B. DES FAIBLESSES STRUCTURELLES ET ANCIENNES

Votre rapporteur pour avis a cherché à comprendre les raisons profondes de cette crise, que l'on ne peut attribuer exclusivement à la baisse des ventes.

1. En dépit des plans successifs mis en place, la situation de Presstalis s'est considérablement dégradée depuis 2010

En 2010, la messagerie affichait des fonds propres négatifs à hauteur de 65 M€ , montant inquiétant qui avait justifié une aide massive de l'État et une modification de la loi « Bichet » en 2011, puis en 2015.

En 2017, ces mêmes fonds propres sont négatifs à hauteur de 358,8 M€ , soit un creusement de plus de 40 M€ par an . Les réponses apportées tant au niveau législatif qu'industriel se sont donc avérées des échecs .

En réalité, Presstalis a mené depuis 2010 une politique faite de choix audacieux, qui n'ont pas produit les résultats escomptés et se sont finalement traduits par des échecs coûteux .

a) Un résultat d'exploitation proche de zéro, conséquence de la situation alarmante des dépositaires de Presstalis
(1) Des comptes de la messagerie positifs

L'analyse des comptes sociaux montre que la messagerie, sur le strict périmètre de son activité, dégage un résultat d'exploitation positif mais déclinant, de 11,4 M€ en 2017, 21,7 M€ en 2016, contre 26,2 M€ en 2014.

(2) ... plus qu'annulés par le résultat des filiales

L'intégration des filiales au compte d'exploitation réduit à un chiffre proche de 0 le résultat d'exploitation, avec - 2,3 M€ en 2016. C'est sur ce chiffre, finalement réduit, que Presstalis a régulièrement communiqué . En 2017, cependant, le résultat d'exploitation devient négatif à hauteur de 24 M€.

Presstalis, via ses filiales, possède la moitié des dépositaires de presse de niveau 2, l'autre moitié étant détenue par des indépendants.

Ce niveau concentre aujourd'hui les pertes d'exploitation de la société . Entre 2013 et 2016, le déficit d'exploitation de ces filiales de niveau 2 se creuse, passant de - 22,8 M€ à - 31,6 M€, signe que les réformes menées n'ont pas porté leur fruit.

À l'opposé, les dépôts indépendants affichent tous une rentabilité positive et ont pu mener des investissements qui les autorisent à diversifier leur activité en distribuant, pour certains, la presse quotidienne régionale.

La cause principale de ce décrochage réside dans une masse salariale très supérieure dans les dépôts « Presstalis » et une activité plus faible. Ainsi, la « valeur ajoutée » au sens comptable du terme, est de 19 par salarié dans les dépôts Presstalis et de 45 chez les indépendants . De ce point de vue, la baisse des charges de personnel entre 2013 et 2016 (49 M€) ne couvre pas la baisse du chiffre d'affaires (66,2 M€) et ce en dépit du plan social qui a conduit à une division par deux des effectifs.

b) Des barèmes qui ne semblent pas couvrir les coûts

Les barèmes adoptés par Presstalis, avec l'accord du CSMP, ont eu pour objectif de préserver, voire d'accroître ses parts de marché, dans un contexte de baisse généralisée du marché de la presse. Le chiffre d'affaires global diminue ainsi moins sur la période que la tendance. Le Président des MLP a pu indiquer devant la commission de la culture le 23 mai dernier que Presstalis avait « récupéré » des clients pour un montant global de 115 M€ 7 ( * ) .

En dépit de cette « course aux volumes », la rentabilité est toujours négative, signe d'une structure de coût initialement mal évaluée, ou d'une politique commerciale trop agressive . Cette question n'est d'ailleurs pas nouvelle, et identifiée de longue date par le Sénat. En 2011, David Assouline, rapporteur de la commission de la culture, notait déjà que « la principale organisation syndicale du secteur de la distribution a indiqué à votre rapporteur que la logique tarifaire jusqu'ici mise en oeuvre par Presstalis consistait à fidéliser les clients les plus importants en leur appliquant des barèmes en deçà du prix de revient, complètement déconnectés de la péréquation des coûts ».

Presstalis subit parallèlement un « effet de ciseau », fruit du contrat passé avec les dépositaires : la messagerie les rémunère en fonction du montant des ventes réalisées dans la zone du mandat, mais facture ses prestations aux éditeurs en « unité d'oeuvre », soit en fonction de la quantité de journaux et publications distribués . La hausse des prix pratiquée par les éditeurs a ainsi augmenté ses charges sans faire évoluer sa rémunération.

Cette différence de comptabilisation représente un coût de 5,7 M€ en 2016 et de près de 8 M€ en 2017 . Il convient de noter que les MLP ne pratiquent pas ce système.

Point positif, les remises sur le barème offertes à certains éditeurs jusqu'à début 2017 ont depuis lors été supprimés .

c) Des investissements hasardeux et des choix coûteux qui conduisent à une situation nette alarmante

Le résultat net consolidé du groupe est pour sa part constamment et lourdement négatif. Après un point « très bas » en 2013, à - 65,8 M€ conséquence du lancement du plan social, il s'établit à - 46,9 M€ en 2014, - 38,3 M€ en 2015 et - 48,8 M€ en 2016. Le déficit moins important de 2015 s'explique essentiellement par des cessions d'actifs pour 8 M€.

Il convient de souligner que Presstalis bénéficie d'une aide de l'État, d'un montant de 18,8 M€ par an avant les mesures prises et décrites plus bas , et de la péréquation versée par les MLP d'un montant de 4 M€ pour compenser le surcoût de la distribution des quotidiens.

Ces résultats constamment négatifs expliquent le creusement de la dette de la société , qui se traduit par des fonds propres négatifs à hauteur de 304 millions d'euros en 2016 et 358,8 M€ estimés en 2017

d) Le coût des plans sociaux

Le coût des plans sociaux, qui s'élève jusqu'à présent à plus de 150 M€ entre 2012 et 2016, pèse constamment sur les comptes, même si Presstalis a été accompagné par l'État, qui en a pris une partie à sa charge, et a consenti des prêts dont l'échéance de remboursement est sans cesse repoussée.

2. Des choix stratégiques questionnables

L'ancienne direction a cherché à répondre à la crise rencontrée par Presstalis en 2010. Ses choix stratégiques se sont cependant avérés hasardeux , n'ont pas connu le succès espéré et contribuent lourdement à la situation présente.

a) La refonte des systèmes d'information

L'une des principales critiques formulées à l'encontre de Presstalis est son système d'information ancien et défectueux . Il est pourtant central dans une industrie qui doit quotidiennement adapter les livraisons aux ventes, réapprovisionner les marchands et offrir aux éditeurs des données fiables sur les lieux de vente. Aujourd'hui, le système d'information de Presstalis fonctionne en partie sur une émulation du Minitel, technologie disparue depuis près de 20 ans.

La précédente direction avait bien identifié ce problème, et s'était lancée dans un très ambitieux plan de refonte. Les MLP y ont été associés, afin de disposer pour les éditeurs et les marchands d'un unique interlocuteur.

Le nouveau système informatique devait coûter 13,5 M€ pour sa mise en place et permettre de faire baisser les coûts d'exploitation de 21 M€ à 8,5 M€, soit une économie annuelle envisagée alors de 12,5 M€.

Finalement, le système aura coûté 32 M€, et n'aura pas été mis en place , soit, si on intègre l'absence d'économie, un coût de 58 M€ pour cet échec.

b) Une politique de diversification hasardeuse

La précédente direction avait fait de la diversification de son activité un axe fort de son développement. Elle a ainsi acheté plusieurs sociétés, et créé « Zeens » dans le numérique.

Ces acquisitions, réalisées pour un coût de 11,8 M€, ont toutes été des échecs, aujourd'hui comptabilisées à une valeur quasi nulle. Zeens n'a pour sa part jamais réellement répondu aux attentes

c) Une refonte de l'organisation logistique coûteuse

La précédente direction a fait le choix d'une industrialisation des plateformes logistiques et de la mise en place d'un niveau intermédiaire entre le niveau 1 et le niveau 2. Ce schéma a conduit à une organisation où les capacités ne sont utilisées qu'à 55 % .

Le coût de cette réorganisation a été de 15 M€, essentiellement comptabilisé en 2013. Contrairement aux prévisions, les coûts de distribution ont augmenté de trois points, à la charge des éditeurs, qui se voient facturés 11 % du prix de vente, contre 8 % précédemment.

Par ailleurs, le partage de la distribution avec les MLP, dit « décroisement des flux » (chaque messagerie étant responsable d'un territoire) n'a pas produit d'économies significatives et a en réalité plutôt profité aux MLP.

L'ensemble des investissements conclus par un échec s'élève en première analyse à 58,8 M€, auquel il faudrait ajouter le coût du plan social de 100 M€ sur cinq ans, soit un total supérieur à 158 M€ « perdus » .

3. Une situation financière très dégradée

La situation financière de Presstalis est très dégradée, avec un résultat net négatif de plus de 38,3 M€ en 2015 et 48,8 M€ en 2016. L'absence structurelle de trésorerie de Presstalis la contraint à recourir de manière de plus en plus affirmée à l'affacturage , solution coûteuse, et qui semble avoir trouvé ses limites avec un montant de créances concédées en constante progression, passant de 134 M€ en 2015 à 237 M€ en 2016, pour un coût de 7,3 M€ en 2017, 7,2 M€ en 2016, contre 2,3 M€ en 2015. A fin 2017, les lignes d'affacturage s'élèvent à 162,5m€ et l'encours de financement d'affacturage à 150,7M€.

De ce point de vue, la crise de décembre 2017 semble plus un problème de trésorerie qu'une dégradation brutale de l'activité , les facilités permises par l'affacturage et par la détention en permanence d'un flux de cash ayant manifestement atteint leurs limites.

4. Un plan de redressement à haut risque
a) Les soutiens des éditeurs et des pouvoirs publics

À la fin de l'année 2017, Presstalis a sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation . Conduite sous l'égide d'une conciliatrice désignée par le président du Tribunal de commerce, celle-ci a permis d'aboutir à la signature d'un protocole de conciliation entre Presstalis, ses coopératives (magazines et quotidiens) et l'État, qui a été homologué par le Tribunal de commerce de Paris le 14 mars 2018.

Le protocole s'appuie sur un plan de redressement du groupe Presstalis , qui a été proposé par ses dirigeants et validé par son Conseil d'administration. Ce plan prévoit notamment une diminution des coûts de fonctionnement de Presstalis et une restructuration de son activité, en particulier une réorganisation des dépositaires régionaux gérés par Presstalis. Les éditeurs ont été « invités » à participer.

Presstalis est aujourd'hui le seul bénéficiaire de 27,9 M€ d'aide en 2018 et 2019, dont 9 M€ en provenance du FSDP. Ce montant doit demeurer inchangé dans les années à venir. La société a par ailleurs bénéficié d'un prêt déblocable en plusieurs tranches du Fonds de développement économique et social (FDES) de 90 M€ .

Tous les éléments financiers, publics comme privés, ont donc été mobilisés pour permettre à la messagerie de poursuivre son activité.

La question de la compatibilité du plan d'aide avec le droit communautaire pourrait par ailleurs se poser.

b) Des incertitudes sur le chiffre d'affaires

Un plan social a d'ores et déjà été mené, qui a conduit à se séparer de 230 à 240 personnels, pour un montant d'économies de 20 M€. Il convient de saluer la responsabilité des employés et des syndicats qui, face à l'ampleur des risques, ont maintenu leurs exigences dans une épure raisonnable.

11 dépôts ont été vendus à des indépendants sur les 17 que possédait la société. La Présidente envisage de porter les économies à 60 M€ par an à compter de 2019.

Si la réduction des coûts paraît bien engagée, des incertitudes demeurent sur la progression, voire le maintien du chiffre d'affaires . Dans un contexte de baisse des ventes au numéro , de méfiance généralisée des éditeurs , de lutte avec les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) et de contraintes imposées par les règles en vigueur , il est difficile de structurer un réel développement commercial, seul à même de garantir l'avenir de la société. La question posée par la « quasi chute » de l'opérateur dominant pose la question du futur du développement de la presse. Doit-on encore croire en la presse « papier » ? Dans quels endroits faut-il la distribuer ? Comment améliorer la situation des vendeurs de presse, qui demeurent les grands oubliés ?

Presstalis va devoir faire face à des échéances importantes :

- à court terme , mener à bien le plan d'économies, en préservant un climat de paix sociale qui a singulièrement fait défaut jusqu'à présent ;

- à moyen terme , trouver les voies d'un développement commercial à même de freiner ou d'inverser la baisse continue des ventes ;

- à plus long terme , et tel est peut-être le principal défi, résoudre la question alarmante du « mur de dette » qui obère la capacité de projection de la société.

Les propositions ouvertes par le rapport « Schwartz » s'inscrivent dans ce contexte.


* 7 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20180521/cult.html#toc2

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