II. L'ADMINISTRATION TERRITORIALE : LA CONTINUITÉ DES RÉFORMES ET DES RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES

Le plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG), mis en oeuvre sur la période 2016-2020, a profondément modifié l'organisation de l'administration territoriale. Il s'agit pour l'essentiel de la réforme des modalités de délivrance des titres, autrement dit de la dématérialisation des demandes et de leur instruction. 1 300 emplois ont ainsi été supprimés et 700 réaffectés à quatre missions prioritaires : sécurité et ordre public, coordination des politiques publiques, contrôle de la légalité et lutte contre la fraude documentaire. À l'usage, on constate que les besoins techniques et en termes de relations avec les usagers ont été largement sous-évalués, d'où des dysfonctionnements majeurs.

Alors que ces difficultés ne sont pas encore totalement réglées, l'administration déconcentrée voit se profiler les réformes prévues par la circulaire du Premier ministre du 24 juillet 2018 sur l'organisation territoriale des services publics. La réaffirmation du rôle de l'État en matière d'ingénierie territoriale pourrait être une bonne nouvelle si les moyens correspondant suivaient, ce qui risque de ne pas être le cas.

A. LA MISE EN oeUVRE DU PLAN « PRÉFECTURES NOUVELLE GÉNÉRATION » : UNE DÉMATÉRIALISATION PRÉCIPITÉE ET MAL PRÉPARÉE

Le PPNG a profondément modifié les modalités de demande et d'instruction des titres. L'instruction relève désormais non plus d'un service de la préfecture, mais de centres d'expertise et de ressources des titres (CERT) répartis sur l'ensemble du territoire. Chaque centre est dédié à un type de titre et traite les demandes issues de plusieurs départements. En outre, les demandes, faites par les usagers, et l'instruction, réalisée par les CERT, se font désormais de manière totalement dématérialisée, par télé-procédures.

Mal préparée et mal anticipée, la mise en place, à partir du mois de novembre 2017, des nouvelles procédures touchant au certificat d'immatriculation des véhicules (CIV) et au permis de conduire s'est soldée par d'importants dysfonctionnements. Ces dysfonctionnements ont engendré des retards parfois considérables dans la délivrance des titres et mis de nombreux usagers et professionnels dans la difficulté. Les plus importants ont perduré près de six mois, de novembre 2017 à avril 2018, et la situation, un an plus tard, n'est pas encore stabilisée.

Comme l'a également relevé le Défenseur des droits, une partie des dommages constatés dans le cadre de cette réforme tient à la volonté de dématérialiser les procédures, sans aucune possibilité de secours par la voie du papier. Cette dématérialisation totale a d'abord été pensée pour faire des économies. La nécessité de la concevoir pour les usagers, y compris pour ceux qui ne sont pas à l'aise avec les nouvelles technologies, a été fortement sous-estimée.

Extrait de la décision du Défenseur des droits n° 2018-226
du 3 septembre 2018

« [...] Le Défenseur des droits :

Constate que la mise en oeuvre de la dématérialisation de la délivrance des titres réglementaires [...] a donné lieu à de nombreuses atteintes aux droits des usagers du service public.

Constate :

- de nombreux blocages informatiques ;

- une sous-évaluation du flux des demandes ;

- des difficultés mal prises en compte d'accès et de maîtrise d'internet pour une part importante de la population ;

- un manque d'information des publics concernés avant la généralisation du processus de dématérialisation ;

- un manque d'anticipation des besoins d'accompagnement du public ;

- une phase d'expérimentation manifestement insuffisante ;

- un manque d'expertise et de formation des nouveaux opérateurs ;

- un manque d'anticipation des situations complexes dans le domaine de l'immatriculation des véhicules ;

- un dispositif mis en place sans que toutes les procédures particulières relatives aux publics professionnels et vulnérables concernés n'aient été envisagées ;

- des défaillances de communication entre les préfectures, l'ANTS 4 ( * ) et les CERT ;

- des modes de communication avec les usagers insuffisants ;

- l'absence de phase transitoire et d'une voie alternative papier qui aurait permis d'identifier et de pallier progressivement l'ensemble des difficultés soulevées ;

- l'orientation des usagers vers des opérateurs privés payants disposant de vecteurs privilégiés par l'ANTS.

[...] »

Enfin, les réductions annoncées d'effectifs doivent être aussi relativisées, le recrutement de nombreux renforts ponctuels pour faire face à la crise ayant été nécessaire.

1. Des premiers mois catastrophiques pour la réforme de la délivrance des certificats d'immatriculation et des permis de conduire
a) L'accumulation de dysfonctionnements techniques...

La délivrance des certificats d'immatriculation a été la plus affectée par les dysfonctionnements de la fin de l'année 2017. Pour rappel, les professionnels habilités du secteur automobile traitent, depuis 2009, les opérations classiques lors de l'achat ou de la vente de véhicules neufs ou d'occasion, ce qui représente aujourd'hui près de 80 % des demandes de certificats d'immatriculation (4,6 millions d'opérations par an). Même si ce transfert n'est pas récent, il illustre la tendance de l'État à déléguer ses missions à des entités, privées ou publiques, qui répercutent le coût de ces nouvelles missions sur les usagers. Optimisation des dépenses budgétaires de l'État, pas de celles des usagers !

Les télé-procédures ont été mises en place progressivement à partir du mois de juin 2017 en fonction des démarches à effectuer 5 ( * ) , mais, la trentaine de démarches ne pouvant être traitées par les professionnels habilités (dont la modification des caractéristiques techniques ou l'immatriculation d'un véhicule d'occasion importé par exemple), les nouvelles télé-procédures devaient être expérimentées à partir du mois d'octobre 2017 par le CERT de Besançon, pour une généralisation au mois de novembre. En un mois, le CERT de Besançon devait donc expérimenter un grand nombre de télé-procédures, les bugs informatiques devaient être détectés et résolus... Cela n'a pas été possible.

En outre, d'autres éléments sont venus aggraver le dysfonctionnement des télé-procédures, parmi lesquels :

- la complexité de la règlementation relative aux certificats d'immatriculation des véhicules (CIV), et notamment ses incidences fiscales ;

- le fait qu'il n'avait pas été prévu de cumuler deux opérations concernant un même certificat d'immatriculation 6 ( * ) , ce qui pourtant était possible avant ;

- la non-prise en compte dans le cadre de ces nouvelles télé-procédures des anciens numéros d'immatriculation, datant d'avant 2009.

Par ailleurs, certains bugs , connus des agents des services de délivrance de titres utilisateurs du système informatique d'immatriculation des véhicules, qui s'en étaient accommodés et savaient comment les contourner, n'avaient pas été signalés. Ils ont perduré et produit leur plein effet dans le cadre des démarches réalisées par les usagers.

La délivrance des permis de conduire a également été perturbée par des dysfonctionnements, mais dans une moindre mesure. Ces dysfonctionnements étaient notamment liés à la désynchronisation 7 ( * ) , avec pour conséquence le fait que l'état du dossier visible par l'usager et par le service instructeur n'était pas le même. Les télé-procédures concernant le permis de conduire avaient pourtant été testées depuis le mois de mai 2017...

À ces bugs touchant les systèmes d'information des CIV et des permis de conduire, se sont ajoutés ceux du site internet de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS). Ce dernier a tout d'abord été difficile d'accès, pour cause de lenteur de connexion initiale, d'incidents de connexion et de saturation. Par ailleurs, l'envoi des codes de cession (pour les certificats d'immatriculation) et confidentiels (pour les permis de conduire), générés par le site de l'ANTS et nécessaires à la poursuite des démarches, s'est fait dans les premiers temps avec beaucoup de retard. Enfin, certaines démarches ne pouvaient être finalisées en raison de l'impossibilité de payer en ligne. Lors de sa visite du CERT de Besançon, votre rapporteur a pu constater que les problèmes de lenteur et de déconnexion du site, s'ils étaient moins fréquents, étaient toujours d'actualité.

Interrogés sur ces dysfonctionnements, le directeur de l'ANTS et le chef de la mission Délivrance sécurisée des titres au ministère de l'intérieur ont reconnu que les conséquences de la réforme, si elles avaient été anticipées, avaient été sous-évaluées...

b) ... ayant abouti à une situation de crise

Ces différents bugs ont fait exploser le nombre d'appels au centre de contact citoyens de l'ANTS. Les effectifs de ce dernier avaient pourtant été renforcés en prévision de la mise en place des télé-procédures, mais pas à la mesure des dysfonctionnements constatés. Au mois de novembre 2017, seuls 30 % des 143 000 appels et 47 % des 152 500 courriels reçus ont été traités. Pour l'année 2017, le nombre d'appels a atteint 1,45 million, dont moins de la moitié a pu être traitée seulement (688 000, soit 474 %). À titre de comparaison, 800 000 appels avaient été traités sur 972 700 reçus en 2016, soit un taux de traitement des appels de 82,2 %.

Concernant les appels à l'ANTS, les temps d'attente ont été sur la fin de l'année 2017 très importants (15 minutes en moyenne avant décroché). Il faut souligner au passage qu'il a fallu attendre le mois de mai 2018 pour que l'appel à l'ANTS soit facturé au prix d'un appel local et non plus 6 centimes par minute... On remarquera que l'usager doit payer pour faire le travail de l'État ! Une vraie modernisation ! Le dysfonctionnement affectant les certificats d'immatriculation a aussi été le principal motif d'appel téléphonique au Défenseur des droits pendant plusieurs mois.

Ces dysfonctionnements, comme on l'a dit, ont entraîné des retards considérables et des blocages dans la délivrance des titres. Un très grand nombre de dossiers ont été totalement bloqués pendant plusieurs mois, leur cas ne pouvant tout simplement pas être traité par le système informatique. 300 000 à 450 000 dossiers selon la presse, 100 000 selon le ministère de l'intérieur... La situation du premier trimestre 2018 ne s'est améliorée que très progressivement. Un an après le début de la réforme, le stock de dossiers devant encore être traités reste important. Fin novembre 2018, celui du CERT de Besançon est de 24 000 dossiers.

Ces retards et blocages ont mis dans des situations très difficiles de nombreux professionnels et usagers. L'impossibilité de délivrer des certificats provisoires « WW » pour les véhicules importés 8 ( * ) a par exemple entraîné des problèmes de gestion de stock et de trésorerie chez les professionnels spécialisés. Pour les particuliers, l'impossibilité de déclarer la cession du véhicule a fait qu'un certain nombre de nouveaux propriétaires ont dû rouler dans des véhicules ne leur appartenant pas officiellement. Certains ont payé plusieurs fois les taxes liées à leur démarche, le site de l'ANTS ne faisant pas apparaître la confirmation de leur paiement. Plus grave, M. Bernard Dreyfus, délégué général du Défenseur des droits à la médiation avec les services publics, a signalé le cas de personnes n'ayant pu obtenir un emploi car en incapacité de fournir leur permis de conduire. Dans certains cas, un juge a été saisi, et l'État a déjà été condamné plusieurs fois...

De manière plus générale, le lien entre les dysfonctionnements et la fermeture des guichets des préfectures a contribué à ternir l'image des services de l'État et a conforté l'impression de leur éloignement. On aurait pu penser que la mise en oeuvre d'une réforme touchant des millions d'usagers nécessitait un peu plus de temps sur le plan technique et surtout une évaluation moins approximative des besoins des usagers.

Ceci dit, il faut saluer la réactivité des responsables et des CERT et de l'ANTS, qui ont su prendre les décisions qui s'imposaient, saluer l'engagement des agents qui ont travaillé pendant plusieurs mois sous la tension qu'on peut imaginer et avec des moyens techniques dégradés...

2. La dématérialisation des démarches administratives doit impérativement être pensée en fonction de l'usager réel et non de l'usager rêvé

Si la dématérialisation des procédures évite aux usagers de se déplacer en préfecture et leur permet d'effectuer leurs démarches administratives à tout moment, elle n'a de sens que si les téléprocédures peuvent aboutir ou au minimum si le demandeur en difficulté peut facilement solliciter une aide. Dans le cas contraire, comme on vient de le voir la situation s'en trouve aggravée. De quoi être sceptique sur la réussite, en quelques années du plan gouvernemental de dématérialisation de tous les services publics 9 ( * ) .

a) Prendre en compte les difficultés d'accès des usagers

Selon un rapport récent 10 ( * ) , 13 millions de Français sont en difficulté avec l'accès et/ou l'usage du numérique ; 40 % sont inquiets à l'idée de réaliser leurs démarches administratives en ligne. Ce qui n'a pas empêché le Gouvernement d'imposer la dématérialisation totale, à marche forcée, de la délivrance de titres sécurisés sans médiateurs ou en nombre insuffisant. En prenant donc le risque d'exclure un peu plus la population la plus touchée par la précarité.

Certes, le ministère de l'intérieur a mis en place 310 points numériques 11 ( * ) à disposition du public sur l'ensemble du pays. Mais 310 points numériques, à l'échelle du territoire, c'est peu. Et les missions des services civiques durent huit mois seulement, soit un délai insuffisant pour maîtriser 64 procédures différentes, simples pour certaines mais complexes pour d'autres. En outre, lors des nombreux dysfonctionnements bloquants constatés entre fin 2017 et au début de l'année 2018, l'accompagnement dans les points numériques s'est souvent limité à expliquer aux usagers que leur démarche ne pouvait aboutir en raison de défaillances informatiques ! Pour ce public, on peut aussi mesurer la difficulté de manipulation de fichiers en format « pdf » ou « jpg », nécessaires à la transmission dématérialisée des documents, ou la nécessité de compresser ces fichiers, en raison de leur volume, en utilisant des logiciels spécifiques de pratique peu intuitive.

La volonté du ministère de l'intérieur de fermer immédiatement les guichets dès la mise en oeuvre de la dématérialisation des procédures de délivrance ou de mise à jour des certificats d'immatriculation et les permis de conduire n'a pas été pour rien dans les difficultés rencontrées.

Si pour les cartes nationales d'identité et passeports, la dématérialisation des demandes a posé moins de problème, c'est que les mairies, passage obligé des demandeurs, ont pu accompagner celles et ceux qui en avaient besoin. On peut penser que cette absence d'intermédiaire, s'agissant qui plus est de procédures pouvant être complexes, est la cause essentielle des difficultés rencontrées. Au moment où les dysfonctionnements ont été les plus importants, les usagers avaient pour seuls interlocuteur des services civiques, impuissants, et le numéro d'appel de l'ANTS, saturé... D'où l'appel au Défenseur des droits, dont la vocation n'est pas vraiment de remplacer les services de l'État, et l'éclosion d'un petit commerce de plates-formes privées offrant leurs services pour 30 à 50 euros dans la plupart des cas.

b) Prendre en compte les besoins des usagers

Mais les difficultés rencontrées ne tiennent pas seulement à des problèmes techniques que l'on peut espérer régler avec le temps, elles tiennent aussi à la conception même du site internet de l'ANTS.

Ce dernier est très complexe du fait des spécificités de la législation, de la multiplicité des cas dont il faut tenir compte. Cela ne posait pas de difficultés car le site était essentiellement utilisé, jusqu'en novembre 2017, par les agents, spécialisés, des préfectures. Les mois précédents la mise en oeuvre de la réforme, aucune réflexion n'a été engagée afin d'adapter le site internet de l'ANTS à un public beaucoup plus large. La question de l'adaptation du site aux usagers peu à l'aise avec les démarches dématérialisées s'est encore moins posée.

Le manque d'ergonomie du site de l'ANTS fait que l'accès à un certain nombre de procédures est très difficile 12 ( * ) . Les usagers ont été nombreux à ne pas choisir la bonne procédure, ce qui a pour conséquence de bloquer leurs demandes et de gonfler, encore, le stock des dossiers en cours. Lors de la prochaine mise à jour du site, les usagers se verront poser des questions fermées, ce qui permettra de les orienter vers la bonne procédure.

Lors de son audition, M. Bernard Dreyfus, délégué général du Défenseur des droits, a insisté sur la nécessité de bâtir les sites internet avec les usagers, en prenant en compte leurs besoins, afin qu'ils soient pratiques et ergonomiques. Il a par ailleurs souligné que la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication (DINSIC) n'avait pas été consultée dans le cadre de la préparation de la réforme alors qu'une des missions de cette direction est d'accompagner les administrations dans leur projet de transformation numérique.

La réforme de la délivrance des certificats d'immatriculation et permis de conduire est une première étape dans la généralisation de la dématérialisation de l'ensemble des démarches administratives, objectif poursuivi dans le cadre du programme « Administration publique 2022 ».

Reste à souhaiter que le Gouvernement tirera les leçons de ce qui vient de se passer avant de donner corps à sa « réforme ambitieuse ».

c) Évaluer correctement les effectifs nécessaires à la réussite de la réforme

Au final, les réductions d'effectifs sont plus faibles qu'attendu. En effet, les multiples difficultés rencontrées ont conduit à redimensionner les effectifs chargés de la délivrance des certificats d'immatriculation et permis de conduire, notamment par l'appel à des contractuels.

Ainsi, de nombreux contractuels sont venus renforcer les CERT dédiés aux cartes grises. Pour prendre l'exemple du CERT de Besançon, les effectifs, au plus fort de la crise, sont montés à 80, pour un effectif cible de 41... Lors du déplacement de votre rapporteur, les effectifs étaient à 72, et devaient être maintenus à ce niveau quelques semaines encore, voire quelques mois, afin de résorber le stock de dossiers. Sur ces 72, 44 étaient vacataires. Enfin, afin de permettre la résorption des stocks de demandes d'immatriculation, trois CERT provisoires ont été créés, à Amiens, Charleville-Mézières 13 ( * ) et Paris. Au total, près de 700 contractuels supplémentaires auraient été recrutés sur la période 2017-2018, soit plus de la moitié du nombre de suppressions de postes prévues dans le cadre du PPNG ! Le détail de ces chiffres, demandés au ministère de l'intérieur, n'a pas été transmis à votre rapporteur... Lors de son audition, le secrétaire général adjoint du ministère de l'intérieur a admis que les effectifs initialement prévus dans les CERT étaient sous-dimensionnés, car le rôle régulateur auparavant joué par les guichets n'avait pas été pris en compte...

Le nombre de points numériques a presque doublé, puisqu'ils sont désormais 310, alors qu'il ne devait y en avoir initialement que 170.

Prenant la mesure de la nécessité d'améliorer la relation avec les usagers, l'ANTS a sensiblement accru les effectifs du Centre de contact citoyens. Avec le recrutement d'intérimaires, ces derniers sont passés de 88, en novembre 2017, à 147, fin février 2018. Pour la fin de l'année 2018, un marché d'externalisation a aussi été passé pour renforcer durablement le Centre de contact citoyens. Ce dernier comptera fin décembre 2018 50 personnes de l'ANTS et 150 personnes recrutées dans le cadre de ce marché. Notons que l'une des clauses du marché était le recrutement du personnel en CDI et sur Charleville-Mézières, où se trouve le siège de l'ANTS, afin de privilégier l'emploi local. Mais notons également que si les documents budgétaires font apparaître, pour l'ANTS, un relèvement de plafond d'emplois de 20 ETPT sur le projet de loi de finances pour 2017, ces chiffres se réduisent à 0 ETPT pour 2018 et + 8 ETPT pour 2019...

Le manque d'anticipation quant aux difficultés techniques et psychosociales de la réforme a substantiellement réduit les avantages budgétaires réels de l'opération. Comme ces recrutements non prévus ont concerné des contractuels, des prestataires ou les services civiques, sans affecter le PPNG, il reste possible, sur le papier, d'afficher ces réductions d'effectifs...

d) Les effets positifs de la réorganisation

Malgré les dysfonctionnements et difficultés rencontrés, malgré aussi la relativisation des économies en termes d'effectifs, cette réorganisation du système de délivrance des titres a eu quelques effets positifs :

- le repyramidage des effectifs a permis de faire évoluer, par le biais de dispositifs de recrutements exceptionnels, la répartition des agents des catégories A, B et C. Les effectifs des deux premières catégories ont augmenté et ceux de la troisième ont diminué 14 ( * ) . Ce repyramidage a permis de rehausser le niveau général des compétences du personnel de l'administration territoriale et constitue également un élément de motivation pour les agents. L'achèvement de ce plan de repyramidage est prévu pour 2020 ;

- un meilleur accompagnement de la formation des agents devant changer de poste ;

- le renforcement des effectifs chargés des missions prioritaires. Même s'il est mince comparé aux effectifs perdus par le réseau préfectoral lors de la dernière décennie ;

- l'amélioration notable de la détection des fraudes à la délivrance des cartes grises et des permis de conduire. La sécurisation des titres étant l'une des motivations des réformes, on ne peut que s'en féliciter.

Le réajustement des indicateurs du contrôle de légalité

Dans son avis sur le projet de loi de finances 2018 15 ( * ) , votre rapporteur s'était interrogé sur l'évolution des indicateurs de performance budgétaires relatifs au taux de contrôle des actes prioritaires reçus en préfecture. Il avait noté que la prévision d'un objectif de 100 % pour ce taux, qui était systématiquement repoussée depuis 2013 faute de pouvoir l'atteindre, avait été abaissée à 95 % pour l'année 2018, et une cible de 97 % à l'horizon 2020.

Les objectifs ont encore été abaissés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 : ils ont été fixés à 93 % pour 2019, et 94 % pour 2020. Pour expliquer cette nouvelle baisse, le ministère fait état de différentes contraintes 16 ( * ) :

- l'objectif, demandé, de contrôler au moins 5 % des actes non prioritaires 17 ( * ) ;

- le contexte récent de la réforme territoriale, qui a mobilisé les services de contrôle de légalité sur des demandes d'expertise en matière d'intercommunalité ;

- l'importance des moyens mobilisés notamment sur le tri et l'orientation des actes, ainsi que sur le conseil aux élus « qui s'apparente de plus en plus à une mission d'appui à l'ingénierie de projet ». Cette dernière mission ne relève pas des services de contrôle de légalité mais est « en pratique assurée au sein des préfectures par les agents affectés dans ce service ». Ce qui ne rassure pas votre rapporteur sur les capacités des services effectivement dédiés au conseil aux élus !

À son sens, la principale contrainte empêchant les préfectures d'atteindre leurs objectifs en matière de contrôle de légalité sont les moyens en personnel dont elles disposent. Le contrôle de la légalité a perdu plus d'un quart de ses effectifs
(- 27 %, soit 321 ETPT) entre 2009 et 2013. S'ils ont été renforcés depuis (+ 117 ETPT entre 2013 et 2018), les taux de contrôle montrent qu'ils ne sont toujours pas à la hauteur des besoins. Sauf à penser que la priorité est une notion relative, évidemment.


* 4 L'Agence nationale des titres sécurisés.

* 5 Demandes de duplicata en juin, demandes de changement de domicile, de changement de titulaire et déclaration de cession en août.

* 6 Par exemple, changement concomitant du titulaire et des caractéristiques techniques.

* 7 Phénomène aléatoire de non assemblage des données entre les différentes briques applicatives.

* 8 Entre le 23 novembre et le 5 décembre 2017.

* 9 La priorité donnée à la transformation numérique des administrations, avec pour objectif, 100 % de services publics dématérialisés à horizon 2022, fait partie des six principes-clés de la réforme Action publique 2022.

* 10 Rapport et recommandations sur la stratégie nationale pour un numérique inclusif, piloté par la mission Société numérique, mai 2018.

* 11 Pour rappel, les points numériques sont des équipements informatiques installés à l'accueil de chaque préfecture et de certaines sous-préfectures. Ils sont animés par des jeunes en service civique, chargés d'accompagner les usagers qui en expriment le besoin.

* 12 À titre d'exemple, pour accéder à la démarche visant à actualiser un certificat d'immatriculation suite à un décès ou un héritage, le chemin à suivre sur le site de l'ANTS est : onglet « Mon espace véhicule » puis onglet « Je souhaite faire une autre demande », puis onglet « Signaler un changement sur ma situation personnelle ».

* 13 Ce CERT provisoire a été fermé le 31 juillet 2018.

* 14 La part des effectifs de la catégorie A devrait passer de 17,6 % à 20,9 % sur la période 2016-2018, celle des effectifs de la catégorie B de 29,5 % à 33,7 % et celle des effectifs de la catégorie C de 52,9 % à 45,4 %.

* 15 Rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2018 n° 114 (2017-2018), tome I, mission « Administration générale et territoriale ». Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/rap/a17-114-1/a17-114-1.html

* 16 Projet annuel de performance « Administration générale et territoriale », annexe au projet de loi de finances pour 2019, p. 24.

* 17 En 2017, plus de 4 millions d'actes non prioritaires ont été transmis. Le taux de contrôle de ces actes a été de 4,2 %.

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