INTRODUCTION

Madame, Monsieur,

À l'issue de la présentation budgétaire pour 2019, le ministre des armées était présenté par la presse comme l'un des gagnants avec 1,7 milliard d'euros supplémentaires et 450 emplois créés. Cet effort budgétaire n'est pas une surprise?: il est conforme à la première année de mise en oeuvre de la loi de programmation militaire 2019-2025 ratifiée le 13 juillet 2018. Aux termes du projet de loi de finances pour 2019, le budget consacré aux armées atteindrait donc 35,9 milliards d'euros, en augmentation de 5 % par rapport à 2018. Cette hausse vise à élever l'effort de défense à 1,82 % du produit intérieur brut, conformément à la trajectoire définie pour le porter à 2 % d'ici à 2025, à la fin de la période de programmation

Cet élan, tant attendu par les armées, et soutenu par votre commission, s'est brisé sur les décisions d'exécution budgétaire du gouvernement. Le Parlement a découvert, avec la présentation du projet de loi de finances rectificative, que le surcoût des opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (MISSINT) non financé, soit 428 millions d'euros, était intégralement laissé à la charge du ministère des armées, sans aucun appel à la solidarité interministérielle. Ce choix va directement à l'encontre de l'engagement du Président de la République, chef des armées, inscrit dans la loi de programmation militaire (LPM) prévoyant que le surcoût des OPEX-MISSINT avait vocation, par nature, à être financé par la solidarité interministérielle.

Dans un contexte stratégique marqué par la multiplication des menaces et des zones d'instabilité qui a conduit à augmenter les déploiements opérationnels des forces armées françaises, présentés sur la carte suivante, la décision du gouvernement donne un mauvais signal tant à notre armée qu'à nos alliés.

Le niveau d'engagement pour les forces françaises en opérations extérieures est très élevé 1 ( * ) avec les opérations BARKHANE 2 ( * ) , qui a succédé à SERVAL 3 ( * ) au Mali depuis l'été 2014, et CHAMMAL 4 ( * ) mise en oeuvre en Irak depuis septembre 2014 et en Syrie depuis septembre 2015. Le besoin d'engagement sur le territoire national pour garantir la sécurité est devenu indiscutable après les attentats des 7 et 9 janvier 2015, du 13 novembre 2015 et du 14 juillet 2016, comme en témoigne la mise en oeuvre de l'opération Sentinelle.

La préparation et l'emploi des forces sont des enjeux essentiels dans cette perspective, or, vos rapporteurs pour avis restent soucieux des faibles progrès réalisés en matière de disponibilité technique de certains équipements, notamment des hélicoptères, et des faibles niveaux de préparation opérationnelle enregistrés en 2018 et prévus en 2019. Des réformes sont annoncées, telle que la réforme de la maintenance, qui sera l'objet d'un suivi attendu. D'autres, indispensables, paraissent à peine esquissées encore. Ainsi en est-il du dispositif Sentinelle. Enfin, la situation des grands services de soutien, éternels sacrifiés du ministère ayant subi de plein fouet la révision générale des politiques publiques, les efforts de déflations prévues par la précédente LPM puis la remontée en puissance de la FOT qui les a mis sous tension, reste encore fragile.

La hausse des crédits du programme 178 prévue en 2019 ne résout donc pas toutes les questions en suspens.

I. UN BUDGET EN AUGMENTATION DE 8,9 %

A. UNE FORTE PROGRESSION

En 2019, les crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces » s'établissent à 8,78 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une forte progression de 8,9 % par rapport à 2018 (année au cours de laquelle ils avaient déjà augmenté de 10,6 % pour atteindre 8,03 milliards d'euros). Toutes ressources confondues, notamment les cessions immobilières, les crédits de paiement du programme 178 atteignent 9,11 milliards d'euros en 2019 (contre 7,35 milliards d'euros en loi de finances initiale-LFI pour 2017 et 8,44 milliards d'euros en 2018).

Alors que les crédits de paiement du programme progressent de 718 millions entre 2018 et 2019, les dépenses de fonctionnement du titre 3 augmentent de 637 millions d'euros , les dépenses d'investissement de 68,78 millions d'euros , et les dépenses d'intervention de 11,36 millions d'euros .

La progression des autorisations d'engagement (AE) est spectaculaire, soit une augmentation de 69,9 % par rapport à 2018, pour atteindre 14,9 milliards d'euros en 2019 (contre 8,8 milliards d'euros en 2018, année au cours de laquelle les AP avaient progressé de 5,3 %). Elle fera l'objet d'un développement ultérieur.

1. La progression de 48 % des crédits dédiés aux OPEX accroît leur poids dans le programme
a) La répartition des crédits par action

Le graphique et le tableau suivants présentent l'évolution, entre 2018 et 2019, des crédits du programme 178, par action.

Présentation des crédits du programme 178 par action (hors fonds de concours et attributions de produits)

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Nom de l'action

2018

2019

Évolution

2018

2019

Évolution

Planification des moyens et conduite des opérations

522,6

596,2

14,1%

525,3

584,6

11,3%

Préparation des forces terrestres

1384

2574,8

86,0%

1309,3

1439,7

10,0%

Préparation des forces navales

2425,2

5320

119,4%

2245,7

2380,7

6,0%

Préparation des forces aériennes

2599,3

4326,7

66,5%

2123,3

2319

9,2%

Logistique et soutien interarmées

1481,7

1565,8

5,7%

1458,2

1460,4

0,2%

Surcoûts liés aux opérations extérieures

405

600

48,1%

405

600

48,1%

Total

8817,98

14983,5

69,9%

8066,88

8784,5

8,9%

*Les totaux peuvent différer des totaux des sommes inscrites dans les colonnes en raison des arrondis.

La répartition des crédits par action qui se caractérise ces cinq dernières années par une remarquable stabilité, elle marque toutefois une évolution en 2019 , illustrée par les graphiques suivants.

La structure du programme varie peu par rapport à 2017. De fait, la part de chaque action est restée quasiment identique en 2015 5 ( * ) , 2016, 2017 et 2018. La première annuité de la LPM marque toutefois une progression de l'action dédiée au financement des surcoûts des OPEX (+195 millions d'euros en 2019) qui passe de 3,8 % du programme en 2017, à 5 % en 2018 puis 7 % en 2019 . Hors cela, l'évolution en agrégat permet de comprendre cette stabilité : l'accroissement des crédits dédiés à l'entretien programmé du matériel (EPM) de 375 millions d'euros (contre 450 millions d'euros en 2018) s e répartit, cette année encore, entre les actions du programme, d'un montant élevé, et lisse l'effet de l'accroissement des crédits consacrés au financement du surcoût des OPEX.

Ainsi, la préparation des forces navales et la préparation des forces aériennes bénéficient respectivement de 27 % et 26 % du total des crédits du programme. La préparation des forces terrestres représente 16 % des ressources du programme, marquant un peu le pas.

Répartition en actions des crédits du programme 178 : 7,297 milliards d'euros pour 2017

Répartition en actions des crédits du programme 178 : 8,07 milliards d'euros pour 2018

Répartition en actions des crédits du programme 178 : 8,78 milliards d'euros pour 2019

b) Les principales évolutions de crédits au sein des actions en 2019

Au sein de l'action « Planification des moyens et conduite des opérations » bénéficiant de 584,6 millions d'euros en CP , on note :

- une augmentation de 11 % des crédits de paiement, soit 59 millions d'euros supplémentaires,

- un effort consenti sur la transformation numérique du ministère et sur la sécurisation des réseaux de télécommunication dont les crédits progressent de 45,4 millions d'euros en 2019, soit une hausse de 23 % par rapport à 2018,

- une attention particulière portée sur l'intégration du renseignement, ainsi que sur la montée en puissance de la cyber défense qui bénéficie de 1,07 millions d'euros en 2019, soit une hausse de 2 % par rapport à 2018,

- le respect des engagements internationaux de la France, notamment le financement des contributions internationales au profit de l'OTAN et la coopération militaire avec les pays alliés dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Ce sont 12,82 millions d'euros supplémentaires qui sont prévus en 2019, soit une hausse de 4,6 % par rapport à 2018.

S'agissant de l'action « Préparation des forces terrestres », dont les crédits s'élèvent à 1,4 milliard d'euros en CP :

- la FOT doit intensifier sa préparation en rehaussant son niveau d'activité opérationnelle pourtant, force est de constater que l'évolution des crédits est essentiellement concentrée sur les besoins de l'agrégat équipement et plus particulièrement sur l'EPM,

- les crédits d'EPM augmentent fortement en AE (124 %) et en CP (15 %) par rapport à 2018, en raison de la poursuite de la transformation du modèle de maintenance « MCO-T-2025 » initié dès 2017 6 ( * ) . Ce modèle se caractérise par la sous-traitance vers le secteur privé de certaines activités de maintenance et de régénération des matériels anciens 7 ( * ) .

S'agissant de l'action « Préparation des forces navales » qui bénéficie de 2,38 milliards d'euros en CP, on constate :

- l'augmentation de 135 millions d'euros de l'action au profit de la préparation opérationnelle et de l'EPM ,

- les dépenses de l'activité opérationnelle de la marine (408 millions d'euros en AE et 217 millions d'euros en CP) augmentent pour permettre la passation d'un marché pluriannuel de longue durée dédié à l'affrètement des remorqueurs d'intervention, d'assistance et de sauvetage . Les hausses en AE des dépenses d'équipement en 2019 concernent le renouvellement de marchés d'EPM naval relatifs au MCO des torpilles MU90, à la remotorisation des missiles ASTER et EXOCET ainsi qu'à la réalisation d'un arrêt technique majeur de sous-marin nucléaire d'attaque. Mais ces augmentations procèdent surtout de la nouvelle stratégie de verticalisation et de globalisation des contrats de MCO aéronautique mise en place par la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé).

Pour l'action « Préparation des forces aériennes », dont les crédits s'élèvent à 2,3 milliards d'euros en CP, on note :

- l'augmentation de 1,727 milliard d'euros en AE et 196 millions d'euros en CP,

- la hausse des autorisations d'engagement inscrite au PLF 2019 se justifie essentiellement par le recours à des marchés pluriannuels majeurs du MCO aéronautique . Outre le renouvellement récurrent de certains contrats de soutien (A400M, Reaper, etc.), ces marchés s'inscrivent dans la volonté ministérielle d'améliorer la disponibilité des matériels et viseront à regrouper sur une longue durée les contrats aujourd'hui confiés à différents prestataires (démarche dite de «  verticalisation »). Le niveau des crédits de l'armée de l'air doit ainsi permettre la remontée de la disponibilité de ses matériels et l'atteinte des objectifs d'activité opérationnelle et de régénération organique,

- la dotation 2019 en CP vise la régénération des flottes anciennes . Elle contribue également à la poursuite de la montée en puissance des matériels nouveaux (drones, flotte A400M, C130J, ALSR, MRTT, etc.) qui constitue une des priorités majeures de 2019.

Les évolutions notables de l'action « Logistique et soutien interarmées », dotée de 1,4 milliard d'euros en CP, sont les suivantes :

- pour le service de santé des armées (SSA), une baisse de 19 millions d'euros en CP qui, conformément à la transformation du service, est corrélée à une augmentation de la prévision des recettes extrabudgétaires de 17,3 millions d'euros mais également à une diminution progressive des besoins globaux,

- pour la sous-action « soutien des forces par les bases de défense », une stabilisation des crédits, passant de 671,6 millions d'euros 2018 et 672,8 millions d'euros en 2019,

- pour la sous-action « service interarmées des munitions » ( SIMU ) une baisse de 5 millions d'euros (-21 %) par rapport à 2018 en raison de moindres besoins en démantèlement de munitions complexes (missiles, torpilles),

- pour la sous-action « service du commissariat des armées », les principales hausses de l'action avec 18 millions d'euros supplémentaires en CP (+3,6 %) et 47 millions d'euros supplémentaires en AE (+9,4 %) destinés à accompagner la transformation du service et la mise en oeuvre généralisée de l'accès au WIFI gratuit dans l'ensemble des lieux de convivialité et d'hébergement en enceinte militaire, prévue par le Plan Famille.

2. La répartition du programme par opération stratégique : la prééminence de l'entretien programmé du matériel au sein du programme 178

En 2018, les crédits de paiement du programme 178 sont ainsi répartis :

- 46 % sont consacrés à l'entretien programmé du matériel (prestations d'entretien facturées par les industriels ou par les régies des trois services de soutien SSF, SIMMT, SIMMAD et au SIMu, achats de pièces de rechanges),

- 14 % aux activités opérationnelles (dépenses d'alimentation et de carburant),

- 13 % au fonctionnement et activités spécifiques (dépenses consacrées à l'administration générale des personnels et au fonctionnement),

- 10 % à l'équipement d'accompagnement et de cohérence (dépenses consacrées à l'acquisition de petits matériels destinés à soutenir les opérations, dépenses destinées à l'entraînement -matériels de ciblerie, certains simulateurs-, les dépenses destinées aux réseaux de communication et aux systèmes d'information et de commandement, les dépenses destinées aux munitions d'entraînement et de guerre),

- 6 % à la dissuasion,

- 7 % aux opérations extérieures,

- 3 % à l'entretien programmé du personnel (dépenses consacrées à l'habillement des personnels et à leur soutien direct en opérations -rations de combat, tentes, douches de campagne, etc.-),

- et 1 % au renseignement.

Cette répartition est quasiment similaire à celle de 2018 à cette différence près : en CP, les OPEX représentent désormais 7 % du programme au lieu de 5 % en 2018. Les activités opérationnelles et l'entretien programmé du personnel, qui sont des domaines déjà très contraints, voient leur part diminuer d'un pour cent chacun au profit des OPEX . Le tableau suivant présente les crédits du programme 178 par opération stratégique (OS) et leur évolution entre 2018 et 2019.

Présentation des crédits du programme 178 par « opération stratégique » (y compris attributions de produit du service de santé des armées)

PLF
en millions d'euros

Autorisations d'engagement
(AE)

Evolution

Crédits de paiement
(CP)

Evolution

2018

2019

2018

2019

Entretien programmé du matériel

4517

9126,5

102,0%

3828

4150

8,4%

Dissuasion

622

1564

151,4%

508

560,8

10,4%

Renseignement

48

47,762

-0,5%

47

46,8

-0,4%

Équipements d'accompagnement

715

829,6

16,0%

801

917,86

14,6%

Activités opérationnelles

1255

1455,67

16,0%

1231

1242,61

0,9%

Fonctionnement et activités spécifiques

1036

1158

11,8%

1100

1166,66

6,1%

Entretien programmé du personnel

296

294,88

-0,4%

300

272,62

-9,1%

Opex

405

600

48,1%

405

600

48,1%

Total du programme 178

8894

15076,36

69,5%

8222

8957,37

8,9%

N.B. : Le tableau ci-dessus tient compte des attributions de produits du service de santé des armées (156 millions d'euros hors T2). En revanche, il n'intègre pas les autorisations d'engagement supplémentaires accordées au service (80 millions d'euros) pour lui permettre d'amorcer, dès le début de la gestion, des opérations qui ont vocation à être couvertes ultérieurement par des attributions de produits.

Les principaux points devant être soulignés dans l'évolution de la répartition des crédits du programme 178 par OS sont les suivants :

- les crédits en AE et CP dédiés aux OPEX augmentent de 48,1 % et donneront lieu à un développement ultérieur,

- alors qu'en 2018 un effort particulier permettait d'augmenter de 31 % les CP de l'OS entretien programmé du personnel , en 2019, ils diminuent de 9,1 %,

- les crédits en autorisations d'engagement de l'OS dissuasion progressent fortement,

- après avoir connu une hausse de 20 % en 2018, les crédits de l'OS renseignement stagnent ,

- enfin, l'OS entretien programmé du matériel voit ses CP progresser de 8,4 % pour atteindre 3 828 millions d'euros en 2018 . L'envolée des AE augmentant de 102 % correspond à la réforme de la maintenance aéronautique.


* 1 L'OPEX SANGARIS menée en République Centrafricaine depuis décembre 2013 a pris fin en décembre 2016.

* 2 Dans la bande sahélo-saharienne.

* 3 Dans la bande sahélo-saharienne, également.

* 4 Au Levant.

* 5 Année d'actualisation de la présente LPM.

* 6 La SIMMT poursuivra son effort de contractualisation de MCO avec les opérateurs privés : pour les VBCI (à partir de 2019, 53 VBCI seront maintenu dans la cadre étatique et 20 dans le cadre privé), pour les chars Leclerc à compter de 2020, pour les VAB sur la période 2019-2021, et les AMX 10RC. En 2019 seront notifiés les marchés de maintenance relatifs au CAESAR, aux véhicules haute mobilité (pour 7 ans), etc.

* 7 Soutien des canons Caesar, soutien des VAB, VBL et PVP.

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