EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 22 NOVEMBRE 2018

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M. Claude Kern , rapporteur pour avis des crédits de l'action culturelle extérieure . - Les crédits que nous examinons ce matin ont été les grands sacrifiés du précédent quinquennat : de plus de 750 millions d'euros en 2012, ils sont tombés à moins de 685 millions d'euros cinq ans plus tard. En 2018, puis 2019, ils ont été à peu près stabilisés. Mais les années qui viennent s'annoncent encore plus douloureuses, le Gouvernement ayant annoncé dans le cadre du plan « Action publique 2022 » son intention de réduire de 10 % la masse salariale de l'ensemble des réseaux de l'État à l'étranger d'ici 2022 !

Pour 2019, les opérateurs du programme conservent des crédits sensiblement identiques à ceux de l'an dernier. L'Agence française de l'enseignement à l'étranger (AEFE) conserve une dotation inchangée (14,7 millions d'euros dédiés à la sécurisation des lycées français sont transférés sur un compte d'affectation spéciale). L'Institut français bénéficie d'une subvention complémentaire de deux millions d'euros, non reconductible, pour mettre notamment en oeuvre l'ambitieux Plan Langue française et Plurilinguisme, annoncé par le Président de la République lors de son discours à l'Institut de France le 20 mars dernier. Mais cela ne me semble pas suffisant pour mettre en oeuvre 17 des 33 mesures contenues dans ce Plan comme doit le faire l'Institut français ! Quant à Campus France, il conserve des crédits identiques à l'an dernier, dans un contexte où la mobilité étudiante internationale double tous les dix ans ... Le Président de la République avait pourtant annoncé en mars dernier qu'il donnerait « un nouvel élan » pour notre diplomatie culturelle.

Je suis réservé sur les grandes annonces du Plan Langue française et Plurilinguisme. Certes, il contient de belles intentions auxquelles je souscris bien évidemment, mais les objectifs m'interrogent, notamment au regard de moyens durablement réduits. L'annonce, par exemple, du doublement du nombre d'élèves accueillis au sein de notre réseau scolaire français à l'étranger d'ici 2030 me semble assez irréaliste : c'est l'équivalent de l'ouverture de 48 établissements tous les ans pendant 13 ans ... La dynamique naturelle de l'AEFE, + 2 % par an, devrait permettre d'atteindre à peine le quart de l'objectif. Or sur le terrain, si l'on constate bien une demande d'apprentissage de la langue française, il ne s'agit pas toujours d'une demande d'enseignement « à la française ». Même nos expatriés français ont de moins en moins recours aux écoles et lycées français.

Madame la Présidente, vous avez bien voulu me missionner avant l'été pour examiner les modalités du rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française, en lien avec mes collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Robert. del Picchia et M. André Vallini. Il s'agit en réalité, à mes yeux, d'une véritable « dévitalisation » de la Fondation : certes, celle-ci ne disparaît pas, contrairement à ce qui avait pu être envisagé dans certains scenarii , mais son personnel devrait être réduit à six équivalents temps plein d'ici la fin de l'année et les postes de ses délégués régionaux seront supprimés. Quant aux directeurs mis à disposition des alliances, ils sont encore environ 280 dans le monde mais leur nombre pourrait progressivement se réduire. Les synergies annoncées entre Institut et Fondation lorsqu'ils seront sur le même site seront donc très limitées compte tenu de la faiblesse des effectifs et des compétences résiduels de la Fondation. Je suis également inquiet de la méfiance qui persiste entre ces deux acteurs majeurs de notre diplomatie culturelle : manifestement ils se parlent très peu, l'Institut n'a pas tenté de reprendre les personnels dont la Fondation a dû se séparer et la question des locaux est encore loin d'être réglée avec quelques 15 millions d'euros de travaux nécessaires pour l'installation de l'Institut sur le site du Boulevard Raspail à Paris.

Sur le terrain, un institut par pays, situé dans la capitale, et des alliances dans les territoires périphériques me semblerait constituer un schéma d'organisation intéressant. Mais il faut absolument instaurer un nouvel état d'esprit à l'Institut français, dans les ambassades et les instituts français sur le terrain pour travailler main dans la main avec le réseau des alliances françaises.

Mes réserves sur ce budget sont nombreuses et je ne vous cache pas que j'ai longuement hésité, mais, prenant acte à la fois de la volonté réelle du Président de la République de relancer notre diplomatie culturelle et de la subvention à l'Institut français que je souhaite voir reconduite, je vous proposerai néanmoins de donner un avis favorable à l'adoption des crédits destinés à notre diplomatie culturelle au sein de la mission « Action extérieure de l'État ».

Mme Claudine Lepage . - Le tableau que vous ne dressez de notre diplomatie culturelle est véritablement déplorable. Je partage vos constats même si je ne suivrai pas l'avis favorable que vous émettez sur ces crédits.

Au sein du réseau de l'AEFE, les enseignants titulaires de l'Éducation nationale sont de moins en moins nombreux, remplacés progressivement par des enseignants recrutés localement. Mais le vivier de recrutement ne présente pas toujours des garanties de qualité suffisantes et la rémunération de ces enseignants est entièrement à la charge des établissements, donc des familles. Or, dans un contexte de maintien de l'enveloppe des bourses, les familles des classes moyennes ont de plus en plus de mal à assumer les frais de scolarité de leurs enfants.

Je suis, comme vous, très dubitative sur l'objectif de doublement des effectifs scolarisés dans le réseau de l'AEFE, annoncé par le Président de la République : avec quels élèves - je rappelle à titre d'exemple que les élèves chinois ou indiens n'ont pas le droit de fréquenter un établissement étranger ? Avec quels enseignants ? Dans quels bâtiments ? Avec quels investisseurs, car il faut rester prudent sur l'origine des fonds ?

Le projet gouvernemental de réforme de l'enseignement français à l'étranger a déjà fait l'objet de deux rapports récents mais ils n'ont malheureusement pas été rendus publics. Un troisième est en préparation pour le 15 décembre, sous la plume de notre collègue députée Samantha Cazebonne.

Le rapprochement de l'Institut français et de la Fondation Alliance française se fait à Paris. En revanche, sur le terrain, les alliances françaises sont des associations de droit local, indépendantes et les instituts français sont rattachés aux services des ambassades. Entre alliances françaises et instituts français, il faut surtout éviter les doublons et travailler en complémentarité.

Le groupe Socialiste et républicain s'abstiendra.

Mme Sonia de la Provôté . - En décembre 2017, à l'initiative de notre commission, le Sénat a organisé un débat en séance publique sur l'avenir de l'Institut français au cours duquel le ministre Jean-Baptiste Lemoyne avait pris des engagements. Depuis, le Président de la République a, à plusieurs reprises, affiché ses ambitions concernant notre diplomatie culturelle et linguistique. Mais le budget qui nous est présenté aujourd'hui ne traduit pas ces volontés affichées.

Au cours de ce débat sur l'avenir de l'Institut français, nous avions également abordé la question de la dispersion des différents outils qui concourent à notre diplomatie culturelle : France Médias Monde mais aussi le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ainsi que d'autres organismes. Nous avions demandé au ministre de nous soumettre une étude consolidée or aucune suite n'a été donnée.

Le groupe de l'Union Centriste suivra l'avis favorable au rapporteur, en espérant toutefois des améliorations l'an prochain.

M. Damien Regnard . - Je partage le triste constat dressé par Mme Lepage.

Le plan « Action publique 2022 » qui prévoit la réduction de 10 % de la masse salariale conduit à des coupes systématiques dans de nombreux postes diplomatiques. Au sein de notre ambassade aux États-Unis par exemple, il est probable que les services culturels seront les premiers impactés.

Je suis attentivement la situation de deux étudiants de Mongolie inscrits à l'École Polytechnique qui connaissent de sévères difficultés pour financer leurs études. Comment garder ces étudiants dans nos établissements, quand nos lignes budgétaires sont à sec, et éviter qu'ils ne partent plutôt au Massachussets Institute of Technology (MIT) ?

Nous sommes dans une situation catastrophique où l'État s'est désengagé depuis des années. Les crédits du programme 185 sont « à l'os ». À titre personnel, je m'abstiendrai sur le vote de ces crédits.

M. Pierre Ouzoulias . - Le diagnostic que vous aviez établi, monsieur le rapporteur, au sujet de Campus France se vérifie et s'amplifie. La France a perdu sa troisième place mondiale dans l'accueil des étudiants en mobilité internationale au profit de l'Australie et nous nous ferons très certainement doubler l'an prochain par l'Allemagne et la Russie. Le nombre d'étudiants étrangers accueillis en Arabie Saoudite a cru de 128 %, et même de 182 % en Turquie, quand il diminuait de 9 % en France !

Si nous augmentons les frais d'inscription, les étudiants étrangers, et notamment ceux d'Afrique du Nord, se détourneront de la France au profit de l'Arabie Saoudite où ils ne payent pas de frais d'inscription à l'université, où ils bénéficient d'allers-retours gratuits en avion, où ils perçoivent un salaire mensuel de 1000 euros par mois, où ils sont logés, etc. Nous devons défendre notre culture et nos valeurs en accueillant des étudiants étrangers, autrement nous allons perdre toute influence culturelle dans certaines zones du monde.

Je voterai contre l'adoption de ces crédits.

M. David Assouline . - Le Premier ministre vient d'annoncer la multiplication des droits d'inscription des étudiants étrangers par 15, voire 17 ! Le Gouvernement estime que le prix modique de nos formations serait, pour certains étudiants, le signal de leur piètre qualité. Mais c'est faux ! Les étudiants qui se fient au prix affiché nous échappent déjà en grande partie, au profit des États-Unis ou de la Grande-Bretagne. Les autres, et notamment les étudiants africains et maghrébins, se tourneront désormais vers des pays où ils risquent d'être endoctrinés, au salafisme par exemple en Arabie Saoudite. C'est une cassure majeure entre la France et les élites de ces pays.

Mme Françoise Laborde . - Le groupe R.D.S.E. s'abstiendra.

M. Claude Malhuret . - Certains de nos collègues nous donnent des leçons de morale ou, à tout le moins, de bonne gestion financière. Or jamais les crédits de la culture ni ceux du programme 185 n'ont autant baissé qu'au cours du quinquennat précédent.

M. David Assouline . - C'est faux !

M. Claude Malhuret . - À vous de me le démontrer ! Je ne me souviens pas que Mme Filippetti ait augmenté les crédits de la culture et nous venons de voir que les crédits du programme 185 ont diminué de 10 % en euros courants sur le quinquennat. La baisse s'est arrêtée avec l'actuel gouvernement.

Le groupe Les Républicains s'abstiendra.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - La baisse des crédits du programme 185 depuis 2012, malgré une stabilisation depuis deux ans, a des effets que nous mesurons lors de nos missions à l'étranger. Devant notre commission, M. Bruno Foucher, alors président de l'Institut français, nous avait alerté sur la diminution de ses crédits d'intervention, qui atteignait 37 % voire 50 % dans certains domaines.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis . - Je partage les inquiétudes de Mme Lepage sur la diminution des effectifs d'enseignants titulaires de l'Éducation nationale et le niveau minimal nécessaire pour garantir la qualité de notre enseignement français à l'étranger. Le budget des bourses pour les élèves de l'AEFE est stable à 110 millions d'euros. Peut-être faudrait-il revoir les critères d'attribution de ces bourses ? Enfin, contrairement à l'objectif de 500 labellisations « LabelFrancEducation » qui me semble atteignable, l'objectif de 700 000 élèves scolarisés dans le réseau AEFE me semble irréaliste.

Mme de la Provôté trouvera dans mon rapport quelques éléments sur d'autres acteurs qui concourent à notre diplomatie culturelle, notamment l'Agence française de développement (AFD).

Nous avons de vrais progrès à faire en matière l'accueil des étudiants étrangers en France, que plusieurs d'entre vous ont évoqué. Outre l'Arabie Saoudite et la Turquie que M. Ouzoulias a évoquées, la Russie, la Chine et les Pays-Bas ont aussi connu de très fortes augmentations du nombre d'étudiants étrangers accueillis. L'UNESCO prévoit un doublement du nombre des étudiants en mobilité internationale dans le monde entre 2015 et 2025.

Le Premier ministre vient d'annoncer que les frais d'inscription à l'université passeraient, pour les étudiants extracommunautaires, de 170 à 2 800 euros pour une année de licence, et de 243 à 3 800 euros pour une année de master. Mais c'est à comparer aux 11 500 euros de coût moyen d'une année d'étude à l'université ! Il faudra bien entendu compenser avec un système efficace de bourses.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2019.

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