II. LES DEUX POINTS D'ATTENTION DE LA COMMISSION, MUTUALISATION DU RÉSEAU ET POLITIQUE IMMOBILIBÈRE

A. LA MUTUALISATION DU RÉSEAU : UNE RÉFORME QUI SE DÉFINIT EN MARCHANT

Le deuxième poste de dépenses du programme 105 est constitué par le réseau diplomatique qui représente un peu moins de 35 % des crédits de paiement, soit 621,6 millions d'euros.

1. L'ampleur de l'effort de réduction de masse salariale ramené de 13 à 5,9 %

Le programme de transformation Action publique 2022 (AP2022) se veut être une réflexion stratégique sur l'organisation et les missions de l'État. Son application au MEAE annoncée à l'été 2018 avec la diminution de 10 % de la masse salariale des personnels à l'étranger a été précisée à l'occasion de la conférence des ambassadeurs qui s'est tenue du 27 au 31 août 2018.

Les orientations présentées lors de la conférence des ambassadeurs de 2018

Le Premier Ministre a précisé les difficultés concrètes rencontrées par les ambassadeurs à au moins deux niveaux :

- l'impossibilité de pouvoir proposer la composition des équipes et les modalités de leurs actions communes aboutissant à l'hypertrophie des fonctions dites support qui représentent 30 % des ETPT à l'étranger,

- l'incapacité d'avoir une vision claire de la présence des effectifs à l'étranger, de leur métier et de leurs objectifs, le réseau « CORINTE », censé répondre à cette nécessité, ne s'étant jamais réuni au niveau politique, n'est pas pleinement opérationnel.

La réforme annoncée consiste à donner à l'ambassadeur les moyens de gérer son ambassade et à le placer au coeur de l'organisation interministérielle de l'État dans sa projection internationale. Elle s'organise en trois étapes :

- le PLF 2019 est la première étape. Elle prévoit le regroupement des crédits de façon à assurer aux ambassadeurs la capacité de piloter les fonctions support de l'ensemble des réseaux de l'État à l'étranger,

- la seconde étape concerne le pilotage des réseaux de l'État à l'étranger : le MEAE sera chargé chaque année au début du printemps de proposer une évolution de réseaux de l'État l'étranger par métiers par géographie, sur la base des analyses transmises par les ambassadeurs. Après consultation des ministères concernés, un schéma d'emploi global, décliné par payés par fonction sera arrêté sous arbitrages de Matignon,

- la troisième étape est présentée comme la conséquence logique de cette réforme et porte sur les économies attendues . Elles doivent s'élever à 10 % de la masse salariale d'ici 2022 soit environ 110 millions d'euros. Les fonctions support doivent rapidement baisser en deçà de 25 % des ETPT à l'étranger au lieu de 30 % aujourd'hui. Quand cela se justifie, il doit être envisagé de remplacer des fonctionnaires expatriés par des agents de droit local, par l'exemple dans les services culturels et économiques en particulier encore en Europe.

L'application de la réforme au ministère des affaires étrangères semble avoir été préparée dans l'urgence sans que ses conséquences soient parfaitement évaluées.

Prévue pour se dérouler sur 4 ans, de 2019 à 2022, elle se traduit dès 2019 :

- le PLF 2019 prévoyait la mutualisation des fonctions supports . Les fonctions support 5 ( * ) - chauffeurs, secrétaires, interprètes, agents d'entretien - seront regroupées sous un même chapeau. Ainsi unifiées sous l'autorité de l'ambassadeur, la gestion devrait être simplifiée et le coût de leur fonctionnement rationnalisé. Conséquence de ce transfert des fonctions support au ministère des Affaires étrangères, 387 ETP sont versés au Quai d'Orsay, soit 11 millions d'euros de dépenses de personnel ainsi que 15 millions d'euros de frais de fonctionnement et 215 biens immobiliers 6 ( * ) ,

- le PLF 2019 réalisait également une économie de masse salariale de 13 millions d'euros et 130 ETP pour le MEAE . La baisse de masse salariale demandée variait selon les postes : ceux dans un pays en crise ou de sortie de crise, ou dont la fragilité institutionnelle justifie de maintenir intacte l'empreinte française seront le moins impactés, en théorie à 7 %. Les postes de présence diplomatique, avec un effectif de trois à cinq personnes - dont l'ambassadeur - ne contribueront pas à l'effort. Les postes de nos principaux partenaires stratégiques, situés dans des pays à intérêt diplomatique fort dans leur environnement régional, seront taxés à 7 %. Enfin, les grands postes auprès de nos partenaires multilatéraux, les États du P5, les postes européens ou certains grands postes de pays émergents seront mis fortement à contribution, avec 13 % de réduction des effectifs. Les autres postes seront taxés à 10 %. Interrogés début octobre, les ambassadeurs devaient transmettre leurs propositions d'économie au mois de novembre, avec des objectifs différenciés.

Ce délai de réponse, si court, ne correspondait pas au temps d'analyse approfondie nécessaire à la réussite d'une telle réforme, notamment parce qu'il n'existe pas de recette simple, uniformément applicable, pour réaliser des économies.

L'année 2019 a donc été la première année d'exécution de la modernisation du réseau des ministères à l'étranger, et de la mise en oeuvre des efforts de productivité, de mutualisation et de rationalisation. Elle s'est caractérisée par un certain flou, un tâtonnement : la diminution de masse salariale qui devait atteindre 13 % du total a vu ses contours plusieurs fois redéfinis. Il a été décidé de prendre en compte dans le périmètre de la réforme les diminutions de masse salariale déjà réalisées depuis juillet 2018. Puis l'objectif de contraction de la masse salariale pour le MEAE a été ramené à 5,9 %.

Finalement cette réforme s'est traduite, sur la mission « Action extérieure de l'État », en 2018 par 80 suppressions de postes, 160 en 2019 et 80 en 2020 et en 2021 . L'effort portera désormais sur la chancellerie politique pour préserver les services de soutien, le programme 105 supportera donc 38 suppressions de postes en chancellerie en 2020 au titre de cette réforme, alors que 15 ETP lui seront versés par les autres ministères pour parfaire la mutualisation des services de soutien.

Le bilan des précédentes réformes menées par le MEAE est le suivant : le lissage des « Grands formats » a permis la suppression de 350 postes . Les postes de présence diplomatique (soit 25 ambassades réduites à ce format entre 2013 et 2017) n'ont fait économiser que 50 postes , au prix de quels renoncements !

La réforme actuellement en cours ne doit pas se traduire par de tels sacrifices pour l'efficacité du réseau. L'annonce du recentrage des efforts sur la chancellerie politique dans un monde caractérisé par la montée des menaces, l'affaiblissement du multilatéralisme et le retour des États puissances est particulièrement préoccupante .

Si la diminution des dépenses de personnel est un objectif rationnel, il ne doit pas être atteint sans :

- mesurer les conséquences des choix qu'il implique, notamment en termes de sacrifice supporté par les chancelleries,

- mettre au centre du dispositif les ambassadeurs. Ils doivent devenir les chefs des agences de l'État à l'étranger, quoiqu'en écrivent certains ministres. Ils doivent être les pilotes de cette réforme et être entendus par leur hiérarchie. Le tour de table organisé auprès des ambassadeurs en octobre 2018 pour évaluer les objectifs de réduction de masse salariale doit être relancé pour tenir compte des données nouvelles (évolution de la situation internationale, fixation du nouvel objectif de 5,9 % de réduction de la masse salariale). Les retours des ambassadeurs sur les impossibilités de maintenir l'intégralité de leurs missions doivent être réellement entendus. Il ne s'agit pas de s'opposer à la réduction de la masse salariale mais bien de préserver le pouvoir d'influence de la France.

2. Une réforme essentiellement supportée par le MEAE

Il conviendrait de s'assurer de la pleine participation des autres ministères à cette réforme .

Les tableaux suivants montrent les efforts déjà réalisés et sont issus des réponses au questionnaire budgétaire prévu par la LOLF. La prédominance des suppressions de postes au sein du MEAE est avérée, soit 416 sur 492 suppressions prévues . Les autres ministères jouent-ils pleinement le jeu de cette réforme ? Il reviendra au Premier Ministre qui fixait les orientations de cette mutualisation en 2018 de s'en assurer.

Le tableau ci-dessous détaille l'exécution 2018 pour le MEAE prise en compte dans le cadre de l'exercice AP2022 et les perspectives pour 2019 et 2020.

Schéma d'emplois dans le cadre d'AP2022

2018

2019*

2020**

Titulaires

-28

-58

-32

Contractuels

-10

-89

-33

VI et CRSP

-12

53

18

Militaires

-4

3

-4

ADL

-36

-69

-30

Total

-90

-160

-81

* Prévision pour 2019 réalisée dans le cadre de la préparation de l'exercice AP2022 contre -130 prévus en LFI

**schéma d'emplois prévisionnel dont la répartition est susceptible d'évoluer.

Par zone géographique, l'effort est réparti comme suit :

Schéma d'emploi AP2022 - Répartition de l'effort en ETP

2018

Prévision 2019

Amériques

31,1%

19,1%

ANMO

7,8%

16,7%

Asie et Océanie

6,7%

14,2%

Afrique et Océan Indien

23,3%

11,1%

Union européenne

16,7%

30,3%

Europe continentale

14,4%

8,6%

Pour le ministère, le redéploiement du réseau continuera ainsi de s'effectuer en faveur de nos partenaires stratégiques et des grands pays émergents du G20, notamment en Asie. L'effort principal de réduction sur la période 2018-2022 est porté par notre réseau en Europe, dans les Amériques et au Maghreb.

Le tableau ci-dessous reprend la répartition géographique des suppressions ou transformations de postes prévues par les différentes administrations dans le périmètre de la réforme :

Suppressions nettes d'ETP par ministère et par zone

AME

ANMO

ASIE

DAOI

DUE

EUC

RP

Total général

Europe et Affaires Étrangères

-103

-66

-27

-93

-146

-35

0

-416

Affaires sociales

-2

-1

0

-3

Agriculture

0

0

-1

-2

0

-3

ARMEES

-7

+1

-1

+3

-3

-5

-5

-17

DGDDI

-1

-4

-3

-1

-9

DGFIP

-1

-1

-2

DG Trésor

-5

-3

-2

-2

-6

-1

-1

-20

INTERIEUR

-6

-1

-1

-3

-4

-2

-17

MAS

-1

-1

MTES/DGAC

-1

-1

-1

-1

0

-4

Total général

-120

-74

-37

-95

-164

-47

-9

-492

En complément, le tableau ci-dessous indique le calendrier envisagé des suppressions d'ici 2022.

Suppressions nettes d'ETP par ministère et par année

2018

2019

2020

2021

2022

Total général

Europe et Affaires étrangères

-90

-160

-81

-85

0

-416

Affaires sociales

-1

-2

0

-3

Agriculture

-1

-1

-1

0

-3

ARMEES

-1

0

-3

-13

0

-17

DGDDI

-1

-4

-2

-2

-9

DGFIP

-1

-1

-2

DG Trésor

-5

-1

-7

-6

-1

-20

INTERIEUR

-1

-4

-2

-4

-6

-17

MAS

-1

0

-1

MTES/DGAC

-1

-1

0

-2

-4

Total général

-99

-169

-102

-113

-9

-492


* 5 Un rapport de l'Inspection générale des finances de 2003 en avait recensé une quarantaine, très dispersées, relevant de ministères différents avec des statuts différents.

* 6 80 % sont destinés au logement des agents du réseau français à l'étranger ce qui rend ces biens peu « vendables ».

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