TRAVAUX DE LA COMMISSION

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AUDITION DE MME MURIEL PÉNICAUD,
MINISTRE DU TRAVAIL

M. Alain Milon , président . - Je suis heureux d'accueillir cet après-midi Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, pour la présentation des crédits de la mission « Travail et emploi » et, pour cette année encore, du compte d'affectation spéciale « Fonds de modernisation de l'apprentissage ». Notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat et consultable en vidéo à la demande. Ces crédits feront demain matin l'objet d'un avis de notre commission sur le rapport de notre collègue Michel Forissier et ils seront examinés en séance publique le mardi 4 décembre dans la soirée.

Les crédits de la mission « Travail et emploi » représentent 12,4 milliards en 2019 et traduisent, après la réforme du marché du travail conduite par le Gouvernement, les orientations données à la politique de l'emploi : baisse des contrats aidés, diminution des exonérations ciblées au profit des allégements généraux de cotisations et réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Si ces orientations peuvent être partagées par notre commission, elles interrogent la transition entre un modèle de soutien rapide à la mise en emploi, auquel le Gouvernement n'a pas totalement renoncé, comme en témoigne le dispositif des emplois francs, et celui d'une montée en compétence permettant une plus grande autonomie des demandeurs d'emploi, qui s'inscrit nécessairement dans un temps plus long. L'objectif d'un taux de chômage ramené à 7,5 % de la population active d'ici à la fin du quinquennat reste en ligne de mire sur fond de perspectives de croissance européennes très incertaines.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - L'année 2019 poursuit la transformation profonde des politiques de l'emploi et de la formation professionnelle que j'ai engagée dès mon arrivée, en parallèle des ordonnances pour le renforcement du dialogue social. J'ai mené en 2018 des réformes structurantes avec des choix forts et assumés de réallocation de nos moyens, notamment en faveur des compétences dans notre pays.

Le premier chantier est la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui réforme les règles de gouvernance et de financement des politiques de la formation professionnelle et de l'apprentissage en replaçant l'individu au centre du jeu et dans une posture de décideur de son propre parcours, qui élargit la couverture de l'assurance chômage pour faciliter les transitions professionnelles, qui lutte contre la précarité, qui renforce le retour à l'emploi et qui pose les fondements d'une égalité salariale entre les femmes et les hommes et d'une meilleure inclusion des personnes en situation de handicap.

Le deuxième chantier est le déploiement du Plan d'investissement dans les compétences (PIC). Cette année, 1,5 milliard ont déjà été engagés pour lancer une vingtaine de programmes servant deux objectifs : accompagner et former les personnes peu qualifiées en recherche d'emploi dans une logique d'acquisition des compétences attendues sur le marché du travail ; intensifier les effets de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel en accélérant par l'investissement et l'innovation la transformation du système de formation professionnelle.

Le troisième chantier est l'approche renouvelée de la politique d'inclusion dans l'emploi, fondée notamment sur la création des parcours emploi compétences et des moyens effectivement mis en oeuvre pour associer à la mise en emploi des ambitions d'accompagnement et de formation. La dimension territoriale du pilotage des outils de l'insertion a été renforcée, avec la création du Fonds d'inclusion pour l'emploi, qui a permis d'adapter l'allocation des moyens aux besoins régionaux.

Le quatrième chantier est le renforcement sans précédent du modèle inclusif des entreprises adaptées. C'est le sens de l'accord pluriannuel « Cap vers l'entreprise inclusive », qui résulte d'une concertation nourrie avec le secteur du handicap. L'objectif est de permettre à 40 000 personnes handicapées supplémentaires d'avoir accès à un emploi d'ici à 2022. Nous lançons aussi l'expérimentation des emplois dits « tremplins », visant à faciliter les passerelles vers le milieu ordinaire. Un plan de transformation de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) a été annoncé voilà quelques semaines.

Le budget de la mission « Travail et emploi » est de 12,4 milliards en 2019. À périmètre constant, il y a certes une baisse de 2 milliards par rapport à 2018, mais elle est principalement liée à l'extinction des mesures dont j'ai pris acte à mon arrivée, en particulier l'aide ponctuelle à l'embauche dans les TPE et PME, et à un choix assumé de réduction en volume des contrats aidés pour en faire des parcours plus qualitatifs et tenir compte de la consommation réelle observée cette année.

Ce budget poursuit les efforts engagés en 2018 avec un objectif d'oeuvrer à l'inclusion dans l'emploi. Il est primordial que les personnes les plus vulnérables soient replacées au coeur des politiques d'inclusion, en cohérence avec l'objectif d'émancipation porté par la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée par le Président de la République le 13 septembre 2018.

Nous allons poursuivre la montée en puissance du PIC, avec un nouvel engagement de 3 milliards, financé pour moitié par des crédits budgétaires et pour moitié par la contribution, via France compétences, des entreprises, soit 1,5 milliard.

Les crédits du PIC seront mobilisés dans quatre directions : mettre en oeuvre des parcours de formation qui seront déployés dans le cadre des pactes régionaux pluriannuels d'investissement dans les compétences en cours de négociation entre l'État et les régions ou les collectivités compétentes sur la période 2019-2022, soit 1,6 milliard d'engagements provisionnés pour la seule année 2019 ; assurer un effort particulier pour certains publics accompagnés par la politique de l'emploi, et renforcer son articulation avec les enjeux de formation après 20 millions en 2018, 60 millions par an seront consacrés à partir de 2019 à la formation des bénéficiaires de l'insertion par l'activité économique ; consolider les mesures d'accompagnement des jeunes du Parcours contractualisé vers l'autonomie et l'emploi (Pacea) avec sa formule intensive, la Garantie jeunes pour 100 000 jeunes ; promouvoir les expérimentations portant des approches innovantes sur des problématiques ciblées telles que la remobilisation et le retour à l'emploi dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville par l'appel à projets.

Il y a également un engagement important en direction des publics qui en ont le plus besoin, pour que 10 000 personnes de plus puissent accéder à l'insertion par l'activité économique dès 2019, avec une augmentation du budget de 50 millions.

L'année 2019 sera aussi celle du plein déploiement de la réforme des entreprises adaptées, avec un budget de 400 millions, en augmentation par rapport à 2018. Nous voulons que 10 000 personnes supplémentaires accèdent aux entreprises adaptées dès 2019, grâce aussi au financement de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés (Agefiph), qui participera au suivi des expérimentations.

Ces efforts sont complétés par 100 000 nouveaux parcours emploi compétences (PEC), qui seront prescrits en 2019. À ces contrats s'ajoutent près de 30 000 contrats dédiés à l'accompagnement des élèves en situation de handicap, dont le financement relève dorénavant entièrement de l'éducation nationale, avec un transfert de 124 millions.

L'expérimentation des emplois francs, lancée au 1 er avril 2018, se poursuit en 2019 pour renforcer le soutien en faveur des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Après un démarrage progressif, nous constatons ces dernières semaines une augmentation des signatures.

Pour assurer la pleine cohérence de cette politique publique en faveur des personnes pour lesquelles le soutien de l'État est indispensable dans le retour à l'emploi et pour réfléchir aux moyens d'améliorer les solutions proposées, j'ai réuni ce matin l'ensemble des parties prenantes de l'inclusion : réseaux de l'insertion par l'activité économique (IAE), entreprises adaptées, collectif Alerte, ainsi que partenaires sociaux.

Nous avons pu partager le double pari de l'inclusion : celui de la personne en difficulté, qui peut retrouver le chemin de l'insertion et de l'emploi en construisant un projet par le triptyque emploi-accompagnement-formation, et celui des entreprises, pour les mobiliser toujours plus sur l'inclusion pour l'accueil, l'accompagnement et la formation.

C'est pour enclencher cette nouvelle dynamique que je viens de créer par décret le Conseil de l'inclusion dans l'emploi, présidé par Thibaut Guilluy. Ce sera une structure agile et resserrée, qui sera force de proposition et qui pourra nous aider à coconstruire des propositions pour changer d'échelle en matière d'inclusion.

Nous avons à coeur d'accompagner les actifs et les entreprises dans leurs phases de transition et dans leur montée en compétence, d'aider les restructurations sur les territoires, et de stimuler l'emploi et la compétitivité. C'est pourquoi le budget présenté porte en termes de coût du travail une simplification du paysage des exonérations, avec la bascule de certains allégements spécifiques vers le droit commun - les allégements de charges prévus en 2019 s'appliquent à plein dès le 1 er janvier -, ainsi qu'un effort budgétaire de presque 4 milliards, soit un tiers de mon budget, pour soutenir l'emploi dans les services à la personne ou encore la création d'entreprises.

La mise en oeuvre et la réussite de ces orientations nécessitent de renforcer la performance, mais également la coordination des acteurs du service public de l'emploi. L'expérimentation d'un rapprochement entre les missions locales et Pôle emploi ne doit pas être un sujet tabou.

Dans cette perspective de recentrage des financements de l'État sur ses objectifs prioritaires, je poursuivrai le retrait de l'État de la subvention de fonctionnement des maisons de l'emploi, pour privilégier une approche par projet. Il s'agit là aussi de tirer les conséquences des choix retenus par les gouvernements successifs depuis dix ans. J'ai néanmoins entendu lors du débat à l'Assemblée nationale les craintes des élus sur la capacité pour les maisons de l'emploi de s'adapter dans ce délai. J'ai donc accepté de provisionner un budget de 5 millions cette année pour accompagner la transition.

Dans le cadre d'Action publique 2022, le ministère participera à l'objectif gouvernemental global de réduction des effectifs. La baisse sera de 233 emplois, soit un taux d'effort stable. L'effort s'inscrira plus largement dans le cadre d'une réflexion sur l'évolution du périmètre des missions et de l'organisation territoriale des services.

Le ministère relèvera le défi du numérique par le biais de la modernisation des systèmes d'information du ministère en appui des politiques de l'emploi.

Ce budget cohérent porte en synthèse deux grandes ambitions : intensifier l'effort d'inclusion et favoriser l'émancipation par l'emploi ; stimuler la création d'emplois, par la libération de l'alternance et un renforcement de l'effort en matière de baisse du coût du travail.

M. Michel Forissier , rapporteur pour avis de la mission « Travail et emploi » . - S'il est vrai que la baisse des crédits résulte en partie de l'extinction des dispositifs inefficients, on aurait pu s'attendre à ce que des économies ainsi dégagées soient redéployées en direction de dispositifs permettant de lutter plus efficacement contre le chômage. Ce n'est manifestement pas le choix qui a été fait : les crédits de la politique de l'emploi baissent d'environ 2 milliards, alors que la baisse du chômage n'est pas encore avérée.

Le budget que vous nous présentez doit mettre en oeuvre le PIC annoncé par le Gouvernement. Sur le principe, cet effort en faveur de la formation est louable. Toutefois, l'analyse des crédits me laisse dubitatif. D'abord, les crédits présentés comme relevant du PIC sont gonflés par l'intégration de dispositifs comme la Garantie jeunes, qui existe déjà et qu'il aurait de toute façon fallu financer. En outre, le fonds de concours provenant de France compétences est intégré dans le PIC alors qu'il correspond à la réorientation des crédits auparavant dépensés par les organismes paritaires collecteurs agréés et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Si l'on considère le programme 103, les crédits de paiement du PIC baissent même en réalité de 40 millions.

Le projet de loi de finances décline les dispositions de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Lors de votre audition par notre commission le 19 juin dernier, vous aviez annoncé que le montant de la nouvelle aide unique aux employeurs d'apprentis serait de 6 000 euros la première année et de 3 000 euros la deuxième. Or il est actuellement évoqué une aide de 4 200 euros la première année. Pouvez-vous nous confirmer ce montant ? Comment justifier un tel écart ?

Un certain nombre de décrets essentiels pour la mise en oeuvre de la loi ne sont pas encore parus ou ont suscité une forte opposition de la part des partenaires sociaux. Ne craignez-vous pas des turbulences qui fragiliseraient en 2019 le regain d'intérêt pour l'apprentissage que l'on voit poindre ?

L'année dernière, le Gouvernement a choisi de relancer sans étude d'impact le dispositif des emplois francs, qui avait été un échec en 2013-2014. Vous avez annoncé devant les députés que 2 500 contrats ont été conclus depuis avril. Or, vous prévoyez d'en financer 25 000 sur la durée de l'expérimentation, qui s'arrête fin 2019. Êtes-vous certaine de parvenir à cet objectif ? Pour ma part, je suis au minimum dubitatif.

Sortons légèrement du champ du projet de loi de finances : la suppression des cotisations salariales d'assurance chômage devrait être compensée à l'euro près. Or la part de CSG affectée à l'assurance chômage l'année prochaine ne représenterait que 14 milliards. Il manquerait donc environ 200 millions pour une compensation intégrale. On se souvient des conditions dans lesquelles le Président de la République a demandé aux partenaires sociaux de retourner à la table des négociations, notamment pour dégager des économies. Le Gouvernement a-t-il prévu de garantir les recettes de l'Unedic ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Les 15 milliards d'euros au titre du PIC sont pour la formation des jeunes et des demandeurs d'emploi. Une petite partie va à l'éducation nationale et à l'enseignement supérieur, notamment pour favoriser l'innovation. La Garantie jeunes relève bien des parcours pour l'emploi. Il est donc logique qu'elle soit dans le PIC.

Certes, le budget baisse de 2 milliards par rapport à 2018. Mais cela s'explique pour 1 milliard par la fin des aides à l'embauche de TPE-PME et pour 900 millions par la baisse des contrats aidés. Dans les deux cas - cela représente au total, 1,9 milliard, soit la quasi-totalité de la baisse -, les politiques mises en oeuvre ne seront pas affectées.

En revanche, nous bénéficierons d'un milliard et demi d'euros supplémentaires grâce au fonds de concours pour le PIC. Ainsi, alors que mon budget baisse de 2 milliards, nous aurons paradoxalement plus de moyens qu'en 2018.

En 2013, les emplois francs avaient effectivement échoué ; il y avait eu au total 250 contrats. Nous avons donc modifié le dispositif. Certes, cela a été un peu plus long à démarrer que nous ne l'aurions espéré. En effet, il s'agit d'aider à l'embauche de personnes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Or, la plupart des embauches ne se font pas dans ces quartiers. Mais, depuis quelques semaines, cela démarre fortement, et 80 % des embauches sont en contrat à durée indéterminée. Il s'agit de publics vivant des discriminations et ayant trois fois moins de chance d'être recrutés à qualification égale.

Sur les cotisations salariales, il y a bien un engagement de l'État pour compenser l'Unedic à l'euro près.

J'ai effectivement évoqué le chiffre de 6 000 euros pour l'aide unique. Mais c'est une moyenne entre les trois premières années. Pour les contrats d'apprentissage, qui durent trois ans, ce sera plus. Dans d'autres cas, ce sera moins.

La quasi-totalité des décrets d'application de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel sont aujourd'hui devant le Conseil d'État. Mon objectif est qu'ils soient tous publiés d'ici janvier. En attendant, nous informons les acteurs concernés du contenu de ces décrets à venir.

J'ai demandé aux branches de définir leur coût au contrat au cours du premier trimestre pour que les centres de formation des apprentis aient de la visibilité pour l'année d'après. Nous publions aussi ces jours-ci un kit pour la création des centres de formation d'apprentis. Nous constatons un frémissement. Avec Jean-Michel Blanquer, nous avons eu la bonne surprise de voir qu'il y avait eu 45 % de demandes en plus dans le logiciel de voeux à la sortie de la troisième. Cela ne s'était jamais produit en France. Il y a donc une vraie dynamique. Je rencontre individuellement tous les présidents de région, qui auront l'entière compétence en 2019, pour faire en sorte que la loi s'applique en bonne intelligence.

M. Michel Forissier , rapporteur pour avis . - Il y a, me semble-t-il, une concurrence entre les emplois francs et le plan de lutte contre la pauvreté et le chômage de longue durée, deux dispositifs qui sont à titre expérimental.

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Le plan d'insertion professionnelle, qui est un des volets de la stratégie de lutte contre la pauvreté, est concerné par les crédits.

Il n'est pas facile de vaincre la discrimination. L'argent n'est qu'un indicateur. Il faut faire évoluer les mentalités. Les emplois francs concernent un public spécifique. Du point de vue démocratique, il est très important que des jeunes issus de quartiers difficiles ayant fait l'effort de suivre des études puissent trouver un emploi, non seulement pour eux, mais également pour d'autres jeunes auxquels ils peuvent servir de modèle.

Je ne crois pas que ce dispositif concurrence les autres mesures ; les publics visés sont très différents. D'ailleurs, peu importe que les dispositifs se fassent concurrence ; l'important est qu'ils soient efficaces. Je fais le choix de la déconcentration et de la fongibilité, donc de la souplesse. Il faut permettre à nos concitoyens qui n'ont ni qualification ni réseau d'accéder à l'emploi.

Mme Frédérique Puissat . - Le projet de loi de finances réduit de 400 postes les effectifs de Pôle Emploi, après la bascule, dont la mise en oeuvre semble rassurante, de 300 conseillers vers des missions de contrôle, conformément à la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Nous sommes confrontés au double défi de la diminution des dépenses publiques, à laquelle contribue la réduction des effectifs, et de la visibilité. Je salue à cet égard le lancement d'une expérimentation relative au rapprochement entre Pôle Emploi, Cap Emploi et les missions locales. Nous montrons-nous, pour autant, suffisamment clairvoyants quant à l'avenir de Pôle Emploi ? La grève du 20 novembre a rassemblé l'ensemble des syndicats, signe d'un véritable malaise social et d'une communication perfectible à l'endroit des agents.

La seconde question porte sur la permittence, dont nous avons débattu à de multiples reprises. La délégation sénatoriale aux entreprises a commandé une étude à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) : le Gouvernement en tiendra-t-il compte, notamment s'agissant du bonus-malus qui pèse sur nos entreprises comme une épée de Damoclès ?

M. Philippe Mouiller . - Je salue, pour ma part, l'effort porté sur les entreprises adaptées. Prenons toutefois garde d'éviter la contradiction avec la mise en place de nouvelles règles de calcul en matière d'obligation d'emploi des travailleurs handicapés et le risque de recul du volume d'activité. Comment, par ailleurs, améliorer la fluidité entre les entreprises adaptées et les entreprises ordinaires ? Qu'en est-il du développement annoncé d'un service public de l'insertion ? Comment, enfin, s'organise la coordination entre les contrats aidés, les entreprises adaptées, les chantiers d'insertion et les autres dispositifs d'insertion par le travail ?

Mme Nadine Grelet-Certenais . - Je regrette la remise en cause de plusieurs dispositifs, ainsi que la suppression de nombreux postes. Les missions locales font montre d'une intense inquiétude face à l'expérimentation d'un rapprochement avec Pôle Emploi. Elles craignent de perdre leur indépendance, alors que les collaborations existent déjà et fonctionnent de façon satisfaisante. Je regrette également la suppression de l'exonération, qui s'élevait à 2 milliards, pour les entreprises de petite taille en zones rurales : votre décision pèsera sur les jeunes éloignés de l'emploi qui ne bénéficient pas des mêmes dispositifs que ceux des quartiers populaires.

Mme Christine Bonfanti-Dossat . - S'agissant des centres de formation des apprentis (CFA), vous avez évoqué un appel à projet pour expérimenter des approches innovantes. J'y suis favorable, mais les établissements eux-mêmes ne doivent pas être laissés pour compte. En Lot-et-Garonne, nous souhaitons que l'État participe à la rénovation du CFA, qui n'a fait l'objet d'aucune réfection depuis sa construction en 1968. Plus ancien centre de la région, il accueille 800 apprentis. Il convient de le maintenir en état si nous souhaitons que l'offre d'apprentissage demeure attractive.

Le Gouvernement envisage-t-il d'intervenir ? Concernant le plan de transformation de l'AFPA, qui enregistre une perte de 70 millions en 2018, des fermetures de sites sont-elles envisagées ?

M. Jean-Marie Morisset . - Vous portez l'ambition de soutenir le travail et d'investir dans l'avenir, mais, paradoxalement, votre budget diminue. Il est vrai, néanmoins, que vous avez procédé à quelques ruptures par rapport au quinquennat précédent.

Le coup de frein porté, pour la deuxième année consécutive, aux contrats aidés, qui s'établiront à 100 000 en 2019 contre 170 000 en 2018, pèse sur les territoires ruraux, où les associations, les collectivités territoriales et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) usent fréquemment du dispositif. En outre, la gestion du fonds d'inclusion par les préfets de région peut conduire à pénaliser les contrats aidés. Il conviendrait que leur affectation soit décidée par une instance de concertation locale.

Je regrette l'absence des maisons de l'emploi dans le présent projet de loi de finances. Quand disposerons-nous des résultats de l'évaluation prévue ? Dans mon département, l'expérimentation du dispositif « zéro chômeur de longue durée » paraît encourageante. Pourquoi, dès lors, attendre 2020 pour la généraliser à l'ensemble du territoire national ? Je déplore également la diminution de 85 millions de la subvention de l'État à Pôle Emploi et m'interroge sur le maintien du soutien de l'Unedic aux missions locales - elle finance 10 % de leur budget - dans un contexte de grandes difficultés budgétaires. Je vous rappelle enfin que les fonds européens que vous vous plaisez à évoquer ne représentent pas le mode de financement le plus aisé pour les porteurs de projets.

Mme Corinne Féret . - Nous assistons, pour la deuxième année, à une réduction drastique des contrats aidés, aux dépens des populations qui ont le plus besoin d'accompagnement. Sous le prétexte fallacieux d'une sous-consommation de l'enveloppe budgétaire dédiée en 2018, vous en réduisez le nombre à 100 000 en 2019. Vous auriez dû davantage vous interroger sur les raisons de la sous-consommation constatée, due notamment au renforcement des exigences en matière de formation et à la réduction du taux de prise en charge par l'État qui ont conduit les employeurs à se détourner du dispositif. Les missions locales, quant à elles, se voient amputer de 8 millions d'euros en 2019, alors que le Gouvernement souhaite amplifier le dispositif « garantie jeunes » qu'elles accompagnent, au bénéfice de 100 000 personnes. L'expérimentation de leur fusion avec Pôle Emploi remet en cause, à mon sens, la spécificité de leur action auprès des 18-25 ans, d'autant que 30 % des jeunes qu'elles accompagnent ne sont pas inscrits à Pôle Emploi. Le recul de 5 % du soutien de l'État à Pôle emploi et la croissance de 3 % du nombre de personnes suivies entraînent une augmentation de 5 % de la charge de travail de chaque agent. Les offres d'emploi signalées ont crû de 30 % en cinq ans : le bilan est positif, mais pour que Pôle Emploi accompagne et suive efficacement les chômeurs, les financements de l'État doivent être maintenus. J'évoquerai enfin les maisons de l'emploi, que l'Assemblée nationale a doté, par voie d'amendement, de 5 millions d'euros. Cette dotation semble très insuffisante au regard de leur rôle dans les territoires.

En outre, les financements par appel à projet comportent des limites et ne sont pas pérennes. Je rejoins enfin notre collègue Jean-Marie Morisset : dans le Calvados, le dispositif « zéro chômeur de longue durée » fonctionne de façon satisfaisante. Son extension est-elle prévue et, le cas échéant, dans quel délai ?

Mme Monique Lubin . - Les contrats aidés subissent une diminution des crédits et, concomitamment, un renforcement des exigences de formation, entraînant un recul du nombre de bénéficiaires. Au contraire de leurs besoins, les plus fragiles sont exclus du dispositif. Les missions locales réalisent un travail de qualité. Après un délai d'installation, elles ont gagné en crédibilité et sont désormais arrivées à maturité, capables de gérer le dispositif « garantie jeunes ». Une fusion avec Pôle Emploi ferait disparaître la spécificité de leur action auprès des jeunes éloignés de l'emploi. Je ne suis pas non plus certaine que les collectivités territoriales, premiers financeurs des missions locales, maintiendraient le niveau de subvention à une structure fusionnée.

Vous avez évoqué, madame la ministre, l'augmentation des crédits destinés aux services à la personne. Cet effort poursuit-il l'objectif d'une croissance de l'emploi dans le secteur ou d'une revalorisation de ces métiers ? Ces derniers sont hélas pénibles, mal payés et, partant, dévalorisés. Pour attirer les chômeurs, il convient donc d'améliorer la qualité des emplois proposés. Il en va de même des contrats saisonniers, dont les bénéficiaires ne peuvent obtenir de prime de précarité à leur issue. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels exigeait la remise au Parlement d'un rapport portant bilan des négociations sociales sur la réduction de la précarité de ces contrats. Cette demande a-t-elle été honorée ?

M. Daniel Chasseing . - J'admire votre volonté de favoriser l'insertion par l'activité économique et par la formation, dont la loi du 5 septembre 2018 constitue la traduction. Envisagez-vous une expérimentation des emplois francs, que je soutiens, dans les territoires ruraux ? J'approuve également la simplification des aides à l'apprentissage et la suppression du recours aux Prud'hommes, qui freinait les embauches. L'augmentation du nombre d'entreprises adaptées mérite aussi d'être saluée, dans un contexte où 20 % des personnes handicapées se trouvent au chômage. Je m'interroge sur le financement effectif, par les régions, des CFA dans les territoires ruraux. Je rejoins enfin madame Lubin : les emplois à la personne sont trop fragiles ; les salaires doivent être revalorisés.

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - La subvention de l'État à Pôle Emploi diminue effectivement de 85 millions. Mais il convient de rappeler qu'un effort du même ordre est demandé à l'ensemble des opérateurs et qu'il doit être relativisé au regard des 5 milliards d'euros de son budget.

En outre, la contribution de l'Unedic, assise sur une masse salariale dynamique, devrait parallèlement croître de 100 millions en 2019. Mêmement, après une réduction de 300 postes, les effectifs de Pôle Emploi seront diminués de 400 équivalents temps plein, soit un effort de 0,86 % sur un total de 46 000 postes. L'effort sera, en outre, absorbé par la dématérialisation de certaines tâches, qui permettra d'économiser des emplois au profit des missions d'accompagnement. Le climat social sera évoqué lors du prochain conseil d'administration, qui se tiendra préalablement à la signature, avant le 31 décembre, de la prochaine convention triennale.

Cap Emploi, qui aidait les chômeurs handicapés, a été intégré en 2018 à Pôle Emploi : son identité n'a pas pour autant été absorbée, tandis que les démarches des demandeurs d'emploi s'en sont trouvées simplifiées et les compétences de Pôle Emploi élargies. Il peut donc y avoir intégration sans fusion ! Certaines missions locales collaborent efficacement avec Pôle Emploi, d'autres moins. Notre objectif consiste à renforcer cette coopération, en partageant a minima les systèmes d'information pour un meilleur accès aux offres d'emploi. Certains élus souhaitent expérimenter l'intégration dans une structure unique ; nous leur en donnons la possibilité. Le financement des missions locales, assumé à 53 % par l'État, est porté à 356 millions en 2019 contre 360 millions en 2018. L'effort demandé paraît minime par rapport à celui imposé à d'autres dispositifs ! Leur rôle auprès des jeunes éloignés de l'emploi est effectivement essentiel. Le ministère lancera prochainement un appel à projet pour démarcher ceux que je nomme les invisibles. À cet égard, je vous indique que Patrick Toulmet, président de la Chambre des métiers et de l'artisanat de Bobigny, a été nommé délégué interministériel pour le développement de l'apprentissage dans les quartiers relevant de la politique de la ville, où ce type de formation est deux fois moins développé qu'ailleurs.

La loi du 5 septembre 2018 a confié aux régions, déjà en charge des lycées professionnels, la compétence relative à l'investissement dans les CFA, en lien étroit avec les branches professionnelles. Elle n'a, en revanche, pas levé les freins au développement de l'apprentissage dans les collectivités territoriales. Nous y travaillerons. En 2020, 250 millions seront consacrés aux CFA dans les territoires ruraux, mais, en 2019, la compétence de fonctionnement demeure dévolue aux régions.

Le dispositif « zéro chômeur de longue durée » sera expérimenté dans les dix territoires choisis jusqu'en 2020. Nous accompagnons, à hauteur de 17 000 euros par poste, sa montée en charge, avec 1 270 emplois équivalent temps plein en 2019 ; contre seulement 650 en 2018. L'évaluation qui en sera faite devra se pencher sur les externalités positives du dispositif pour les collectivités territoriales, dans la mesure où des dépenses actives remplacent des dépenses passives. Elle devra également envisager la frontière, ténue, entre l'activité des entreprises aidées et celle des petites entreprises du territoire concerné qui s'en trouveraient concurrencées.

J'assume la transformation des contrats aidés en parcours emploi compétences. Le dispositif initial n'affichait, en effet, qu'un taux de 27 % d'insertion professionnelle durable, soit un résultat décevant comparé à d'autres mesures. Notre approche est qualitative : la demande a certes diminué, mais, surtout, elle a changé au profit d'une meilleure formation, d'une véritable acquisition de compétences et du développement de projets professionnels. Pensez que 42 % des bénéficiaires sont des chômeurs de longue durée, 21 % des allocataires du revenu de solidarité active (RSA), 18 % des personnes handicapées et 13 % des habitants de quartiers prioritaires : l'objectif d'insertion est primordial ! Nous devons également investir dans d'autres dispositifs plus performants que les contrats aidés, comme les entreprises adaptées et les entreprises d'insertion par l'activité économique, qui s'adressent aux publics en grande difficulté avec des taux d'insertion compris entre 50 % et 75 %.

Depuis la décentralisation, l'AFPA se trouve dans une situation économique dégradée. Elle perd régulièrement les appels d'offre auxquels elle candidate en raison du prix élevé des prestations proposées et, parfois, de leur inadéquation aux besoins de formation. Elle a ainsi accusé une perte d'exploitation cumulée de 723 millions sur les cinq derniers exercices, dont plus de 70 millions en 2018, que l'État ne peut indéfiniment compenser. Dès lors, la nouvelle gouvernance de l'AFPA a proposé un plan de redressement et de développement : 1 500 postes seront supprimés sur un total de 8 000 et certains sites seront fermés. Pensez que, parfois, le nombre de formateurs est supérieur à celui des stagiaires ! Parallèlement, certains secteurs seront développés - je pense au programme Hope dédié aux réfugiés et confié à l'AFPA ou à la mise en service de centres de formation mobiles - et, à cet effet, 630 postes seront créés. Je suis convaincue que cette évolution se fera d'une façon socialement responsable.

Oui, il y a une gradation entre les établissements et les services d'aide par le travail, l'entreprise adaptée et l'emploi non subventionné, qu'il faut encore assouplir - dans les deux sens - avec pour objectif l'inclusion dans l'emploi ordinaire. L'accord du 12 juillet, très ambitieux, va doubler la capacité d'accueil dans les entreprises adaptées tout en accroissant la performance sociale : jusqu'à présent, les entreprises adaptées avaient intérêt à conserver les travailleurs capables d'occuper des emplois ordinaires, ce qui était absurde.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ne change pas la règle des 6 % en matière d'obligation d'emploi de travailleurs handicapés. Le secteur privé est à 3,2 %, ce qui est encore loin du compte. Désormais, cette obligation sera calculée par entreprise et non plus par établissement, ce qui ouvrira 100 000 postes supplémentaires. Comme il y a 500 000 demandeurs d'emploi en situation de handicap, un tel appel d'air sera bienvenu.

Autre modification : les entreprises pouvaient se décharger de l'obligation par la sous-traitance. Elles pourront toujours le faire, mais on comptera en somme et non plus en postes. Ce sera neutre financièrement mais plus responsabilisant pour les entreprises, qui devront afficher le nombre réel d'embauches en leur sein. L'insertion par l'activité économique concerne de plus en plus de personnes en situation de handicap, notamment psychique. Sur ce sujet comme sur d'autres, nous ne renonçons pas : nul n'est inemployable, il faut simplement un marchepied pour aider nos concitoyens les plus vulnérables.

L'accompagnement spécifique qui a été voté dans le PLFSS est un soutien renforcé, et la baisse générale du coût du travail doit renforcer l'effort vers les aidants. Ce secteur, qui a du mal à recruter, est l'un de ceux qui utilisent le plus les contrats extrêmement courts. Sur les contrats aidés, il y a une exigence qualitative, et la transformation du CICE en baisse de charges va apporter l'année prochaine 1,4 milliard d'euros au secteur associatif.

M. Olivier Henno . - Je ne suis pas choqué qu'on veuille rationaliser le service public de l'emploi dès lors qu'on veut maîtriser la dépense publique. Dans certains territoires, des complémentarités se sont créées entre maisons de l'emploi, missions locales et Pôle emploi. Ailleurs, il peut y avoir des doublons ou des triplets. Si ces structures se regroupent, ne pourrait-on saisir l'opportunité pour impliquer davantage les acteurs locaux dans le pilotage du service public de l'emploi ? Ils participent déjà à la gouvernance des missions locales et des maisons de l'emploi, mais un peu moins à celle de Pôle emploi.

Mme Martine Berthet . - En amont de la transformation du système de formation professionnelle que vous souhaitez mettre en oeuvre, prévoyez-vous une revalorisation en direction de tous les âges - et pas seulement des scolaires - de l'image de certains métiers ? Je pense par exemple aux aides-soignantes, dont les Ehpad ont grand besoin : une école d'aides-soignantes que je connais propose 24 places et n'a reçu que 5 demandes ! Il y a aussi l'industrie, et bien d'autres secteurs... Quelle part de votre budget est consacrée à cette indispensable revalorisation de l'image de certains métiers ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Je regrette la suppression du financement des maisons de l'emploi, qui jouent un rôle important dans la gouvernance territoriale du service public de l'emploi. On ne fait pas suffisamment confiance aux acteurs locaux, comme je l'ai rappelé au directeur général de Pôle emploi. Pour ma part, j'ai rapproché la maison locale et le plan local pluriannuel pour l'insertion et l'emploi et cela a accru la coordination et rationalisé l'usage des moyens en clarifiant la gouvernance. Le but n'est pas de faire des économies, cela dit, mais d'être plus efficace : à cet égard, le pilotage par les élus est essentiel, parce qu'ils connaissent le terrain et son économie.

La loi sur l'avenir professionnel transfère l'orientation à la région. Les psychologues de l'Éducation nationale sont quasiment intégrés dans les collèges ou les lycées, leur mission n'est pas définie et les régions n'ont pas l'air de se saisir du dossier. Inquiétant. Vous avez mentionné 124 millions d'euros transférés à l'Éducation nationale : à quoi seront-ils employés ?

M. Dominique Théophile . - Votre budget est offensif : faire mieux avec moins. Quelle part sera consacrée au soutien des entreprises outre-mer, où près de 50 % des jeunes sont au chômage, soit deux fois plus qu'en métropole ? Comment y sera décliné le PIC ? Y aura-t-il en 2019 une expérimentation outre-mer des emplois francs dans les quartiers prioritaires de la ville ? Ce dispositif pourrait redonner de l'espoir aux jeunes éloignés de l'emploi.

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Ce PLF, marqué par des réductions budgétaires, prolonge la politique engagée l'année dernière. Les crédits de la mission « Travail et emploi » baissent de 496 millions en autorisations d'engagement et de 2,9 milliards en crédits de paiement. On était encore en 2018 à 15 milliards d'euros, auxquels s'ajoutaient 1,5 milliard consacrés au financement national de la modernisation de l'apprentissage. La baisse globale atteint les 3 milliards. Certains opérateurs nécessaires à l'insertion professionnelle vont perdre des moyens. Et des contrats aidés utiles à des collectivités territoriales, qui vont déjà bien mal, vont disparaître.

Il y a eu récemment une importante manifestation contre les violences faites aux femmes et les inégalités entre les femmes et les hommes au travail. Quelles mesures ce PLF prévoit-il pour lutter contre ce phénomène ? Il faudrait notamment contrôler mieux et sanctionner plus souvent les entreprises réfractaires.

M. Martin Lévrier . - En fin de troisième, le nombre de jeunes intéressés par l'apprentissage a crû de 40 %, dites-vous. Combien s'y engagent réellement ? Sont-ils financés ? Le produit de la taxe d'apprentissage n'est pas extensible. A-t-on observé un frémissement pour l'année prochaine ?

Mme Patricia Schillinger . - J'ai interrogé la directrice de Pôle Emploi de ma région sur l'explosion du chômage des seniors. Elle m'a dit qu'il fallait être réactif. Avez-vous prévu des crédits spéciaux pour leur formation ?

M. Jean Sol . - Je salue le plan ambitieux en matière d'emploi que vous nous présentez ce soir. De nombreux jeunes font l'effort non seulement de se former mais aussi, parfois, de se réorienter. Il leur est alors reproché leur manque d'expérience. Que leur dites-vous ? Les assistants de vie scolaire sont déterminants pour l'inclusion scolaire, notamment des enfants handicapés. Envisagez-vous de renforcer leur statut ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Je suis favorable à une gouvernance partagée avec les collectivités territoriales en cas de rapprochement des différentes structures du service public de l'emploi, car c'est au plus près du terrain qu'on trouve le mieux les solutions - ne fût-ce qu'au sein de comités d'orientations dotés de vraies prérogatives.

La loi a prévu 54 heures de découverte des métiers, chaque année, pour tous les jeunes de la quatrième à la première. Cela fait donc 2,5 millions de jeunes chaque année ! On n'a jamais fait cela. C'est aussi exaltant que nécessaire. Les régions travaillent avec les rectorats et l'idée est de commencer cette année par les secondes avant d'élargir à toutes les autres classes les années suivantes. Les modalités seront diverses, et iront du témoignage de chefs d'entreprises, d'artisans ou de jeunes apprentis passionnés par leur métier aux visites d'entreprises ou de « l'Usine extraordinaire » ou au speed dating. Certains métiers, dans l'industrie, ont changé du tout au tout ! Cet énorme travail mettra plusieurs années à porter ses fruits, mais tout le monde va s'y mettre et la découverte de métiers va entrer dans la culture.

Le développement de l'intérêt pour l'apprentissage est une bonne surprise. Les débats sur la loi, les travaux préparatoires du Sénat et de l'Assemblée nationale n'y sont pas étrangers. Les médias se sont aussi emparés du sujet, aussi, et, en un an, l'image de l'apprentissage a changé. De fait, c'est une voie de réussite où l'on peut exceller. Le Conseil national de l'industrie s'est engagé à créer plus de 40 000 places d'apprentis et l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat, plus de 60 000. Il faut porter l'offre à hauteur de la demande ! Dès à présent, le ministre de l'Éducation nationale et moi- même avons demandé aux préfets et aux recteurs de mobiliser immédiatement les entreprises sur ce point.

Les 124 millions d'euros qui sont transférés de mon budget à celui du ministère de l'Éducation nationale correspondent, à l'euro près, aux 30 000 contrats aidés des assistants de vie scolaire. Le ministère de l'Éducation nationale va progressivement leur procurer des emplois permanents et mieux qualifiés. Dès cette année, 10 000 seront créés. C'est vital : pas d'entreprise inclusive sans école inclusive !

La revalorisation de l'image de certains métiers n'est pas tant un problème de budget que de mobilisation générale. L'industrie a détruit un million d'emplois en quinze ans, et tout le monde a arrêté d'y chercher des emplois. À présent, elle cherche désespérément des jeunes. C'est aussi pour cela qu'elle s'engage massivement sur l'apprentissage : on ne peut pas créer ex nihilo des soudeurs ou des techniciens supérieurs. À chaque fois qu'on valorise l'apprentissage, on contribue à restaurer la valeur travail et l'image de certains métiers. Certains ont changé, notamment dans l'industrie. La transition numérique et la transition écologique ont un fort impact sur le bâtiment et l'artisanat. Pour certains métiers, ce sont les conditions même de travail qui ont besoin d'être revalorisées.

Je pense par exemple à l'aide à la personne, ou à l'hôtellerie-restauration. D'une manière générale, les jeunes ne connaissent pas les métiers. Souvent, ils ne connaissent que ceux de leurs parents - et, pour certains entre eux, leurs parents n'ont jamais travaillé, ce qui ne les aide pas à se représenter le travail !

Pour lutter contre la précarité, il existe des outils qui pourraient être développés, comme le CDI intérimaire, qui donne à l'employé la capacité à se projeter, à trouver un logement et disposer d'une autonomie tout en étant placé dans les entreprises, surtout de petite taille, qui n'ont pas de besoins permanents. Les groupements d'employeurs sont aussi une très bonne solution pour garantir à la fois de la flexibilité pour l'entreprise et la sécurité d'un CDI. Nous augmentons d'ailleurs les aides aux groupements d'employeurs.

Pour les outre-mer, l'État déploie 16,7 milliards de crédits de paiement en 2019, dont 777 millions sur les crédits de la mission « Travail et emploi ». Le PIC se focalise aussi sur les outre-mer, puisque 7,7 % des moyens régionaux, soit 500 millions, sont consacrés aux territoires ultramarins, qui représentent 3,3 % de la population nationale. J'étais il y a quelques jours à la Réunion et à Mayotte, et je connais les chiffres du chômage des jeunes. Cela demande des efforts à proportion des besoins. Avec la ministre des outre-mer, nous avons prévu dans le PIC un axe d'initiatives territoriales spécifique aux territoires d'outre-mer. Nous devons aussi y encourager la création d'emplois, notamment sur les territoires insulaires, sinon nos efforts de formation auront un impact limité. Les écoles de la deuxième chance et le service militaire adapté ont des effets très bénéfiques.

Je ne veux pas empiéter sur les prérogatives de la secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations. Nous avons une action forte sur ce sujet, puisque la loi sur l'avenir professionnel instaure des référents « ressources humaines » dans toutes les entreprises de plus de 250 salariés et dans les comités sociaux-économiques.

Nous publions des guides pour aider les entreprises à sanctionner le harcèlement, et les inspecteurs du travail seront tous formés. Le 22 novembre, l'ensemble des partenaires sociaux, avec qui nous avions travaillé pendant trois mois, ont réagi positivement aux mesures, issues de la concertation, que nous avons prises en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Dans la loi sur l'avenir professionnel, nous avons prévu de fixer une obligation de résultat sur l'égalité salariale, dont nous avons annoncé jeudi dernier les modalités d'application. Les partenaires sociaux ont tous fait des propositions extrêmement approfondies.

Les demandeurs d'emploi de longue durée seniors sont évidemment un public-cible pour le PIC, pour les parcours emploi compétence et pour l'ensemble de nos dispositifs. Au cours des derniers trimestres, nous avons enregistré une légère baisse du chômage des jeunes et des seniors - mais on vient de loin. De plus, le nombre de CDI a crû de 14 %. Si les entreprises ne cherchent que des hommes entre 28 et 38 ans, ayant les mêmes diplômes et les mêmes qualifications, avec dix ans d'expérience, n'ayant jamais été au chômage et qui habitent dans les beaux quartiers, elles ne trouveront pas ! Mais beaucoup d'autres Français veulent travailler, heureusement.

Je parlais ce matin des frontaliers avec le président de la région Grand-Est. C'est un sujet compliqué : on les qualifie et ils partent travailler en Suisse ou au Luxembourg... Du coup, nos régions frontalières manquent de main-d'oeuvre. Ce sont aussi des discussions que nous avons en bilatéral avec nos voisins. J'ai par exemple obtenu du Luxembourg qu'il prenne en charge l'assurance chômage des Français travaillent sur son territoire.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 21 novembre 2018, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Michel Forissier sur la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2019.

M. Alain Milon , président . - Ainsi que je l'évoquais hier soir à l'issue de l'audition de Mme Pénicaud, l'Assemblée nationale n'a pas achevé l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, dont le texte n'a donc pas pu nous être transmis cette nuit. L'Assemblée nationale ne reprendra ses travaux sur le PLFSS que ce soir. Je me vois donc contraint de reporter l'examen de notre rapport demain matin, jeudi 29 novembre à 8 h 30. Venons-en à la mission « Travail et emploi ».

M. Michel Forissier , rapporteur pour avis des crédits de la mission « Travail et emploi ». - Les derniers chiffres, ceux du troisième trimestre 2018, montrent que la baisse du chômage observée depuis la fin du quinquennat précédent demeure très limitée. En effet, le taux de chômage s'est maintenu au troisième trimestre et ne baisserait que de 0,5 point sur un an pour s'établir à 9,1 %. La situation du marché de l'emploi demeure donc préoccupante.

Dans ce contexte, les crédits de la mission « Travail et emploi » baisseraient de près de 3 milliards d'euros. Certes, cette baisse s'explique en partie par des effets de périmètre, et notamment par la suppression de dispositifs spécifiques d'exonération, consécutive à l'augmentation des allègements généraux, qui sont compensés, non pas par des crédits budgétaires, mais par l'affectation de recettes fiscales. À périmètre constant, les crédits de la mission baisseraient tout de même de 2 milliards d'euros.

Pour l'essentiel, cette baisse des crédits résulte, d'une part, du recentrage du recours aux contrats aidés sur les publics les plus éloignés de l'emploi, d'autre part, de l'extinction progressive de dispositifs qui ont fait la preuve de leur échec, et dont la suppression a été décidée par le Gouvernement actuel ou le précédent.

Je partage globalement la philosophie du Gouvernement sur les contrats aidés et je note que la réduction des moyens qui leur sont alloués s'accompagne d'une hausse des crédits dédiés à l'insertion par l'activité économique. De même, le Sénat a eu l'occasion d'approuver la suppression de certains dispositifs peu efficaces, comme les contrats de génération ou les dispositifs de préretraite.

L'année 2019 doit marquer la première année pleine de mise en oeuvre du plan d'investissement dans les compétences, le PIC, qui serait doté de 2,5 milliards d'euros en crédits de paiement et 3 milliards d'euros en autorisations d'engagement. Une action forte en faveur de la formation des demandeurs d'emploi et des jeunes décrocheurs est tout à fait nécessaire et les crédits demandés à ce titre semblent tout à fait pertinents.

L'effort affiché par le Gouvernement doit toutefois être fortement relativisé. En effet, une partie importante des crédits présentés comme relevant du PIC finance en fait des dispositifs déjà existants qu'il aurait bien fallu financer, même en l'absence de plan spécifique. Il en est ainsi de la garantie jeune, qui représenterait près de 500 millions d'euros en 2019. La progression des crédits du programme 102 au titre du PIC est même gonflée quelque peu artificiellement par l'inscription sous ce label de dispositifs qui étaient présentés dans d'autres enveloppes en 2018, comme les parcours contractualisés d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie ou la rémunération de fin de formation. En outre, le programme 103 doit bénéficier d'un fonds de concours de 1,5 milliard d'euros provenant de la future agence France compétences en application des nouvelles modalités de collecte et de répartition de la contribution des entreprises au financement de la formation professionnelle.

L'année 2019 marquera, par ailleurs, la première année de mise en oeuvre de la loi du 5 septembre dernier pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Cette loi a prévu un certain nombre de changements dans la gouvernance et le financement de la politique de formation professionnelle. Il est regrettable de constater que très peu des mesures d'application nécessaires ont à ce jour été publiées. Notamment, le montant de l'aide unique aux employeurs d'apprentis n'est pas encore connu et les annonces du Gouvernement sont nettement en deçà de ce qui nous avait été annoncé au moment des débats sur le projet de loi.

Avant d'évoquer les articles rattachés, je souhaite aborder un point qui sort du cadre du PLF, mais qui relève de la politique de l'emploi.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a prévu la suppression des contributions salariales d'assurance chômage. Cette suppression devait être intégralement compensée à l'Unedic par l'État. Or l'affectation d'une part de CSG se traduit dès 2019 par une perte de recettes de 200 millions d'euros pour l'assurance chômage. À long terme, la CSG étant moins dynamique que les cotisations salariales, la trajectoire de solde pourrait s'en trouver dégradée. Mme la ministre a confirmé la compensation, hier, mais nous ne voyons rien venir pour l'instant dans les textes financiers.

Deux articles sont rattachés à la mission « Travail et emploi ». L'article 84 révise les conditions de versement de l'aide en cas d'activité partielle. Il est proposé de ramener de quatre à un an le délai dont les entreprises disposent pour demander le versement de cette aide et de prévoir des sanctions en cas de fraude. L'article 84 bis, inséré par l'Assemblée nationale, crée une contribution de 25 millions d'euros de l'association de gestion du fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'Agefiph, pour le financement des entreprises adaptées.

Faute de pouvoir majorer les crédits demandés, et tout en constatant que les résultats de la politique menée en matière d'emploi ne sont encore que peu visibles, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et des articles rattachés, ainsi que du compte d'affectation spéciale pour le financement de l'apprentissage.

Si cela ne doit pas conditionner la position de notre commission, je précise que la commission des finances a aussi émis un avis favorable, sous réserve de l'adoption d'un amendement de ses rapporteurs spéciaux tendant à augmenter les crédits dédiés aux maisons de l'emploi. Je serai à titre personnel favorable à cet amendement.

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Les contrôles menés par l'inspection du travail doivent être renforcés, ce dont nous nous félicitons, mais comment celle-ci pourra-t-elle mener à bien ses missions, alors que ses effectifs sont en baisse ?

M. Michel Forissier , rapporteur pour avis. - Effectivement, si les moyens ne sont pas mis en place, cela sera compliqué. Je voudrais ajouter une réflexion quant à la situation de l'emploi. On constate dans certains bassins économiques que l'activité reprend sans création d'emplois. C'est plutôt inquiétant.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Travail et emploi ».

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