II. ALORS QUE LES PLANS « LOGEMENT D'ABORD » ET PAUVRETÉ AFFICHENT L'AMBITION DE RENFORCER L'ACCÈS AU LOGEMENT, L'ACCOMPAGNEMENT SOCIAL N'APPARAIT PAS SUFFISANT POUR Y PARVENIR

A. LES AMBITIONS DES PLANS « LOGEMENT D'ABORD ET « PAUVRETÉ » RISQUENT DE SE HEURTER À UN BUDGET QUI DEMEURE LIMITÉ

1. Le plan « logement d'abord » entend renforcer le logement adapté et faciliter l'accès au logement

Le « plan quinquennal 2018-2022 pour le logement d'abord et la lutte contre le sans-abrisme », mis en place par le Gouvernement, a pour ambition de « réorienter rapidement les personnes sans domicile vers le logement grâce à un accompagnement adapté et modulable ».

Il se décline en cinq priorités :

- produire et mobiliser plus de logements abordables et adaptés aux besoins des personnes sans-abri et mal logées ;

- promouvoir et accélérer l'accès au logement et faciliter la mobilité résidentielle des personnes défavorisées ;

- mieux accompagner les personnes sans domicile et favoriser le maintien dans le logement ;

- prévenir les ruptures dans les parcours résidentiels et recentrer l'hébergement d'urgence sur ses missions de réponse immédiate et inconditionnelle ;

- mobiliser les acteurs et les territoires pour mettre en oeuvre le principe du logement d'abord.

Les mesures du plan reposent sur l'approche « housing first », traduite par « un chez soi d'abord », qui vise à proposer en priorité aux personnes sans-abri des logements pérennes plutôt que des dispositifs d'hébergement temporaires. Cette approche de la prise en charge des sans-abri a d'abord été mise en oeuvre aux États-Unis, en particulier à New York dans les années 1990, et s'est révélée fructueuse puisqu'il est évalué que 85 % à 90 % des personnes se maintiennent dans les lieux. En outre, le coût de ce programme est moins élevé que les solutions d'hébergement 6 ( * ) .

À titre d'illustration, les dispositifs de logement adapté sont moins coûteux que les structures d'hébergement d'urgence. À raison d'une dotation de 16 euros par jour, une place en pension de famille représente un coût annuel d'environ 5 840 euros. Le coût d'une place à l'hôtel représentait 7 266 euros par an en 2017 7 ( * ) . En centre d'hébergement (CHRS et non-CHRS), le coût complet annuel d'une place représentait, en 2017, 16 889 euros pour des services regroupés et 12 211 euros pour des services diffus 8 ( * ) .

Cette approche de la lutte contre le sans-abrisme nécessite toutefois un important accompagnement social de la personne.

Parmi, les mesures de ce plan figure la création de 40 000 places supplémentaires en intermédiation locative , en mobilisant le parc privé et l'ouverture de 10 000 nouvelles places en pensions de famille sur cinq ans. La mise en oeuvre de ces mesures s'est traduite en 2018 par l'ouverture de 6 236 places en intermédiation locative et 1 325 places en pensions de famille. La montée en charge de ces dispositifs se poursuivra en 2019 grâce à l'augmentation des crédits dédiés au logement adapté.

Alors que les places en pensions de famille et en intermédiation locative s'élevaient respectivement à 16 000 et 34 000 fin 2017, l'ambition affichée par le plan est forte et suppose de doubler le nombre de places en cinq ans . Par conséquent, l'augmentation des crédits pour 8,4 millions d'euros en 2019 apparait assez faible face à l'objectif fixé.

2. La stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté entend également renforcer l'hébergement et l'accompagnement des sans-abri.

La « stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté » contient un ensemble de mesures annoncées par le Président de la République en septembre 2018, qui seront déployées sur quatre ans (2018-2021) grâce à un budget de 8,5 milliards d'euros. Ces mesures répondent à cinq engagements :

- l'égalité des chances dès les premiers pas pour rompre la reproduction de la pauvreté (1,2 milliard d'euros) ;

- garantir au quotidien les droits fondamentaux des enfants (271 millions d'euros) ;

- un parcours de formation garanti pour tous les jeunes (439 millions d'euros) ;

- vers des droits sociaux plus accessibles, plus équitables et plus incitatifs à l'activité (7,9 milliards d'euros) ;

- investir pour l'accompagnement de tous vers l'emploi (1 milliard d'euros).

Parmi les mesures du plan figure une enveloppe de 125 millions d'euros dédiée au développement et à l'adaptation de l'offre d'hébergement et d'accompagnement vers le logement des familles , au développement des maraudes et en faveur de la protection de l'enfance pour lutter contre la situation des enfants à la rue et la mendicité.

Pour 2019, les services du ministère des solidarités et de la santé ont indiqué à votre rapporteur qu'une enveloppe de 20 millions d'euros serait transférée par amendement au profit du programme 177 pour financer des mesures destinées aux familles avec enfants. Selon les indications fournies par le ministre chargé de la ville et du logement, M. Julien Denormandie, auditionné par la commission des affaires économiques du Sénat le 13 novembre 2018, une partie de cette enveloppe serait dédiée au soutien des maraudes (pour 5 millions d'euros), à l'accompagnement des personnes hébergées à l'hôtel (pour 5 millions d'euros) et aux CHRS .

Si votre rapporteur partage les orientations prises par cette stratégie de lutte contre la pauvreté et l'ambition qu'elle porte, il tient d'une part à souligner que l'enveloppe annoncée pour 2019 reste modeste face aux objectifs fixés et aux défis posés par le problème de l'hébergement.

D'autre part, votre rapporteur constate la difficulté d'évaluer le déploiement des mesures annoncées figurant dans ces différents plans. Leur multiplication risque de brouiller les messages pour les acteurs de terrain. En outre, le suivi des moyens alloués chaque année à la mise en oeuvre de ces mesures n'est pas suffisamment développé et nuit à la bonne appréciation des crédits budgétaires.

3. La réussite de l'accompagnement des personnes sans domicile dépendra en aval de la situation du marché du logement

La rigidité du marché du logement affecte la capacité d'accompagner les personnes en difficulté sociale et sans domicile vers des logements adaptés ou ordinaires.

En effet, la progression de l'intermédiation locative dépend du prix des loyers dans le parc privé et de la mobilisation de ce parc en faveur de ces dispositifs sociaux. Il convient aussi de lutter contre l'augmentation de la vacance des logements en zone urbaine pour mettre davantage le parc immobilier à disposition. Selon l'Insee, le nombre de logements vacants a augmenté de 3,4 % par an depuis 2010 et le taux de vacance est plus marqué dans les villes-centres qu'en périphérie, s'élevant à 9,5 % dans les villes-centres des grands pôles urbains 9 ( * ) . Si cette ambition de mobiliser le parc privé est affichée dans le plan « logement d'abord », les moyens pour y parvenir ne sont, à ce stade, pas au rendez-vous.

Concernant les pensions de famille , leur développement nécessite aussi d'adapter les moyens à l'évolution du marché de l'immobilier. Or, la dotation de 16 euros par place et par jour attribuée pour cette forme de logement n'a pas été revalorisée depuis 2008.

Par conséquent, les structures d'hébergement d'urgence et les hôtels perdent progressivement leur vocation d'accueil temporaire et hébergent certaines personnes pendant plusieurs mois voire plusieurs années. La fluidité du parcours vers le logement suppose donc d'agir sur l'ensemble des étapes du parcours, des dispositifs d'urgence jusqu'à l'accessibilité à un logement pérenne. Pour fluidifier ce parcours, l'accompagnement social des personnes est une condition nécessaire.


* 6 Fondation Abbé Pierre, L'état du mal logement en France 2017.

* 7 Réponses aux questionnaires budgétaires, sur la base de l'enquête AHI 2017.

* 8 Réponses aux questionnaires budgétaires, sur la base de l'enquête nationale des coûts 2017.

* 9 Insee Première, n° 1700, juin 2018.

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