'Afrique au centre des objectifs de l'aide publique au développement française.

1. Des financements en hausse

L'évolution de l'APD bilatérale nette de la France dans les pays d'Afrique subsaharienne ces cinq dernières années est déclinée par instruments ci-dessous :

Afrique subsaharienne, en millions d'euros

2014

2015

2016

2017

2018*

2018**

APD bilatérale nette

1 493

1 579

1 390

1 464

1 959

1794

Dons hors Annulations de dette et refinancements

1 173

1 212

1 114

1 093

1 224

1 224

Prêts bruts

802

825

850

965

1 145

1145

Prêts nets

314

317

272

369

735

570

Annulations de dette et refinancements nets

6

116

4

22

0

0

APD multilatérale imputée

1 152

1 368

1 195

1 563

nd

nd

Source : OCDE (CAD 2a) et DG Trésor

Note : Inclue les dépenses classées au niveau régional en Afrique. Les données 2018 sont en cours de validation par les services de l'OCDE.

* Données selon l'ancienne méthode de comptabilisation, en flux nets.

** Données selon la nouvelle méthode de comptabilisation, en équivalent don. La réforme de l'équivalent-don (EqD), passée en 2018, prévoit de comptabiliser les prêts de manière plus adéquate pour les pays en développement. Elle implique une nouvelle méthodologie de calcul qui revoit généralement à la baisse les montants versés pour des prêts bilatéraux publics.

Pour les pays prioritaires 1 ( * ) de l'aide française, donc les plus pauvres, l'évolution des financements est la suivante :

Pays prioritaires, en millions d'euros

2014

2015

2016

2017

2018*

2018**

APD bilatérale nette

724

767

613

764

812

763

Dons hors Annulations de dette et refinancements

558

553

509

565

638

638

Prêts bruts

240

207

186

269

229

229

Prêts nets

163

122

102

198

173

124

Annulations de dette et refinancements nets

3

116

2

1

1

1

APD multilatérale imputée

365

497

400

592

nd

nd

Source : OCDE (CAD 2a) et DG Trésor

Note : Les données 2018 sont en cours de validation par les services de l'OCDE.

* Données selon l'ancienne méthode de comptabilisation, en flux nets.

** Données selon la nouvelle méthode de comptabilisation.

Au total, malgré la priorité africaine affichée, on n'observe pas jusqu'en 2018 de hausse très forte des engagements dans les pays les plus pauvres d'Afrique .

En ce qui concerne l'Afrique saharienne, la progression de l'APD bilatérale est relativement forte entre 2017 et 2018, mais cette catégorie regroupe des pays au développement très inégal dont certains ont fait des progrès importants au cours des dernières années. La progression vient surtout des prêts supplémentaires accordés par l'AFD, les dons ne progressant pas de manière massive.

Cette progression modérée des dons explique que les engagements auprès des pays prioritaires, qui sont quasiment tous des pays pauvres d'Afrique subsaharienne, ne connaisse pas non plus de progression spectaculaire , passant de 764 millions d'euros à 812 millions d'euros entre 2017 et 2018.

On peut toutefois espérer que les augmentations de crédits intervenus entre le PLF 2018 et le PLF 2019 permettent d'accroître les sommes effectivement disponibles pour les pays prioritaires .

En effet, en 2019, l'AFD a reçu un milliard d'euros de subventions supplémentaires (programme 209). Sur cette enveloppe additionnelle, près de 870 millions d'euros ont été alloués à l'activité de l'AFD en Afrique, dont près de 45 % pour la région Grand Sahel . Une ventilation sectorielle précise pour l'utilisation de la subvention supplémentaire a été fixée à l'AFD, 85 % des moyens devant être concentrés sur les cinq secteurs priorisés par le CICID (dont 200 M€ pour le traitement des crises et des fragilités et 200 M€ sur les thématiques climat et biodiversité) et près de 500 M€ pour les thématiques sociales, au premier rang desquelles figurent l'éducation (200 M€), la santé (100 M€) et l'égalité femmes-hommes (100 M€).

Répartition des subventions en Afrique en 2019 (millions d'euros) :

Secteurs CICD

Agriculture & sécurité alimentaire

EEA

Education

Environnement

Hors Secteur

Infrastructures

Santé

Secteurs Productifs

TOTAL

Total Prévisionnel 2019

163,2

87,5

239,6

18,5

148,7

61,6

97,6

52,9

869,6

En %

19%

10%

28%

2%

17%

7%

11%

6%

100%

2. La déclinaison par l'AFD de la priorité africaine

Sur la période 2014-2018, le groupe AFD a réalisé un volume d'autorisations d'engagement de 21,9 Md€ en Afrique, dont 17,7 Md€ en Afrique subsaharienne, lui permettant d'honorer l'engagement pris par le président François Hollande en décembre 2013 (20 Md€ au continent d'ici 2018).

L'Afrique représente 80 % du total de l'effort financier global de l'Etat français déployé par l'AFD et 50 % des engagements financiers annuels de cette dernière, soit 4,7 Md€ d'autorisations d'engagements (hors Proparco) en 2018. Par ailleurs, l'Afrique doit être le premier bénéficiaire du milliard d'euros de subventions supplémentaires « débloqué » en 2019.

Le secteur des infrastructures est le premier secteur d'intervention de l'AFD en Afrique , avec 1,5 Md€, représentant 31 % des financements octroyés sur le continent en 2018, contre 51 % en 2017. Le secteur productif représente aussi une part importante des financements sur le continent africain à hauteur de 26 % (financements des banques et du secteur financier et des industries manufacturières). Ces deux secteurs principaux représentent au total plus de la moitié des financements AFD sur le continent. Les secteurs sociaux - éducation et santé - ne représentent que 11 % des autorisations en 2018. Néanmoins, l'activité dans ces secteurs, pour un montant de 501 M€, est en nette progression par rapport à 2017, puisqu'elle a été multipliée par plus de trois (169 M€, soit 4 % des autorisations sur le continent en 2017). En 2018, les interventions dans ces secteurs restaient contraintes par le niveau des ressources en subvention.

Le problème de la dette des pays africains et ses conséquences
pour la politique de prêts de l'AFD

Depuis 2010, les ratios d'endettement public et extérieur des économies africaines ont globalement augmenté de façon rapide : le taux d'endettement extérieur de l'Afrique est passé de 22 % du RNB en 2010 à 34 % du RNB en 2017, et de 73 % des exportations de biens et services à 144 % sur la même période. Le taux d'endettement public, qui inclut la dette intérieure, a suivi une trajectoire similaire, de 33 % du PIB en 2010 à 55 % du PIB en 2017 (contre 87 % en zone euro et 235 % au Japon).

En juillet 2019, sur les 35 pays d'Afrique répertoriés dans les analyses de viabilité de la dette des pays à faible revenu (AVD-PFR) réalisées par le FMI et la Banque mondiale, 13 étaient classés en risque modéré de surendettement contre 10 en 2009, et 11 en risque élevé. L'augmentation du nombre de pays en risque modéré et élevé de surendettement se traduit par une baisse du nombre de pays dans lesquels l'AFD peut intervenir en prêts souverains. Cela conduit à une concentration de son exposition souveraine sur un nombre restreint de pays, notamment de pays prioritaires (PP) à risque modéré de surendettement. D'autre part, le classement des pays en risque modéré recouvre des situations économiques très hétérogènes et les AVD-PFR sont particulièrement sensibles à l'évolution du contexte macroéconomique et au classement en termes de qualité des institutions (indice CPIA ) ainsi qu'aux hypothèses des scénarios de base et des stress tests, ce qui accroît le risque pour l'AFD d'une concentration de son activité souveraine sur ces pays .

Conformément à la doctrine dite Lagarde, l'AFD n'octroie pas de prêts à des pays en risque élevé de surendettement afin de ne pas contribuer au surendettement de ces pays, mais aussi de ne pas accumuler, par l'octroi de prêts dont les perspectives de remboursement seraient limitées, des risques excessifs pour les finances publiques françaises. L'exposition de l'AFD est par ailleurs pilotée en fonction de la capacité d'endettement des pays. Le volume de financement en prêts que l'AFD peut consentir est donc limité sur certaines contreparties à risques pour lesquelles les financements en subventions sont privilégiés.

En 2019, l'AFD concentre ses interventions les plus concessionnelles sur les pays les moins avancés (PMA), avec un accent particulier sur les secteurs sociaux (santé, éducation...). Un plan d'actions ciblé sur les pays du Sahel a par ailleurs été approuvé par le Conseil d'administration de l'AFD en octobre 2015. Parallèlement au soutien aux pays les plus pauvres, un petit nombre de pays à revenu intermédiaire (PRI) continuera de bénéficier de ressources en dons à travers les mécanismes de réduction de leur dette (RCI, Cameroun, Congo). Pour les autres PRI, l'octroi de dons ne financera que des prestations techniques. Les interventions porteront principalement sur des thématiques de soutien à la croissance, notamment dans des secteurs dans lesquels l'expertise française peut être valorisée.

L'AFD compte également s'appuyer sur le plan d'investissement extérieur de l'Union européenne (PIE), qui soutient les investissements en Afrique et dans le voisinage de l'UE. Le PIE repose sur trois piliers : un fonds européen pour le développement durable (FEDD), qui combine des structures de placement existantes (AIP et FIV) à une nouvelle facilité de garantie ; l'assistance technique ; et l'évolution de l'environnement des affaires.

3. Des difficultés particulières au Sahel
a) Une Région qui concentre les difficultés

Ainsi que l'a souligné Jean-Marc Châtaigner, envoyé spécial pour le Sahel et chargé à ce titre d'une mission de coordination entre les ambassadeurs des pays impliqués au Sahel et des membres du G5 Sahel, lors de son audition par vos rapporteurs, le Sahel est en quelque sorte « l'ultime frontière du développement » . Le Niger, par exemple, qui est passé de 3,6 millions d'habitants à l'indépendance à 23 millions aujourd'hui et sans doute 100 millions de personnes en 2100, reste au dernier rang de l'indice de développement humain (IDH) notamment en raison de l'éducation.

Les travaux du PNUD sur les causes du djihad mettent en avant l'insatisfaction en matière de sécurité et de justice, un sentiment d'injustice et une menace ressentie face à l'uniforme des forces de sécurité intérieures ou extérieures, enfin un désir d'ascension économique : avoir une voiture, une arme... et seulement en dernier le motif religieux.

Par ailleurs, comme l'a souligné lors de de son audition Michel EDDI, directeur du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), outre le choc démographique, le Sahel va subir de plein fouet le changement climatique , car c'est dans la zone intertropicale que les effets de celui-ci sont les plus puissants. Ceci aura des conséquences très importantes sur les agricultures du Sahel. Dès lors, il est nécessaire de trouver un modèle agricole qui diminue son impact sur l'environnement tout en assurant la subsistance d'une population en croissance.

Au total, au Sahel, une grande partie de l'aide publique au développement n'est pas allée au-delà de l'accompagnement de la croissance démographique . Elle a toutefois sans doute permis à des pays comme le Niger de « tenir »et a évité des désastres humanitaires. Des initiatives en matière agricole ont parfois également eu de bons résultats. Il importe toutefois de réussir le « passage à l'échelle » des projets et de moins les concentrer dans les zones urbaines, car c'est dans les zones « périphériques » que les crises prennent actuellement naissance.

b) Les efforts de l'AFD pour devenir plus agile et plus rapide

Le fonds MINKA a été créé par instruction du CICID de novembre 2016 pour accélérer et rendre plus efficace la réponse aux crises en matière de développement. Il s'agissait de répondre à la sollicitation du gouvernement, des parlementaires, voire des armées dans une optique d' « approche globale », afin d'obtenir plus rapidement des résultats tangibles pour la population des pays en crise et ainsi rendre plus facile la reconstruction politique et plus difficile l'action des éventuels groupes terroristes.

Le fonds « Minka »

La facilité d'atténuation des vulnérabilités (depuis renommée « Fonds paix et résilience - Minka ») a été créée en mars 2017 par l'AFD sur instruction du CICID du 30 novembre 2016 afin de « renforcer encore l'action de la France pour la paix et la stabilité internationale et d'investir dans la prévention des crises (en particulier sanitaires, politiques, environnementales, sociales), par une action en amont sur les fragilités dont elles se nourrissent ». Aussi, le fonds Minka représente l'un des principaux instruments de mise en oeuvre de la stratégie française « Prévention, Résilience et Paix durable. Approche globale de réponse à la fragilisation des Etats et des sociétés ».

La doctrine d'emploi de Minka est adaptée aux contextes de crises, tant sur le plan stratégique, qu'opérationnel. Le Fonds a vocation à contribuer directement au retour à la paix, en cherchant à agir sur les déterminants de la crise et sur la restauration du lien social. Pour être éligible à un financement Minka, un projet doit cibler directement et principalement les causes profondes (ex : sentiment de marginalisation de certains groupes sociaux, faible légitimité de l'Etat) ou immédiates (ex : conflits fonciers, attractivité de groupes armés auprès d'une jeunesse désoeuvrée) de la crise. Minka finance également des projets visant, en prévention, à atténuer les effets d'une crise ou, au minimum, veillant à ne pas aggraver le conflit (approche « ne pas nuire »).

Selon les conclusions du CICID 2016 et la note au Conseil d'Administration de l'AFD de mars 2017, les ressources Minka sont octroyées selon quatre paramètres cumulatifs :

a) exposition élevée de la zone considérée à des chocs majeurs (endogènes ou exogènes) ;

b) faible capacité à y faire face ;

c) degré de propagation élevé des tensions ou des chocs ;

d) avantage comparatif de la France et de l'AFD pour y jouer un rôle.

Il privilégie les réponses structurantes, le plus souvent à l'échelle régionale, les crises ayant souvent des causes et/ou des effets transfrontaliers. Aussi, le Conseil d'Administration de l'AFD a autorisé le déploiement de Minka sur quatre initiatives régionales : i/ Sahel, ii/ Lac Tchad (crise Boko Haram), iii/ crise centrafricaine, iv/pourtour syrien et zones de l'Irak libérées de Daech (cf. annexe). Il existe aussi depuis 2018 une fenêtre de garantie pour le secteur privé en zones de crise (ARIZ TPE Minka).

En tant qu'outil de financement de développement dédié à la prévention et à la sortie de crise et mettant l'accent sur des réponses structurantes, Minka est un outil de financement du développement inscrit sur le long terme. Il s'agit par exemple de restaurer la confiance entre gouvernants et gouvernés (grâce par exemple à la restauration de services de bases), et/ou entre groupes sociaux (grâce par exemple à des projets bénéficiant de manière inclusive aux réfugiés et aux communautés hôtes). Ainsi, conformément à l'approche globale promue au sein de la stratégie française « Prévention, Résilience et Paix durable », les actions financées par Minka se distinguent des actions humanitaires, de stabilisation, et de sécurité, qu'il complète. Une approche concertée avec les acteurs de l'Equipe France et les autres partenaires humanitaires et de développement est indispensable pour partager un diagnostic conjoint, des objectifs convergents, et être bien positionné pour influencer la trajectoire des crises.

Le Fonds Minka de l'AFD a été doté à hauteur de 100 M€ en 2017, 120 M€ en 2018, et 172,5 M€ en 2019 (hors rémunération pour cette dernière année alors qu'elle était incluse en 2017 et 2018). La ventilation du +1 Md€ en don-projet en 2019 a par ailleurs permis de dédier des crédits supplémentaires au traitement des crises et fragilité. Ce seront donc près de 250 M€ en don qui ont été fléchés pour le traitement des crises et des fragilités en 2019. Le PLF 2020 prévoit une enveloppe de 200 M€ dédiée à la facilité Minka en 2020, conformément aux instructions du dernier CICID.

Il était alors envisageable de confier le nouveau fonds soit à l'AFD, soit au Centre de crise et de soutien du Quai d'Orsay, celui-ci ayant déjà l'expérience des projets de stabilisation menés en urgence dans des situations de guerre ou de crise. C'est finalement l'AFD qui a été chargée de gérer ces crédits.

Dès lors, l'agence s'est efforcée d'utiliser les moyens à sa disposition, voire de modifier certaines de ses pratiques afin de pouvoir agir de manière plus rapide et plus agile. Le fonds Minka a ainsi été doté de procédures d'instruction et d'exécution de projets révisée reposant sur :

- la priorité donnée aux projets Minka dans les processus internes de l'agence ;

- l'utilisation de manière systématique de l'ensemble des flexibilités autorisées dans le cycle d'instruction ;

- l'introduction de flexibilités supplémentaires notamment en matière de passation de marchés, de recours à la maîtrise d'ouvrage directe AFD ou encore d'amendements des projets.

Ainsi, les gestionnaires du fonds ont essayé d'assouplir certaines contraintes liées à la mise en oeuvre ordinaire des projets de l'AFD , l'objectif final recherché étant d'obtenir des délais d'instruction et de décaissement plus serrés et des réalisations dans les six premiers mois après octroi, soit un rythme au moins deux fois plus rapide que pour les projets « ordinaires ».

L'ensemble des personnes entendues par vos rapporteurs ont toutefois souligné que cet objectif n'avait pas été suffisamment atteint . Selon l'AFD, les raisons en sont multiples :

- les délais de décaissements et donc de premiers résultats peuvent rester longs dans certains cas , notamment s'agissant de recours aux maitrises d'ouvrage publiques (34% des octrois 2017-18), souvent faibles et peu présentes dans ces zones d'intervention difficiles. Minka ne souhaite toutefois pas délaisser ce canal conformément aux engagements de la France en matière d'efficacité de l'aide (Déclaration de Paris, 2005) ;

-un autre défi vient des exigences règlementaires auxquelles l'AFD est soumise en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme , qui peuvent rendre plus complexe le financement de certains opérateurs - et en particulier les OSC et les organisations internationales.

Devant ces difficultés, l'AFD a adopté en mai 2019 des nouvelles procédures, ainsi que des modes de travail associant ONG, maîtrises d'ouvrage publiques et un renforcement ciblé des capacités en direction de ces dernières, afin de renforcer la mise en oeuvre des projets Minka.

L'encadré ci-dessous présente des projets Minka mis en oeuvre à un rythme plus rapide que les projets « ordinaires » de l'AFD :

Le projet « améliorer la sécurité alimentaire dans les régions de Bambari et Berberati » en RCA (SAMBBA, 3,4 M€ sur 2017-2019) a été conçu en trois mois avec des objectifs de court et moyen terme. Il soutient la transition d'une phase de réponse aux besoins urgents des populations vers un relèvement agricole (6 400 ménages et 20 groupements de femmes ciblés), en trouvant des pistes d'ancrage communautaire à celui-ci. Le projet SAMBBA est mis en oeuvre par un consortium d'ONG, d'une part, et par les services de l'agriculture et de l'élevage de l'Etat centrafricain, d'autre part. Il s'agit d'appuyer la remise en fonction du système étatique de suivi et de conseil agricole ainsi que la pérennisation des activités des éleveurs et des agriculteurs bénéficiaires. Actuellement, grâce à SAMBBA, 525 producteurs bénéficient d'un appui via 21 Champs Écoles Paysans pour améliorer leurs connaissances techniques et 200 femmes sont mobilisées chaque semaine pour des ateliers d'échanges pour lutter contre la malnutrition chronique.

Le projet « redressement Tillabéry » au Niger a été signé en décembre 2018 et un premier versement a été effectué en janvier 2019. Le partenaire de mise en oeuvre, la haute autorité pour la consolidation de la paix (HACP), est un organe de l'Etat nigérien oeuvrant pour la stabilisation et la consolidation de la paix et qui a la capacité de coordonner les ONG locales sur place. Financé à hauteur de 8 M€, le programme vise à améliorer l'accès aux ressources et intrants nécessaires à l'activité pastorale dans 8 communes de la région (50 ouvrages hydrauliques pour un accès à l'eau potable pour 38.000 personnes, et des activités pastorales bénéficiant à 70.000 personnes). Après le lancement de l'appel d'offre pour le recrutement de l'ONG opératrice, les activités ont démarré en avril 2019.

Par ailleurs, les relations et la coopération entre l'AFD et Barkhane se sont améliorées selon Jean-Marc Châtaigner, envoyé spécial pour le Sahel. Un conseiller de l'AFD est placé auprès de Barkhane afin de fluidifier les échanges d'information, et le représentant spécial réunit lui-même l'ensemble des acteurs dans une « Task force » sur le développement du Sahel.

c) Le rôle important du Centre de crise et de soutien du Quai d'Orsay
(1) Une mission essentielle

Le principal acteur français des crises internationales est le Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, qui, outre ses missions relatives à la sécurité des Français à l'étranger, de conseils aux voyageurs, et de point d'entrée du ministère pour toute crise, remplit une mission d'aide humanitaire et de stabilisation. Sa temporalité d'intervention est alors d'environ 0-18 mois sur le continuum de crise.

Lors d'une crise (en particulier une catastrophe naturelle), le CDCS coordonne ainsi la réponse humanitaire d'urgence française, en lien avec les autres ministères concernés (Intérieur, Santé, Défense) et les ONG. En cas de crise prolongée, (liée à un conflit, avec un afflux massif de réfugiés par exemple), le CDCS coopère pour l'essentiel de sa mission avec les ONG pour mener des projets plus longs (3 mois à 1 an) afin de répondre aux besoins des populations.

La stabilisation, quant à elle, se définit par rapport à ses objectifs politiques. Elle s'inscrit dans une dynamique post-conflit et vise à créer les conditions de la sortie de crise, ce qui passe par le relèvement de l'Etat dans ses fonctions régaliennes, le tout dans un cadre défini par la politique étrangère de la France, avec présence éventuelle de forces françaises.

Les modes opératoires du CDCS spécialement adaptés au contexte de crise sont les suivants :

- des financements rapidement mobilisables (procédure de décaissement accélérée en phase avec le rythme de l'action militaire et les besoins des ONG) ;

- une capacité à instruire des micro-projets dans des zones circonscrites ;

- une capacité à mener des projets de stabilisation à impact rapide au profit des populations en lien avec les opérations militaires ;

- une capacité à prendre des risques, ce qui distingue également fortement le CDCS des organismes de développement.

Le principal outil dont dispose le CDCS pour cette double mission est le Fonds d'urgence humanitaire (FUH), auquel s'ajoutent des enveloppes spéciales en fonction des crises. Ainsi, en 2019, le CDCS a pu mettre en oeuvre 43,4 millions d'euros du FUH, 5,5 millions d'euros d'aide budgétaire de sortie de crise et 43 millions d'euros d'enveloppe additionnelle pour la Syrie, soit au total 91,8 millions d'euros.

Cette somme est en nette progression par rapport à 2018 (86,7 millions d'euros) et 2017 (60 millions d'euros). Pour 2019, le FUH va bénéficier d'une hausse substantielle de ses crédits, qui passent à 80,7 millions d'euros .

Toutefois, ces sommes restent très inférieures à celle consacrée par nos partenaires aux mêmes missions : l'Allemagne consacre environ 1,85 milliards d'euros à l'aide humanitaire et à la stabilisation, avec une équipe de 180 agents, et le Royaume-Uni 2,4 milliards d'euros (en 2018) via le ministère du développement international (DFID) et la « Stabilization Unit » interministérielle, avec 120 agents et 700 experts projetables.

(2) Quelle articulation avec l'AFD ?

Ainsi que décrit ci-dessus, l'AFD bénéficie, pour ses interventions dans les pays fragiles, du fonds Minka doté de 200 millions d'euros en 2019. Cette intervention de l'agence dans le champ des crises rendait nécessaire une formalisation de l'articulation de ses missions avec celles de du CDCS. Des progrès ont effectivement été accomplis avec des réunions régulières et la création de deux groupes de travail (« alerte précoce » et « stabilisation-développement au Sahel ») réunissant le ministère des armées, l'AFD et le CDCS. Il s'agit ainsi de permettre l'utilisation optimale des points forts du CDCS et de l'AFD : conception et mise en oeuvre d'interventions humanitaires et de stabilisation en zone de crise pour le premier, prévention des crises et développement post-crise pour la seconde.

Cette répartition suppose toutefois en réalité un renforcement des moyens du CDCS, ceux-ci étant pour le moment très inférieurs à ceux de ses homologues européens.

En 2017 avait déjà eu lieu le transfert de la ligne budgétaire consacrée au déminage de l'AFD au CDCS et le financement de l'enveloppe exceptionnelle consacrée aux territoires libérés de Daech sur crédits du programme 209 initialement fléchés vers l'AFD. Vos rapporteurs considèrent qu'une partie des crédits consacrés au fonds Minka devraient, dans le même esprit, revenir au CDCS.

d) L'Alliance Sahel, une initiative qui vise à améliorer la coordination de l'aide

Sous l'impulsion de la France, l'Alliance Sahel , plateforme de bailleurs, a été lancée par le Président Macron et la Chancelière Merkel le 13 juillet 2017 pour une meilleure coordination de l'aide dans la zone. Elle constitue ainsi la plateforme principale de coordination des bailleurs intervenant dans la région Sahélienne (en premier lieu UE, Allemagne, France, Banque mondiale, Banque Africaine de Développement, PNUD, mais également Royaume-Uni, Espagne, États-Unis, Norvège, Danemark, à titre de nouveaux membres ou d'observateurs).

L'Alliance Sahel vise l'obtention de résultats de développement concrets sur les zones les plus fragiles et vulnérables (généralement périphériques et/ou transfrontalières) en favorisant une meilleure articulation des programmes de ses membres avec les problématiques humanitaires et de sécurité. Elle privilégie une approche en termes de redevabilité et d'efficacité de l'APD, ainsi que de transparence et d'évaluation des actions mises en oeuvre, en lien étroit avec les gouvernements partenaires et les sociétés civiles concernées.

Elle repose sur quatre piliers :

a. une concentration des efforts dans six secteurs prioritaires d'intervention : i) employabilité des jeunes (éducation et formation) ; ii) agriculture, développement rural et sécurité alimentaire ; iii) énergie et climat ; iv) gouvernance ; v) décentralisation et services de base ; vi) sécurité et développement ;

b. une meilleure prise en compte des enjeux de sécurité : intégrer la contrainte sécuritaire dans la mise en oeuvre des projets de développement et renforcer les services de sécurité des États ;

c. une objectivation des résultats : les membres de l'Alliance se sont engagés collectivement sur un nombre restreint d'objectifs précis à atteindre en 1, 3 ou 5 ans, partagés avec les pays bénéficiaires, par thématique, mesurables et définis à l'échelle de la région ;

d. une amélioration des modes opératoires : les membres sont prêts à examiner tout ce qu'il est possible de faire pour accélérer l'obtention des résultats de développement, en considérant l'ensemble des instruments disponibles, les propositions d'innovations et d'implication de nouveaux acteurs (des ONG locales, des approches communautaires, des partenaires privés...).

Entendus par vos rapporteurs, Jean-Marc Gravellini, responsable de l'unité de coordination de l'Alliance Sahel, a indiqué que les projets portés par l'Alliance représentaient, fin 2018, 11 milliards d'euros dont 8 milliards d'euros déjà en cours d'exécution et 3 milliards d'euros de projets nouveaux en cours d'instruction. L'ensemble des 11 milliards devraient être décaissés en 2022.

Des partenaires qui doivent davantage se coordonner

L'Alliance Sahel doit constituer une initiative « moteur » dans l'intensification des liens entre les institutions de coopération et de développement françaises et allemandes. Ainsi, la mise en oeuvre de l'Alliance Sahel permet un dialogue renforcé avec le ministère allemand du développement international (BMZ) ; la KfW demeure également l'interlocuteur de l'AFD pour ses opérations dans la région.

La Banque mondiale et l'AFD renforcent également leur coopération dans les pays du G5 Sahel, en particulier autour de deux programmes phares, l'un dans la région transfrontalière du Lac Tchad, l'autre dans la région de Konna au Mali. D'autres programmes font par ailleurs l'objet d'échanges renforcés, notamment au Niger autour de Tillabéry.

Le Royaume-Uni, au travers du DFID, a rejoint l'Alliance Sahel en mars 2018, ayant par ailleurs souligné son intérêt pour y conduire les réflexions autour de la thématique du genre, thématique co-animée aujourd'hui par le DFID et l'AFD. De plus, une coordination bilatérale entre la France et le Royaume-Uni est assurée par les rencontres annuelles de haut niveau (Sommet trilatéral DFID/MEAE/AFD) et les plans d'action qui en découlent. Ainsi, en 2018, le Sahel fait l'objet d'un axe de coopération renforcée entre le DFID et l'AFD, aussi bien en termes de partage de connaissance et de production intellectuelle (genre, 3D, éducation) qu'en termes de partenariat opérationnel (cofinancement avec la Banque mondiale et le DFID du Programme de protection sociale adaptative au Sahel - 64M Eur DFID, 6M Eur AFD).

La coordination entre la banque africaine de développement (BAD) et l'AFD se décline également à travers l'Alliance Sahel. La BAD dispose d'un Bureau de coordination des États en transition, chargé du développement et de la mise en oeuvre de la Facilité d'appui à la transition, qui s'adresse aux États fragiles et en crise dont les pays sahéliens. Ce bureau est l'interlocuteur désigné de l'Alliance Sahel. La coopération avec la BAD est toutefois restée en 2018 en-deçà du niveau attendu, du fait notamment que la BAD est en cours de réorganisation.

La Commission européenne est également membre de l'Alliance Sahel, et, à ce titre, une coordination régulière est assurée avec l'AFD.

Autre aspect de l'Alliance Sahel dont vos rapporteurs soulignent l'aspect essentiel, la coordination accrue de bailleurs est aussi l'occasion de faire passer des messages plus forts aux pays du G5 : comme l'a souligné Jean-Marc Gravellini, il s'agit ainsi d'un instrument de dialogue politique. Ce dialogue doit à l'évidence porter sur les points suivants :

- la situation démographique , qui n'est pas soutenable à moyen terme ;

- les nécessaires réformes administratives ;

- l'absence ou le recul de l'Etat dans certains territoires.

Enfin, l'Alliance Sahel s'efforce de travailler dans les zones les plus impactées par les problèmes sécuritaires, sans administrations déconcentrées, sans élections régulières et où les pouvoirs locaux sont souvent peu légitimes. À cette fin, elle tente de promouvoir des interventions avec les ONG locales, les collectivités locales et les petits entrepreneurs.

Interrogé par vos rapporteurs sur la dégradation de la situation au Sahel malgré l'action des partenaires internationaux, M. Gravellini a fait valoir a contrario l'exemple de la Mauritanie, qui a su, grâce à une action résolue des autorités centrales, retrouver la stabilité et la sécurité nécessaires à tout développement. Cette volonté politique n'existe cependant pas au même degré, pour le moment, dans l'ensemble des pays du Sahel.

Ces difficultés soulèvent ainsi la question difficile de l'introduction d'une certaine dose de conditionnalité dans l'aide . Plusieurs éléments rendent cependant difficile une telle évolution : la nature même des institutions d'aide qui, à l'instar de l'AFD ou de la Banque mondiale, sont souvent des banques et cherchent donc avant tout à placer leurs prêts ; l'histoire des relations de la France avec l'Afrique qui rend parfois ce genre de discours plus difficile à tenir, difficulté que n'ont pas des plus petits pays, ou, dans la région sahélienne, les pays anglo-saxons.

4. La nécessité de travailler en réseau avec l'ensemble des acteurs français du développement

Bien que l'AFD dispose d'un savoir-faire reconnu dans de nombreux domaines, elle ne représente à elle seule qu'une faible part des financements, de la capacité d'action et de l'expertise nécessaires pour répondre aux besoins des pays en développement, en particulier en Afrique sub-saharienne. En ce sens, vos rapporteurs se félicitent que, dans son dernier projet stratégique pour la période 2018-2022, l'AFD se considère désormais comme une « plate-forme bilatérale de la politique française », afin d' « accueillir, fédérer et projeter vers les pays émergents et en développement tous ceux qui peuvent apporter des ressources, de l'expertise et des capacités d'action. ».

Il reste cependant du chemin à parcourir pour concrétiser cette nouvelle orientation. Plusieurs acteurs du développement ou de l'approche globale rencontrés par vos rapporteurs (collectivités locales engagées dans la coopération décentralisée, militaires engagés au Sahel...) ont en effet souligné les difficultés qu'ils avaient parfois à coopérer avec l'agence , notamment parce que celle-ci, conformément aux pratiques habituelles d'une banque de développement, soutient en priorité des projets de grande ampleur, complexes, long à instruire et à mettre en oeuvre.

En outre, la contraction du réseau des coopérants français au fil des années a également fait perdre à la France une certaine influence tandis que d'autres pays, comme l'Allemagne, continuent à entretenir de larges effectifs de coopérants. Dès lors, il est parfois plus aisé pour ces multiples acteurs de coopérer avec les organismes issus de ce pays. Ainsi, l'ADEME, dont vos rapporteurs ont entendu le directeur, est certes soutenue par l'AFD mais doit bien constater que l'influence de la coopération allemande (GIZ) sur les normes des pays où elle intervient, en particulier autour de la Méditerranée, en fait un partenaire incontournable .

De même, Expertise France, relais naturel de l'expertise française, devrait pouvoir s'appuyer davantage sur l'AFD pour projeter cette expertise en Afrique subsaharienne. À cet égard, il est impératif que le rapprochement des deux agences permette d'améliorer cette projection d'expertise et de développer les relations entre Expertise France et les autres acteurs de l' « équipe de France du développement ».


* 1 Tous des pays d'Afrique sub-saharienne sauf un (Haïti) : Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Guinée, Haïti, Libéria, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo.

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