B. LA RÉPARTITION DES DOTATIONS D'INVESTISSEMENT
(ARTICLES 81 ET 81 BIS)

Les modalités d'attribution des dotations d'investissement, elles aussi, intéressent de près votre commission des lois, puisqu'il s'agit là de la répartition des pouvoirs entre les autorités administratives (centrales, déconcentrées et décentralisées) et de l'encadrement de ces pouvoirs par la loi. On touche ici aux principes mêmes de la décentralisation.

1. Les mesures prévues par le projet de loi

Les articles 81 et 81 bis traitent des quatre principales dotations d'investissement relevant de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

La dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) verrait ses conditions d'éligibilité élargies :

- en plus des communes, EPCI et syndicats mixtes déjà éligibles, les maîtres d'ouvrage désignés par un contrat signé entre une commune ou un groupement éligible et le représentant de l'État - par exemple des sociétés d'économie mixte - pourraient percevoir une dotation au titre de la DETR (article 81) ;

- alors que tous les EPCI à fiscalité propre sont aujourd'hui éligibles à la DETR, à l'exception de ceux qui, en métropole, comptent plus de 75 000 habitants (150 000 dans les départements d'outre-mer et à Mayotte) autour d'une ou plusieurs communes de plus de 20 000 habitants (85 000 dans les DOM et à Mayotte), l'article 81 bis , inséré par l'Assemblée nationale par amendement du Gouvernement, prévoit de rendre éligibles ceux qui, dépassant ces mêmes seuils de population en nombres absolus d'habitants, ont cependant une densité de population inférieure à 150 habitants au kilomètre carré. Selon le Gouvernement il s'agit de ne plus pénaliser les communautés élargies à la suite de la loi « NOTRe », relativement vastes et peuplées et comprenant une commune centre importante, mais qui n'en sont pas moins rurales sur la plus grande partie de leur territoire.

Les modalités de répartition de la dotation politique de la ville (DPV) seraient également revues :

- parmi les critères d'éligibilité, le ratio entre la population habitant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et la population communale totale serait figé à sa valeur de 2016 (en effet, la population habitant dans ces quartiers n'est pas réévaluée régulièrement, contrairement à la population totale) ;

- en l'état actuel du droit, pour qu'une commune soit éligible à la DPV, il faut qu'elle l'ait été l'année précédente à la DSU ; si elle compte 10 000 habitants ou plus, il faut en outre qu'elle ait figuré parmi les 250 premières communes de la même strate démographique, classées selon un indice synthétique de ressources et de charges ; désormais, il suffirait qu'elle ait rempli ces conditions au moins une fois au cours des trois années précédentes ;

- il est également proposé de déplafonner le nombre de communes éligibles, aujourd'hui limité à 180.

Pour ce qui est de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) , la population prise en compte pour le calcul de l'enveloppe revenant à chaque région et au Département de Mayotte serait désormais réévaluée chaque année.

Enfin, comme cela a été exposé précédemment, la dotation globale d'équipement (DGE) des départements , aujourd'hui attribuée sous la forme d'un taux de concours pour l'ensemble des investissements répondant aux critères légaux d'éligibilité et de deux majorations abondant directement la section d'investissement des budgets départementaux, serait remplacée par une dotation de soutien à l'investissement départemental (DSID) , répartie en enveloppes régionales et distribuée principalement sous forme de subventions sur décision du préfet de région.

Plus précisément, la DSID serait composée de deux parts :

- une première part, égale à 77 % de son montant total, répartie en enveloppes régionales calculées à hauteur de 55 % en fonction de la population des régions et du Département de Mayotte et à 45 % en fonction de la population rurale (celle des communes situées dans une unité urbaine de moins de 50 000 habitants ou n'appartenant pas à une unité urbaine), sans que le montant de chaque enveloppe puisse être inférieur à 1,5 million d'euros ni excéder 18 millions d'euros ; les subventions au titre de cette première part seraient attribuées par le préfet de région « dans un objectif de cohésion des territoires » ;

- une seconde part, égale à 23 % du montant total, abondant directement la section d'investissement des départements 35 ( * ) dont le potentiel fiscal par habitant et le potentiel fiscal par kilomètre carré ne sont pas supérieurs au double de la moyenne des départements. Cette seconde part serait répartie entre les départements éligibles en fonction de leur potentiel fiscal par habitant et par kilomètre carré 36 ( * ) .

Le projet de loi initial prévoyait que les départements ayant conclu avec l'État un contrat relatif à l'évolution de leurs dépenses de fonctionnement pourraient voir leur taux de subvention au titre de la première part de la DSID majoré. Cette disposition, qui pouvait apparaître comme une provocation dans un contexte où la contractualisation avec l'État a provoqué de vives tensions entre le Gouvernement et l'Assemblée des départements de France, a heureusement été supprimée par l'Assemblée nationale.

2. La position de votre commission des lois : renforcer le contrôle des élus locaux et mieux prendre en compte les besoins des communes rurales

Sur proposition de son rapporteur, votre commission des lois a apporté plusieurs modifications aux dispositions du projet de loi de finances relatives à la répartition des dotations d'investissement, afin de renforcer le contrôle des élus locaux sur cette répartition et de mieux prendre en compte les besoins spécifiques des communes rurales.

L' amendement n° II-101 a pour objet de réserver une quote-part de 15 % de l'enveloppe de DETR allouée à chaque département au financement d'opérations dont le coût total n'excède pas 50 000 euros . Comme cela a été rappelé précédemment, ces petits projets ne récoltent en moyenne que 10 % du montant départemental de la DETR (taux qui descend à 1 % dans certains départements), tandis que les opérations les plus coûteuses - que seuls les EPCI et syndicats mixtes de taille conséquente ou les communes les plus peuplées ont les moyens d'entreprendre - en absorbent la plus grande partie. La disparition de la « réserve parlementaire » a privé les communes rurales des moyens de mettre en oeuvre des projets de plus faible ampleur, dont l'importance est pourtant cruciale pour améliorer le niveau d'équipement et maintenir les services publics en milieu rural . Sans rétablir la « réserve », et en maintenant le pouvoir de décision du préfet, votre commission a donc souhaité « flécher » une partie suffisante des crédits disponibles en direction des projets conduits par ces communes.

Par son amendement n° II-100 , votre commission a entendu revoir en profondeur les modalités d'attribution des dotations d'investissement destinées au bloc communal, afin de les rendre plus efficaces et plus transparentes et de renforcer le contrôle des élus sur les décisions préfectorales . Ainsi :

- la DSIL serait désormais constituée de deux parts , l'une (égale à 20 % du montant total de la dotation) restant entre les mains des préfets de région, l'autre (égale à 80 % du total) répartie par les préfets de département . Celui-ci connaît mieux les besoins locaux, et il est l'interlocuteur quotidien des élus locaux. En pratique, d'ailleurs, les préfets de région délèguent généralement l'instruction des dossiers aux préfets de département, qui la subdélèguent parfois aux sous-préfets d'arrondissement, ce qui ralentit considérablement le circuit de décision. Sans doute cela explique-t-il en partie la forte sous-consommation des crédits de la DSIL. Le préfet de région continuerait à répartir 20 % des crédits de la DSIL, ce qui lui permettrait, le cas échéant, de financer des projets d'ampleur régionale et d'opérer une forme de redistribution entre départements d'inégale richesse ;

- serait créée une commission départementale des investissements locaux , chargée de contrôler la répartition de la DETR et de la part départementale de la DSIL. Cette commission serait dotée de prérogatives plus étendues que l'actuelle « commission DETR », puisqu'elle serait destinataire de la liste des demandes de subvention attribuées au préfet de département et appelée à formuler un avis sur la liste complète des subventions projetées. Il serait tenu compte, dans sa composition, du champ des communes et groupements éligibles à chacune des deux dotations ;

- la publication de la liste des subventions attribuées au titre de la DETR serait rendue obligatoire, comme c'est déjà le cas à propos de la DSIL.

En ce qui concerne la dotation globale d'équipement des départements , votre commission a refusé sa transformation en une dotation distribuée principalement sous forme de subventions . Une réforme de la DGE est envisageable, mais elle doit faire l'objet d'une concertation préalable avec les conseils départementaux. Pour parer à toute difficulté de répartition de la DGE au cours des années à venir, votre commission a prévu, par l' amendement n° II-102 , que les sommes nécessaires pour honorer la garantie selon laquelle l'attribution d'un département au titre de la majoration pour insuffisance de potentiel fiscal ne peut être inférieure à 90 % du montant perçu l'année précédente sont prélevées, si nécessaire, sur la part principale de la dotation. Si d'aventure la dotation de soutien à l'investissement départemental (DSID) devait remplacer la DGE, il conviendrait à tout le moins que les décisions de subventionnement prises par les préfets de région soient prises après avis des présidents des conseils départementaux de la région : c'est l'objet de l' amendement de repli n° II-103 .

Enfin, votre commission a adopté un amendement n° II-104 tendant à supprimer l'article 81 bis , introduit par l'Assemblée nationale sur une initiative tardive du Gouvernement, et qui vise à élargir l'éligibilité à la DETR aux EPCI franchissant les seuils de population actuel, sous une condition de densité de population. Le Parlement ne saurait adopter une telle disposition, qui réduira l'enveloppe disponible pour les communes et groupements déjà éligibles, sans que des simulations précises lui aient été fournies sur son impact.

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Votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » inscrits au projet de loi de finances pour 2019 et a adopté sept amendements .


* 35 Ainsi que de la métropole de Lyon, de la collectivité de Corse et des collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.

* 36 Une fraction de cette seconde part serait cependant prélevée au profit des collectivités de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Saint-Barthélémy, qui percevraient chacune, sans condition de potentiel fiscal, une fraction de cette seconde part égale au rapport, majoré de 10 %, entre leur population et la population nationale.

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