B. LA NÉCESSITÉ DE MIEUX CONSOMMER LES CRÉDITS

1. Des efforts entrepris pour garantir une meilleure gestion

Face aux critiques formulées sur l'écart entre le montant des crédits votés en loi de finances et celui des crédits effectivement consommés chaque année, le Gouvernement poursuit ses efforts pour faciliter l'exécution des crédits.

L'an passé, il avait décidé d'abaisser à 3 % le taux de mise en réserve des crédits pour favoriser une plus grande sincérité budgétaire et donner des marges de manoeuvre nouvelles aux opérateurs et aux structures aidées dès le début de l'exercice budgétaire . Cette décision est reconduite en 2019 . Si le taux de gel des crédits est très légèrement supérieur à celui fixé en 2018 au niveau des AE (2,5 % contre 2,4 %), il est identique au niveau des CP. Pour 2019, il s'agit du taux de mise en réserve des crédits le plus faible des trois programmes de la mission « Culture » : le taux de gel s'établit à 2,5 % pour les crédits du programme 131 « Création » et à 2,6 % pour les crédits hors titre 2 du programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

Évolution de la réserve de précaution et du taux de gel
entre 2018 et 2019

La constitution d'une réserve de précaution d'un montant minimal reste cependant nécessaire pour permettre au ministère de la culture de faire face aux aléas susceptibles d'intervenir en cours d'année. Cette année, afin de faire face aux conséquences des inondations qui sont survenues dans le Var au début du mois d'octobre, des crédits ont ainsi pu être débloqués très rapidement pour permettre d'engager les travaux nécessaires à la réouverture des établissements touchés.

L' accroissement du montant des crédits d'intervention, constante depuis 2016 , participe également de ce mouvement destiné à améliorer la mobilisation des crédits. Entre 2016 et 2019 , les crédits d'intervention ont cru de plus de 4 %, pour un montant de 33,31 millions d'euros en AE et de 10,68 millions d'euros en CP . Cette évolution s'explique principalement par l'augmentation des crédits à hauteur de 4,75 millions d'euros au titre de la protection des sites patrimoniaux remarquables, du patrimoine mondial et des espaces protégés pour faciliter la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, et par la création du fonds incitatif pour les monuments historiques situés dans les petites communes à faibles ressources.

La croissance des crédits d'intervention en 2019 par rapport à 2018 est d'ailleurs significative (+ 2,4 %), pour atteindre 275,17 millions d'euros. Cette augmentation profitera principalement au fonds incitatif pour les monuments historiques situés dans les petites communes à faibles ressources et aux projets des centres d'études et de conservation. Par ailleurs, la subvention de fonctionnement accordée au domaine national de Chambord sorti de la liste des opérateurs de l'État, est désormais versée via des crédits d'intervention à hauteur d'un million d'euros.

Le renforcement de la part des crédits d'intervention déconcentrés fait partie des évolutions notables de ce projet de loi de finances pour 2019. L'équité territoriale constitue en effet l'un des principaux objectifs qui ont guidé l'élaboration du budget de la mission « Culture » pour l'année prochaine. Comme le ministre de la culture, Franck Riester, l'a indiqué devant votre commission de la culture lors de son audition le 14 novembre dernier, l'effort en matière de déconcentration des crédits doit permettre de faire bénéficier davantage les territoires des effets de la politique culturelle, en garantissant que « les moyens soient gérés par les territoires au plus près de ceux-ci ». Les marges de manoeuvre des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) sont renforcées pour leur permettre de jouer à plein leur rôle de catalyseur des politiques culturelles nationales et les emplois en leur sein sont sanctuarisés.

Répartition des crédits d'intervention
entre crédits centraux et crédits déconcentrés

Espérons que cette décision permette peu à peu d'assurer une répartition géographique des crédits plus équilibrée sur le territoire. En 2017 , la part des crédits versés sur le territoire francilien , tous crédits confondus, s'élevait à 65 % . Même en retranchant les crédits versés aux opérateurs, elle atteignait encore 32 %.

En matière de patrimoine monumental, il a été décidé que plus de 85 % des crédits d'entretien et de restauration pour les monuments historiques (hors grands projets) devraient profiter en 2019 aux monuments en régions. Franck Riester s'est engagé à ce que les crédits pour les projets dans les territoires ne puissent pas être utilisés comme « variable d'ajustement pour les grands projets patrimoniaux, notamment parisiens ». Il a précisé que « la rénovation du Grand Palais ou les divers projets immobiliers de nos établissements nationaux [devaient] faire l'objet de plans de financement dédiés, étalés dans la durée, avec le souci constant de parvenir à un équilibre économique de long terme et de pallier tout risque de dérive budgétaire ».

Ces évolutions peuvent apporter un nouveau souffle pour le patrimoine, après une période marquée par une baisse sensible des financements publics en provenance de l'État et des collectivités territoriales. La création du fonds incitatif pour les monuments historiques situés dans des petites communes à faibles ressources en 2018 avait d'ailleurs, parmi ses objectifs, celui d' inciter les régions à contribuer désormais au financement des travaux de restauration du patrimoine pour compenser le désengagement des départements observé depuis plusieurs années, alors que ces derniers constituaient jusqu'ici les principaux partenaires de l'État dans ce domaine. Le fonds permet en effet, lorsqu'une région s'engage à financer au minimum 15 % du coût total du projet, d'abonder la participation de l'État au financement dudit projet pour la porter jusqu'à 80 % pour les immeubles classés (contre un taux habituel de 40 % à 50 %), et à 40 % pour les immeubles inscrits (contre un taux de 10 % à 20 % habituellement).

Estimation des dépenses consacrées à l'entretien et à la restauration des monuments historiques classés n'appartenant pas à l'État par les collectivités territoriales et les propriétaires privés (hors subventions de l'État)

Année

2014

2015

2016

2017

Montant
(en millions d'euros)

256

258

249

295

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Avant même le terme de sa première année de fonctionnement, le bilan de ce nouveau dispositif est très positif . Le fonds a permis de susciter de nouveaux projets ou rendu possible la réalisation de projets qui n'avaient pas pu trouver la totalité de leur financement jusqu'alors. La totalité du fonds a été déléguée en 2018, soit 15 millions d'euros d'autorisations d'engagement qui permettent de financer la mise en place de 151 opérations dans douze régions . Seuls la Normandie, dont les départements restent encore très engagés dans le financement du patrimoine, et le Centre-Val de Loire n'ont pas pris part à des opérations. 4,4 millions d'euros de crédits de paiement ont également été délégués pour permettre le lancement rapide des travaux. D'après les informations communiquées à votre rapporteur, une attention particulière devrait être portée en 2019 au déploiement de crédits sur des opérations dans les territoires d'outre-mer, qui n'a pas été possible cette année compte tenu de la temporalité de la mise en place de ce fonds et du contexte économique difficile des collectivités d'outre-mer. Le fonds devrait être reconduit jusqu'en 2022 . Sa dotation reste cependant faible - à peine plus d'un million d'euros par région.

Les projets sélectionnés dans le cadre du fonds
à destination des collectivités à faible potentiel financier

Les DRAC, en étroite relation avec les régions, ont identifié les projets pouvant être éligibles aux interventions du fonds, défini le mode de conventionnement le plus adapté et envisagé, le cas échéant, les mesures d'accompagnement à mettre en oeuvre par les bénéficiaires retenus (projet pédagogique dès la mise en chantier, actions d'éducation artistique et culturelle, ouverture au public...) en fonction de différents critères :

- la taille de la commune : moins de 10 000 habitants, cependant les communes de moins de 2 000 habitants sont ciblées en priorité ;

- les ressources des communes : sont visées les communes à faibles ressources ;

- les types d'opération : opérations nouvelles portant sur des monuments en péril ou en mauvais état ;

- les types d'édifices : tout type d'immeuble protégé au titre des monuments historiques (y compris pour des monuments appartenant à des propriétaires privés situés dans ces petites communes) ;

- le taux de participation de la région : minimum de 15 %.

Sur les 151 projets sélectionnés, le taux moyen de participation des régions est de 20 % , celui de l'État est de 49 % (57 % pour les monuments historiques classés, 36 % pour les inscrits).

Les communes de moins de 2 000 habitants représentent 74 % des bénéficiaires du fonds.

Sur les 151 monuments historiques aidés, 60 % sont classés au titre des monuments historiques et 40 % sont inscrits . Le patrimoine des communes étant majoritairement composé d' édifices religieux , ces derniers représentent 85 % des projets bénéficiant du fonds. Les autres opérations retenues concernent des châteaux ( 11 % ) ou des édifices relevant du patrimoine industriel, militaire ou vernaculaire ( 4 % ).

Source : Ministère de la culture

Enfin, la décision du Gouvernement de transférer la gestion directe de leurs effectifs à trois des opérateurs du ministère de la culture , le Centre des monuments nationaux (CMN), l'établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles (EPV) et le musée d'Orsay et musée de l'Orangerie, rendue possible par l'adoption d'un amendement présenté par le Gouvernement à l'Assemblée nationale en première lecture du présent projet de loi, apparaît également comme une simplification de gestion opportune .

Le directeur du CMN, Philippe Bélaval, dont l'établissement devrait être le premier à expérimenter la gestion directe de ses effectifs à compter du 1 er avril prochain, avant que les deux autres établissements ne le suivent en janvier 2020, a souligné le bien-fondé de ce transfert, qui conférerait aux établissements une agilité bien plus grande dans la gestion de leurs effectifs, jusqu'ici entravée par sa gestion, nécessairement plus lourde, par le ministère de la culture.

2. Une sous-consommation préoccupante

Le taux de consommation des crédits demeure un sujet de préoccupation majeur pour les acteurs du patrimoine. D'après les informations communiquées à votre rapporteur, l'intégralité des crédits inscrits sur le programme 175 devraient être exécutés d'ici la fin de l'exercice 2018 .

Consommation des crédits par action
sur le programme 175 au 31 août 2018

Le ministère de la culture justifie le niveau moindre de consommation des crédits par rapport à la même période en 2017, où 75,22 % des AE et 59,1 % des CP avaient été consommés par le décalage du versement de certaines subventions destinées à des opérateurs et du fonds national pour l'archéologie préventive. En 2017 , 877,7 millions d'euros de crédits furent consommés sur les 899,84 inscrits au titre du programme 175 dans la loi de finances initiale, soit un taux de consommation globale des crédits de 97,6 % .

Plusieurs des personnes entendues par votre rapporteur à l'occasion des auditions budgétaires ont indiqué que la consommation des crédits consacrés aux monuments historiques et au patrimoine monumental (action 1) restait partielle . Selon des chiffres communiqués par l'association « La Demeure historique », seuls 276,44 millions d'euros de crédits votés en faveur du patrimoine monumental auraient été effectivement versés sur les 318,75 millions d'euros inscrits en loi de finances initiale, soit plus de 42 millions d'euros de crédits non consommées, correspondant à un taux de 13,2 %, supérieur au taux moyen de crédits non consommés observé sur le programme, qui s'établit à 2,4 %. Ces chiffres ne prennent d'ailleurs pas nécessairement en compte les crédits déconcentrés non consommés, qui sont généralement retournés en fin d'exercice en administration centrale et sont susceptibles d'être alors dirigés vers les opérateurs nationaux, en premier lieu l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), avec le risque qu'ils ne profitent dès lors pas de la même manière à l'ensemble des territoires.

La sous-consommation chronique des crédits de l'action 1 a des incidences immédiates sur les entreprises spécialisées dans la restauration des monuments historiques . Depuis 2016, dix entreprises affiliées au groupement des entreprises de restauration des monuments historiques ont cessé leur activité, faute d'activité : quatre en 2016, deux en 2017 et de nouveau quatre en 2018. Ces fermetures ont des conséquences importantes sur l'apprentissage et l'offre de formation . Plusieurs centres de formation aux métiers du patrimoine ont fermé au cours des dernières années, faute de débouchés et d'entreprises pour accueillir les élèves en apprentissage. La crainte d'une disparition à terme de certains savoir-faire est très présente, alors même qu'elle serait contradictoire avec l'un des axes de la stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine, qui entend améliorer la promotion des métiers du patrimoine auprès des jeunes.

Votre rapporteur avait déploré l'an dernier que l'action 9 « Patrimoine archéologique » ait systématiquement bénéficié de redéploiements de crédits en provenance de l'action 1 « Monuments historiques et patrimoine monumental » au cours des précédents exercices budgétaires, même s'il reconnaissait que la tendance des montants ainsi redéployés, qui avaient atteint 10 millions d'euros en 2013 et 2014, était plutôt à la baisse. Un constat similaire avait été dressé en avril 2018 par les députés Emmanuelle Anthoine et Raphaël Gérard, dans le cadre de leur mission « flash » 1 ( * ) sur le soutien au patrimoine immobilier protégé, où ils dénonçaient la sous-dotation structurelle de l'action 9 qui conduisait à lui réaffecter en gestion chaque année quelques 10 millions d'euros.

L' effort de sincérité budgétaire réalisé en faveur des crédits de l'archéologie préventive , avec la revalorisation de cinq millions d'euros des crédits d'intervention déconcentrés, pour un montant total de neuf millions d'euros, pourrait permettre d' éviter les redéploiements en gestion en cours d'exercice budgétaire, généralement opérés au détriment des crédits consacrés aux monuments historiques . Il conviendra cependant d'observer lors des prochains exercices si ce montant de cinq millions d'euros sera effectivement suffisant, en comparaison des 10 millions d'euros évoqués par le Parlement, pour éviter les redéploiements de crédit préjudiciables jusqu'ici aux projets concernant des monuments historiques.

De manière générale, des efforts pour mieux contrôler le suivi de l'exécution des crédits, en particulier déconcentrés, seraient souhaitables, afin d'identifier les éventuelles causes des blocages (mauvaise répartition des crédits, lourdeur dans les circuits de financement, problème d'absorption de la réforme territoriale dans les régions fusionnées...) et y apporter rapidement des solutions.


* 1 Communication du mercredi 18 avril 2018 de Mme Emmanuelle Anthoine et M. Raphaël Gérard, rapporteurs de la mission « flash » sur le soutien au patrimoine immobilier protégé.

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