N° 151

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 novembre 2018

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , pour 2019 ,

TOME IV

Fascicule 1

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES :

AUDIOVISUEL ET AVANCES À L'AUDIOVISUEL PUBLIC

Par M. Jean-Pierre LELEUX,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; M. Max Brisson, Mme Catherine Dumas, MM. Jacques Grosperrin, Antoine Karam, Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Pierre Leleux, Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot, M. Pierre Ouzoulias, Mme Sylvie Robert , vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Claude Kern, Mme Claudine Lepage, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, David Assouline, Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Céline Boulay-Espéronnier, Marie-Thérèse Bruguière, Céline Brulin, M. Joseph Castelli, Mmes Laure Darcos, Nicole Duranton, M. André Gattolin, Mme Samia Ghali, MM. Abdallah Hassani, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Laurent Lafon, Michel Laugier, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Claude Malhuret, Christian Manable, Jean-Marie Mizzon, Mme Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Stéphane Piednoir, Mme Sonia de la Provôté, MM. Damien Regnard, Bruno Retailleau, Jean-Yves Roux, Alain Schmitz, Mme Dominique Vérien .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 1255 , 1285 , 1288 , 1302 à 1307 , 1357 et T.A. 189

Sénat : 146 et 147 à 153 (2018-2019)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les crédits consacrés à l'audiovisuel public dans le projet de loi de finances pour 2019 s'inscrivent dans un double contexte :

- le développement des nouveaux usages et le développement des plateformes numériques de vidéos à la demande par abonnement . Chaque mois, près de 100 000 Français rejoignent la plateforme Netflix pour un prix mensuel qui varie entre 7,99 € et 13,99 € selon la qualité d'image souhaitée et le nombre d'écrans simultanés 1 ( * ) . Par ailleurs de nouveaux acteurs préparent leur arrivée sur le marché de la vidéo à la demande par abonnement (Disney, Apple, HBO...) ce qui devrait confirmer une relative désaffection pour la télévision linéaire qui est maintenant perceptible ;

- les incertitudes apparues en 2018 sur les intentions du Gouvernement en matière d'audiovisuel . Après les déclarations tonitruantes prêtées au chef de l'État en décembre 2017, tout laissait penser que 2018 serait l'année de la réforme de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication 1986. Au lieu de cela, le projet de loi de finances pour 2018 a mis en oeuvre une politique de réduction des moyens qui se poursuivra en 2019 sans véritablement initier de changements. Les négociations sur la chronologie des médias ont patiné jusqu'à la nomination récente de Franck Riester au ministère de la culture.

Le budget de l'audiovisuel public pour 2019 apparaît donc comme un budget de transition qui porte davantage la marque de Bercy que du nouveau ministre de la culture . Il taille dans les dépenses de chaque société de l'audiovisuel public sans faire de distinction entre les entreprises qui disposent d'importantes marges d'économies à travers des réorganisations et celles qui devront contraindre leur développement alors même qu'elles ont déjà accompli un travail de remise en ordre.

Ce budget de transition est donc également un budget d'attente . Il laisse ouvertes des décisions fondamentales qui restent à prendre concernant, par exemple, la place de la publicité sur les chaînes publiques, l'avenir de la contribution à l'audiovisuel public, le financement du chantier de Radio France comme l'influence de la France dans le monde qui souffre d'une concurrence effrénée des autres puissances, en particulier en Afrique.

En somme, ce budget de transition participe, à sa façon, à figer le paysage de l'audiovisuel public au moment où ses concurrents accélèrent . Le ministère de la culture semble assumer aujourd'hui la nécessité d'une décroissance de la taille du secteur de l'audiovisuel public afin de tenir compte de la très forte hausse de l'offre de contenus privés.

C'est un débat qui mérite d'être ouvert. Afin de renforcer l'offre publique au niveau local par exemple, il faut sans doute accepter de réduire la voilure au niveau national. Mais ces choix forts ne peuvent être réalisés uniquement par voie budgétaire en exigeant la suppression de chaînes comme France 4 et France Ô sans véritablement connaître les conséquences de ces choix sur les publics concernés.

Votre rapporteur pour avis regrettait déjà l'année dernière 2 ( * ) que « l'annonce d'une réduction des moyens de l'audiovisuel public en 2018 [ faisait ] suite à plusieurs années de déficit de vision de l'État-actionnaire pour ce secteur » et il souhaitait que « l'effort budgétaire demandé en 2018 constitue seulement un ajustement préalable à une remise à plat du secteur de l'audiovisuel » .

Votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication explique, depuis plusieurs années, qu'il est urgent de remettre à plat la loi du 30 septembre 1986 pour rétablir un écosystème attractif pour les médias français . Intervenant en clôture d'un colloque consacré à l'avenir de l'audiovisuel public le 12 juillet dernier, la présidente de votre commission, Catherine Morin-Desailly, a indiqué qu'il était « grand temps de prendre la mesure de la menace mortelle qui pèse sur nos médias et sur notre offre culturelle » . Évoquant la loi de 1986, elle a mis en garde contre les tentations de « replâtrage » en déclarant qu'il était « temps de l'abroger pour construire une nouvelle réglementation plus adaptée au monde numérique, qui ne pénalise pas les acteurs français, tant privés que publics » 3 ( * ) .

Votre rapporteur pour avis plaide depuis longtemps 4 ( * ) pour qu'une réforme systémique du secteur de l'audiovisuel soit engagée qui prenne appui sur l'audiovisuel public . Les entreprises de l'audiovisuel public par leur taille, la qualité de leurs programmes et le savoir-faire de leurs personnels constituent en effet la pierre angulaire du secteur audiovisuel français et leur fragilisation représente une menace considérable pour l'avenir de la filière.

Ce sentiment est très largement partagé par les différents acteurs. Auditionné par votre commission de la culture le 27 juin dernier, Maxime Saada, président du directoire de Canal Plus, n'a pas hésité à indiquer que, si rien n'était fait « dans deux ans, la création française aura disparu » .

Une course de vitesse est donc engagée entre les acteurs historiques et les nouvelles plateformes et force est de constater que les premiers ne l'abordent pas de la meilleure façon compte tenu du report régulier de la réforme annoncée . Attendue depuis 2013 puis finalement abandonnée par la précédente majorité, la réforme de l'audiovisuel a été remise à l'ordre du jour par le Gouvernement issu des scrutins de 2017. Prévue pour le tout début 2018, le projet de loi devrait, selon le ministère de la Culture, être examiné en Conseil des ministres au début du printemps 2019 pour une adoption finale à la fin de l'année 2019 ou au tout début 2020.

Si ce retard est regrettable, c'est qu'il constitue une source d'incertitude pour des acteurs qui sont dans l'obligation de se réorganiser profondément et attendent des autorités publiques qu'elles déterminent les règles qui constitueront l'écosystème de leur transformation . Il reste à espérer que le temps perdu aura au moins permis de prendre l'exacte mesure des changements à engager. C'est le voeu que forme votre rapporteur pour avis et cet espoir semble aujourd'hui justifié tant par les convictions anciennes en faveur d'une réforme profonde du nouveau ministre de la Culture que par le fait que les travaux préparatoires du projet de loi semblent aborder l'ensemble des problématiques sans exclure a priori des évolutions audacieuses à l'image de celles promues par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

Compte tenu de ces réserves, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à l'audiovisuel public de la mission « Médias, livre et industries culturelles » tels qu'ils figurent dans le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » du projet de loi de loi de finances pour 2019. Elle a également donné un avis favorable à l'adoption de l'article 35 du PLF qui suspend l'indexation de la CAP en 2019.

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* *

Les chiffres clé du PLF 2019 concernant l'audiovisuel public

Les crédits alloués à l'audiovisuel public en 2019 continuent à baisser. Après avoir augmenté de 100 millions d'euros sur la période 2015-2017 puis baissé de 36,7 millions d'euros en 2018, ils baisseront à nouveau de 36,1 millions d'euros en 2019 pour retrouver un niveau légèrement inférieur à celui de 2016 en euros courants hors taxes . Le Gouvernement a par ailleurs fixé un objectif de 190 millions d'euros d'économies d'ici 2022 et a demandé aux sociétés de l'audiovisuel public d'augmenter leurs investissements dans le numérique de 150 millions d'euros ce qui accroît d'autant l'effort demandé.

Les crédits prévus par le PLF 2019 pour le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » s'élèveront ainsi à 3 780,2 millions d'euros HT dans le PLF 2019 (3 859,6 millions d'euros TTC) contre 3 816,3 millions d'euros HT en loi de finances initiale pour 2018.

Cette évolution s'explique d'une part par la suppression de l'affectation d'une part de la TOCE à France Télévisions donnant lieu à une diminution des recettes du compte de 85,5 M€ et, d'autre part, par une prévision de ressources issues de la CAP de 3 859,6 millions d'euros (3 307,6 M€ pour les encaissements nets et 552,0 M€ pour la prévision de dégrèvements) en progression de 50,5 M€ par rapport à 2018 du fait d'une hausse du nombre de foyers de 0,52 % en 2019.

La hausse des ressources de la CAP (+ 50,5 M€) conjuguée à la suppression de la part de TOCE affectée à France Télévisions (- 85,5 M€) aboutit à une baisse de 36 millions d'euros HT pour les entreprises de l'audiovisuel public. Cet effort est réparti comme suit : - 26 M€ pour France Télévisions, - 4 M€ pour Radio France, - 2 M€ pour ARTE, - 1,6 M€ pour France Médias Monde et - 1,2 M€ pour l'INA comme pour TV5 Monde.

Par ailleurs, les conditions de la poursuite de la réhabilitation de la Maison de la Radio ne sont pas précisées dans les documents budgétaires alors même que des surcoûts importants ont été identifiés dans le cadre d'une remise à plat réalisée à l'occasion de la remise du rapport de J-P Weiss.

Le bleu budgétaire 5 ( * ) précise qu' « avec la suppression de l'affectation de la TOCE à France Télévisions, la contribution à l'audiovisuel public redeviendra la seule source affectée au secteur, comme c'était le cas avant 2016 » . Par ailleurs « cette trajectoire d'économies permet, pour la première fois depuis dix ans, de ne pas augmenter le tarif de la CAP pour le contribuable et de la maintenir stable à son niveau de 2018 » . L'article 35 du projet de loi de finances suspend, en effet, l'indexation de la CAP en 2019, laquelle conservera par conséquent son tarif de 139 € en métropole et de 89 € en outre-mer.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

I. UN PROJET DE RAPPROCHEMENT ENTRE FRANCE 3 ET FRANCE BLEU RICHE EN POTENTIALITÉS MAIS DIFFICILE À METTRE EN OEUVRE

Votre rapporteur pour avis a décidé de consacrer cette année dans son avis budgétaire un focus sur le rapprochement entre France 3 et France Bleu décidé par le Gouvernement. La réalisation de ce focus s'appuie sur les nombreuses auditions réalisées au printemps dernier par un groupe de travail 6 ( * ) de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication qui s'est également déplacé à Bordeaux, le 23 mars dernier pour rencontrer les équipes des deux entreprises, le président de la région Nouvelle-Aquitaine ainsi que les équipes du journal Sud-Ouest.

L'ambition du gouvernement portée par l'ancienne ministre de la culture, Françoise Nyssen, de « donner davantage la parole aux territoires » ne pouvait que recueillir l'assentiment du Sénat, de même que la volonté de créer « un média global de la vie quotidienne » . Pour autant, le rapprochement des deux réseaux territoriaux de France Télévisions et Radio France n'est pas sans poser de nombreuses questions . Il s'agit du plus grand projet commun envisagé pour ces deux entreprises qui dépasse, par son ampleur, le lancement de Franceinfo en 2016.

Ce projet de rapprochement a été lancé par ailleurs dans des conditions particulières, avant même que ne soit engagé un rapprochement structurel des deux entreprises avec des modalités de gouvernance commune.

Le premier bilan montre que ce projet ambitieux et porteur de sens pour les deux entités a souffert des conditions qui ont entouré son élaboration. Les deux réseaux ont en effet rencontré de sérieuses difficultés pour faire dialoguer leurs cultures, associer leurs médias et articuler leurs niveaux de direction. En particulier, les difficultés à associer radio et télévision dans le cadre de deux organisations aux maillages très dissemblables, ont sans doute été sous-estimées, ce qui explique les retards constatés .

Votre rapporteur pour avis a souhaité, dans ces conditions, formuler plusieurs recommandations afin de mieux tenir compte des spécificités du service public de l'audiovisuel local. Il estime, par ailleurs, que les difficultés rencontrées pour rapprocher France 3 et France Bleu - qui tiennent pour une bonne part à l'absence d'organisation et de gouvernance communes - constituent des arguments supplémentaires pour rapprocher France Télévisions et Radio France dans une organisation commune comme pourrait le décider le prochain projet de loi de réforme de l'audiovisuel.

A. UN RAPPROCHEMENT NÉCESSAIRE POUR AMÉLIORER L'OFFRE TERRITORIALISÉE DU SERVICE PUBLIC

Le rapprochement entre France 3 et France Bleu répond à plusieurs objectifs. Il y a certes une nécessité budgétaire afin de mieux employer les moyens publics mais, aux yeux de votre rapporteur pour avis, c'est l'objectif d'une meilleure identification de France 3 et d'un meilleur service grâce au développement du numérique qui doit être recherché .

Les échanges menés avec les directions de France Télévisions et Radio France ont confirmé que le développement d'un nouveau média audiovisuel local plurimédias ne pouvait être considéré sous le seul aspect budgétaire et qu'une nouvelle ambition éditoriale devait s'appuyer sur des redéploiements de moyens.

1. Un renforcement de la dimension territoriale de France 3 attendu depuis 2014

Une des difficultés du groupe France Télévisions dans le cadre de la réorganisation de son bouquet de chaînes tient à la difficulté de bien distinguer France 3 de France 2. Même si la tonalité locale est plus affirmée sur France 3 et si France 2 reste considérée comme la grande chaîne fédérative, d'autres facteurs laissent penser que France 2 et France 3 constituent en fait deux grandes chaînes généralistes : les deux chaînes diffusent du cinéma, de la fiction et des jeux. Elles ont également une offre de documentaires, de programmes jeunesse et d'information nationale. Même le sport participe à la confusion puisqu'il n'est pas rare que certaines épreuves commencent sur une chaîne pour se terminer sur une autre (étapes du Tour de France, matchs de Roland-Garros).

La logique des bouquets de chaînes privilégie aujourd'hui le développement de chaînes à identités fortes autour d'une grande chaîne généraliste afin d'agréger des publics identitaires. Dans cet esprit, il apparaît indispensable de renforcer la vocation locale de France 3.

Cette réflexion avait déjà été engagée par les membres 7 ( * ) de la commission dirigée par Anne Brucy qui avaient titré leur rapport 8 ( * ) « France 3, un avenir régional » . Auditionnée par votre rapporteur pour avis, Anne Brucy a rappelé que le rapport de 2014 avait déjà engagé une réflexion sur une offre commune à France 3 et France Bleu sur la tranche horaire des matinales comme il avait évoqué aussi la recherche de synergies de fabrication. Elle a rappelé néanmoins que chacun de ces médias avait sa « grammaire propre » , la radio constituant le média du huis-clos (voiture, salle-de-bains) et celui de la réactivité.

« L'avenir de France 3 sera régional ou ne sera pas » : les propositions de la commission présidée par Anne Brucy

Dans un rapport remis à la ministre de la culture et de la communication le 1 er juillet 2014, intitulé France 3 : Un avenir régional , l'ancienne directrice de France Bleu, Anne Brucy, délivrait ses pistes de réforme de la chaîne. « Dans un contexte économique et social difficile, qui favorise le repli sur soi et l'individualisme, la proximité est un enjeu majeur de cohésion sociale » ; partant de ce constat (p. 6), elle axait ses quinze recommandations autour du déploiement d'une véritable stratégie numérique et du développement d'une offre de proximité. Elle insistait en premier lieu sur la nécessité de placer les cellules numériques au coeur des équipes et du processus de conception et de fabrication des programmes régionaux (recommandation n° 1) et d'assurer un accès systématique en direct et en différé à ceux-ci (n° 2). Cette approche plurimédias doit permettre de « s'adresser à un public jeune, équipé en terminaux mobiles » (p. 16). Pour en assurer l'efficacité, il conviendrait d'augmenter le volume, la réactivité et l'amplitude horaire des contenus d'information sur les sites Internet de chaque antenne régionale (n° 3) mais également d'adapter leur stratégie de ressources humaines, en réservant en moyenne cinq équivalents temps plein au numérique (n° 5) et en favorisant la contribution des journalistes aux offres multisupports (n° 14). Afin d'étoffer ces offres, une autre piste envisagée était de mettre en oeuvre une expérience de partenariat numérique entre France 3, France Bleu et l'Ina (n° 6) ainsi que des échanges de contenus web avec le second. En deuxième lieu, Anne Brucy se montrait sensible à la situation des « territoires les plus éloignés [des] centres [métropolitains] qui sont confrontés à une offre de services et d'espaces publics très limitée » (p. 11). Aussi France 3 devrait-elle s'employer « à réduire la distance entre le centre et la périphérie, à faciliter l'accès de tous aux ressources économiques, culturelles et sociales des métropoles » (p. 12) et « se positionner comme une vaste "agora numérique" » (p. 47). Les supports numériques lui permettraient de délivrer des services axés sur les problématiques de mobilité pour les habitants des grands centres urbains, des informations favorisant l'accès aux espaces collectifs, aux services publics, à l'emploi et à la formation et, enfin, des contenus en langues régionales (n° 4). En linéaire, chaque antenne gagnerait à se montrer plus réactive pour produire des « breaking news » sur les affaires locales (n° 8) et à enrichir son offre d'information par des partenariats avec France Bleu, sur le modèle de Gran' Matin , l'émission trimédias de Réunion 1 ère (n° 7). Enfin, Anne Brucy appelait ainsi à ce que soit élaboré « un projet éditorial commun tourné vers une régionalisation progressive, diversifiée et déterminée » (p. 49). À cet effet, elle proposait de s'inspirer de la charte d'antenne mise en place par France Bleu à la fin des années 2000 (n° 10), qui se contente de donner des repères aux 44 antennes de la chaîne (couleur musicale, rythmique d'antenne, participation des auditeurs, etc.). Elle prônait en outre une logique d'équité dans la répartition des effectifs de France 3 au sein de ses différentes implantations, afin qu'elle corresponde aux réalités des bassins de vie concernés (n° 9).

Pour Anne Brucy, il est possible de faire travailler ensemble des équipes de télévision et de radio à condition de faire évoluer les méthodes de travail et de s'inspirer des antennes de France Télévisions en outre-mer 9 ( * ) qui ont déjà une dimension « trimédias ». Elle a néanmoins rappelé les difficultés rencontrées pour créer des cellules numériques dans les antennes locales de France 3. « Si certaines montent en puissance ce n'est en effet pas le cas partout » insiste-t-elle.

La priorité, selon Anne Brucy, doit consister à créer une offre numérique commune en intégrant le fait que les outils numériques permettaient à des équipes localisées dans des endroits différents de travailler ensemble. Elle estime, en effet, que les rapprochements ne doivent pas nécessairement être physiques, les locaux ne pouvant pas toujours permettre de réunir les services . Pour l'ancienne directrice du réseau France Bleu, il apparaît nécessaire de concevoir une offre d'information mais aussi de culture qui serait diffusée sur les deux antennes, ce qui supposerait de consacrer plus de temps d'antenne aux programmes locaux sur France 3.

Une telle évolution nécessiterait donc une réorganisation de l'antenne de France 3. Anne Brucy préconise de maintenir de l'information nationale sur les antennes régionales mais en privilégiant les actualités qui intéressent les régions et se déroulent néanmoins dans la capitale. Une telle orientation n'est pas incompatible avec une remise en question des journaux nationaux de France 3 pour autant que des sujets nationaux seraient, en tant que de besoin, insérés dans les éditions locales.

En matière de production, une évolution serait également nécessaire afin de faire porter par France 2 et France 5 certaines obligations qui incombent aujourd'hui à France 3 et ne pourraient plus être satisfaites dans un contexte marqué par un accroissement du volume des programmes produits localement. À noter également que la production locale de documentaires pourrait être développée et que sous réserve d'en accroître la qualité, certains pourraient être diffusés au niveau national ou sur d'autres antennes régionales.

2. Des directions qui abordent le rapprochement de manière volontariste

Lors de leur audition par le groupe de travail de votre commission, Dana Hastier, alors en charge de France 3 et Olivier Montels, en charge du réseau régional, ont confirmé qu'il existait une forte attente pour renforcer la dimension régionale de France 3 . Cette marque régionale est déjà présente puisque ce sont 5 000 heures de programmes régionaux qui ont été diffusés en 2017. Certains programmes ont vu leur dimension locale renforcée comme Thalassa. En outre des émissions qui mettent en valeur le territoire comme « Des Racines et des Ailes » fonctionnent toujours très bien.

La direction de France 3 partage l'objectif d'une meilleure distinction entre France 2 et France 3 tout en mettant en perspective la difficulté de faire plus de programmes avec moins de moyens. Elle indique que les réflexions ont commencé à être menées avec France Bleu en décembre 2017 et mobilisaient les 44 directeurs des antennes de France Bleu ainsi que les 13 directeurs des antennes de France 3. Du côté de France 3, le discours était encourageant en mars dernier puisque la direction de l'entreprise estimait « possible de faire assez vite des choses fortes » . L'objectif devait être « à l'horizon de 18 mois d'inverser la tendance en privilégiant les programmes locaux et en fusionnant les portails numériques des deux réseaux » . Le principal projet mis à l'étude concernait des matinales communes de 6 heures à 13 heures ainsi qu'une émission politique commune. Les premières réflexions ont permis d'identifier plusieurs thèmes pouvant faire l'objet de programmes locaux comme l'histoire, la culture, la vie économique et les fractures territoriales. Pour la direction de France 3, il s'agit d'un tournant puisque ce sont 8 heures de programmes par jour qui pourraient être concernées par ces nouvelles orientations.

Une inversion du modèle éditorial de France 3

Si les objectifs sont bien identifiés, il en est de même des difficultés. Outre les différences dans le maillage territorial de chacun des réseaux d'antenne, celle des réseaux d'émetteurs pose une difficulté technique particulière qui semble cependant en voie de résolution. La question des moyens n'est pas non plus négligeable puisque davantage de programmes locaux dans toutes les régions démultiplient les coûts. À ces objections, la direction de France 3 répond qu'ils sont habitués à travailler en tenant compte des contraintes budgétaires et qu'ils s'inscrivent dans une perspective de budgets constants.

Une des clés du projet repose dans l'évolution des métiers. Pour enrichir l'information, il est important que « tout le monde fabrique du contenu » selon Olivier Montels. Le principe du développement d'une offre numérique doit être « l'agrégation de contenus dans un immense fleuve régional » .

Lors de son audition par le groupe de travail, Éric Revel, alors directeur de France Bleu, a rappelé que la radio était d'abord un média du matin, « le média des deux premières heures ». Il a insisté sur le fait que France Bleu développait son audience numérique grâce à un accord professionnel permettant à près de 1 500 salariés de contribuer à la production multimédia du réseau.

La direction de France Bleu a indiqué que le projet de rapprochement portait sur huit projets éditoriaux :

- des matinales communes ;

- une grande émission d'accueil « la vie en bleu » ;

- de grandes émissions politiques régionales consacrées à des thèmes propres à chaque territoire ;

- une émission quotidienne sur l'emploi pour rapprocher les offres et les demandes d'emplois au niveau local ;

- une émission sur de grandes thématiques de société ;

- une émission consacrée à la découverte de nouveaux talents dans la musique ;

- des partenariats sur de gros événements ;

- une coopération dans le numérique qui se nourrirait des projets éditoriaux.

Compte tenu des différences entre les médias radio et télévision, la direction de France Bleu indique que le rapprochement doit rechercher les complémentarités entre France Bleu qui est fort le matin et France 3 qui est puissant le soir. Pour Éric Revel, la vraie difficulté est sociale puisque la réussite du rapprochement dépend étroitement du fait de que l'ADN et l'identité de chaque entreprise dans la création de ce « lien commun » soient préservés . Si les problèmes techniques ne doivent pas être sous-estimées (la télévision a besoin de plus d'espace que la radio) la réussite du projet devrait d'abord dépendre de la reconnaissance accordée aux équipes de France Bleu qui bénéficient historiquement de moins de moyens et doivent en permanence préserver un équilibre entre les économies demandées et le maintien de la qualité.

Les réformes intervenues ces dernières années avec la suppression des « micro-locales » ont ramené le réseau à 44 antennes mises en oeuvre par 1 500 personnes tandis que les huit directions régionales ont été remplacées par deux directeurs territoriaux. Ces efforts déjà consentis comme le fait que les salaires apparaissent plus élevés à France 3 qu'à France Bleu entretiennent une forme de complexe du « petit » envers le « gros » qu'il ne faut pas perdre de vue.

La question de la distribution et de la numérotation des décrochages régionaux et locaux de France 3

Le renforcement de l'offre de proximité de France 3 pourrait souffrir du déclin de la TNT qui n'est plus, depuis 2016, le premier mode de réception sur le poste principal. Le signal de la TNT est, en effet, géolocalisé en fonction des émetteurs ce qui permet au téléspectateur d'accéder sur la touche 3 de sa télécommande à l'édition régionale et locale de sa zone de résidence.

Or il n'en est pas de même sur les boxes. Les foyers qui reçoivent la télévision via la box d'un opérateur n'ont, en effet, accès qu'aux 24 déclinaisons régionales de France 3 et non aux 42 déclinaisons locales qui incarnent pourtant l'offre de proximité.

Deux pistes de modifications législatives permettraient de répondre à ce problème selon votre rapporteur pour avis :

- la première consisterait à étendre l'obligation de reprise des chaînes du service public par les distributeurs de service à l'ensemble des déclinaisons régionales et locales de France 3 ;

- la seconde consisterait à imposer la géolocalisation des boitiers de réception IPTV, de sorte que le numéro 3 de la télécommande permette au téléspectateur d'accéder, par défaut, à l'édition de France 3 correspondant à la localisation de son adresse IP.

Votre rapporteur pour avis estime que l'accessibilité des programmes locaux de France 3 est une condition indispensable du rapprochement engagé avec France Bleu.

3. Des représentants des salariés ouverts à ce rapprochement

Les représentants des salariés auditionnés par le groupe de travail ont fait part de leurs interrogations sur le projet sans pour autant manifester une opposition de principe.

Le SNJ de France Télévisions indique, par exemple, qu'un rapprochement des locaux de France 3 et France Bleu pourrait être difficile à mener compte tenu des baux déjà signés et des aménagements coûteux réalisés pour créer des studios. Par ailleurs, en cas de grosse actualité il apparaît difficile qu'un journaliste puisse travailler en même temps pour deux médias. Enfin, le SNJ observe que le traitement de l'information est adapté selon le média utilisé, les écritures étant différentes.

Pour la CFDT de France Télévisions le facteur commun est le numérique qui permet au téléspectateur de trouver lui-même les informations qu'il recherche . Le développement du numérique appelle une évolution des métiers et des compétences car il existe une écriture propre au numérique.

FO France Télévisions estime pour sa part que le service public a l'obligation d'être ambitieux et que la convergence constitue une opportunité pour les plus jeunes . Toutefois, le syndicat rappelle que la télévision ne se résume pas à l'information et que l'identité d'un média se fait de plus en plus à travers les contenus. Pour FO, le rapprochement doit permettre de réinvestir les magazines, le sport, les débats, la place des associations et des PME dans les territoires... Mais les antennes locales ne disposent pas d'assez de créneaux pour exposer ces formats.

Pour la CFDT de France Télévisions, ce peut-être la mission d'une chaîne locale de plein exercice de proposer de nouveaux créneaux pour être plus en prise avec la vie locale. Cela suppose néanmoins de définir clairement les objectifs assignés à la télévision régionale. Pour la CFDT il est « urgent de faire quelque chose » car le vieillissement de l'audience de France 3 augmente de trois ans chaque année. Le SNJ pour sa part redoute que la télévision devienne un média uniquement citadin.

FO résume le sentiment des personnels en indiquant qu' « ils avaient les compétences, les matériels, le talent mais pas les créneaux » .

Le sentiment d'urgence est moins net dans les propos des syndicats de Radio France qui mettent davantage en avant leur inquiétude face aux perspectives de rapprochement des rédactions et pointent les incompatibilités entre les maillages des deux réseaux.

La principale inquiétude exprimée par les syndicats de Radio France concerne l'évolution des effectifs et la gestion des ressources humaines dans l'entreprise. Le maintien de l'ancrage local apparaît incompatible avec la réduction des moyens humains. Or les syndicats insistent sur l'atout que représente le maillage territorial de France Bleu. Les représentants de SUD ont ainsi regretté qu'il y ait « toujours moins de salariés pour faire toujours plus » .

Lors des premières rencontres organisées au printemps entre les syndicats et le groupe de travail, les représentants des salariés pointaient l'absence d'informations sur le calendrier du rapprochement et regrettaient de ne pas être associés à la réflexion de la direction. On peut imaginer que cette dernière n'était sans doute pas assez avancée pour répondre à ces légitimes attentes mais votre rapporteur pour avis retient surtout la volonté de participer des syndicats qui se veulent vigilants pour préserver l'identité de France Bleu.

Parmi les soucis exprimés, il y a celui de ne pas agir avec précipitation et sans discernement. Le SNJ rappelle notamment que de nombreux déménagements de locales de France Bleu sont déjà intervenus récemment et évoque le coût de 1 million d'euros pour chaque déménagement du fait en particulier du coût important des studios. Le choix de regrouper les antennes de France Bleu et les stations de France 3 dans les mêmes locaux pourrait donc être coûteux si on ne prenait pas en compte les situations locales.

L'UNSA de Radio France indique que des avancées vers le « média global » ont déjà eu lieu avec la délinéarisation de nombreux contenus sous la forme de podcasts. En outre les antennes de France Bleu ont développé de nombreuses communautés d'intérêt qui se sont structurées sur les réseaux sociaux autour de thématiques locales, ce qui est moins le cas de France 3. Les rapprochements envisagés ne doivent donc pas remettre en cause l'ancrage territorial de France Bleu.

Pour SUD, une difficulté tient au fait que les équipes de France Bleu seraient bridées dans leurs projets nouveaux faute de moyens ou de temps d'antenne disponible. La CGT de Radio France estime donc nécessaire de réaffirmer une ambition éditoriale qui pourrait passer par le développement de locales dans les villes moyennes . Le syndicat rappelle que la création d'un bureau à Lyon a été reportée et que de nombreuses villes moyennes sont dépourvues d'antennes.


* 1 Pour mémoire, on peut rappeler que le tarif de la redevance est de 139 € depuis 2018 soit un peu plus de 11,50 € par mois.

* 2 Avis n° 112 Tome IV - Fascicule I « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public », loi de finances pour 2018.

* 3 « Comment réenchanter l'audiovisuel public à l'heure du numérique ? », Actes du colloque du 12 juillet 2018 organisé par la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication, rapport d'information n° 733 (2017-2018), p. 90.

* 4 Voir en particulier le rapport d'information n° 709 (2014-2015) « Pour un nouveau modèle de financement de l'audiovisuel public : trois étapes pour aboutir à la création de « France Médias » en 2020 », MM. André Gattolin et Jean-Pierre Leleux, rapporteurs.

* 5 Avances à l'audiovisuel public, PLF 2019, p. 11.

* 6 Ont participé aux travaux du groupe de travail, outre votre rapporteur pour avis, Catherine Morin-Desailly, présidente, Françoise Laborde, vice-présidente, Maurice Antiste, Maryvonne Blondin, André Gattolin, Jean-Raymond Hugonet, Colette Mélot, Sylvie Robert et Dominique Vérien.

* 7 Trois sénateurs participaient à ce groupe de travail dont notre collègue Maryvonne Blondin, notre ancienne collègue Michèle André ainsi que votre rapporteur pour avis.

* 8 Rapport publié à la documentation française en juillet 2014 - http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000377/index.shtml

* 9 Réunion 1 ère diffuse ainsi un signal unique sur trois supports (télévision, radio, Internet).

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