C. LE POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DU PRÉFET

Dès lors qu'une dotation est distribuée sous forme de subventions, l'autorité administrative de l'État (le plus souvent le préfet de département ou de région) dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour décider des attributions, pouvoir qui n'est encadré que par des règles et procédures très peu contraignantes .

1. Un très large pouvoir d'appréciation

Lorsqu'une autorité administrative est investie du pouvoir d'attribuer des subventions sur des fonds publics, les décisions de subventionnement qu'elle est amenée à prendre relèvent de son pouvoir discrétionnaire, dans les limites imposées par les textes.

En l'occurrence, les principales dotations d'investissement de l'État au bloc communal - DETR, DPV, DSIL - sont attribuées par les préfets de département et de région sous forme de subventions. La loi fixe la liste des communes et groupements éligibles. Elle détermine aussi les objectifs auxquels doivent répondre les projets subventionnés, de manière plus ou moins détaillée et limitative . Dans le cas de la DPV, les décisions unilatérales de subventionnement prises par l'État sont encadrées par une convention préalable avec les collectivités territoriales, puisque les opérations subventionnées doivent être prévues par les contrats de ville.

Dans le cadre ainsi défini, le préfet dispose d'un très large pouvoir pour apprécier l'opportunité de subventionner ou non un projet . Comme il est normal, ses décisions ne peuvent être fondées sur des motifs discriminatoires, étrangers à l'intérêt général ou (plus étroitement) aux objectifs fixés par le législateur, ce qui constituerait un détournement de pouvoir. Il ne doit pas non plus commettre d'erreur manifeste d'appréciation, mais, comme on le verra, le juge n'exerce sur ce point qu'un contrôle très prudent.

Les décisions du préfet sont, par ailleurs, guidées par des directives ministérielles (dont il peut et doit s'affranchir lorsque l'intérêt général le commande dans les circonstances de l'espèce). Ces directives, qui ne peuvent légalement avoir pour objet que d'expliciter et, le cas échéant, de préciser les règles et objectifs fixés par le législateur, s'en écartent pourtant quelquefois . C'est ainsi que l'instruction du 9 mars 2018 fixe, au niveau national, une liste d'opérations prioritaires pour la répartition de la DETR, sans égard pour le fait que les catégories prioritaires sont normalement définies annuellement dans chaque département par la « commission DETR », et sans que l'ensemble des priorités énumérées par cette instruction puissent aisément se rattacher aux objectifs fixés par le législateur à l'article L. 2334-36 du code général des collectivités territoriales.

L'instruction du 9 mars 2018

Aux termes de l'article L. 2334-36 du code général des collectivités territoriales, des subventions au titre de la DETR peuvent être accordées par le préfet de département « en vue de la réalisation d'investissements, ainsi que de projets dans le domaine économique, social, environnemental, sportif et touristique ou favorisant le développement ou le maintien des services publics en milieu rural ».

L'instruction NOR INTB1804776J du 9 mars 2018 du ministre d'État, ministre de l'intérieur et du ministre de la cohésion des territoires aux préfets de département dresse la liste des opérations définies comme prioritaires par le Gouvernement au niveau national. Cette liste comprend les opérations suivantes :

1. Soutien aux espaces mutualisés de services au public et à la revitalisation des centres-bourgs (maisons de services au public, maisons de santé, etc .) ;

2. Soutien aux communes nouvelles ;

3. Rénovation thermique et transition énergétique ;

4. Accessibilité de tous les établissements recevant du public ;

5. Soutien de l'État aux opérations visant au financement des implantations de la gendarmerie en milieu rural ;

6. Soutien de l'État à l'installation d'espaces numériques destinés à l'accomplissement des démarches administratives ;

7. Soutien de l'État au dédoublement des classes de CP et de CE1 situées en zone RE·P+ et en REP.

Comme on peut le constater - et la directive est tout à fait explicite sur ce point - la DETR est désormais conçue comme ayant vocation à financer les « priorités du Gouvernement » . Parmi les sept catégories d'opérations prioritaires, certaines résultent directement de politiques décidées par lui seul (comme le dédoublement de certaines classes). D'autres sont la conséquence des défaillances de l'État (comme la construction, par les communes et leurs groupements et en partie à leurs frais, de casernes de gendarmerie).

Quant à la deuxième catégorie, elle ne se rattache nullement aux objectifs assignés par le législateur à la DETR . Les préfets sont invités à traiter « en priorité » les demandes de subventions formulées par des communes nouvelles, « afin de soutenir la mise en oeuvre des mutualisations » que leur création permet. Certes, il est tout à fait légitime de faciliter, voire d'encourager les regroupements de communes lorsqu'ils apparaissent pertinents localement. Mais cela ne saurait se faire au détriment des autres communes, surtout lorsque la loi ne le prévoit pas.

Indépendamment même de ces directives, il n'est pas interdit de penser que les décisions de subventionnement prises par les préfets répondent parfois à des motifs de politique départementale étrangers aux objectifs légaux des dotations d'investissement. Plusieurs collectivités territoriales ont intenté des recours à l'encontre de décisions de refus de subventions qu'elles estimaient motivées par des différends les opposant à l'État et dépourvus de tout rapport avec leur politique d'investissement .

2. Un contrôle quasi inexistant

a) Des décisions opaques

Les décisions prises par les préfets d'attribuer ou non des subventions d'investissement sont entourées d'une certaine opacité. Non seulement leurs motifs restent dans l'ombre, mais leur existence même n'est le plus souvent connue que des collectivités et groupements intéressés.

Le préfet, tout d'abord, n'est pas obligé de faire connaître à la collectivité demanderesse les motifs de sa décision d'acceptation ou de refus . L'attribution d'une subvention, en effet, ne constitue pas un droit pour les personnes (physiques ou morales) remplissant les conditions légales pour l'obtenir 23 ( * ) .

Ce qui est plus surprenant, s'agissant de la distribution de fonds publics, c'est que ces décisions ne font généralement l'objet d'aucune publication .

En ce qui concerne la DETR, le préfet de département, après avoir arrêté la liste des opérations à subventionner et le montant de la subvention qui leur est attribuée, doit seulement la communiquer à la commission d'élus. En revanche, il n'a pas à la rendre publique, même si quelques préfectures, pour la première fois en 2018, ont publié la liste des opérations subventionnées sur leur site Internet.

De même, les subventions attribuées au titre de la DPV ne font l'objet d'aucune publication obligatoire.

La DSIL fait désormais figure d'exception, puisque, depuis la loi de finances pour 2018, la liste des opérations subventionnées, le montant des projets et celui de la subvention attribuée doivent être publiés sur le site Internet des services de l'État dans la région avant le 30 septembre de chaque année. Force est de constater, cependant, que cette obligation n'a pas toujours été respectée, loin s'en faut.

b) Le rôle limité de la commission DETR

Héritière des commissions d'élus instituées par le législateur pour contrôler l'attribution de la DGE des communes et de la dotation de développement rural, la commission DETR n'est investie, comme on l'a vu, que de pouvoirs limités.

La commission n'exerce un pouvoir décisionnel que dans la mesure où elle fixe chaque année les catégories d'opérations prioritaires et, dans des limites fixées par décret en Conseil d'État, les taux minimaux et maximaux de subvention applicables à chacune d'elles 24 ( * ) .

Pour le reste, ses attributions sont consultatives et de portée limitée : la commission donne un avis sur les projets de subvention supérieurs à 100 000 euros (ce seuil était fixé à 150 000 euros jusqu'en 2017). N'ayant pas connaissance de l'ensemble des demandes de subvention adressées à la préfecture, elle n'a pas les moyens d'exercer un véritable contrôle sur les choix d'opportunité du préfet .

La commission se réunit au moins une fois par an 25 ( * ) . En pratique, elle se réunit généralement deux fois : vers la fin du premier trimestre, pour examiner la liste des subventions que le préfet projette d'attribuer et donner un avis sur les plus importantes d'entre elles ; en fin d'année, pour se voir présenter le bilan annuel de la répartition de la DETR et fixer la liste des catégories d'opérations prioritaires au titre de l'année suivante.

Ses moyens d'information ont été légèrement améliorés par la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique , qui a fait obligation au préfet de département d'adresser aux membres de la commission, cinq jours francs avant toute réunion, une note explicative de synthèse sur les affaires inscrites à l'ordre du jour.

À l'initiative de notre collègue Bruno Retailleau, le Sénat avait alors proposé de renforcer le rôle de la commission d'élus, en prévoyant que les décisions d'attribution du préfet seraient désormais soumises à l'avis conforme de la commission, rendu à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Ni le Gouvernement ni la majorité de l'Assemblée nationale ne l'ont accepté, ce qui n'a pas surpris...

c) Le contrôle restreint du juge administratif

Comme tout acte administratif, les décisions préfectorales relatives à la répartition des dotations d'investissement peuvent être déférées devant la juridiction administrative par les personnes auxquelles elles font grief. C'est le cas plus particulièrement des refus de subvention. Cependant, le juge n'exerce à leur égard qu'un contrôle restreint, qui se rapproche même d'un contrôle minimum .

Le juge vérifie d'abord la « légalité externe » de la décision, à savoir :

- la compétence de son auteur (en l'espèce, la compétence du préfet de département ou de région ne fait pas de doute puisqu'ils la tiennent de la loi) ;

- le respect des règles de procédure : c'est ainsi que le refus du préfet de la Charente d'attribuer au district de Ruffec une subvention au titre de la dotation de développement rural a été annulé, parce que le préfet n'avait pas consulté la commission d'élus instituée à cet effet, comme il en avait l'obligation 26 ( * ) ;

- le respect des règles de forme (mais le juge rejette systématiquement le grief tiré de l'absence de motivation du refus, une telle décision n'entrant pas, comme on l'a vu, dans le champ de l'obligation de motivation des décisions administratives individuelles défavorables).

En ce qui concerne la « légalité interne » de la décision :

- le juge vérifie que le préfet n'a pas poursuivi d'autres objectifs que ceux qui sont assignés par la loi à la répartition des dotations d'investissement, ce qui constituerait un détournement de pouvoir . Ce serait le cas s'il avait agi pour satisfaire un intérêt privé, mais aussi un intérêt public (ou supposé tel) étranger aux objectifs légaux : inciter les élus d'une commission départementale de la coopération intercommunale (CDCI) à approuver l'un de ses projets en la matière, inciter une collectivité à conclure avec l'État un contrat relatif à l'évolution de ses dépenses de fonctionnement, inciter à la création de communes nouvelles, sanctionner une collectivité engagée dans un litige avec l'État... À la connaissance de votre rapporteur, il n'est jamais arrivé qu'un refus de subvention d'investissement soit annulé pour un tel motif 27 ( * ) ;

- le juge vérifie que le préfet n'a pas commis d' erreur de droit 28 ( * ) ;

- il vérifie que le préfet n'a pas commis d' erreur de fait ;

- enfin, le juge contrôle la qualification juridique des faits , c'est-à-dire qu'il vérifie que le projet subventionné est bien au nombre de ceux qui entrent dans les catégories et répondent aux objectifs fixés par la loi. Mais ces catégories et objectifs étant définis de manière assez vague, la question laisse place, le plus souvent, à une très grande marge d'appréciation. Le contrôle du juge se limite à « l'erreur manifeste », et en pratique, votre rapporteur n'a trouvé trace d'aucune décision juridictionnelle ayant annulé un refus de subvention pour erreur manifeste d'appréciation 29 ( * ) .


* 23 Voir l'article L. 211-1 du code des relations entre le public et l'administration.

* 24 Pour mémoire, l'article R. 2334-27 du code général des collectivités territoriales dispose que le taux de subvention ne peut être inférieur à 20 % du montant prévisionnel hors taxe de la dépense subventionnable, et que l'attribution d'une subvention au titre de la DETR ne peut avoir pour effet de porter le montant des aides publiques directes à plus de 80 % du montant prévisionnel de la dépense subventionnable engagée par le demandeur. Le taux de subvention peut être inférieur à 20 % pour éviter que ce seuil de 80 % soit franchi.

* 25 Article R. 2334-35 du même code. Le même article dispose que le préfet réunit également la commission dès lors que deux tiers de ses membres en font la demande.

* 26 CAA Bordeaux, 15 juin 2004, n° 00BX00447.

* 27 Voir par exemple TA Versailles, 19 novembre 2012, n° 0910998 : le juge a rejeté le grief de détournement de pouvoir, invoqué par une commune faisant état d'un litige l'opposant au préfet relativement à son budget, en raison de l'absence « de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ». ?

* 28 Voir CAA Marseille, 21 mai 2010, n° 08MA03658 : le préfet des Bouches-du-Rhône, qui avait attribué à la commune de Septèmes-les-Vallons une subvention au titre de la DGE, égale à 50 % du coût prévisionnel hors taxes des travaux de réhabilitation de plusieurs écoles, ne pouvait légalement refuser de lui en verser le solde sur présentation du certificat de paiement des derniers travaux. Voir  également TA Versailles, 2 juillet 2013, n° 1006132 : le préfet de l'Essonne ne pouvait légalement justifier son refus d'accorder une subvention au titre de la DGE à la commune de Linas au seul motif que le coût du projet était trop important et que l'octroi de la subvention, égale à 60 % du coût du projet, aurait eu pour effet d'évincer les demandes d'aides financières de nombreuses autres communes du département, puisqu'il lui était loisible de retenir un taux de subvention inférieur et que le projet entrait par ailleurs dans l'une des catégories d'opérations prioritaires définies par la commission départementale d'élus.

* 29 Le grief est au contraire rejeté dans CAA Bordeaux 15 juin 2004, arrêt précité ; TA Versailles, 19 novembre 2012, jugement précité ; TA Strasbourg 6 mai 2013, n° 1105169 (rejet de la requête dirigée contre un refus de subvention au titre de la DETR).

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