B. LA QUESTION DE LA DETTE DE L'ACOSS

1. La suppression du transfert vers la CADES

Le contexte favorable de la fin 2018 avait conduit le législateur à prévoir le transfert d'une partie de la dette sociale détenue par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), constituée des déficits cumulés du régime général et du FSV. Cette dette devait initialement s'élever à 17,7 milliards d'euros fin 2018.

La LFSS 2019 définissait ainsi une reprise de dette par la CADES d'un montant de 15 milliards d'euros, en trois temps : 6 milliards d'euros en 2020 et 2021 puis 3 milliards d'euros en 2022. La CADES bénéficierait, dans le même temps, du transfert de nouvelles recettes de CSG : 1,5 milliard d'euros en 2020, puis 2 milliards d'euros en 2021 et enfin 1,5 milliard d'euros en 2022, soit, au total 0,33 point de CSG.

Le solde conservé par l'ACOSS devait, quant à lui, être progressivement amorti par les excédents du régime général.

L'affectation de cette partie de la CSG à la CADES n'était pas compensée auprès des branches famille et maladie. Le changement de trajectoire des comptes de la sécurité sociale observé en 2019 vient cependant remettre en cause un tel transfert tant il contribuerait un peu plus à la dégradation constatée des déficits.

Il apparaît, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, impossible à la fois de différer une extinction de la CADES et d'opérer une reprise de dette sans transfert de recettes supplémentaires 12 ( * ) . Dans ces conditions, la seule option tient à une révision des modalités de prise en charge de la reprise de la dette de l'ACOSS.

Il n'est donc pas étonnant que l'article 17 du présent projet de loi abroge les dispositions adoptées de la LFSS 2019, supprimant tout à la fois les transferts de dette de l'ACOSS vers la CADES et l'affectation concomitante de fractions de CSG.

2. Que faire de la dette de l'ACOSS ?

Reste la question de l'endettement de l'ACOSS. Le PLFSS 2020 ne prévoit pas la mise en oeuvre de mesures structurelles d'envergure destinées à réduire cette charge.

Pour l'heure, l'ACOSS n'insiste que sur la baisse des taux d'emprunts pour souligner la soutenabilité de son endettement. Le coût de financement en 2018 s'est en effet établi, comme en 2017, à - 0,65 % 13 ( * ) . Il devrait atteindre - 0,42 % en moyenne en 2019, dénotant une légère remontée.

L'ACOSS table parallèlement sur une augmentation de sa dette. Celle-ci atteignait 23,5 milliards d'euros au 31 décembre 2018. La trajectoire désormais retenue par le présent projet de loi devrait conduire à une majoration sensible de cet encours, estimé à 30 milliards d'euros en 2019 et qui pourrait atteindre 46 milliards d'euros à la fin de l'année 2022, soit trois fois la capacité d'amortissement annuelle de la dette sociale par la CADES. Ce niveau est proche de celui enregistré en 2010, à ceci près que les régimes sociaux avaient dû alors faire face aux conséquences de la récession liée à la crise financière de 2008.

Votre rapporteur spécial pour avis s'était déjà interrogé lors de l'examen du PLFSS 2019 à la fois sur le calcul du montant total de la dette de l'ACOSS et sur les hypothèses très optimistes retenues pour son amortissement, indépendamment du scénario de reprise par la CADES. Celles-ci reposaient sur une trajectoire pluriannuelle des régimes obligatoires de base capable de permettre de dégager des excédents. Or celle-ci n'a pas résisté au ralentissement de la conjoncture et à l'effet de la non compensation des mesures « Gilets jaunes ». À cette absence d'excédent vient se greffer l'abrogation de la reprise d'une partie du stock par la CADES, qui rend d'autant plus illusoire un amortissement par les seuls excédents du régime général. Ceux-ci ne devraient intervenir, dans le meilleur des cas, qu'à l'horizon 2023.

La dette de l'ACOSS ne saurait, par ailleurs être la seule à apurer. La dette de la CNRACL, évaluée à 1,8 milliard d'euros en 2020, devrait également continuer à croître au cours des prochains exercices. La dette cumulée de l'ACOSS et des régimes obligatoires de base pourrait in fine atteindre 50 milliards d'euros en 2024, soit un montant supérieur la dette prise en charge en 1996 par la CADES : 44 milliards d'euros et un montant équivalent à la dette de l'ACOSS en 2010, à la sortie de la crise financière.

La structure même de l'endettement de l'ACOSS peut, en outre apparaître inquiétante. Tenue d'emprunter à moins d'un an, elle se retrouverait en première ligne en cas de remontée des taux. Sa forte exposition aux valeurs étrangères - dollar américain et livre sterling britannique - n'apporte pas non plus toutes les garanties attendues.

Votre rapporteur pour avis avait indiqué l'an dernier son souhait de ne pas voir le principe d'une CRDS renouvelé après 2024. La dette de l'ACOSS reste cependant une réalité que la LFSS 2019 avait tenté d'effacer.

La dégradation des comptes sociaux, l'impossibilité d'un transfert d'une partie de la dette de l'ACOSS vers la CADES et la progression de cet endettement rendent malheureusement aujourd'hui illusoire la possibilité d'une disparition définitive de la CRDS à l'horizon 2024 et donc d'une baisse des prélèvements obligatoires à cette date. Le dispositif devra sans doute être refondé en 2024.

Observation n° 8 : Le creusement du déficit du régime général et du FSV ne remet pas en cause l'extinction de la dette sociale gérée par la CADES à l'horizon 2024. Il conduit, cependant, le Gouvernement à renoncer au transfert d'une fraction de CSG (5 milliards d'euros d'ici 2022) vers la CADES en vue d'un apurement de la dette de l'ACOSS à partir de 2020. Le déficit des comptes sociaux devrait également conduire la dette de l'ACOSS à progresser pour atteindre 46 milliards d'euros à l'horizon 2022, cette dette étant par ailleurs très exposée à un risque de retournement des marchés financiers. L'apurement de la dette de l'ACOSS doit donc être envisagé à partir de 2024 via une réaffectation de la CRDS, ce qui rend illusoire sa suppression à cette date et écarte une baisse des prélèvements obligatoires.

3. Une réflexion sur l'après CADES à mener

S'agissant de la fraction de CSG affectée vers à la CADES, votre rapporteur pour avis avait souhaité l'an dernier qu'elle soit orientée vers un fonds de lissage conjoncturel, épargnant une partie des recettes et destiné à éviter la constitution d'une nouvelle dette sociale. Cette option est remise en cause par l'évolution des comptes sociaux, alors même que se précise la montée en charge du risque dépendance.

a) La montée en puissance du « cinquième risque »

Le nombre de personnes de plus de soixante ans en situation de dépendance est estimé entre 1,24 million de personnes - soit le nombre de bénéficiaires de l'Allocation personnalisée d'autonomie - et 3,3 millions de personnes, selon une mesure épidémiologique. En résulte un coût estimé entre 41 et 45 milliards d'euros par an, comprenant les soins, l'hébergement et l'aide informelle. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), se fondant sur le chiffre des bénéficiaires de l'allocation personnalisée à l'autonomie (APA), table sur un coût de 30 milliards d'euros annuels, soit 1,4 % du PIB. Elle cible une multiplication par deux à l'horizon 2060, 1,9 million de personnes devant alors être concernées. Rappelons qu'en 2040, la France devrait compter 10,6 millions de personnes de 75 ans et plus, contre 6,1 millions aujourd'hui.

Le coût pour la collectivité s'est, en tout état de cause, élevé à 23 milliards d'euros en 2018. Cette charge devrait augmenter de 0,3 à 0,7 point de PIB d'ici 2040 au regard des projections démographiques. La Drees estime que le rythme de croissance de la dépense publique devrait se ralentir à partir de 2040.

Le rapport de Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, remis en mars 2019 à la ministre des Solidarités et de la Santé en mars dernier détaille, de son côté, les mesures à prendre pour « passer de la gestion de la dépendance au soutien à l'autonomie » 14 ( * ) . Parmi celles-ci, on peut relever :

- un soutien financier de 550 millions d'euros pour les services d'aide et d'accompagnement à domicile, afin d'améliorer le service rendu à la personne âgée et de revaloriser les salaires des professionnels ;

- une hausse de 25 % du taux d'encadrement en Ehpad d'ici 2024 par rapport à 2015, soit 80 000 postes supplémentaires, le coût d'une telle mesure étant estimé à 1,2 milliard d'euros ;

- un plan de rénovation de 3 milliards d'euros sur 10 ans pour les Ehpad et les résidences autonomie ;

- une restructuration de l'offre d'accompagnement, en y consacrant 300 millions d'euros par an ;

- une baisse du reste à charge mensuel de 300 euros en établissement pour les personnes modestes gagnant entre 1 000 et 1 600 euros par mois ;

- l'indemnisation du congé de proche aidant et la négociation obligatoire dans les branches professionnelles pour mieux concilier sa vie professionnelle avec le rôle de proche aidant.

Certaines de ces dispositions sont déjà prévues par le PLFSS 2020, à hauteur de 500 millions d'euros. Il en va ainsi de l'indemnisation du congé de proche aidant (article 45 du présent projet de loi). Le projet de loi prévoit une allocation journalière de présence pour le proche aidant, établie entre 43 et 52 euros par mois. Le coût de ce dispositif est estimé, en année pleine, entre 54 et 89 millions d'euros Un plan doté 450 millions d'euros sur la période 2020-2021 à destination des Ehpad est également mis en oeuvre : 210 millions d'euros seraient prévus en 2020. Deux enveloppes complémentaires de respectivement 50 millions d'euros (maintien des dotations aux établissements) et 15 millions d'euros (recrutement et développement du personnel infirmier de nuit) sont, par ailleurs renouvelées. 130 millions d'euros doivent par ailleurs être consacrés à l'investissement en faveur de la rénovation et de la transformation des établissements médico-sociaux. Le présent projet de loi prévoit en outre une mesure en faveur du pouvoir d'achat et de la formation des aides-soignants (extension du versement de la prime d'assistant de soins en gérontologie -ASG). Un soutien de 50 millions d'euros est par ailleurs mis en place à destination du secteur de l'aide à domicile.

b) Quel financement à long terme ?

Reste la question du financement à long terme des préconisations du rapport Libault, dont le coût est estimé à 4,9 milliards d'euros d'ici à 2030, dont 4,1 milliards d'euros d'ici à 2024. En additionnant ces mesures aux effets de la démographie, le besoin de financement public supplémentaire s'élèverait à 6,2 milliards d'euros d'ici à 2024 et à 9,2 milliards d'euros d'ici à 2030. Le rapport cible ainsi une augmentation progressive de la dépense publique de 1,1 % à 1,6 % du PIB en 2030. À cette date, la charge pour l'État serait comprise entre 4 et 5 milliards d'euros par an.

Afin de faire face à cette charge, le rapport table sur un recours au financement public et à la mobilisation des prélèvements obligatoires existants. Prenant en compte l'apurement total de la dette de la CADES, le rapport Libault préconise ainsi la réorientation de la CRDS vers la dépendance.

La question de la dette de l'ACOSS limite aujourd'hui cette option. Il pourrait être envisagé cependant que l'autre partie du financement dédié à la CADES, la fraction de CSG, serve à faire face au « cinquième risque ». L'idée ne suscite pas, cependant, un consensus parmi les interlocuteurs qu'a pu rencontrer votre rapporteur pour avis au cours de ses travaux.

Votre rapporteur pour avis rappelle que l'affectation d'une ressource initialement dédiée à l'apurement d'une dette - qui n'est plus une dépense - à une nouvelle dépense dégraderait, au sens de la comptabilité nationale et des critères de Maastricht, le solde public. Une altération de 0,3 à 0,4 point de PIB est ainsi évoquée. Cette aggravation du déficit apparaît incompatible avec les engagements européens de notre pays.

Le cinquième risque devrait plutôt conduire à accélérer les réformes structurelles au sein des régimes sociaux, afin de réduire leurs dépenses et d'améliorer leurs recettes. Cela suppose une amélioration du pilotage des comptes sociaux que le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale ne propose qu'imparfaitement.

Observation n° 9 : la montée en puissance des dépenses liées à la prise en charge de la dépendance ne peut se traduire par un financement, à partir de 2024, par une partie des prélèvements dédiés à la CADES, sauf à dégrader le solde public de 0,3 à 0,4 point de PIB. Le « cinquième risque » doit conduire à réviser le pilotage de la sécurité sociale, en la dotant d'instruments de régulation destinés à améliorer son solde structurel et à dégager les excédents nécessaires.


* 12 Décision n° 2010-620 DC du 16 décembre 2010.

* 13 ACOSS, rapport d'activité 2018.

* 14 Concertation Grand âge et autonomie, mars 2019.

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