Avis n° 153 (2018-2019) de Mme Catherine DI FOLCO , fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2018

Disponible au format PDF (703 Koctets)

Synthèse du rapport (219 Koctets)


N° 153

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 novembre 2018

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, pour 2019 ,

TOME VI

FONCTION PUBLIQUE

Par Mme Catherine DI FOLCO,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 1255 , 1285 , 1288 , 1302 à 1307 , 1357 et T.A. 189

Sénat : 146 et 147 à 153 (2018-2019)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mardi 20 novembre 2018, sous la présidence de M. Philippe Bas , président, la commission des lois du Sénat a examiné, sur le rapport pour avis de Mme Catherine Di Folco 1 ( * ) , les dispositions du projet de loi de finances (PLF) pour 2019 relatives à la fonction publique .

Le rapporteur a déploré les efforts insuffisants du Gouvernement concernant la réduction des effectifs de la fonction publique de l'État : au total, seuls 5 824 équivalents temps plein (ETP) seront supprimés sur les exercices 2018 et 2019, alors que le Gouvernement s'est engagé à en supprimer 50 000 en cinq ans.

Elle a relevé que la masse salariale de l'État devrait augmenter de 4,26 % entre 2017 et 2019, notamment sous l'effet de l'accord « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR).

Elle a également regretté le manque d'ambitions du Comité action publique 2022 (CAP 2022) à la suite de maladresses de forme (non- publication du rapport) et en raison de difficultés de fond (absence de détails sur les économies envisagées, précisions insuffisantes sur les politiques publiques examinées, etc .). Les feuilles de route fixées aux ministères et aux secrétariats d'État ne comportent ainsi aucun élément chiffré ni aucun objectif calendaire.

Dans le PLF pour 2019, les crédits du programme 148 « fonction publique » sont en légère diminution (- 0,92 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018), des réformes étant envisagées pour les Instituts régionaux d'administration (IRA) et l'École nationale d'administration (ENA).

Le rapporteur a souligné les efforts mis en oeuvre pour redresser la situation financière de l'ENA, qui devrait revenir à l'équilibre budgétaire d'ici 2020 . Elle salue également la volonté de concentrer l'activité de l'ENA sur les formations à haute valeur ajoutée.

Concernant les primes dans la fonction publique, elle a regretté les retards pris dans le déploiement du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel ( RIFSEEP ).

Seuls 23 % des fonctionnaires de l'État sont couverts par le RIFSEEP. Plusieurs emplois de la haute fonction publique, comme ceux des directeurs d'administration centrale, en sont exclus au bénéfice de dispositifs indemnitaires plus avantageux.

Les retards pris par l'État sont également préjudiciables aux employeurs territoriaux.  À titre d'exemple, les ingénieurs et les techniciens territoriaux ne sont toujours pas éligibles au RIFSEEP car ceux de l'État ne le sont pas, ce qui constitue une source d'incompréhension pour les collectivités territoriales et leurs groupements.

Rappelant les avantages du système actuel, le rapporteur s'est inquiétée de la volonté du Gouvernement de multiplier le recours aux agents contractuels pour les emplois de direction de la fonction publique territoriale.

Ouvrir de nouveaux emplois de direction aux agents contractuels nécessiterait, en amont, de repenser les procédures de recrutement, de rémunération et de déontologie afin d'éviter tout conflit d'intérêts avec le secteur privé.

Sur proposition de son rapporteur, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Fonction publique » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » inscrits projet de loi de finances pour 2019.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La fonction publique compte 5,48 millions d'agents, répartis entre l'État (44 % des agents), les collectivités territoriales (35 %) et les hôpitaux (21 %).

Au printemps 2018, le Gouvernement a ouvert quatre chantiers de concertation avec les représentants syndicaux concernant la place des agents contractuels dans la fonction publique, la simplification du dialogue social, la rémunération individualisée des agents et l'aide à la mobilité.

Votre commission a pris part à cette réflexion en formulant quatorze propositions d'avenir pour la fonction publique territoriale, notamment afin d'harmoniser le temps de travail des agents et de donner plus de souplesse aux employeurs 2 ( * ) .

Par définition, l'avis budgétaire « fonction publique » porte prioritairement sur la fonction publique de l'État, dont les plafonds d'emplois sont fixés par le projet de loi de finances (PLF). En prévoyant la suppression nette de 4 164 équivalents temps plein (ETP), le PLF pour 2019 semble d'ailleurs beaucoup moins ambitieux que les engagements pris par le Gouvernement au début du quinquennat (supprimer 50 000 ETP en cinq ans dans la fonction publique de l'État).

De manière plus spécifique, le programme 148 (« fonction publique ») du PLF concerne les actions interministérielles de gestion des ressources humaines. Piloté par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), il est intégré à la mission « gestion des finances publiques et des ressources humaines ».

Malgré son intitulé générique, ce programme n'intervient qu'à titre subsidiaire dans le financement de la formation des agents et de l'action sociale, en appui des dispositifs ministériels. Dans le PLF pour 2019, il est doté de 206,91 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), soit environ 0,04 % du budget général de l'État.

Enfin, au-delà du PLF pour 2019, votre rapporteur a souhaité analyser le développement des primes dans les trois versants de la fonction publique ainsi que la gestion des emplois de direction dans la fonction publique territoriale.

I. LES EFFECTIFS ET LA MASSE SALARIALE DE L'ÉTAT : DES EFFORTS INSUFFISANTS, ILLUSTRANT DES INCERTITUDES STRATÉGIQUES

A. UNE BAISSE TIMIDE DES EFFECTIFS DE L'ÉTAT ET UNE NOUVELLE AUGMENTATION DE SA MASSE SALARIALE

1. Supprimer 50 000 ETP en 5 ans : un engagement difficile à tenir

Le Gouvernement s'est engagé à supprimer 120 000 équivalents temps plein (ETP) pendant le quinquennat, dont 70 000 dans la fonction publique territoriale et 50 000 dans la fonction publique de l'État 3 ( * ) (en incluant les ministères et les opérateurs de l'État 4 ( * ) ).

L'année dernière, votre rapporteur avait déploré les efforts insuffisants du Gouvernement : en 2018, seuls 1 660 ETP (solde net) ont été supprimés dans la fonction publique de l'État.

Elle émet les mêmes réserves pour l'exercice 2019 : le PLF prévoit de supprimer 4 164 ETP, ce qui semble très en-deçà des engagements gouvernementaux.

Comme en 2018, les opérateurs (- 2 593 ETP, soit 62,3 % de l'effort) sont davantage mis à contribution que les ministères (- 1 571 ETP, soit 37,7 % de l'effort).

Les secteurs prioritaires sont préservés comme l'intérieur (+ 2 278 ETP, opérateurs inclus), la justice (+ 1 300 ETP) et les armées (+ 450 ETP). À l'inverse, l'effort porte principalement sur le secteur économique et financier (- 2 593 ETP), le travail (- 1 618 ETP) et la transition écologique et solidaire (- 1 078 ETP). Les effectifs du premier employeur de l'État, l'éducation nationale, baissent également (- 1 813 ETP), alors qu'ils avaient été stabilisés en 2018.

Schémas et plafonds d'emplois des ministères et des opérateurs (en ETP)

Source : commission des lois du Sénat, à partir du PLF pour 2019

Deux ans après le début du quinquennat, seuls 5 824 ETP seront supprimés dans les ministères et chez les opérateurs 5 ( * ) . Pour respecter ses engagements, le Gouvernement devra encore supprimer 44 176 ETP d'ici 2022, soit environ 14 725 ETP par an .

Pour M. François Ecaille, président de l'association Finances publiques et économie (FIPECO), « supprimer 50 000 postes reste encore possible mais devient de moins en moins crédible » 6 ( * ) . En outre, les réductions d'effectifs votées au titre du PLF pour 2022 produiront leurs effets lors du quinquennat suivant.

2. Une nouvelle augmentation de la masse salariale de l'État

Dans le PLF pour 2019, la masse salariale de l'État s'établit à 88,3 milliards d'euros hors pensions , soit 19 % du budget général. Entre 2017 et 2019, elle a augmenté de 3,61 milliards d'euros (+ 4,26 %).

Pour la seule année 2019, la masse salariale progresse de 1,35 milliard d'euros, malgré le gel du point d'indice de la fonction publique. Cette évolution s'explique notamment par :

- l'effet mécanique du glissement vieillesse-technicité (GVT, + 300 millions d'euros en 2019 7 ( * ) ) ;

- des choix politiques comme la création de nouveaux emplois en 2018 (+ 100 millions d'euros) et des mesures catégorielles prises en faveur des agents (+ 600 millions d'euros).

Parmi ces mesures catégorielles, la reprise de l'accord « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) coûtera, pour la seule fonction publique de l'État, 380 millions d'euros en 2019 .

L'accord PPCR

Le protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) est le fruit d'une négociation entre le précédent gouvernement et les organisations syndicales, ouverte le 7 octobre 2014 et clôturée le 17 juillet 2015.

Couvrant les trois versants de la fonction publique, ce protocole comprend deux mesures principales :

- transformer une partie des primes des fonctionnaires en points d'indice , pour harmoniser les rémunérations des agents mais aussi augmenter les pensions des futurs retraités 8 ( * ) ;

- rénover les grilles indiciaires , pour étendre l'amplitude entre le début et la fin de carrière et conforter le traitement indiciaire des fonctionnaires.

À l'issue du protocole PPCR, la rémunération annuelle d'un infirmer aura par exemple augmenté de 1 246 euros bruts, celle d'un attaché d'administration de 1 171 euros et celle d'un gardien de la paix de 857 euros 9 ( * ) .

Initialement, la mise en oeuvre du protocole devait s'étaler sur quatre ans, entre 2016 et 2020. L'actuel Gouvernement a toutefois reporté d'un an l'ensemble des mesures prévues, en raison des coûts générés 10 ( * ) . L'année 2018 a constitué une « année blanche » et la mise en oeuvre de l'accord PPCR a été allongée jusqu'en 2021.

Le coût total de cet accord est estimé à 3,75 milliards d'euros entre 2016 et 2021 .

Coût total du protocole PPCR
pour les trois versants de la fonction publique 11 ( * )

(en millions d'euros)

Source : direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP)

B. ACTION PUBLIQUE 2022 : UNE STRATÉGIE INCERTAINE

Cette difficile maîtrise des effectifs et de la masse salariale de l'État s'accompagne d'incertitudes concernant la stratégie du Gouvernement pour moderniser l'action publique.

1. Le rapport du Comité action publique 2022 : une occasion manquée

En octobre 2017, le Gouvernement a installé le Comité action publique 2022 (CAP 22), coprésidé par Mme Véronique Bédague-Hamilius (secrétaire générale de Nexity), MM. Ross McInnes (président du conseil d'administration de Safran) et Frédéric Mion (directeur de Sciences Po Paris).

Le Premier ministre avait fixé un objectif ambitieux : « réfléchir sans totems, sans tabous au rôle de l'État et de la sphère publique dans la France du XXI ème siècle, pour repenser les politiques publiques » 12 ( * ) .

Force est de constater que ces ambitions ont été revues à la baisse, tant pour des maladresses de forme que pour des difficultés de fond .

Sur la forme, le Comité action publique 2022 a rendu ses conclusions en juin 2018, avec quatre mois de retard par rapport au calendrier initial.

Pire, le Gouvernement n'a pas publié les travaux du comité, qui ont finalement « fuité » dans la presse en juillet dernier . De telles méthodes de communication interrogent, surtout pour un rapport visant à moderniser l'action publique tout en poursuivant les efforts de concertation.

En outre, comme le rappelle la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), « il aurait été pertinent que les membres du comité puissent auditionner plus largement les acteurs de la scène publique locale afin de définir des préconisations plus proches des enjeux des maires » et des présidents des structures intercommunales 13 ( * ) . Le Comité action publique 2022 n'a reçu que huit employeurs territoriaux, sur un total de plus de 300 auditions .

Sur le fond, le rapport du comité affiche un triple objectif : conforter la qualité du service public, améliorer les conditions de travail des agents et réduire la dépense publique.

Ses propositions permettraient « d'améliorer les comptes publics d'une trentaine de milliards d'euros à l'horizon 2022 », sans précision sur les économies ainsi générés .

Le rapport du Comité action publique 2022

Le rapport examine, de manière plus précise, vingt-et-une politiques publiques très différentes les unes des autres (système de soins, enseignement supérieur, logement, audiovisuel public, etc .). À titre d'exemple, la réforme des hôpitaux fait l'objet d'un développement de quatre pages, qui peine à illustrer la complexité de cette problématique.

Très générales, les propositions du Comité action publique 2022 visent notamment à « refonder l'administration autour de la confiance et de la responsabilisation », à « se loger mieux à moindre coût » et à « aller vers une société zéro cash pour simplifier les paiements tout en luttant mieux contre la fraude fiscale ».

La ligne directrice du rapport consiste à « numériser » le service public pour mieux s'adapter aux besoins des usagers et en réduire les coûts . Pour les personnes les plus éloignées de l'outil informatique, le comité constate un « besoin d'accompagnement numérique », sans détailler les mesures à mettre en oeuvre.

2. Le Comité interministériel de la transformation publique (CITP) : des débuts timides

Lors du Comité interministériel de la transformation publique (CITP) qui s'est tenu le 29 octobre 2018, le Premier ministre a déclaré que le Gouvernement reprendrait entre 60 et 75 % des propositions du Comité action publique 2022. Il n'a toutefois pas détaillé la liste des préconisations retenues.

Si le Gouvernement a annoncé des mesures nouvelles pour moderniser le service public, d'autres mesures ne font que reprendre d'anciens engagements de l'État.

Les principales mesures annoncées lors du Comité interministériel
de la transformation publique (CITP) du 29 octobre 2018

Nouvelles mesures

- Rendre tous les services publics accessibles en ligne d'ici 2022 ;

- Créer, d'ici 2019, le site Vox usagers pour permettre aux usagers de partager leurs avis sur les services publics ;

- Améliorer les indicateurs de résultats et de qualité du service public , notamment pour les caisses de sécurité sociale, les préfectures et les consulats ;

- Mettre en place une université de la transformation publique pour mieux former les managers ;

- Créer une « Agence nationale des mobilités et des reconversions » pour accompagner les mobilités des fonctionnaires de l'État.

Rappel d'anciens engagements de l'État

- Lancer le Pass culture pour favoriser l'accès des jeunes aux activités culturelles ;

- Dématérialiser les listes électorales , à partir du répertoire électoral unique administré par l'INSEE ;

- Créer un service d'identité numérique, en développant l'application FranceConnect de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) ;

- Favoriser l'échange d'informations entre les administrations, en poursuivant la mise en oeuvre du programme « Dites-le-nous une fois » ;

- Rapprocher Pôle emploi et Cap emploi pour simplifier les dispositifs d'insertion dans l'emploi ;

- Maintenir le fonds pour la transformation de l'action publique pour financer les initiatives de modernisation des services publics (voir infra ).

Les perspectives de réforme des ministères et secrétariats d'État ont été fixées par les « plans de transformation ministériels » , annexés au relevé de conclusions du Comité interministériel de la transformation publique.

Ces feuilles de route sont toutefois peu précises et ne comportent aucun élément chiffré ni aucun objectif calendaire. À titre d'exemple, la moitié des ministères et secrétariats d'État se fixent une mission générique de « réformer l'administration territoriale, [d'] adapter les administrations centrales, [de] déconcentrer et [de] s'adapter aux enjeux du numérique ».

Beaucoup d'objectifs sont d'ailleurs liés à l'activité politique et administrative des ministères et des secrétariats d'État, non à la réforme de l'action publique . À titre d'exemple, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères doit « veiller à la mise en oeuvre du discours de la Sorbonne », « poursuivre la mise en oeuvre de l'accord de Paris » ou encore « promouvoir une approche rigoureuse et juste face au défi migratoire ».

II. LE PROGRAMME 148 : DES PROJETS DE RÉFORME POUR LA FORMATION INTERMINISTÉRIELLE

A. UNE LÉGÈRE RÉDUCTION DE CRÉDITS ET UN REDÉPLOIEMENT DES FONDS CONSACRÉS À L'APPRENTISSAGE

1. Une légère réduction de crédits

Malgré son intitulé générique, le programme 148 couvre uniquement les actions interministérielles de gestion des ressources humaines.

Il comprend trois actions : la formation des fonctionnaires (action 01, 40 % des crédits du programme), l'action sociale interministérielle (action 02, 58 % crédits) et l'appui et l'innovation des ressources humaines (action 03, 2 % des crédits).

Dans le PLF pour 2019, les fonds consacrés à l'apprentissage ne sont plus centralisés dans le programme 148 mais sont redéployés vers le budget de chaque ministère (voir infra ).

Ce programme appuie et complète les initiatives ministérielles, sans s'y substituer . À titre d'exemple, il ne représente que 15 % des crédits de l'action sociale, dont le financement relève principalement des ministères.

Le programme 148 est doté de 206,91 millions d'euros dans le PLF pour 2019 (AE = CP), en baisse de 0,91 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018 (périmètre constant) . Cette tendance s'explique par la diminution des subventions pour charges de service public versées aux Instituts régionaux d'administration (IRA) et à l'École nationale d'administration (ENA).

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de ce programme.

Évolution des crédits du programme 148

(en CP, en millions d'euros et à périmètre constant) 14 ( * )

LFI 2015

LFI 2016

LFI 2017

LFI 2018

PLF 2019

Évolution

2018-2019

Action 01

Formation interministérielle

78,98

78,17

83,13

84,40

82,48

- 2,27 %

Action 02

Action sociale interministérielle

125,28

126,27

124,23

119,42

119,85

+ 0,36 %

Action 03

Appui et innovation des ressources humaines

-

-

-

5

4,58

- 8,26 %

TOTAL

204,26

204,44

207,36

208,82

206,91

- 0,91 %

Source : commission des lois du Sénat, à partir des documents budgétaires

2. Le redéploiement, dans les programmes des ministères, des crédits consacrés à l'apprentissage

Entre 2016 et 2018, le programme 148 (action 03) intégrait une enveloppe d'environ 30 millions d'euros pour développer l'apprentissage dans la fonction publique de l'État 15 ( * ) .

Si l'objectif initial - atteindre les 10 000 apprentis en 2016 - n'a pas été atteint, les efforts consentis doivent être soulignés : l'État emploie 9 841 apprentis en 2018 , contre 7 700 en 2016 et 740 en 2012.

Répartition des apprentis dans la fonction publique de l'État (2018)

Nombre d'apprentis

Part dans le total

Europe et affaires étrangères

40

0,42 %

Solidarités et santé - Sport

119

1,26 %

Agriculture et alimentation

306

3,23 %

Culture

180

1,90 %

Armées

1 311

13,83 %

Transition écologique et solidaire

358

3,78 %

Éducation nationale, enseignement supérieur et recherche

5 015

52,90 %

Économie et finances

424

4,47 %

Travail

234

2,47 %

Intérieur

1 143

12,06 %

Justice

264

2,78 %

Services du Premier ministre

87

0,92 %

TOTAL

9 481

-

Source : commission des lois du Sénat, à partir des réponses au questionnaire budgétaire

Dans le PLF pour 2019, les aides pour le recrutement des apprentis ne figurent plus dans le programme 148 mais sont réparties dans les budgets de chaque ministère .

Votre rapporteur regrette ce choix pour deux raisons : l'action de l'État en faveur de l'apprentissage perd en lisibilité, d'une part, et son pilotage devient plus complexe, d'autre part.

Interrogée par votre rapporteur, la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) n'a d'ailleurs pas été en mesure de préciser l'enveloppe consacrée à l'apprentissage pour l'exercice 2019 .

B. LA FORMATION INTERMINISTÉRIELLE : LA RÉORIENTATION STRATÉGIQUE DE L'ÉCOLE NATIONALE D'ADMINISTRATION

Près de 90 % des crédits de la formation interministérielle (action 02) sont destinés aux Instituts régionaux d'administration (IRA) et à l'École nationale d'administration (ENA).

Dans le PLF pour 2019, l'action 01 est dotée de 82,48 millions d'euros (AE = CP) . Des projets de réforme permettent de dégager une économie de 1,92 million d'euros par rapport à l'exercice 2018 (- 2,26 %) .

1. Les IRA : une réforme de la scolarité d'ici septembre 2019

La subvention pour charges de service public des Instituts régionaux d'administration (IRA) diminue de 2,70 % pour s'établir à 44,01 millions d'euros dans le PLF pour 2019.

Cette économie est rendue possible par une réforme de la scolarité , dont la mise en oeuvre débutera en septembre 2019.

Chaque année, les IRA accueilleront deux promotions d'élèves, pour un total de 820 étudiants (contre une promotion de 730 étudiants aujourd'hui) . Concrètement, la durée de scolarité passera de douze à six mois ; elle sera suivie d'un stage de six mois, dont le coût sera pris en charge par l'administration d'accueil, non par le programme 148.

D'après le Gouvernement, cette réforme « répond aux besoins des employeurs de disposer d'arrivées d'attachés à échéances plus rapprochées et permet de mettre l'élève plus rapidement au contact de son administration » 16 ( * ) .

2. L'ENA : un plan de transformation pour concilier économies budgétaires et ambitions stratégiques

Lors de ses travaux, votre rapporteur a souhaité se rendre dans les locaux strasbourgeois de l'École nationale d'administration (ENA) pour mieux apprécier la situation financière de l'école et ses projets de développement.

Les missions de l'ENA

Créée en 1945 et placée sous la tutelle du Premier ministre, l'École nationale d'administration (ENA) remplit cinq missions principales :

- la formation initiale des hauts fonctionnaires (membres du Conseil d'État et des corps d'inspection de l'État, administrateurs civils, etc .). D'après les informations recueillies par votre rapporteur, les anciens élèves de l'ENA ne représentent que 35,3 % des hauts fonctionnaires de l'État , les administrations multipliant les concours directs et les nominations au tour extérieur ;

- la formation continue des fonctionnaires (8 473 participants en 2017) ;

- la préparation aux concours organisés par l'école avec, notamment, le cycle préparatoire au concours interne et au troisième concours (voir infra ) et la classe préparatoire intégrée (CPI) pour les étudiants et demandeurs d'emploi de condition modeste (24 étudiants en 2017) ;

- la coopération européenne et internationale avec des institutions étrangères. En 2018, l'ENA a par exemple formé près de 900 fonctionnaires roumains, dont le pays doit assumer la présidence du Conseil de l'Union européenne au premier semestre 2019 ;

- la recherche, l'expertise et la publication . L'ENA participe notamment à la chaire « Innovation publique », en partenariat avec l'École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI).

a) Des difficultés financières : les déficits constatés depuis 2013

Depuis 2013, l'École nationale d'administration présente un déficit annuel compris entre 3,57 millions et 1,14 million d'euros, sur un budget total d'environ 40 millions d'euros .

Pour la seule année 2017, son déficit s'est élevé à 2,84 millions d'euros, dont 1,8 million d'euros de déficit structurel et 1,04 million d'euros lié à des décalages de trésorerie.

Deux facteurs permettent d'expliquer ces difficultés financières : la réduction de la subvention de l'État, d'une part, et un développement insuffisant des ressources propres de l'ENA, d'autre part.

• La réduction de la subvention de l'État

La subvention pour charges de service public constitue la principale source de financement de l'ENA : elle représente 79 % de ses recettes, contre 18 % pour les ressources propres et 3 % pour les ressources diverses (location de salles notamment). Or, depuis 2010, cette subvention a été réduite de 19 %, pour s'établir à 30,17 millions d'euros en 2019 .

Sur le plan des dépenses, le budget de l'ENA est particulièrement rigide : la rémunération de ses personnels et étudiants représente 74 % de ses dépenses.

Évolution de la subvention pour charges de service public de l'ENA

(en millions d'euros)

Source : commission des lois du Sénat, à partir des documents budgétaires

Le budget de l'ENA a donc subi un « effet ciseau », d'autant plus que l'État lui a confié de nouvelles missions et a augmenté le nombre d'élèves devant être accueillis .

À titre d'exemple, le passage de 80 à 90 élèves pour les promotions 2014, 2015 et 2016 a représenté un coût annuel de 1,4 million d'euros pour l'ENA, sans aucune compensation financière.

Principales mesures ayant accru les charges de l'ENA

Mesures

Calendrier

Estimation du coût annuel pour l'ENA

Organisation du master européen de gestion administrative (MEGA)

Suppression d'une subvention de l'État depuis 2010

272 000 €

Organisation du cycle des hautes études européennes (CHEE)

Suppression d'une subvention de l'État depuis 2012

665 000 €

Augmentation de la contribution de l'ENA au compte d'affectation spéciale « pensions »

NC

3 M €

Augmentation des effectifs des promotions (de 80 à 90 élèves)

Entre 2014 et 2016

1,4 M €

Augmentation du nombre d'élèves accueillis dans la classe préparatoire intégrée (CPI)

Depuis 2015

95 000 €

Prolongation de la scolarité des stagiaires des cycles préparatoires au concours interne

Depuis 2015

270 000 €

Source : commission des lois du Sénat, à partir des informations transmises par l'ENA

• L'augmentation des ressources propres : un défi difficile à relever

Pour compenser la baisse de sa subvention, l'ENA a multiplié ses actions de formation continue et de coopération européenne et internationale.

Cette stratégie a permis à l'école d' augmenter ses ressources propres , qui atteignent 7,18 millions d'euros en 2018 (+ 18,6 % par rapport à 2013).

Elle a toutefois conduit à un éclatement de l'offre de formation et à la multiplication d'actions non rentables ou à faible valeur ajoutée . À titre d'exemple, une semaine de formation au sein du cycle international spécialisé d'administration publique (CISAP) 17 ( * ) est facturée 1 000 euros, ce qui est insuffisant pour amortir son coût d'organisation et de gestion.

b) Les réponses apportées : le plan de transformation de l'ENA

Jusqu'à présent l'ENA a financé ses déficits en puisant dans ses réserves 18 ( * ) . Sa structure financière reste saine, notamment parce que l'école n'a pas recouru à l'emprunt ; ses fournisseurs sont payés en dix jours .

De même, l'école a réalisé des efforts de gestion en supprimant 42 emplois entre 2009 et 2018 et en réduisant ses dépenses de fonctionnement de 20 % depuis 2012. Dans le PLF pour 2019, quatre emplois supplémentaires sont supprimés, pour atteindre un total de 185 personnels administratifs (hors étudiants).

Nommé en 2017, le nouveau directeur de l'ENA, M. Patrick Gérard, porte un plan de transformation pour concilier la maîtrise des dépenses et une stratégie ambitieuse de développement de l'école.

• La maîtrise des dépenses : le retour à l'équilibre budgétaire d'ici 2020

Financièrement, l'ENA prévoit de revenir à l'équilibre budgétaire en 2020 , sans qu'il soit besoin d'augmenter sa subvention pour charges de service public.

Évolution du solde budgétaire de l'ENA

(selon le plan de transformation de son directeur, en millions d'euros)

NB : les montants des années 2018 à 2021 sont des montants prévisionnels.

Source : commission des lois du Sénat, à partir des informations transmises par l'ENA

Pour redresser sa situation financière, l'ENA prévoit de recentrer ses actions de formation continue sur les programmes les plus rentables (pour une économie nette de 783 047 euros d'ici 2021), de réduire la durée de la scolarité initiale de deux mois et demi (- 858 000 euros) 19 ( * ) et de réformer le cycle préparatoire au concours interne et au troisième concours (- 3,9 millions d'euros).

La réforme du cycle préparatoire au concours interne et au troisième concours

Chaque année, l'ENA organise un cycle préparatoire d'un an pour :

- les agents publics disposant d'au moins quatre ans d'expérience et pouvant se présenter au concours interne ;

- les agents du secteur privé disposant d'un BAC + 3 et pouvant se présenter au concours externe .

En 2018, 97 personnes ont été sélectionnées pour participer au cycle préparatoire. Les agents publics sont directement rémunérés par l'ENA, non par leur employeur . D'un point de vue statutaire, les fonctionnaires sont placés en position de détachement auprès de l'école.

Le cycle préparatoire représente un coût annuel de 6 millions d'euros pour l'ENA, soit près de 15 % de ses dépenses . Il crée également une « rupture de carrière » pour les préparationnaires (alors que seuls 25 % d'entre eux réussissent le concours) et représente une difficulté pour les employeurs (qui doivent s'adapter à l'absence de leur agent pendant la durée de sa formation).

Dans ce contexte, l'ENA propose de réformer le cycle préparatoire au concours interne et au troisième concours pour le rendre plus attractif et desserrer les contraintes imposées aux préparationnaires et aux employeurs.

Un cycle « hybride » serait créé à compter de la rentrée 2020, combinant des enseignements présentiels et à distance . La préparation ne mobiliserait plus les auditeurs à temps complet : ces derniers poursuivraient leur activité dans leur administration d'origine mais bénéficieraient d'un aménagement de leur temps de travail. Leur rémunération ne relèverait plus de l'ENA mais des employeurs, via le compte personnel de formation (CPF).

Pour l'ENA, cette réforme représenterait une économie nette de 3,9 millions d'euros.

• Le refus du repli : une stratégie ambitieuse de développement

Malgré la nécessité de redresser ses finances, l'ENA n'envisage pas de stratégie de repli. À l'inverse, son directeur porte une stratégie claire, que votre rapporteur tient à saluer : se concentrer sur les formations à haute valeur ajoutée pour (re)devenir l'établissement de référence dans le recrutement et la formation des cadres supérieurs de l'État .

De même, l'ENA ouvrirait une seconde classe préparatoire intégrée (CPI) à Strasbourg, recruterait six enseignants associés 20 ( * ) et développerait son activité de recherche en s'associant avec l'université Paris-Sciences-et-Lettres.

Entre 2019 et 2024, un concours ad hoc serait organisé à titre expérimental pour permettre aux scientifiques d'accéder à la formation initiale de l'école 21 ( * ) . Trois places seraient ouvertes chaque année, à destination des docteurs en sciences de la matière et de l'ingénieur, en sciences de la vie et en sciences humaines et sociales.

Comme le souligne le directeur de l'ENA, cette expérimentation a pour objet d'ouvrir la haute fonction publique à « l'analyse des aspects scientifiques des défis environnementaux et technologiques auxquels l'État est confronté et d'éclairer la décision publique en ces domaines » 22 ( * ) .

C. L'ACTION SOCIALE INTERMINISTÉRIELLE : DES COÛTS DE GESTION TRÈS ÉLEVÉS

Le programme 148 finance neuf prestations d'action sociale interministérielles qui tendent à améliorer les conditions de vie des agents en matière de restauration, de logement, de loisirs et de prise en charge de la petite enfance (action 02).

Dans le PLF pour 2019, les crédits consacrés à ces prestations sont stabilisés à 119,85 millions d'euros (AE = CP) . Ces fonds sont concentrés sur trois aides : le chèque-vacances, le chèque emploi-service universel (CESU) et la réservation de places de crèche.

L'action sociale interministérielle (PLF pour 2019)

Prestations

Contenu

Montant total (en CP, en millions d'euros)

Périmètre prévisionnel

Montant annuel moyen
(en euros)

Part dans le total de l'action sociale interministérielle
(en %)

Prestations individuelles

Chèque-vacances

Aide aux loisirs ou aux vacances

38,53

130 000 bénéficiaires

296

32,15 %

Chèque emploi-service
universel (CESU)

Prise en charge d'une partie des frais de garde des enfants de moins de 6 ans

33,12

69 000 bénéficiaires

480

27,64 %

Aide à l'installation des
personnels de l'État

Prise en charge d'une partie des dépenses liées à la conclusion d'un bail locatif

8,51

10 500 bénéficiaires

811

7,10 %

Logement d'urgence

Facilités d'accès à un logement ou à un hébergement d'urgence

0,31

NC

NC

0,26 %

Aide au maintien à domicile

Participation aux frais de maintien à domicile des retraités de la fonction publique de l'État

3,92

3,27 %

Sections régionales
interministérielles d'action sociale (SRIAS)

Financement des SRIAS, chargées de proposer des actions sociales aux agents

4,17

-

-

3,48 %

Prestations collectives

Réservation de places
de crèche

Priorité donnée aux agents pour bénéficier de places en crèche

25,43

3 200 berceaux

7 946

21,22 %

Réservation de logements sociaux

Priorité donnée aux agents pour bénéficier d'un logement social

0,20

NC

NC

0,17 %

Restauration

Rénovation des restaurants inter-administratifs (RIA)

5,65

Dans une partie
des 92 RIA

NC

4,72 %

Total

119,85

Source : commission des lois du Sénat, à partir des documents budgétaires

Les coûts de gestion de l'action sociale interministérielle restent élevés : dans le PLF pour 2019, ils représentent 5,47 % des aides versées (soit 6,56 millions d'euros) .

Le Gouvernement n'a donc pas respecté son engagement de ramener ces coûts de gestion à 4,80 % dès 2018. Il insiste notamment sur les coûts du chèque-vacances 23 ( * ) , dont la dématérialisation n'a pas généré les économies escomptées.

D. LE MAINTIEN DES OUTILS D'APPUI AUX RESSOURCES HUMAINES

Le PLF pour 2019 maintient trois outils d'appui aux ressources humaines (action 03 du programme 148, dotée de 4,58 millions d'euros en AE et en CP) : le fonds d'innovation RH, le fonds interministériel d'amélioration des conditions de travail et le fonds des systèmes d'information RH.

L'exemple du fonds d'innovation RH

Créé en 2017, le fonds d'innovation RH vise à moderniser la gestion des ressources humaines dans la fonction publique de l'État . Il est doté d'un million d'euros dans le PLF pour 2019 (montant stable par rapport à l'exercice 2018).

La DGFAP publie un appel à projets afin de sélectionner les projets à financer. En 2018, 98 projets ont été déposés ; 32 projets ont été retenus 24 ( * ) , à partir de priorités définies en amont : l'accompagnement RH des agents, les méthodes innovantes de management, la modernisation de la fonction RH et la promotion de l'égalité professionnelle.

À titre d'exemples, le fonds d'innovation RH a participé au financement :

- des « tutos de la fonction publique », développés par la préfecture d'Occitanie pour faciliter l'accès des agents aux informations techniques et juridiques ;

- du « concours tweet égalité » de la préfecture d'Auvergne-Rhône-Alpes, qui a permis d'exposer une sélection de tweets de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes ;

- du portfolio numérique des compétences en Bourgogne-Franche-Comté, en partenariat avec la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication (DINSIC).

Votre rapporteur soutient ces initiatives de modernisation des ressources humaines de l'État.

Elle déplore toutefois l'éclatement des dispositifs mis en oeuvre . Le projet de loi de finances pour 2019 comprend, en effet, deux autres fonds d'adaptation de la fonction publique, dont l'articulation avec le programme 148 n'est pas évidente :

- le fonds pour la transformation de l'action publique (programme 349, 250 millions d'euros en AE et 160 millions d'euros en CP) ;

- le fonds d'accompagnement interministériel des ressources humaines (programme 351, 50 millions d'euros en AE et en CP).

À moyen terme, votre rapporteur considère que l'ensemble de ces crédits devraient être réunis au sein d'un même fonds, afin d'assurer la cohérence des dispositifs d'appui à la transformation de l'action publique.

III. LES PRIMES DANS LA FONCTION PUBLIQUE : UN CHANTIER PRIORITAIRE POUR VALORISER L'ENGAGEMENT DES AGENTS

A. LE RIFSEEP : UN RÉGIME AMBITIEUX MAIS DÉLICAT À METTRE EN oeUVRE

1. Les objectifs du RIFSEEP : mettre fin au « maquis » indemnitaire

Depuis 2014, l'État développe un nouvel outil indemnitaire : le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) . Cet instrument a vocation à se substituer à l'ensemble des primes et indemnités versées aux agents de la fonction publique de l'État 25 ( * ) .

Le RIFSEEP est progressivement étendu au versant territorial, mais pas au versant hospitalier 26 ( * ) . Il poursuit trois objectifs :

- harmoniser et simplifier le régime indemnitaire des agents . Il remplace notamment la prime de fonctions et de résultats (PFR), qui n'était versée qu'aux agents de la filière administrative ;

- rendre le versement des primes plus transparent ;

- valoriser l'engagement individuel et la manière de servir des agents .

Le RIFSEEP comprend deux composantes : l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise ( IFSE ) et le complément indemnitaire annuel ( CIA ). Comme la plupart des primes, son montant n'est pas inclus dans le calcul des pensions de retraite.

IFSE et CIA

L'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) est fixée selon la nature des fonctions exercées par l'agent public (fonctions d'encadrement ou de coordination, technicité, expérience requise, sujétions particulières, environnement professionnel, etc .).

Le montant de l'IFSE est réexaminé au moins tous les quatre ans ou lorsque l'agent change de poste.

Le complément indemnitaire annuel (CIA) valorise l'engagement professionnel de l'agent et sa manière de servir. Son montant est réexaminé chaque année, après l'entretien d'évaluation.

Le CIA est une composante facultative du RIFSEEP : l'employeur décide, ou non, de le mettre en oeuvre en fonction de sa stratégie en matière de ressources humaines. Dans la fonction publique de l'État, son montant est plafonné entre 10 et 15 % du montant total du RIFSEEP ; ce plafond ne s'applique pas à la fonction publique territoriale.

2. Le RIFSEEP dans la fonction publique de l'État : un dispositif incomplet, qui exclut une partie des hauts fonctionnaires

Initialement, le RIFSEEP devait être généralisé dans la fonction publique de l'État entre mai 2014 et janvier 2017.

Au regard des difficultés rencontrées par les ministères, l'arrêté « périmètre » du 27 décembre 2016 27 ( * ) a fixé un objectif moins ambitieux, étalant l'adhésion des corps de fonctionnaires jusqu'en janvier 2019 . Juridiquement, cette adhésion est actée par arrêté ministériel, pris après consultation des représentants syndicaux et du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État (CSFPE).

Aujourd'hui, le RIFSEEP ne couvre que 360 000 agents de l'État (soit 23 % de l'effectif total), répartis dans 265 corps ou emplois . Il s'applique, par exemple, aux attachés d'administration centrale (29 554 agents), aux adjoints administratifs (65 632 agents) et aux secrétaires administratifs de l'éducation nationale (18 794 agents) 28 ( * ) . En 2018, 16 corps supplémentaires devraient adhérer au RIFSEEP, dont les ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts.

En moyenne, ce régime indemnitaire représente une prime annuelle d'un montant de 7 341 euros bruts par agent de l'État, dont 6 741 euros pour l'IFSE (soit 92 % du RIFSEEP) et 600 euros pour le CIA (8 %) .

Le Gouvernement reconnaît que les primes versées au titre du CIA sont « encore très limitées dans certains cas, en raison des disponibilités budgétaires, d'une préférence pour la revalorisation de l'IFSE ou de choix de gestion » 29 ( * ) .

Enfin, 149 corps ou emplois de l'État sont aujourd'hui exclus du RIFSEEP , dont 55 qui dépendent des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Leur éventuelle entrée dans ce dispositif doit faire l'objet d'un réexamen avant le 31 décembre 2019.

Certaines exclusions se justifient par les spécificités des corps ou emplois concernés : militaires, policiers, surveillants pénitentiaires, douaniers, etc .

D'autres sont beaucoup plus étonnantes. À titre d'exemple, plusieurs corps ou emplois de la haute fonction publique conservent un régime indemnitaire spécifique, et souvent plus avantageux : secrétaires généraux de ministère, directeurs d'administration centrale, inspecteurs généraux des finances, ingénieurs des mines, etc .

À titre d'exemple, rien n'interdirait d'inclure les directeurs d'administration centrale dans le RIFSEEP, même si cette hypothèse est aujourd'hui écartée par le Gouvernement 30 ( * ) .

Cette exclusion, de fait, des hauts fonctionnaires de l'État paraît entrer en totale contradiction avec l'objectif d'harmonisation et de transparence du RIFSEEP, ce que votre rapporteur déplore .

3. Le RIFSEEP dans la fonction publique territoriale : un outil en cours d'appropriation
a) Des employeurs territoriaux qui jouent le jeu

Nombre d'employeurs territoriaux ont déjà mis en place un régime indemnitaire, avant même la création du RIFSEEP : les primes représentent 20,8 % de la rémunération des agents territoriaux de catégorie C, 22 % pour les agents de catégorie B et 25,6 % pour les agents de catégorie A (hors A + ) 31 ( * ) .

Part du régime indemnitaire dans la rémunération globale
des agents territoriaux
(exemples de cadres d'emplois)

Au niveau inférieur (couleur bleue) : part du traitement indiciaire dans la rémunération totale des agents. Au niveau supérieur (couleur rouge) : part du traitement indemnitaire (primes).

Source : direction générale des collectivités locales (DGCL)

La transposition du RIFSEEP dans la fonction publique territoriale vise à simplifier et à harmoniser le régime indemnitaire des agents 32 ( * ) . Elle reste une faculté pour l'employeur, non une obligation.

À ce jour, 61 % des employeurs territoriaux ont mis en oeuvre le RIFSEEP, après avis de leur comité technique. Parmi eux, 42 % ont inclus un complément indemnitaire annuel (CIA) pour valoriser l'engagement personnel des agents .

De fortes disparités existent toutefois entre les différentes strates de collectivités territoriales . Paradoxalement, les collectivités de petite taille sont les plus engagées dans cette réforme : 81 % des communes de 3 500 à 20 000 habitants ont délibéré sur le RIFSEEP, contre seulement 55 % des communes de plus de 20 000 habitants. D'après la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), « la question de la rémunération est particulièrement sensible dans le cadre des fusions, mutualisations et créations de nouvelles entités, et [ces collectivités territoriales de petite taille] ou établissements ont dû se positionner assez rapidement sur la question ».

b) Des difficultés à surmonter

La transposition du RIFSEEP s'avère particulièrement complexe pour les collectivités territoriales et leurs groupements , notamment parce qu'elle nécessite de réexaminer l'ensemble du régime indemnitaire des agents. Aussi l'appui apporté par les centres de gestion est-il essentiel, comme votre rapporteur a pu le constater lors de son déplacement dans le Bas-Rhin.

Le rôle du centre de gestion du Bas-Rhin dans le déploiement du RIFSEEP

Le centre de gestion du Bas-Rhin a développé un logiciel pour faciliter le déploiement du RIFSEEP dans les collectivités territoriales et groupements qui lui sont affiliés. À partir des paramètres renseignés par l'employeur 33 ( * ) , le logiciel calcule automatiquement les primes à verser et propose un projet de délibération.

En 2016, le centre de gestion a également organisé 17 ateliers collectifs et 12 accompagnements individuels pour former les employeurs territoriaux à la mise en oeuvre de ce nouveau régime indemnitaire. Au total, 283 collectivités territoriales et groupements ont participé à ces formations, soit 40 % des entités affiliées au centre de gestion.

En outre, les collectivités territoriales et leurs groupements sont victimes des retards de l'État : pour entrer dans le RIFSEEP, un cadre d'emplois de la fonction publique territoriale doit attendre l'adhésion du corps équivalent dans la fonction publique de l'État 34 ( * ) .

À titre d'exemple, les ingénieurs territoriaux ne sont toujours pas éligibles au RIFSEEP, les ingénieurs des travaux publics de l'État (corps équivalent) n'y ayant pas encore adhéré . De même pour les techniciens territoriaux, qui dépendent de l'adhésion des techniciens supérieurs du développement durable. À l'inverse, les administrateurs territoriaux ont intégré le RIFSEEP dès 2015 et les attachés dès 2016.

Cette situation constitue une source d'incompréhension pour les agents territoriaux et de complexité pour les employeurs : dans une même collectivité territoriale, certains agents peuvent rejoindre le RIFSEEP, d'autres non. M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, a d'ailleurs reconnu qu'en la matière, « nous avons encore du travail à accomplir côté État » 35 ( * ) .

B. VERS UN INTÉRESSEMENT COLLECTIF AUX RÉSULTATS DU SERVICE ?

L'un des quatre chantiers lancés par le Gouvernement consiste à individualiser la rémunération des agents publics et donc à conforter le versement de primes.

Pour votre rapporteur, l'urgence est toutefois d'achever le déploiement du RIFSEEP , notamment dans les filières techniques, et de mieux accompagner les employeurs. À cet effet, des référentiels communs pourraient être publiés afin de proposer des indicateurs d'évaluation des agents et ainsi objectiver leur engagement.

Plus globalement, le complément indemnitaire annuel (CIA) est construit à partir des résultats individuels des agents. Or, de nombreux employeurs publics souhaiteraient privilégier une approche collective , notamment pour les postes de catégorie B et C. Il s'agirait ainsi de valoriser les résultats du service, pas uniquement de ses membres.

En réalité, cette approche collective existe depuis la création en 2011 d'une prime d'intéressement à la performance collective (PIPC) 36 ( * ) . Cette dernière, qui n'a pas été intégrée dans le RIFSEEP, n'est toutefois pas lisible et son montant reste insuffisant (300 euros par an maximum). Dans la fonction publique de l'État, seule une dizaine de services aurait mis en oeuvre la PIPC.

Dès lors, il pourrait être envisagé de compléter le RIFSEEP en y ajoutant la possibilité de valoriser les résultats du service 37 ( * ) . Une telle mesure nécessiterait cependant de remettre l'ouvrage sur le métier : chaque collectivité territoriale devrait prendre de nouvelles délibérations pour adapter son régime indemnitaire, quelques mois seulement après la mise en oeuvre du RIFSEEP.

IV. LES EMPLOIS FONCTIONNELS DANS LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE : LES INQUIÉTUDES SOULEVÉES PAR LES PROJETS DU GOUVERNEMENT

Les emplois fonctionnels correspondent aux postes de direction de la fonction publique territoriale, dont la liste est fixée par l'article 53 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 38 ( * ) .

Au total, on dénombre environ 7 500 emplois fonctionnels , répartis entre les collectivités territoriales et leurs groupements.

Le périmètre des emplois fonctionnels

- Directeur général des services et, lorsque l'emploi est créé, directeur général adjoint des services des départements et des régions ;

- Directeur général des services et directeur général adjoint des services des communes de plus de 2 000 habitants ;

- Directeur général des services techniques et directeur des services techniques des communes de plus de 10 000 habitants ;

- Directeur général et directeur général adjoint des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants ;

- Directeur général des services techniques des EPCI à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants ;

- Directeur général et directeur général adjoint d'établissements publics dont la liste est fixée par décret 39 ( * ) ainsi que directeur général, directeur général adjoint et directeur de délégation du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) ;

- Directeur départemental et directeur départemental adjoint des services d'incendie et de secours.

Les emplois fonctionnels supposent une relation de confiance entre le titulaire du poste et le président de l'exécutif. À titre d'exemple, un maire peut mettre fin aux fonctions de son directeur général des services (DGS) lorsqu'il doute de sa loyauté, même en l'absence de faute disciplinaire 40 ( * ) .

Ces emplois sont occupés par des fonctionnaires détachés (administrateurs territoriaux, ingénieurs en chef, attachés, ingénieurs) ou, plus marginalement, par des agents contractuels de droit public (voir infra ).

Le système des emplois fonctionnels donne entière satisfaction aux employeurs territoriaux, comme l'ont confirmé les auditions de votre rapporteur. Le Gouvernement souhaite toutefois remettre en cause son équilibre, en élargissant les possibilités de recourir aux agents contractuels.

A. LE RECRUTEMENT SUR UN EMPLOI FONCTIONNEL : LE DÉTACHEMENT OU LE CONTRAT

Deux procédures sont ouvertes pour recruter un agent sur un emploi fonctionnel :

a) le recrutement d'un fonctionnaire détaché de son administration d'origine (article 53 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée).

L'ouverture du poste est rendue publique via une déclaration de vacance d'emploi. Le détachement de l'agent est prononcé pour une durée maximale de cinq ans renouvelable, après avis de la commission administrative paritaire (CAP).

Les postes que les fonctionnaires peuvent exercer sont définis par le statut de chaque cadre d'emplois . À titre d'exemple, un administrateur territorial ou un ingénieur en chef ne peut pas être directeur général des services d'une commune de moins de 40 000 habitants, ce poste ayant vocation à être occupé par un attaché ou par un ingénieur ;

b) le recrutement direct d'un agent (fonctionnaire 41 ( * ) ou salarié du secteur privé), par la voie d'un contrat de droit public à durée déterminée . Dans cette hypothèse, l'employeur n'est pas contraint de publier une offre d'emploi 42 ( * ) , ni d'organiser un entretien de sélection. L'agent doit être titulaire d'un master ou avoir exercé pendant au moins cinq ans des fonctions de cadre dans le secteur public ou privé.

Le recrutement direct est réservé aux emplois fonctionnels les plus sensibles, en fonction de seuils démographiques fixés par l'article 47 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée .

Ainsi, seules les communes et les EPCI à fiscalité propre de plus de 80 000 habitants peuvent recruter un agent contractuel pour exercer la fonction de directeur général des services (DGS) ou de directeur général des services techniques (DGST). Dans la même logique, le recrutement direct d'un directeur général adjoint (DGA) est réservé aux communes et EPCI à fiscalité propre de plus de 150 000 habitants.

Emplois fonctionnels ouverts au recrutement direct

Emplois ouverts

Seuils démographiques applicables

Communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre

Directeur général des services

Plus de 80 000 habitants

Directeur général des services techniques

Directeur général adjoint des services

Plus de 150 000 habitants

Régions et départements

Directeur général des services

Aucun seuil démographique

Directeur général adjoint des services

Établissements publics (hors EPCI à fiscalité propre)

Directeur général

Liste fixée par décret 43 ( * )

Source commission des lois du Sénat

Aujourd'hui, 88,5 % des emplois fonctionnels sont pourvus par des fonctionnaires par la voie du détachement ; seuls 11,5 % sont occupés par des agents contractuels .

B. VERS UNE MULTIPLICATION DES CONTRATS ?

Certes, le système des emplois fonctionnels reste complexe car il combine trois seuils démographiques : le seuil de création du poste (pour les collectivités territoriales), le seuil d'accès aux fonctions (pour les fonctionnaires) et le seuil d'ouverture au recrutement direct (pour les agents contractuels).

Des simplifications semblent possibles , sans remettre en cause l'économie générale du dispositif. Lors de son audition par votre rapporteur, le syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) a par exemple proposé de simplifier les seuils de création des emplois fonctionnels, notamment pour les petites communes 44 ( * ) .

Lors de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel 45 ( * ) , le Gouvernement et nos collègues députés avaient retenu une réforme plus radicale, contre l'avis du Sénat. Il s'agissait d'ouvrir le recrutement d'agents contractuels pour les emplois fonctionnels des collectivités et EPCI à fiscalité propre de 40 000 habitants ou plus (contre plus de 80 000 ou de 150 000 habitants aujourd'hui) 46 ( * ) .

Des mesures comparables étaient également prévues afin d'élargir le recours aux agents contractuels pour les postes de direction de l'État et de la fonction publique hospitalière.

D'après la direction générale des collectivités locales (DGCL), entre 350 et 680 collectivités territoriales et EPCI à fiscalité propre auraient été concernés par cette réforme . Ces employeurs auraient pu recruter des agents contractuels pour occuper des emplois fonctionnels alors qu'en l'état du droit, seule la voie du détachement leur est ouverte.

Selon M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, l'enjeu était de « diversifier la fonction publique et de permettre aux employeurs publics de recruter des profils nouveaux à des postes à caractère fonctionnel » 47 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré cette réforme du mode d'accès à la haute fonction publique , considérant qu'elle constituait, en l'espèce, un « cavalier législatif » (motif procédural) 48 ( * ) .

Cette réforme soulevait, plus largement, un grave problème de méthode : le Gouvernement souhaitait élargir le recours aux agents contractuels pour les emplois fonctionnels alors même que les concertations lancées au printemps 2018 49 ( * ) n'étaient pas terminées . De tels agissements semblent totalement contraires à la logique de dialogue et de responsabilité qui doit prévaloir entre l'État, les collectivités territoriales et les représentants syndicaux.

Dans ce contexte, votre rapporteur a souhaité mener une véritable concertation sur la place des agents contractuels dans les emplois fonctionnels, notamment pour préparer l'examen d'un prochain projet de loi sur la fonction publique 50 ( * ) .

Elle a reçu le Gouvernement - qui a rappelé son attachement aux dispositions censurées par le Conseil constitutionnel - mais également quatre associations représentant les cadres de la fonction publique territoriale : le syndicat national des directeurs généraux de collectivités territoriales (SNDGCT), l'association des administrateurs territoriaux de France (AATF), l'association des ingénieurs territoriaux de France (AITF) et l'association des attachés territoriaux (2ACT).

Sur le fond, la modification des règles de recrutement sur les emplois fonctionnels ne fait pas consensus .

En premier lieu, le droit en vigueur satisfait les employeurs territoriaux. Ces derniers n'expriment pas le besoin de recruter davantage d'agents contractuels sur des emplois fonctionnels .

Le collège employeur du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) privilégie la création de « contrats de mission » lorsque des projets nécessitent de mobiliser des compétences particulières (refonte du système informatique, réorganisation des outils RH, etc .), non pour diriger les services 51 ( * ) .

En deuxième lieu, une telle mesure inquiète les fonctionnaires en mesure d'exercer un emploi fonctionnel .

Il convient, en effet, de préserver l'attractivité de leur cadre d'emplois . À titre d'exemple, le nombre d'inscrits au concours d'administrateur territorial a été divisé par deux depuis 2013 52 ( * ) . De même, les ingénieurs en chef territoriaux suivent désormais une formation initiale de douze mois à l'INET, ce qui n'est pas le cas des agents contractuels.

La formation initiale pour exercer un emploi fonctionnel par la voie du détachement :
l'exemple de l'Institut national des études territoriales (INET) 53 ( * )

L'INET assure la formation initiale des administrateurs territoriaux (44 élèves) et, depuis 2018, des ingénieurs en chef territoriaux (29 élèves). L'institut forme aussi les conservateurs territoriaux de bibliothèques (15 élèves) et du patrimoine (11 élèves).

Les formations durent 18 mois, sauf pour les ingénieurs en chef (12 mois). Les intervenants sont des professionnels du secteur ou appartiennent à des cabinets de formation recrutés via des marchés publics.

Contrairement à l'ENA, l'INET n'est pas doté de la personnalité morale : l'institut est intégré au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) . La directrice de l'INET est également directrice générale adjointe du CNFPT.

En 2018, le budget de l'INET s'établit à 5,09 millions d'euros . L'institut est financé par le CNFPT et donc, indirectement, par la cotisation de 0,9 % de la masse salariale versée par chaque employeur territorial. L'institut emploie aujourd'hui 67 personnels administratifs.

93 % des employeurs territoriaux se déclarent satisfaits des compétences acquises par les élèves de l'INET.

En dernier lieu, ouvrir de nouveaux emplois fonctionnels aux agents contractuels nécessite, en amont, de repenser et de sécuriser les procédures de recrutement, de rémunération et de déontologie .

Des précautions à prendre : l'exemple du recrutement, par voie contractuelle, d'un directeur général des services techniques

Une collectivité territoriale peut souhaiter recruter son directeur général des services techniques (DGST) dans le secteur privé, par exemple dans une entreprise de travaux publics ou d'assistance aux maîtres d'ouvrage .

Aujourd'hui, ce type de recrutement est ouvert aux communes de plus de 80 000 habitants ; l'employeur n'est pas contraint de publier une offre d'emploi. Le Gouvernement souhaiterait étendre ce dispositif à toutes les communes de 40 000 habitants ou plus.

Des procédures déontologiques doivent donc être prévues pour éviter tout conflit d'intérêts entre cet agent et son ancien employeur, notamment pour l'attribution des marchés publics.

En l'état du droit, ces procédures semblent toutefois insuffisantes . À titre d'exemple, la consultation de la commission de déontologie de la fonction publique n'est qu'une faculté pour le recrutement de salariés du secteur privé 54 ( * ) . De même, seuls les directeurs généraux des services techniques des communes de plus de 80 000 habitants doivent remplir une déclaration d'intérêts ; aucun n'est astreint aux déclarations de situation patrimoniale .

Après avoir entendu l'ensemble des parties prenantes, votre rapporteur appelle donc à la plus grande prudence concernant une éventuelle réforme des règles applicables aux postes de direction de la fonction publique territoriale.

*

* *

Sur le plan budgétaire, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 148 « fonction publique » de la mission « gestion des finances publiques et des ressources humaines » inscrits au projet de loi de finances pour 2019.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES, DÉPLACEMENT ET CONTRIBUTION ÉCRITE

Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP)

Mme Carine Soulay , directrice adjointe

M. Stéphane Lagier , sous-directeur de l'encadrement des statuts et des rémunérations

Direction générale des collectivités locales (DGCL)

M. Christophe Bernard , sous-directeur des élus locaux et de la fonction publique territoriale

M. Jean-Louis Letonturier , chef du bureau de l'emploi territorial et de la protection sociale

M. Jean-Marc Lescure , adjoint au chef du bureau des statuts de la réglementation des personnels territoriaux

Mme Virginie François , adjointe à la cheffe du bureau des élus locaux, du recrutement et de la formation des personnels territoriaux

Syndicat national des directeurs généraux de collectivités territoriales (SNDGCT)

M. Stéphane Pintre , président national

M. Patrice Girot , premier vice-président national

Mme Florence Baco-Ambrass , vice-présidente nationale

Mme Laurence Chenkier , vice-présidente nationale

Association des administrateurs territoriaux de France (AATF)

M. Fabien Tastet , président

Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF)

Mme Emmanuelle Lointier , vice-présidente

M. Arnaud Bonnin , premier vice-président

M. Vincent Bimbard , animateur de la commission « carrières »

Association des attachés territoriaux

Mme Emmanuelle Dussart , présidente

Déplacement à Strasbourg
Jeudi 25 et vendredi 26 octobre 2018

- Institut national des études territoriales (INET)

Mme Véronique Robitaillie , directrice

Mme Magalie Weistroffer , directrice adjointe, chargée des formations

Mme Danielle Wiesel , directrice adjointe, chargée des ressources

- École nationale d'administration

M. Patrick Gérard , directeur

M. Thierry Rogelet , secrétaire général

M. Stéphane Escoubet , délégué à la formation

- Centre de gestion du Bas-Rhin

M. Michel Lorentz , président, maire de Roeschwoog

M. Pascale Cornu , directeur général des services

Contribution écrite

Fédération nationale des centres de gestion de la fonction publique territoriale (FNCDG)


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante :

www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html .

* 2 « Dialogue et responsabilité : quatorze propositions d'avenir pour la fonction publique territoriale », rapport d'information n° 572 (2017-2018) fait par votre rapporteur au nom de la commission des lois, juin 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

www.senat.fr/rap/r17-572/r17-5721.pdf .

* 3 À titre de comparaison, 35 687 ETP ont été créés dans la fonction publique de l'État au cours du précédent quinquennat (2012-2017), dont 29 027 dans les ministères et 6 660 chez les opérateurs.

* 4 Les opérateurs sont des organismes placés sous la tutelle de l'État et qui exercent une mission de service public comme, par exemple, les universités ou Météo France. Leurs effectifs sont hétérogènes : ils comprennent des fonctionnaires, des agents contractuels de droit public mais également des agents contractuels de droit privé.

* 5 Ce nombre correspondant à la somme des emplois supprimés en loi de finances pour 2018 et dans le projet de loi de finances pour 2019.

* 6 Propos rapportés par la revue Acteurs publics le 27 août 2018.

* 7 Le GVT correspond à la hausse de la rémunération individuelle d'un fonctionnaire du fait de son avancement sur la grille indiciaire (composante « vieillesse ») et/ou d'un changement de grade après une promotion interne (composante « technicité »).

* 8 La pension de retraite des fonctionnaires est calculée à partir de leur indice et non de leurs primes. Accroître leur indice permet donc de rehausser leur pension.

* 9 Source : réponses au questionnaire budgétaire.

* 10 Décret n° 2017-1736 du 21 décembre 2017 portant report de la date d'entrée en vigueur de certaines dispositions statutaires relatives à la modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations et applicables aux fonctionnaires de l'État, aux fonctionnaires territoriaux et aux fonctionnaires hospitaliers.

* 11 Le solde négatif constaté en 2018 est lié au report d'un an des mesures de l'accord PPCR mais également à la modification de durées d'échelon dans le versant territorial et le versant hospitalier.

* 12 Discours du Premier ministre lors du premier Comité interministériel de la transformation publique (CITP), 1 er février 2018.

* 13 Source : contribution écrite transmise à votre rapporteur.

* 14 Pour obtenir un périmètre constant, il convient de soustraire à l'action 03 du programme 148 les crédits consacrés à l'apprentissage entre 2016 et 2018. Dans le PLF pour 2019, ces crédits sont directement répartis dans les budgets des différents ministères.

* 15 Soit une dotation de 5 000 euros pour financer la formation de l'apprenti, à laquelle s'ajoutait la prise en charge de la moitié de sa rémunération.

* 16 Source : réponses au questionnaire budgétaire.

* 17 Le CISAP comprend des sessions de perfectionnement sur des thématiques précises. Il est destiné aux hauts fonctionnaires des administrations étrangères, aux cadres d'entreprises publiques et aux représentants d'organisations non gouvernementales.

* 18 Ces réserves sont majoritairement issues de la vente de l'immeuble de la rue de l'université (Paris), que l'ENA occupait avant son déménagement à Strasbourg au début des années 1990. D'après les informations recueillies par votre rapporteur, l'école a perçu une quote-part de 12,7 millions d'euros sur le produit de cette vente.

* 19 Cette réduction de la durée de scolarité de l'ENA impliquerait notamment de contracter la durée des stages et d'accélérer les procédures de recrutement des employeurs à la sortie de l'ENA.

* 20 Aujourd'hui, les cours de l'ENA sont assurés par des intervenants issus du secteur professionnel. À l'inverse, les enseignants associés interviendraient tout au long de l'année, en parallèle de leurs travaux de recherche.

* 21 Décret n° 2018-793 du 14 septembre 2018 instituant à titre expérimental un concours externe spécial d'entrée à l'École nationale d'administration réservé aux titulaires d'un diplôme de doctorat.

* 22 Source : informations recueillies par votre rapporteur.

* 23 Pour le seul dispositif du chèque-vacances, les coûts de gestion atteignent 8,61 % des aides versées.

* 24 Dont 22 projets pour l'administration centrale et 10 projets pour l'administration déconcentrée.

* 25 Décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'État.

* 26 Dans la fonction publique hospitalière, le régime indemnitaire s'organise autour de la prime de service, dont le régime juridique est fixé par l'arrêté du 24 mars 1967 du ministre de la santé.

* 27 Arrêté du 27 décembre 2016 pris en application de l'article 7 du décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'État.

* 28 Source : direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP).

* 29 DGAFP, « Comment faire évoluer la rémunération des agents publics ? », juillet 2018.

* 30 En l'état du droit, les directeurs d'administration centrale perçoivent une indemnité de performance, prévue par le décret n° 2006-1019 du 11 août 2006. Plus souple que le RIFSEEP, son montant peut atteindre jusqu'à 20 % de la rémunération brute annuelle de l'intéressé.

* 31 Source : direction générale des collectivités locales (DGCL).

* 32 Sur le plan juridique, la transposition du RIFSEEP à la fonction publique territoriale a été déclarée conforme au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Conseil constitutionnel, 13 juillet 2018, Commune de Ploudiry , décision n° 2018-727 QPC.

* 33 L'employeur territorial renseigne, notamment, la part respective de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) et du complément indemnitaire annuel (CIA).

* 34 Conformément au principe de parité dans la fonction publique, qui vise à assurer une certaine équité entre les fonctionnaires de l'État et les fonctionnaires territoriaux (article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale).

* 35 Propos rapportés par La Gazette des communes , 23 juillet 2018.

* 36 Décret n° 2011-1038 du 29 août 2011 instituant une prime d'intéressement à la performance collective des services dans les administrations de l'État (prime également applicable dans les collectivités territoriales). La prime d'intéressement à la performance collective est versée de façon homogène pour l'ensemble du service, sauf insuffisance professionnelle caractérisée.

* 37 La prime d'intéressement à la performance collective (PIPC) serait supprimée en conséquence de cet élargissement du RIFSEEP.

* 38 Loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

* 39 Décret n° 87-1101 du 30 décembre 1987 portant dispositions statutaires particulières à certains emplois administratifs de direction des collectivités territoriales et des établissements publics locaux assimilés.

* 40 Conseil d'État, 7 janvier 2004, Broulhet , affaire n° 250616.

* 41 Lorsqu'il est recruté par contrat pour occuper un emploi fonctionnel dans une autre collectivité territoriale, le fonctionnaire est placé en position de disponibilité dans son administration d'origine.

* 42 Conseil d'État, 30 septembre 2015, Communauté d'agglomération Côte Basque-Adour, affaire n° 375730.

* 43 Décret n° 88-545 du 6 mai 1988 relatif au recrutement direct dans certains emplois de la fonction publique territoriale, en application de l'article 47 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

* 44 Alors qu'aujourd'hui une commune de moins de 10 000 habitants a par exemple l'interdiction de créer un poste de directeur des services techniques (voir supra ).

* 45 Devenu loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018.

* 46 Initialement, le Gouvernement avait proposé d'ouvrir l'intégralité des emplois fonctionnels aux agents contractuels, en supprimant tout seuil démographique. La rédaction finalement retenue par l'Assemblée nationale est issue d'un amendement de notre collègue députée Émilie Chalas.

* 47 Compte rendu intégral de la séance de l'Assemblée nationale du 15 juin 2018.

* 48 Conseil constitutionnel, 4 septembre 2018, Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel , décision n° 2018-769 DC.

* 49 Voir supra pour plus de précisions concernant ces concertations sur les quatre « chantiers » du Gouvernement (place des agents contractuels dans la fonction publique, simplification du dialogue social, rémunération individualisée et aide à la mobilité).

* 50 Projet de loi sur la fonction publique que le Gouvernement annonce pour début 2019.

* 51 Voir, pour plus de précisions sur les contrats de mission, le rapport d'information n° 572 (2017-2018) précité, p. 16.

* 52 Source : Institut national des études territoriales (INET).

* 53 Votre rapporteur a visité les locaux strasbourgeois de l'INET le 25 octobre 2018, lors de son déplacement dans le Bas-Rhin.

* 54 Article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Page mise à jour le

Partager cette page