B. DES SERVICES DE SOUTIEN ENCORE FRAGILES

Dans le cadre de la préparation de leur avis, vos rapporteurs ont porté une attention particulière à plusieurs services de soutien, comme ils l'avaient fait l'année dernière. Il leur est apparu que les services de soutien doivent faire l'objet d'une attention particulière dans la mise en oeuvre de la nouvelle prochaine LPM .

1. La lente remontée des effectifs du SSA sursollicité

Le service de santé des armées a fait preuve de sa pleine capacité à mettre en oeuvre la réforme profonde prévue par le projet « SSA 2020 » (présenté dans l'encadré suivant), en témoigne la fermeture de l'hôpital du Val-de-Grâce.

Le SSA a trouvé là le moyen d'affirmer son excellence en s'adaptant, ce qui lui a permis de contribuer pleinement à la résilience de la nation lors des attentats de 2015.

SSA 2020

La sujétion opérationnelle accrue, un système national de santé en pleine mutation, et un contexte budgétaire de plus en plus contraint, ont conduit le SSA à élaborer, dès 2013, une nouvelle vision stratégique : le projet de Service « SSA 2020 », qui repose sur trois principes :

- la concentration : recentrage sur la mission opérationnelle, densification des équipes et des structures,

- l'ouverture au service public de santé, à l'interministériel, à la société civile et à l'international, pour en devenir un acteur à part entière et bénéficier de leur soutien,

- et enfin, la simplification, basée sur la délégation et la transversalité.

La médecine des forces doit devenir le centre de gravité du SSA. Dans le cadre de la mise en oeuvre du Modèle SSA 2020, le SSA a entrepris une réorganisation profonde de la médecine des forces. Son organisation est simplifiée et différenciée garantissant aux forces armées proximité, disponibilité et compétences spécifiques, en opérations comme sur le territoire national. De nouvelles activités de soins répondant aux besoins de la population militaire soutenue sont créées.

Ceci se traduira par la création de centres médicaux des armées de nouvelle génération (CMA NG), en nombre réduit par rapport aux structures actuelles (19 en 2018 contre 54 en 2014).

Les hôpitaux militaires sont la composante du service de santé dont la réorganisation prévue par le projet SSA 2020 est la plus profonde et la plus complexe. L'objectif est de recentrer cette composante autour des besoins de soutien opérationnel des forces armées, sur les théâtres d'opérations extérieures comme sur le territoire national.

Le format retenu est de huit établissements. Les quatre hôpitaux d'instruction des armées (HIA) composant les groupes hospitaliers militaires nord (HIA Percy et Bégin) et sud (HIA Sainte-Anne et Laveran) sont clairement identifiés comme des outils de défense détenus en propre par le ministère de la défense. Ces hôpitaux sont densifiés et recentrés sur les spécialités concourant à la réponse immédiate au contrat opérationnel et à la prise en charge des blessés et de leurs séquelles.

Leur format permet d'assurer une contribution forte aux besoins du contrat opérationnel et la prise en charge initiale des blessés de guerre. Les quatre établissements en partenariat civil/militaire** ont vocation à s'intégrer pleinement dans leurs territoires de santé dans le cadre de partenariats avancés et pérennes. Leur format sera réduit afin de dégager les ressources humaines et financières nécessaires à la mise en oeuvre du modèle SSA 2020.

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* Le SSA n'a plus aujourd'hui à prendre en charge, de la même façon que lors de sa création, la communauté de la défense située en métropole, qui trouve désormais dans le secteur public hospitalier une offre de soins satisfaisante. De la même façon, la disparition des appelés du contingent et la réorganisation des bases de défense ont réduit le besoin d'implantation nationale du SSA.

**HIA Robert Picqué (Bordeaux) en partenariat avec la Maison de santé protestante Bagatelle, HIA Desgenettes (Lyon) en partenariat avec les Hospices civils de Lyon, HIA Legouest (Metz) en partenariat avec le Centre hospitalier régionale de Metz - Thionville et HIA Clermont-Tonnerre (Brest) en partenariat avec le Centre hospitalier régional universitaire de Brest.

Le plafond d'emplois autorisés du SSA est passé de 16 529 effectifs en 2014 à 15 626 en 2018 20 ( * ) . L'effectif moyen réalisé en cours d'année est inférieur de 600 unités au plafond d'emploi. Selon les informations fournies à vos rapporteurs pour avis, depuis le début de l'actuelle LPM, le SSA a perdu 8 % de ses effectifs . La remontée de la FOT et le niveau élevé de l'engagement de la France sur les théâtres extérieurs, supérieur aux objectifs de construction de la LPM et du modèle SSA 2020, ont mécaniquement induit un besoin supplémentaire de soutien par le SSA.

Le service dispose de 700 médecins des forces, il lui en manque une centaine, ce qui conduit à concentrer sur les mêmes personnels la charge de projection du service : ainsi les personnels projetés effectuent 200 % du contrat opérationnel .

Alors que les déficits de personnels sont déjà criants dans certaines spécialités telles que les chirurgiens orthopédistes, les dentistes, les infirmiers en soins spécialisés de bloc opératoire diplômés d'État et les masseurs kinésithérapeutes, la surprojection des mêmes personnels finit par les pousser à quitter le service. Leur fidélisation est un défi difficile à relever dans de telles conditions, et alors que la concurrence de la fonction publique hospitalière sur certaines spécialités est réelle. À ceci s'ajoute la longueur des formations pour nombre des métiers de la santé, générant des effets retardés sur les viviers. Ces facteurs incitent à la civilianisation progressive des postes sans contrainte opérationnelle directe et au recours croissant aux praticiens contractuels. Alors que ces officiers contractuels représentaient 7% des effectifs des praticiens en 2016, leur recrutement va s'intensifier lors des prochaines années, avec une cible établie à 16% d'ici 2021.

Pour faire face aux besoins de projection, 20 % du contrat opérationnel du SSA en OPEX est assuré par des réservistes, contre 10 % en 2018 . À ce jour 2 900 réservistes participent aux missions du SSA, 50 % d'entre eux sont appelés à partir à la retraite à court terme. La directrice du SSA travaille activement à l'augmentation de leur nombre pour atteindre l'objectif de 3 500 réservistes.

Dans ces conditions, il était essentiel que la LPM prévoie la fin de la déflation des effectifs du SSA, votre commission y a veillé, modifiant en conséquence le texte du rapport annexé de la LPM.

Face à cette situation inquiétante dont on pouvait penser qu'elle risquait à moyen terme d'obérer la capacité de la France à entrer en premier sur les théâtres d'opération faute de pouvoir projeter le personnel médical indispensable, votre commission a donc été entendue. La prochaine loi de programmation militaire 2019-2025 concrétise l'arrêt de la déflation des effectifs du SSA dès 2018, leur stabilisation jusqu'en 2023 et leur remontée modérée au-delà. Cette nouvelle trajectoire positive se traduira par la mise en oeuvre du nouveau modèle hospitalier militaire, la poursuite de la remontée en puissance de la médecine des forces et la préparation de l'avenir avec la mise en formation de 15 élèves praticiens et 10 élèves infirmiers supplémentaires pour 2019.

Ce satisfecit ne doit toutefois pas inciter à réduire l'attention car la situation du SSA reste fragile :

- la féminisation du corps médical pose certains défis,

- le fonctionnement quotidien des centres médicaux des armées est également marqué par un accroissement des besoins en expertise médicale d'aptitude et une intensification des activités de soutien des activités à risque, du fait de l'augmentation de la force opérationnelle terrestre et du plan Réserve 2019,

- enfin, l'attractivité du secteur civil, particulièrement forte pour certaines spécialités hospitalières (radiologie, anesthésie-réanimation et chirurgie), favorise de nombreux départs de l'institution. La stabilisation du SSA reste donc à surveiller.

2. La reprise de la déflation des effectifs du SCA

Refondu en 2010, le service du commissariat des armées (SCA) dispose d'un effectif d'environ 25 000 personnes 21 ( * ) avec le rattachement en 2014 des 64 groupements de soutien de base de défense (GSBdD) de métropole, d'outre-mer et de l'étranger dans l'optique de permettre un pilotage du soutien d'administration générale et de soutien commun (AGSC) dit de « bout-en-bout » au profit de l'ensemble états-majors, directions et services et les organismes qui leur sont rattachés.

Le SCA

Le SCA est organisé en 6 filières de soutien, chacune relevant d'un centre expert : la gestion de base vie (GBV), la restauration-hébergement-loisirs (RHL), l'habillement, le soutien de l'homme (SH), l'assistance juridique et les droits financiers individuels, animées par des métiers (achats, finances, logistique, expertise juridique).

La réorganisation du soutien et la réorganisation de la fonction ont conduit à une transformation profonde depuis 2013 de la filière RHL visant à mettre en place une démarche de régie rationalisée optimisée, dite « RRO² » devant permettre de générer des gains comparables à ceux de l'externalisation, sans en présenter certains inconvénients.

La modernisation de la fonction habillement est prévue par le projet dit de « Régie Rationalisée Optimisée » (RRO). La construction d'un entrepôt de flux modernisé à Châtres a été achevée le 25 juillet 2018, par prise à bail auprès d'un opérateur privé et sa mise en service opérationnel est prévue en décembre 2018. Concernant la filière Habillement, le déploiement de la délivrance par correspondance (DPC) dans la chaîne de transport interarmées, ainsi que le lancement du nouveau portail de commande sont prévus pour 2019- les délais de livraison et de traitement des demandes sont des points d'attentions du SCA et des attentes immédiates des bases de défense - et l'élaboration d'un système d'information logistique de bout en bout qui devrait permettre de disposer d'une vision complète des stocks et des consommations.

La filière SH a pour objectif de satisfaire les besoins vitaux du combattant en tout temps, lieux et circonstances et de préparer dans ses domaines de compétence l'engagement des forces. Ce soutien porte sur la mise à disposition de matériels de campagne (ainsi que leur maintenance), d'effets de protection balistique et d'effets spécialisés (pour le contrôle de foule, le déminage) et de rations de combat, tant à l'entraînement qu'en opération. Dans ce dernier cadre, elle met également en oeuvre la chaîne des affaires mortuaires. Tout en répondant aux besoins, cette filière doit rationaliser les stocks, récemment interarmisés, maintenir un soutien de qualité en dépit d'une forte tension sur les effectifs employés par la filière et moderniser un parc d'équipements vieillissants et très sollicités. La recapitalisation de cette filière est un objectif majeur.

La filière GBV est constituée d'un bloc de fonctions de soutien multi-services, délivrant une quarantaine de types de prestations au sein des bases de défense, ainsi que d'un bloc transport couvrant trois segments (individuel, collectif et fret). La filière GBV/multi-services est structurée en 14 domaines (dont l'accueil-filtrage-gardiennage, l'entretien des espaces, le nettoyage, la gestion des déchets...). La filière fournit des services d'exploitation courante au sein des GSBdD ou en opération, ainsi que des services à la personne. Elle se caractérise par une forte disparité des niveaux de service et par des achats fortement dispersés et peu optimisés à ce jour. La modernisation de cette filière doit se poursuivre pour obtenir une meilleure qualité de service et maîtriser les coûts. Alors que les besoins en transport sont croissants, la filière GBV/transport souffre d'une non-optimisation des ressources et d'un coût d'exploitation supérieur de 20% aux standards de référence des flottes d'entreprise de taille équivalente. Une expérimentation (« ET 17 » - expérimentation transport 2017) de leviers de modernisation sur 11 bases de défense et 55 000 soutenus a été menée visant à simplifier l'accès au transport et l'adaptation du parc au besoin des unités soutenues, à mieux gérer les moyens grâce à une organisation zonale, l'augmentation de la mutualisation des véhicules, et la mise en place de tableaux de bord. Des progrès certains restent à faire dans ce domaine pour satisfaire les besoins des bases de défense, et c'est pourquoi un moratoire sur le ralliement de la cible ministérielle de véhicules (12 341) à atteindre d'ici 2021 a été demandé.

Entre 2008 et 2018, les effectifs du SCA sont passés de 34 000 à 25 000 personnes, soit une réduction de 8 500 postes . Comme pour le SSA , les « effectifs soutenants » ont diminué plus vite que les effectifs soutenus . La remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre a d'ailleurs marqué un tournant, les effectifs soutenus augmentant de nouveau alors que les effectifs soutenants continuaient de diminuer. Alors que ses effectifs ont diminué de 30 %, dont 100 personnels ces 5 dernières années, de 2019 à 2023, le schéma d'emploi prévoit encore 150 suppressions de postes . Pourtant, le SCA n'est pas au bout de sa réforme : avec le plan « SCA 22 », de grands défis l'attendent encore pour mettre ses systèmes d'information à la hauteur des besoins, et parvenir à améliorer ses résultats dans la fonction habillement, comme dans le transport où les tensions sont réelles, essentiellement liées à l'âge élevé de la flotte (7 ans). Aucun financement n'est toutefois prévu pour le parc de véhicules en 2019.

Dans ce contexte, faute d'effectifs, le SCA a dû se résoudre à fermer des lieux de convivialité diminuant ainsi la qualité du soutien apporté aux bases de défense notamment. Le manque d'effectifs s'ajoute au manque de moyens. Ce sont 400 millions d'euros qui seraient nécessaires pour mettre aux normes les restaurants dont le SCA a désormais la responsabilité. L'état de 70 d'entre eux est particulièrement préoccupant. De même, le taux de vétusté du matériel de campagne de restauration est extrêmement élevé, Alors que 70 % de ce matériel devraient être réformés, ils sont maintenus en service. L'externalisation des fonctions « restauration, hébergement, hôtellerie et loisirs » et de soutien à la personne, communément appelées « Gestion base Vie » sont actuellement à l'étude, dans la perspective de dégager des marges de manoeuvre tout en réduisant les risques de ruptures de service dès 2020, du fait des perspectives de départ à la retraite des agents civils.

Selon les informations transmises à vos rapporteurs pour avis dans le cadre de la préparation de leur rapport budgétaire, plusieurs leviers d'amélioration des conditions d'exercice des fonctions du SCA et par là du soutien qu'il apporte aux troupes peuvent être recherchés :

- il serait bon que le SCA dispose des leviers d'action nécessaires à la réalisation de son projet de service et que son directeur devienne responsable de son propre budget opérationnel 22 ( * ) ,

- il convient d'améliorer la gestion des ressources humaines afin qu'il soit possible de bâtir des parcours et des carrières permettant la professionnalisation des filières. À ce jour, le directeur du SCA doit faire face à 2 défis : d'une part, il ne décide pas du recrutement de ses personnels et ne peut mettre en place des politiques de formation de long terme en raison des changements d'affectation ; d'autre part, il accueille 13 000 personnels militaires alors qu'il évalue son besoin à 9 500 militaires aptes au déploiement.

Le SCA met en place 12 des 26 priorités que comprend le plan famille présenté par la ministre de la défense. Il est en effet en charge de :

- la mise à disposition du Wifi gratuit dont le coût est estimé à environ 10 millions d'euros par an,

- l'amélioration des conditions de changement de résidence des militaires et de leurs familles avec la mise en place d'une plateforme de courtage de déménagement et la diminution du temps de remboursement des avances de frais de déménagement faites par le militaire,

- la mise en place d'une sorte d'agence de voyages prenant en charge les frais de voyage de restauration et d'hébergement en lieu et place du système actuel de remboursement aux militaires.

Vos rapporteurs seront d'autant plus attentifs à l'évolution du SCA qu'il sera un acteur important de mise en oeuvre de la réforme des soutenants annoncée.

3. Le nouveau défi des services de soutiens : la responsabilisation des commandements

La responsabilisation des commandements a été annoncée par la ministre et semble aller dans le bon sens, obéissant à la règle « un chef, une mission, des moyens ». Dès 2013, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, avait déploré le fait que la nouvelle organisation des bases de défense compliquait inutilement le quotidien des « soutenus » : par exemple, il fallait obtenir pas moins de 7 signatures pour organiser un simple exercice de tir et prévenir les services concernés... Lors de sa dernière audition parlementaire, cet été, le général François Lecointre, le chef d'état-major des armées, a critiqué les réformes menées dans le domaine du soutien, notamment celles relatives à la Révision générale des politiques publiques (RGPP), lancée en 2008.

« Les principes qui ont présidé à la réorganisation du ministère dans une période de forte déflation restent en vigueur, même après l'inversion de tendance. L'approche fonctionnelle, qui a supplanté l'approche organique de manière trop systématique, sans égard suffisant pour la singularité du fonctionnement des armées, nous a affaiblis. Nous devons veiller à remédier aux affaiblissements les plus criants », a ainsi expliqué le CEMA. Le CEMA, lors de son audition devant votre commission le 10 octobre 2018, a présenté les grandes lignes de la réforme visant la responsabilisation des commandements, ou pour le dire de façon plus concrète la réforme des soutenants au service des soutenus . Encore en cours de définition cette réforme participe du plan gouvernemental Action publique 2022.

Ceci se traduit par la volonté de redonner des leviers au commandement opérationnel et aux armées sans pour autant remettre en question les structures organisationnelles qui prévalent actuellement dans les soutiens et qui sont le fruit d'un mouvement continu de transformation des services engagé depuis des années dans un contexte de forte rationalisation des ressources. Le second axe vise à revisiter l'organisation des échelons de commandement, en particulier au niveau territorial. La réforme portera sur les responsabilités du commandant de base de Défense (COMBdD) et de l'officier général de zone de défense et de sécurité (OGZDS) et sur l'organisation territoriale du commandement et des soutiens (OTCS). Des guichets uniques des services de soutien seront mis en place, et la numérisation devrait permettre de simplifier le fonctionnement des nombreux services.

L'enjeu consiste à réformer pour redonner des leviers d'action aux bases de défense, sans soumettre de nouveau à leur autorité hiérarchique les entités locales des services et directions de soutien interarmées. Si ce sujet a moins d'incidences budgétaires directe en 2019, il pourrait en avoir dans les prochaines années et fera l'objet d'un suivi attentif.

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À l'issue de sa réunion du mercredi 21 novembre 2018, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense », avec 5 voix pour, du groupe LREM et de M. Robert del Picchia, et l'abstention des autres commissaires présents (38 abstentions).


* 20 Dont environ 5000 civils, le reste du personnel étant militaire.

* 21 12 000 civils et 13 000 militaires.

* 22 Comme la DIRISI, le SEA ou le SSA sont responsables BOP et responsables ainsi de la gestion de leurs crédits.

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