C. UN RAPPROCHEMNT ENTRE FRANCE 3 ET FRANCE BLEU QUI PRÉFIGURE LES SYNERGIES POTENTIELLES D'UN REGROUPEMENT PLUS VASTE DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC

1. Une remise à plat salutaire de la méthode, des objectifs et du calendrier

La réalisation de matinales communes sur France 3 et France Bleu a été présentée, dès le début, comme la manifestation la plus emblématique du rapprochement envisagé entre les deux sociétés. Les premières matinales devaient être présentées à l'antenne dès septembre 2018. Or, compte tenu des difficultés rencontrées, cette échéance n'a pas pu être respectée.

On ne peut que s'interroger sur le décalage entre les annonces qui ont été faites par la ministre de la culture au printemps dernier et le report des échéances à l'automne. Un grain de sable semble s'être introduit dans la mécanique alors que les dirigeants des deux entreprises envisageaient de rééditer le succès de la création de Franceinfo en quelques mois en 2016.

C'est peut-être précisément cette comparaison entre information nationale et locale qui est à l'origine du malentendu. Si l'information nationale peut être traitée de manière semblable à la radio et à la télévision, il apparaît qu'il en est autrement de l'information locale .

Un dirigeant d'une antenne de France Bleu expliquait ainsi il y a peu à votre rapporteur pour avis que ce n'était pas un hasard que les deux expérimentations avaient lieu dans deux territoires où les audiences de France Bleu étaient faibles afin de limiter les risques car il était apparu très difficile aux yeux de nombreux professionnels de réaliser ces matinales communes compte tenu du trop grand nombre de contraintes.

Dans la réalité, il apparaît en effet difficile d'illustrer avec des images les très nombreux « papiers » réalisés par la radio. En outre, les intérêts des auditeurs et des téléspectateurs le matin ne sont pas les mêmes. Alors que les premiers sont par exemple très demandeurs d'informations sur le trafic routier, les seconds ont des attentes différentes qui rendent délicat l'établissement d'une ligne éditoriale commune.

Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis s'interroge sur le choix qui a été fait de donner la priorité à la création de matinales communes. Une autre stratégie aurait pu consister à privilégier le numérique en créant des plateformes régionales numériques uniques rassemblant les moyens des deux sociétés. Ces plateformes pourraient être alimentées soit par des contenus communs (des interviews, des reportages, des services relatifs à la météo ou au trafic routier) soit par des contenus propres à chaque antenne.

Il semble aujourd'hui que si cette voie n'a pas été retenue c'est d'abord pour préserver l'identité de chacune des entreprises, une plateforme commune pouvant amener la nécessité d'une marque commune comme cela s'est révélé utile pour Franceinfo . Faute d'avoir pu imposer cette évolution, le projet de rapprochement entre France 3 et France Bleu a dû être remis à plat tant en ce qui concerne la méthode que les objectifs et le calendrier.

Alors que la situation semblait compromise avant l'été, le projet a clairement été relancé ces dernières semaines avec des équipes en partie renouvelées, notamment chez France Bleu . Un calendrier a été redéfini. Deux matinales expérimentales seront lancées le 7 janvier prochain à Nice et Toulouse. Ces territoires ont été choisis parce qu'ils permettent de concilier les périmètres de France 3 et France Bleu. Des pilotes seront tournés mi-décembre afin de caler le dispositif.

Le concept a également été précisé, il s'agira d'abord pour France 3 de récupérer le signal radio de France Bleu et de l'habiller avec des images. L'identité de France Bleu ne doit pas être menacée . Le projet vise à s'inspirer très précisément des expériences de radio filmée qui réussissent en Belgique et au Canada. L'évaluation de cette expérience aura lieu au printemps 2019 tant sur le plan éditorial que financier . D'autres projets d'émissions communes sont également en chantier. Notamment une émission politique mensuelle de 52 minutes et des journées thématiques communes.

Votre rapporteur pour avis ne peut que saluer la réorientation du projet de rapprochement qui, en se donnant du temps et en commençant par deux expérimentations sur des territoires « homothétiques », permet de maximiser les chances de succès.

État d'avancement du projet

2. Des ambiguïtés à lever sur le sens du projet pour réussir le rapprochement durable des deux réseaux

Si le rapprochement entre France 3 et France Bleu a pris du retard et avance aujourd'hui à pas comptés, c'est d'abord parce que les objectifs n'ont pas été clairement définis par l'actionnaire et que le projet a mis du temps à se dessiner au-delà de l'ambition de créer un média global territorial.

La principale ambiguïté tient sans doute au fait que le rapprochement entre France 3 et France Bleu a d'abord été initié avec l'idée de faire des économies. Or, compte tenu des coûts induits par l'augmentation des programmes locaux et des ajustements techniques, il n'y aura pas d'économies massives même si l'évolution des méthodes de travail peut permettre des gains de productivité importants . L'évolution du modèle de production devrait également favoriser une meilleure diffusion des programmes sur tous les supports. Par ailleurs, des économies sont aussi envisagées à travers des rapprochements immobiliers comme à Rennes.

Cette ambiguïté sur l'objectif final a été très vite perçue par les personnels qui savent que le développement des programmes locaux n'est pas la meilleure façon de faire des économies, bien au contraire . Au-delà de l'ambition portée par les dirigeants nationaux de France Télévisions et de Radio France sur le « média global », les responsables locaux ont souvent eu du mal à donner du sens au projet faute de vision sur les moyens réellement disponibles et de marges de manoeuvre pour inventer un nouveau modèle.

En ce sens, la remise à plat du projet avec le choix de se donner plus de temps pour tester un nouveau concept se sont avérés judicieux et il conviendra de tirer les conclusions de cette expérimentation avant d'envisager une extension. Votre rapporteur pour avis observe que les dirigeants 10 ( * ) de France 3 et de France Bleu qu'il a, à nouveau, rencontrés le 14 novembre dernier semblaient particulièrement confiants dans leur capacité à réussir ces expérimentations compte tenu des précautions prises pour les conduire.

La seconde ambiguïté concerne le numérique qui est présenté comme le fondement de la nouvelle offre qui doit être élaborée . Avant l'été, lorsque le projet de matinales communes apparaissait compromis, les syndicats avaient indiqué qu'il aurait mieux valu commencer par créer des plateformes numériques communes. Le numérique constitue l'avenir de l'audiovisuel public régional, sans doute davantage que la création de chaînes de télévision locales de plein exercice qui sont très coûteuses.

Or, l'expérience de Franceinfo l'a montrée, pour s'imposer face à la concurrence, rien ne vaut une marque commune qui permet à l'utilisateur de prendre connaissance des contenus produits en commun sur l'ensemble des supports . Les bonnes performances de la radio France Info sont, à cet égard, nourries par la plateforme numérique Franceinfo selon la direction de Radio France.

On en peut que s'étonner, dans ces conditions, que les deux réseaux France 3 et France Bleu n'aient pas mis en chantier la création de plateformes communes numériques locales bénéficiant d'une marque unique . Il n'a pas échappé à votre rapporteur pour avis que les préventions sur ce sujet semblent plus fortes du côté de France Bleu que de France 3 sans doute du fait du rôle de la marque « France Bleu » dans l'identité de Radio France. Une façon efficace de dépasser cette réticence pourrait être de faire de « France Bleu » la marque commune des programmes du service public aux niveaux régional et local tant à la radio, que sur les antennes de France 3 et sur le numérique . Une alternative évoquée au sein de France Télévisions pourrait consister à utiliser la marque Franceinfo qui bénéficie déjà d'une forte légitimité mais qui présenterait l'inconvénient de ne pas distinguer le national du local.

La collaboration entre les deux entreprises sur le terrain est également compliquée par leurs différences d'organisation et de moyens. France 3 dispose le plus souvent de moyens importants dans ses sièges régionaux tandis que ses équipes sont beaucoup plus légères sur le terrain. Le maillage plus serré de France Bleu ne permet pas de constituer des « binômes » équilibrés qui pourraient dialoguer efficacement.

Il en est de même au niveau des directions qui ne recouvrent pas les mêmes territoires et ne peuvent donc pas se coordonner efficacement. Votre rapporteur pour avis a été alerté sur les difficultés propres à l'absence de référent France Bleu au niveau régional alors que cet échelon constitue le niveau d'organisation de France 3 . Afin de pouvoir conduire des actions communes, il s'interroge donc sur l'utilité qu'il pourrait y avoir à désigner des directeurs/référents régionaux de France Bleu 11 ( * ) qui auraient la possibilité de conduire des projets avec leurs homologues de France 3. Même si le comité de pilotage national joue un rôle fondamental pour mettre en oeuvre le rapprochement, le déploiement des initiatives à l'issue de la phase d'expérimentation nécessitera une déconcentration des décisions qui implique une responsabilisation des responsables locaux.

3. Un rapprochement de France 3 et de France Bleu à inscrire dans la convergence attendue entre France Télévisions et Radio France

Le rapprochement engagé entre France 3 et France Bleu en l'absence de toute gouvernance commune devait montrer aux yeux des défenseurs du statu quo institutionnel qu'il était possible de transformer le service public de l'audiovisuel sans toucher à ses structures.

Les difficultés rencontrées aujourd'hui auraient plutôt tendance à démontrer l'inverse. Faute d'avoir opté pour la création d'une véritable marque nouvelle au niveau local associant le numérique, la radio et la télévision, les expérimentations ont mis du temps à être lancées et elles suscitent de nombreuses interrogations de la part des personnels. Les différences dans l'organisation locale de chaque entreprise rendent également difficiles les négociations entre les responsables des deux réseaux.

Certes un comité de pilotage a été créé qui a identifié deux territoires pour des expérimentations et, surtout, un projet éditorial a été élaboré. Mais on ne peut oublier que le nouveau calendrier accuse un retard d'un an par rapport au projet initial qui prévoyait au printemps la création de matinales communes en septembre 2018 et que les expérimentations ne permettront pas de répondre aux interrogations suscitées par le projet de matinales communes dans les territoires où plusieurs antennes de France Bleu cohabitent avec une seule direction régionale de France 3.

A la question de la différence de réseaux s'ajoute celle de la différence des statuts . Comment faire travailler côte à côte, dans la durée, des personnels avec des statuts et des conditions de travail dissemblables ? Les représentants du personnel alertent sur le fait que les rémunérations peuvent varier très sensiblement entre les salariés de France 3 et ceux de France Bleu. Ces différences sont susceptibles de compliquer significativement un rapprochement dans la durée du fait des revendications qui ne manqueront pas d'émerger en faveur d'une convergence des conditions statutaires. Un impact négatif sur le climat social ne peut être exclu.

Dans ces conditions, le rapprochement entre France 3 et France Bleu pose aussi la question des relations futures entre France Télévisions et Radio France. Les deux réseaux réfléchissent déjà à la création d'un GIE de moyens qui pourrait constituer une première étape. Mais ne faut-il pas déjà voir plus loin et envisager la création d'une filiale commune entre les deux groupes publics ? Un rapprochement des conditions de travail pourrait également constituer un objectif de long terme dans l'hypothèse où le rapprochement des entreprises publiques serait décidé en 2019.

Au final, votre rapporteur pour avis considère que si le rapprochement entre France 3 et France Bleu a connu un démarrage difficile, le pragmatisme comme l'enthousiasme des équipes ont sans doute permis de dépasser les réflexes de repli et les obstacles techniques. Les personnels, comme les responsables, ont pris conscience de la puissance cumulée des deux médias et de la nécessité d'accélérer sur Internet. Le projet avance donc, votre rapporteur pour avis s'en félicite mais tous les obstacles ne sont pas levés et le travail est encore considérable pour créer véritablement un « média global » local de service public.

Une évaluation des expérimentations étant prévue au printemps 2019 il serait légitime pour le Sénat de ce saisir à nouveau de ce sujet au second semestre 2019 au moment où le projet de loi de réforme de l'audiovisuel devrait arriver devant votre commission de la culture.

Les principales conclusions de votre rapporteur pour avis sur le rapprochement entre France 3 et France Bleu

1- Le rapprochement entre France 3 et France Bleu pour créer un « média global » local est à la fois possible et nécessaire . Il doit s'appuyer sur l'expérience du réseau ultramarin qui propose déjà une offre « trimédias » ainsi que sur la réussite des expériences belge et canadienne. Cette nouvelle offre implique une évolution des méthodes de travail afin de produire davantage de programmes pour tous les supports.

2- Le développement d'une offre d'information commune à France 3 et France Bleu doit être articulé avec l'inversion du modèle de France 3 afin d'accorder plus de place à l'information locale , l'information nationale gardant toute son importance sur France 2 et Franceinfo.

3- La priorité accordée aux programmes locaux de France 3 doit être conciliée avec le respect des engagements en termes de création audiovisuelle . La suppression de la diffusion hertzienne de France 4 pose, en outre, la question de l'accès à l'animation sur les chaînes publiques.

4- La création d'un véritable « média global » nécessite la mise en place de plateformes régionales communes à France 3 et France Bleu bénéficiant d'une marque unique et ayant pour objectif de devenir le média de référence de chaque territoire.

5-La priorité à accorder au numérique justifie une certaine prudence dans le développement des chaînes locales de plein exercice . Un bilan du projet NoA en Nouvelle-Aquitaine devra être réalisé pour déterminer les évolutions possibles pour les déclinaisons de France 3 et les nouvelles chaînes en régions (NoA) en évitant les doublons.

6-Le développement d'une nouvelle offre de service public doit privilégier la qualité éditoriale et la proximité . La recherche d'économies à travers des gains de productivité et des mutualisations doit permettre de financer l'accroissement des programmes.

7-La régionalisation de France 3 pourrait s'accompagner d'une politique volontariste pour développer les écosystèmes locaux de production audiovisuelle , en particulier dans le documentaire.

8- Le maillage de France Bleu doit être préservé et complété là où cela est possible pour favoriser la proximité et satisfaire le principe d'égalité d'accès à l'audiovisuel public.

9- Le regroupement des structures immobilières des deux réseaux doit être engagé dès lors qu'il permet de faire des économies . Un plan de regroupement progressif tenant compte des spécificités des implantations (échéance des baux et obsolescence des équipements techniques) est nécessaire.

10- La réussite du rapprochement entre France 3 et France Bleu serait facilitée par l'établissement de gouvernances régionale et locale communes associant les responsables des deux réseaux . La création d'un cadre commun devra permettre de concilier l'agilité de l'organisation, la maîtrise des coûts et la capacité opérationnelle des équipes à travailler ensemble.

11-La régionalisation de France 3 implique de prévoir dans la loi que toutes les locales de France 3 soient accessibles sur les boxes et que les boxes des opérateurs de télécommunications soient géolocalisées afin de permettre à chaque téléspectateur d'accéder par défaut sur la touche 3 à son programme régional et local.

12-Le bilan de l'expérimentation des coopérations entre France 3 et France Bleu devra faire l'objet en 2019 d'un débat devant le Sénat , assemblée représentant les territoires.


* 10 Votre rapporteur pour avis a eu une nouvelle réunion de travail le 14 novembre avec Guy Lagache, directeur délégué aux antennes et à la stratégie éditoriale de Radio France, Jean-Emmanuel Casalta, directeur de France Bleu, Olivier Montels, directeur des antennes et des programmes régionaux de France 3 et Germain Dagognet, directeur du projet de régionalisation de France 3.

* 11 Pour ne pas multiplier les niveaux hiérarchiques, la fonction de directeur régional de France Bleu pourrait échoir à un directeur d'antenne locale de France Bleu de la région concernée qui cumulerait ainsi les deux fonctions.

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