C. UNE RÉFORME DE L'AUDIOVISUEL DONT LE PÉRIMÈTRE ET L'AMBITION SE PRÉCISENT PAR PETITES TOUCHES

La réforme de l'audiovisuel public aujourd'hui en préparation concerne plusieurs aspects à la fois distincts et complémentaires. Le financement - à travers la CAP - doit être clarifié à l'aune des nouveaux usages, les structures pourraient être remises à plat afin de favoriser les mutualisations et la gouvernance mériterait d'être repensée afin d'alléger les tutelles et permettre de véritablement mettre en oeuvre une feuille de route définie par l'actionnaire.

1. Un calendrier de la réforme prévu pour aboutir début 2020

L'adoption de la révision de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) le 6 novembre 2018 par le Conseil des ministres européens - après que le Parlement européen l'a déjà fait - peut être considérée comme le lancement officiel de la préparation de la nouvelle loi audiovisuelle. Les États membres disposent maintenant de 21 mois pour transposer le texte dans leur législation nationale.

Or le Gouvernement a toujours indiqué que le projet de réforme de l'audiovisuel devrait comporter les dispositions permettant de transcrire en droit interne les dispositions de cette directive, notamment celles prévoyant l'application des règles du pays de destination en matière de financement de la création sur les plateformes de vidéo à la demande.

Interrogé par votre rapporteur pour avis, le directeur général des médias et des industries culturelles a indiqué que l'avant-projet de loi devrait être transmis au CSA en janvier, une fois le collège de celui-ci renouvelé 14 ( * ) . Il devrait ensuite soumis au Conseil d'État avant un examen en Conseil des ministres en mars ou avril. Dans cette hypothèse, les services du ministère de la culture envisagent la possibilité d'une première lecture à l'Assemblée nationale au printemps 2019.

En tout état de cause, le butoir pour l'adoption du texte serait fixé début 2020 afin de permettre aux nouvelles modalités de nomination des présidents de chaînes publiques de s'appliquer pour le renouvellement du mandat de la présidente de France Télévisions qui devrait intervenir au printemps 2020.

2. Un périmètre plutôt large pour le projet de loi qui reste à arbitrer

Le travail interministériel de rédaction du projet de loi a commencé et progresse bien selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis.

Les échanges menés avec la direction générale des médias et des industries culturelles a permis d'établir que le ministère avait retenu un périmètre assez large dans le cadre de ses travaux préparatoires .

Un premier pilier du projet de loi devrait ainsi concerner l'audiovisuel public et son organisation. La gouvernance est clairement mise en question avec l'examen des différents schémas d'organisation possibles (création d'un comité supérieur, d'une présidence commune ou d'un holding). La composition des conseils d'administration et leur mode de nomination devraient être modifiés.

Si le CSA devrait donc se voir retirer le pouvoir de nomination des présidents des entreprises de l'audiovisuel public afin de préserver sa neutralité dans l'exercice de ses fonctions de régulation il pourrait, par contre, voir son pouvoir de négociation avec les chaînes publiques renforcé.

Le projet de loi pourrait également concerner le rapprochement en cours entre France 3 et France Bleu.

Le deuxième pilier du projet de loi concernerait la création afin, notamment, de réduire les asymétries de régulation entre les différents acteurs (offres linéaires vs délinéarisées, acteurs français vs acteurs étrangers).

Ce chapitre devrait comprendre des dispositions relatives à la chronologie des médias qui seraient d'autant plus importantes qu'aucun accord n'aurait été trouvé d'ici là. Il comportera également des dispositions concernant les règles en matière de publicité.

Si le ministère n'exclut pas que le texte évoque la question de la rémunération du signal des chaînes privées en clair par les distributeurs et les fournisseurs de services de télévision par Internet, il considère possible que soient inclues des dispositions concernant la règlementation de la production audiovisuelle.

Comme attendu, ce chapitre devrait également comporter les dispositions relatives à la transcription en droit interne de la révision de la directive SMA 15 ( * ) .

Le troisième pilier du projet de loi devrait concerner la protection des publics et les nouvelles régulations afin notamment de renforcer les dispositifs permettant de lutter contre la promotion du terrorisme, les discours de haine et la diffusion de contenus pédopornographiques.

Ce chapitre devrait aussi permettre de clarifier les relations entre les différents régulateurs sans que des modalités précises soient arbitrées à ce stade. Un rapprochement entre le CSA et la HADOPI ne semble pas exclu afin de mettre l'accent contre le piratage mais l'adoption de dispositions permettant aux régulateurs de travailler de manière conjointe est également envisagée.

Ces premières indications recueillies par votre rapporteur pour avis sont plutôt de bonne augure, d'autant plus si l'on tient compte de l'expérience du nouveau ministre de la culture en matière audiovisuelle. En mettant les questions de gouvernance sur la table, les réflexions menées par le Gouvernement peuvent véritablement permettre de construire un avenir pour l'audiovisuel public. Pour autant, les arbitrages n'étant pas encore intervenu, il est trop tôt pour porter une appréciation sur la cohérence et la portée du texte qui sortira de ce travail interministériel.

3. Une « suspension » de l'indexation de la CAP en 2019

Les modalités d'établissement de la contribution à l'audiovisuel public sont déterminées par l'article 1605 du code général des impôts qui prévoit, en particulier, dans son premier paragraphe qu' « il est institué au profit des sociétés et de l'établissement public visés par les articles 44 ,45 et 49 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ainsi que de la société TV5 Monde une taxe dénommée contribution à l'audiovisuel public » .

Le troisième paragraphe de ce même article prévoit, dans sa version en vigueur, que « le montant de la contribution à l'audiovisuel public est de 139 € pour la France métropolitaine et de 89 € pour les départements d'outre-mer. Ce montant est indexé chaque année sur l'indice des prix à la consommation hors tabac , tel qu'il est prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée. Il est arrondi à l'euro le plus proche ; la fraction d'euro égale à 0,50 est comptée pour 1 » .

Ce sont ces modalités d'indexation qui sont remises en cause par l'article 35 du projet de loi de finances . Celui-ci prévoit que « par dérogation au dernier alinéa du III de l'article 1605 du code général des impôts, en 2019, le montant de la contribution à l'audiovisuel public n'est pas indexé sur l'indice des prix à la consommation hors tabac » .

Cette suspension de l'indexation est provisoire puisque l'article 35 du PLF ne mentionne que l'année 2019 . En théorie l'indexation prévue par l'article 1605 du code général des impôts s'appliquera donc à nouveau l'année prochaine. On peut toutefois nourrir des doutes à ce sujet car le programme de baisse des crédits prévu par le Gouvernement s'inscrit dans la durée et, compte tenu du dynamisme du produit de la CAP, il n'est pas acquis qu'une hausse du tarif de la redevance soit nécessaire en 2020. En outre, il apparaît clairement dans l'exposé des motifs de l'article 35 que la stabilisation du montant de la CAP est considérée de manière positive. La réduction des dépenses devant se poursuivre et le produit de la CAP étant amené à continuer à croître du fait des « effets d'assiette notamment liés au facteur démographique, partiellement contrebalancé par le "déséquipement" en téléviseurs » , il y a tout lieu de penser que la désindexation pourrait être reconduite.

Votre rapporteur pour avis rappelle, enfin, que le débat sur le bienfondé des modalités actuelles de l'indexation de la CAP a été relancé l'année dernière suite à la réalisation d'un rapport de la Cour des comptes. Dans ce rapport qui n'a pas été publié mais dont votre rapporteur avait obtenu copie, la Cour des comptes rappelle en effet que le montant de la CAP a évolué significativement à la hausse depuis 2009 sous le double effet de l'indexation assortie de règles d'arrondi favorables et de « coups de pouce » décidés par le Gouvernement. La Cour des comptes estime ainsi que « ces deux mécanismes, indexation et arrondis, ont produit un phénomène de surindexation de la CAP » . En particulier, l'inflation réelle entre 2007 et 2016 a été inférieure à l'inflation prévisionnelle du projet de loi de finances à six reprises sur dix ans.

La Cour des comptes en conclut qu' « en se fondant sur l'inflation réelle, la CAP en 2016 n'aurait dû être que de 124 euros, et non pas les 137 euros atteints grâce au cumul de la surindexation et des mesures "coup de pouce" » . Cette approche très favorable du calcul du montant de la redevance a permis - ajoute la Cour - de dégager, entre 2009 et 2016, un montant cumulé de ressources supplémentaires pour l'audiovisuel compris approximativement entre 1,2 et 1,3 milliard d'euros . Au final, il convient d'observer que le montant de la CAP a augmenté de 18 % de 2009 à 2016 alors que l'inflation n'a progressé que de 8 % sur cette période.

Le Gouvernement a souhaité, à l'évidence, mettre un terme à cette évolution mécanique en suspendant l'indexation dans ses modalités actuelles. Compte tenu du niveau élevé de l'inflation en 2018 qui devrait se rapprocher de 2 % cela signifie que la désindexation équivaut à une baisse de la ressource en termes réels d'environ 2 %, ce qui est considérable. Votre rapporteur pour avis considère que le mécanisme d'indexation pourrait être modifié afin d'inclure une clause de sauvegarde qui permettrait de s'assurer que la prévision d'inflation ex ante sur laquelle est établie l'indexation n'est pas démentie par le taux d'inflation réalisé.

4. Une réforme de la CAP qui pourrait attendre 2021

Votre rapporteur pour avis explique depuis plusieurs années que l'évolution des usages de la télévision, qui favorise le visionnage de contenus sur des tablettes et des smartphones, constitue une menace sérieuse pour le rendement de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), qui repose exclusivement sur la possession d'un téléviseur.

Il y a plusieurs années, le taux de possession d'un téléviseur a commencé à baisser d'un point par an. La poursuite de cette tendance constitue donc une menace certaine pour le financement des sociétés de l'audiovisuel public dans les années à venir. Seuls le dynamisme démographique et l'augmentation du nombre de foyers du fait des « décohabitations » expliquent aujourd'hui l'accroissement du rendement de la CAP.

Face au risque d'amoindrissement des ressources de l'audiovisuel public qu'occasionnerait une baisse du rendement de la CAP, une réforme de cette contribution est donc devenue nécessaire.

Votre rapporteur pour avis estime, pour sa part, que la réforme à mener doit partir du principe que chacun a aujourd'hui accès, d'une manière ou d'une autre, aux programmes de l'audiovisuel public que ce soit à travers un récepteur de télévision traditionnel, un poste de radio, un ordinateur, une tablette ou un smartphone . En partant de ce principe, votre rapporteur pour avis a proposé, dès 2015, de substituer à la redevance qui repose sur la détention d'un matériel physique une taxe applicable à tous les foyers comme cela se pratique en Allemagne et en Suisse.

Afin de rendre la réforme de la CAP la plus acceptable possible, votre rapporteur pour avis avait proposé, en 2017, que cette réforme intervienne en début de quinquennat, lorsque les échéances électorales sont lointaines et que la volonté d'agir est à son sommet. Il avait également formé le voeu que cette réforme respecte un principe de neutralité , l'élargissement de l'assiette facteur de hausse du produit étant compensée par une baisse du tarif de 4 ou 5 euros qui profiterait à la grande majorité des foyers aujourd'hui assujettis . Un tel ajustement permettrait de moderniser la CAP pour l'avenir sans donner le sentiment qu'un surcroît de recettes viendrait amoindrir les réformes à conduire dans chacune des entreprises de l'audiovisuel public.

Une réforme « à l'allemande » de la CAP recueille aujourd'hui l'assentiment de nombreux intervenants que ce soit au sein des entreprises de l'audiovisuel public ou à l'Assemblée nationale. Dans leur récent rapport 16 ( * ) , Pierre-Yves Bournazel et Aurore Bergé ont suggéré (proposition n° 14) « universaliser l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public, par le biais d'une contribution forfaitaire par foyer, tout en maintenant son montant et en étendant aux nouvelles personnes assujetties à son paiement les exonérations sous conditions de ressource » . La proposition des deux députés de maintenir le niveau de CAP est justifiée par une autre proposition (n° 15) de suppression de la publicité sur Radio France et France 5.

Même si votre rapporteur pour avis préférerait que le produit de la TOCE soit consacré à compenser la suppression de la totalité de la publicité sur les chaînes du service public, il ne peut que saluer la direction prise par ce rapport en faveur d'un allègement de la présence de la publicité sur les antennes publiques. À défaut d'une suppression totale, une suppression par étape pourrait en effet constituer une méthode possible qui ne saurait être négligée compte tenu des enjeux budgétaires de la réforme.

Votre rapporteur pour avis se réjouit que le rapport de l'Assemblée nationale établisse bien un lien entre la réforme du financement de l'audiovisuel public et la qualité des programmes de ce dernier qui dépend aussi de la place accordée à la publicité sur ses antennes. Les deux aspects sont en effet indissociables ce qui justifie de mener une réforme systémique.

Les recommandations rejoignent d'ailleurs les propositions faites il y a maintenant trois ans dans le cadre des travaux menés avec notre collègue André Gattolin qui plaidaient pour une réforme de la CAP « l'allemande », la suppression de la publicité sur le service public, le développement d'une production audiovisuelle dépendante pourvoyeuse de droits et une réforme de la gouvernance.

Si cette réforme systémique apparaît toujours aussi nécessaire, on perçoit la tentation, au sein du Gouvernement, de dissocier le rythme de la réforme de l'audiovisuel en 2019 de celle de la CAP, qui pourrait être reportée à 2021. Lors du débat à l'Assemblée nationale, le ministre de la culture, Franck Riester a ainsi plaidé pour que le Gouvernement dispose de suffisamment de temps pour préparer la réforme de la CAP en indiquant par ailleurs que le produit de cette contribution resterait dynamique jusqu'en 2021. La DGMIC a également indiqué à votre rapporteur pour avis qu'il n'y avait pas d'urgence à réformer la CAP, son produit étant garanti dans les prochaines années. Par ailleurs, selon le directeur général des médias et des industries culturelles « l'agenda fiscal est déjà chargé, les dépenses baissent donc il n'y a pas de problème de financement » . Martin Ajdari a également indiqué à votre rapporteur pour avis que c'est la suppression de la taxe d'habitation en 2021 qui obligerait à modifier la CAP et que cette réforme ne figurerait pas dans le projet de loi de réforme de l'audiovisuel.

Un rapport sur la réforme de la CAP adopté par l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement

L'Assemblée nationale a adopté le 31 octobre dernier, à l'issue de l'examen des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », un amendement de la rapporteure spéciale de la commission des finances, Marie-Ange Magne, ayant pour objet de demander un rapport au Gouvernement sur la réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), qui devra être remis au Parlement avant le 1 er juin 2019.

La rapporteure spéciale de la commission des finances a indiqué à cette occasion que « deux raisons incitent en effet à une inscription de cette réforme dans le prochain projet de loi de finances : d'une part, la suppression complète de la taxe d'habitation annoncée par le Président de la République au plus tard pour 2021 conduira à la disparition du vecteur de recouvrement de la CAP ; d'autre part, la transformation des modes de consommation - je pense aux contribuables qui consomment par voie numérique les contenus audiovisuels proposés - crée un problème d'équité. Il s'agit ainsi d'engager suffisamment en amont les réflexions nécessaires à l'inscription de cette réforme dans le PLF pour 2020 » .

À l'occasion du débat, le ministre de la culture, Franck Riester, a indiqué que le rendement de la CAP « est très dynamique, comme le montrent les prévisions pour 2019, et est assuré jusqu'en 2021, année de la suppression définitive de la taxe d'habitation. Nous avons donc le temps d'anticiper la substitution de cette redevance » . Le ministre a indiqué ensuite que le Gouvernement avait besoin de temps pour conduire une réflexion interministérielle et que, dans ces conditions, « la remise d'un rapport ne (...) semble donc pas la meilleure façon de procéder » .

Le débat a donc montré une différence d'approche très nette entre le Gouvernement qui estime qu'il n'y a pas d'urgence à réformer la CAP avant 2021 et les députés qui ont évoqué la nécessité d'anticiper les évolutions à venir dès 2019 et 2020. La demande de rapport a ainsi été adoptée contre l'avis du Gouvernement.

Source : débats Assemblée nationale

Votre rapporteur pour avis comprend les interrogations que peut avoir le Gouvernement sur la création d'une nouvelle taxe universelle à un moment où l'attention des Français est déjà mobilisée par la hausse des taxes de toutes sortes. Il est d'ailleurs assez habituel pour un Gouvernement de se poser ce type de questions comme l'illustrent les annonces faites en 2014 de réforme de la CAP qui n'ont pas été suivies d'effet pour les mêmes raisons de prudence.

Pour autant votre rapporteur pour avis observe qu'il est peu probable que la situation en 2021 se révèle plus favorable à une réforme fiscale de ce type . En outre, il convient de rappeler que l'expérience des États-Unis a montré que le décrochage du produit de la redevance pouvait être très brutal lorsque se développe l'adoption de nouveaux comportements comme le recours à des techniques permettant de visionner des programmes directement sur Internet (« over the top ») sans passer par les boxes des opérateurs et donc potentiellement sans poste de télévision.


* 14 Un nouveau président du CSA doit être nommé en janvier 2019 ainsi que deux nouveaux membres.

* 15 Outre l'obligation pour les plateformes de vidéo à la demande par abonnement de proposer un minimum de 30 % d'oeuvres européennes on peut rappeler que le texte prévoit de nouvelles règles sur la publicité afin notamment de réduire l'exposition des enfants à la publicité relative aux boissons et aliments dommageables pour la santé. Un mécanisme de protection des données personnelles pour les enfants est également prévu. Votre rapporteur pour avis ne sait toutefois pas lesquelles de ces mesures nécessiteront une transcription de niveau législatif.

* 16 « 40 propositions pour une nouvelle régulation audiovisuelle », rapport d'information n° 1292 de la commission des affaires culturelles (octobre 2018).

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