D. QUELLES ÉCONOMIES ?

En dépit du coût annoncé pour l'augmentation des petites pensions, le projet de loi table néanmoins sur une économie de 0,3 milliard d'euros pour le régime général et 0,4 milliard d'euros pour l'ensemble des régimes de retraite en 2020 en raison de la revalorisation différenciée des prestations. Le Gouvernement mise, pour les mêmes raisons, sur des économies de 0,1 milliard d'euros pour la branche famille et la branche AT/MP.

La question des économies à réaliser apparaît cruciale dans un contexte marqué par la volonté du Gouvernement de réduire le niveau des prélèvements obligatoires. Le retour à l'équilibre doit donc être opéré par une maîtrise des dépenses. L'ONDAM y participe, il reste cependant insuffisant sur un temps long. S'il permet de compenser la progression tendancielle des dépenses de santé, il ne suffit pas, en effet, à maintenir le niveau de progression des dépenses en dessous de celui de la croissance potentielle.

Il s'agit donc de mettre en oeuvre de véritables réformes liées à la nature même des dépenses. Votre rapporteur pour avis relève cependant que cette ambition semble absente du présent projet de loi, alors même que le contexte devrait l'y contraindre. La dette de l'ACOSS, liée à la dérive des comptes sociaux, devrait représenter, fin 2022, 46 milliards d'euros.

1. Une augmentation de l'ONDAM de 2,3 %

Le taux de progression de l'ONDAM est fixé dans le présent projet de loi à 2,3 %, ce qui correspond à une augmentation des dépenses d'environ 4,6 milliards d'euros par rapport à celles prévues en LFSS pour 2019.

Le montant des dépenses de santé est ainsi établi à 205,9 milliards d'euros. Ce taux de progression permet de tempérer la progression tendancielle des dépenses d'assurance-maladie estimée à 4,4 % en 2020 et équivaut à un effort de réduction des dépenses de 4,2 milliards d'euros par rapport à l'évolution tendancielle des dépenses d'assurance-maladie.

Cette ambition peut s'appuyer sur une croissance modérée de la consommation totale de soins et de biens médicaux : + 1,5 % en 2018, soit 203,5 milliards d'euros.

Évolution de l'ONDAM 2019-2020 par sous-objectifs

(en milliards d'euros)

2019

2020

Dépenses de soins de ville

91,4

93,6

Dépenses relatives aux établissements de santé

82,6

84,2

Contribution de l'assurance-maladie aux dépenses en établissement et services pour personnes âgées

9,6

9,9

Contribution de l'assurance-maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes handicapées

11,4

11,7

Dépenses relatives au Fond d'intervention régional

3,5

3,5

Autres prises en charge

2

2,4

Total

200,4

205,3

Source : commission des finances du Sénat

Afin de contenir la progression tendancielle des dépenses, le présent projet de loi définit quatre priorités en matière de réduction de dépenses :

- la structuration de l'offre de soins (1 milliard d'euros) ;

- les actions sur les tarifs et les remises de produits de santé (1,3 milliard d'euros), les objectifs de baisse des prix étant cependant inférieurs aux autres années ;

- la pertinence et la qualité de soins (1,2 milliard d'euros) ;

- la pertinence et l'efficience des arrêts de travail et des transports (0,3 milliard d'euros) ;

- les dispositifs de lutte contre la fraude (90 millions d'euros) et la gestion dynamique du panier de soins (diminution du taux de prise en charge de l'homéopathie).

2. Les mesures d'économies attendues seront-elles efficaces ?

Le Gouvernement table sur une réduction des frais liés aux transports et aux indemnités journalières.

a) La progression non maîtrisée des indemnités journalières pour arrêt de travail

La question de l'indemnisation des arrêts de travail est cruciale. Les indemnités journalières ont représenté un coût de 7,4 milliards d'euros pour la branche-maladie (hors congés de maternité) et 2,9 milliards d'euros pour la branche AT/MP en 2017. D'après la Cour des comptes, la progression annuelle de ces dépenses - 4,2 % en moyenne entre 2013 et 2017 - dépasse le rythme de progression de l'ONDAM (+ 2,1 % par an sur la même période) et l'évolution de la masse salariale plafonnée à 1,8 SMIC (+ 2,2 % sur la même période), qui constitue l'assiette de calcul des indemnités journalières.

La proportion d'assurés ayant bénéficié d'un arrêt de travail, le nombre moyen d'arrêts par assuré et la durée moyenne des arrêts de travail ont ainsi augmenté

Face à ces chiffres, votre rapporteur pour avis s'interroge sur les suites qui seront données au rapport de la mission Bérard-Oustric-Seiller remis le 20 février dernier au Premier ministre 11 ( * ) . Celui-ci prévoyait notamment :

- la mise en place d'un jour de carence dit d'ordre public, ne pouvant être compensé financièrement, pour tous les salariés de l'assurance-maladie ;

- la forfaitisation de l'indemnité journalière versée par les caisses de sécurité sociale, qui serait plafonnée à 0,7 SMIC pour tous les salariés, le complément versé par l'employeur devant alors être modulé pour atteindre 90 % du salaire ;

- une révision des règles de contrôle avec possibilité de convocation de l'assuré au cabinet du médecin conseil.

La Cour des comptes a également mis en avant, dans son rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2019, un certain nombre de dispositions destinées à réduire le coût, pour les comptes sociaux, de cette progression non maîtrisée. Le renforcement de l'information à l'égard des médecins prescripteurs afin que la délivrance d'arrêts soit plus rigoureuse, un suivi personnalisé de la pratique de prescription et la menace de déconventionnement en cas d'excès pourraient générer une baisse du nombre de prescriptions. La Cour estime ainsi qu'une réduction du niveau moyen de prescription d'indemnités journalières pour maladie du 9 ème décile des médecins les plus prescripteurs à celui des médecins du 8 ème décile précédent pourrait générer une économie annuelle de 500 millions d'euros pour l'assurance-maladie.

Elle reprend également l'idée du jour de carence dit d'ordre public, ne pouvant être compensé financièrement, pour tous les salariés de l'assurance-maladie, en soulignant avant tout son effet responsabilisant. Son incidence financière est en effet à relativiser : à nombre inchangé des jours d'arrêt, cette disposition représenterait une économie de 240 millions d'euros par an, tempérée cependant par une perte de 350 millions d'euros de cotisations patronales. La Cour privilégie en revanche le report sur les employeurs de 20 % du coût de l'indemnisation des arrêts de moins de six mois, ce qui génèrerait une économie potentielle de 0,8 milliard d'euros pour l'assurance-maladie. Des progrès doivent également être enregistrés en matière de calcul des indemnités. En 2018, les erreurs de calcul s'élevaient à 414 millions d'euros au détriment de l'assurance-maladie.

Les préconisations de la Cour comme celle du rapport Bérard-Oustric-Seiller tendent à démontrer que les indemnités journalières constituent un véritable gisement d'économies. Le PLFSS 2020 démontre que le Gouvernement ne semble pas en avoir pris pleinement la mesure . Les objectifs d'économies sur les dépenses d'indemnités journalières s'élèvent à 145 millions d'euros dans le présent projet de loi, via des mesures moins ambitieuses telles que l'évolution des règles relatives au temps partiel thérapeutique des indemnités journalières AT-MP, ou la suppression de la majoration pour troisième enfant (70 millions d'euros d'économies attendues) ou la limitation dans la durée de la possibilité d'associer cumul emploi-retraite et arrêt maladie (50 millions d'euros d'économies attendues à partir de 2021).

b) Une régulation insuffisante du secteur des transports médicalisés

Le montant total des dépenses de transport programmé de malades est évalué par la Cour des comptes à environ 5 milliards d'euros pour 2017. 4,7 milliards auraient été pris en charge par l'assurance maladie et 230 millions d'euros par les budgets des établissements publics. Le niveau de remboursement par l'assurance-maladie - 93,1 % des dépenses - est supérieur à celui des médicaments (72,7 %) ou des soins de ville (65,1 %). La progression de la dépense est estimée à 4,1 % par an en moyenne entre 2011 et 2017, soit un taux supérieur à celui de la progression de l'ONDAM sur la même période.

Au regard des enjeux, l'article 44 du présent projet de loi, qui vise la régulation de ces dépenses, peut apparaître modeste. Les dépenses de transports entre établissements ont été transférées depuis le 1 er octobre 2018 aux budgets des établissements de santé. Le Gouvernement reconnaît aujourd'hui qu'une telle réforme a révélé les difficultés structurelles rencontrées par le secteur. Il préconise, dans ces conditions, de nouvelles expérimentations et vise à encourager le développement du transport partagé. L'impact de ces mesures devrait permettre de dégager des économies pour l'assurance maladie de l'ordre de 7 millions d'euros en 2020 puis 26 millions d'euros en 2021.

120 millions d'euros d'économie sont attendues en 2020 dans ce secteur, sans pour autant que les mesures envisagées ne soient réellement précisées. La Cour des comptes recommande pourtant dans son rapport annuel 2019 de conditionner désormais la prescription au seul état de santé des patients. Une augmentation de la participation des patients est également envisagée.

3. Trois dossiers clés qui pourraient remettre en cause l'atteinte de l'objectif de maîtrise des dépenses

Votre rapporteur pour avis constate ces dernières années une diminution du reste à charge, qui atteint 7 % de la dépense totale engagée en 2018. Cette baisse va de pair avec une augmentation de la part de financement de la sécurité sociale qui atteint 78,1 % en 2018, soit 0,2 point de plus qu'en 2017 et 2,5 points de plus qu'en 2008. Cette tendance à la baisse du reste à charge ne semble pas affectée par les mesures de déremboursement des soins et des médicaments. Elle devrait même continuer sur cette dynamique avec le développement entre 2019 et 2021 d'une offre de prise en charge intégrale des prothèses auditives, dentaires et optiques : une augmentation des dépenses de l'ordre de 0,7 milliard d'euros est attendue d'ici 2023.

L'année 2020 devrait, de surcroît, être marquée par une revalorisation des relations conventionnelles avec les professionnels de santé, soit une augmentation des dépenses de 0,6 milliard d'euros en 2020 (+ 1,2 milliard d'euros sur la période 2020-2023).

L'ONDAM 2020 intègrera, enfin, le premier volet du pacte de refondation de 750 millions d'euros sur trois ans dédié aux services d'urgence. Ce plan prévoit :

- la mise en place d'un service d'accès aux soins (SAS) censé orienter les patients vers une consultation en ville, une téléconsultation ou vers les urgences (340 millions d'euros) ;

- le renforcement de l'offre de consultations médicales sans rendez-vous en cabinet, maison ou centre de santé, via, notamment, l'installation de maisons médicales de garde à proximité des plus importants services d'urgence ;

- la généralisation des parcours dédiés aux personnes âgées avec pour objectif « zéro passage par les urgences » pour cette catégorie de la population ;

- la réforme du financement des urgences à partir de 2021, au travers d'une diminution de la tarification à l'activité, appelée à être remplacée par une enveloppe forfaitaire, élaborée en fonction de la population prise en charge ;

- une prime de 100 euros nets mensuels versés aux assistants de régulation médicale, l'octroi de cette prime commençant en novembre 2019 ;

- le développement de protocoles permettant les prises en charge par les kinésithérapeutes ou les pharmaciens.

Rien n'indique aujourd'hui que les montants annoncés s'avèreront suffisants pour tempérer les inquiétudes et le malaise social observé au sein du personnel soignant.

Observation n° 7 : le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne prévoit pas de réelle maîtrise des dépenses, appelées à progresser de 2,3 % au cours de l'année, soit un taux supérieur à celui de la croissance potentielle. Aucune mesure d'économie d'ampleur n'est proposée, s'agissant notamment de deux postes coûteux : les indemnités journalières pour arrêt maladie (11,3 milliards d'euros par an, hors congé de maternité) et les transports médicalisés (5 milliards d'euros), dont l'étude fait apparaître un certain nombre de dérives. Un écart avec la cible retenue pour les dépenses est par ailleurs à craindre en 2020, au regard de la diminution constante du reste à charge, de la crise constatée au sein des hôpitaux et de la revalorisation des relations conventionnelles avec les professionnels de santé.


* 11 Plus de prévention, d'efficacité et de maîtrise des arrêts de travail. Neuf constats, vingt propositions. Rapport fait à la demande du Premier ministre établi par MM. Jean-Luc Bérard, Stéphane Oustric et Stéphane Seiller, avec l'appui de l'inspection générale des affaires sociales, janvier 2019

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